SD/IC
[R] [V]
E.A.R.L. DU MONTROND
C/
[M] [E]
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
2ème chambre civile
ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2022
N° RG 22/00333 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F46S
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 17 février 2022,
par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Dijon
RG : 20/01649
APPELANTS :
Monsieur [R] [V]
né le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 8] (21)
domicilié :
[Adresse 6]
[Localité 4]
E.A.R.L. DU MONTROND dont le siège social est sis :
Chez Monsieur [R] [V]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentés par Me Clémence MATHIEU, membre de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 38
assisté de Me Ludovic BUISSON, membre de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON SUR SAONE
INTIMÉE :
Madame [M] [E]
née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 7] (21)
domiciliée :
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Sylvain PROFUMO, membre de la SCP PROFUMO HERVÉ ET PROFUMO SYLVAIN, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 97
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 juillet 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et Sophie DUMURGIER, Conseiller, chargée du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, Président,
Michel WACHTER, Conseiller,
Sophie DUMURGIER, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 06 Octobre 2022,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [R] [V] et Mme [M] [E], divorcés selon arrêt du 20 octobre 2011, avaient constitué l'EARL du Montrond, société exerçant une activité d'exploitation agricole, dont ils étaient tous deux cogérants et dont ils détiennent chacun la moitié des parts.
Lors de la constitution de l'EARL, Mme [M] [E] a mis à disposition de la société plusieurs parcelles de terre lui appartenant en propre et les époux [V]-[E] ont fait de même pour des parcelles leur appartenant de manière indivise, une rémunération des propriétaires étant prévue par la convention de mise à disposition.
Par jugement du 4 septembre 2009, le tribunal de grande instance de Dijon, saisi par M. [V], a révoqué Mme [E] de ses fonctions de cogérante et l'a condamnée à rembourser à l'EARL une somme de 2 892,93 euros au titre d'un solde débiteur de compte courant d'associé, en déboutant Mme [E] de ses demandes de dissolution anticipée de l'EARL et de désignation d'un liquidateur.
Mme [V] ayant relevé appel de ce jugement, la cour de céans a confirmé la décision par arrêt du 5 octobre 2010 et a débouté Mme [E] de ses demandes aux fins de désignation d'un expert judiciaire et d'un administrateur provisoire.
Par acte du 13 novembre 2009, Mme [V] a assigné l'EARL du Montrond et M. [V] devant le tribunal de grande instance de Dijon aux fins de voir constater la défaillance de M. [V] dans la gestion de l'EARL et d'obtenir la désignation d'un administrateur avec pour mission de gérer la société jusqu'à la liquidation du régime matrimonial.
Par jugement du 17 octobre 2014, le tribunal de grande instance de Dijon a déclaré recevable mais mal fondée la demande de Mme [E] aux fins de condamnation de M. [V] à lui acheter ses parts et l'en a déboutée et a déclaré Mme [E] irrecevable, au motif de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 4 septembre 2009 et à l'arrêt du 5 octobre 2010, de sa demande tendant à la dissolution de l'EARL et à la désignation d'un mandataire de justice.
Par arrêt du 26 mai 2016, la cour de céans a confirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de Mme [E] en dissolution judiciaire de l'EARL du Montrond et condamné Mme [E] à payer une indemnité de procédure et, statuant à nouveau, a :
- dit recevable la demande de Mme [E] tendant à voir prononcer la dissolution de l'EARL,
- débouté Mme [E] de cette demande,
- dit qu'elle supporte les dépens d'appel,
- débouté M. [V] et l'EARL du Montrond de leurs demandes sur le fondement en première instance et en appel de l'article 700 du code de procédure civile.
Par exploits du 30 juillet 2020, Mme [M] [E] a fait assigner l'EARL du Montrond et M. [R] [V] devant le Tribunal judiciaire de Dijon aux fins de voir :
- condamner l'EARL du Montrond à lui payer la somme de 6 500,61 euros augmentée des intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 25 octobre 2017,
- condamner l'EARL du Montrond à lui payer la somme de 27 769,13 euros augmentée des intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 4 mars 2020,
- prononcer la dissolution de l'EARL du Montrond par application des dispositions portées par l'article L 324-9 du code rural et de la pêche maritime,
- condamner l'EARL du Montrond à lui payer la somme de 3 000 euros par application des dispositions portées par l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance,
- déclarer le jugement à intervenir commun et opposable à M. [R] [V].
Par conclusions d'incident notifiées le 8 mars 2021, l'EARL du Montrond et M. [R] [V] ont demandé au juge de la mise en état, au visa des dispositions des articles 74 et suivants, 122 du code de procédure civile, 1351 et 2254 du code civil et L 491-1 du code rural, de :
- constater l'existence d'un bail verbal soumis au statut du fermage,
- se déclarer incompétent au profit du tribunal paritaire des baux ruraux de Dijon pour connaître de la demande en paiement formulée par Mme [E] à hauteur de 27 769,13 euros au titre des fermages impayés,
- subsidiairement, dire que la demande en paiement formulée par Mme [E] est prescrite sur la période allant du 1er janvier 2015 au 29 juillet 2015,
- dire que la demande visant à voir ordonner la dissolution de l'EARL est irrecevable au motif qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 26 mai 2016, - condamner Mme [E] à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [E] aux entiers dépens de l'incident.
Ils ont fait valoir en substance que :
- la convention de mise à disposition des terres a trouvé un terme le 15 septembre 2010 mais que Mme [E] n'a ni exploité ni demandé à l'EARL de retirer ses animaux des parcelles lui appartenant, lui laissant ainsi la libre disposition de ses terres, que par ailleurs elle n'a jamais formulé la moindre objection sur le montant et les moyens des règlements des fermages dus, de sorte que l'exploitation s'est poursuivie dans le cadre d'un bail à ferme verbal et que les demandes en paiement de fermages relèvent de la compétence exclusive du tribunal paritaire des baux ruraux,
- pour la troisième fois, Mme [E] forme une demande en dissolution de l'EARL alors qu'il a déjà été définitivement statué sur ce point par l'arrêt du 26 mai 2016 et que, s'agissant du moyen de droit invoqué pour obtenir cette dissolution, il lui appartenait, en application du principe de concentration des moyens, de le soulever devant la juridiction d'appel,
- la demande aux fins de paiement d'une provision se heurte à une contestation sérieuse et, enfin, il n'est justifié d'aucun motif à l'appui de la demande de communication de pièces.
Par conclusions d'incident notifiées le 30 août 2021, Mme [E] a demandé au juge de la mise en état de :
- rejeter l'exception d'incompétence présentée par l'EARL du Montrond et M. [R] [V],
- rejeter la fin de non recevoir opposée à la demande de dissolution de l'EARL du Montrond,
- condamner l'EARL du Montrond à lui payer une provision de 3 000 euros à valoir sur la créance inscrite au solde de son compte courant d'associé,
- condamner, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir, l'EARL du Montrond à produire et à communiquer le procès-verbal de la consultation d'associés organisée à sa demande le 29 décembre 2020,
- condamner in solidum M. [R] [V] et l'EARL du Montrond à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les mêmes aux dépens de l'incident.
Elle a soutenu avoir manifesté depuis des années sa volonté de reprendre la libre disposition de ses terres, comme cela ressort des mentions figurant aux procès-verbaux des assemblées générales et des rapports d'un contrôleur de la MSA, ce qui exclut l'existence du bail verbal invoqué par les appelants.
Elle a également prétendu que la dissolution de l'EARL pour mésentente des associés est une demande distincte de celle formée au visa des dispositions de l'article L 324-9 du code rural, et, qu'au surplus, les man'uvres déployées par M. [V] pour la spolier ont perduré postérieurement au 26 mai 2016 et paralysent le fonctionnement de la société, de sorte qu'aucune autorité de chose jugée n'est attachée à l'arrêt qui lui est opposé pour les faits qui lui sont postérieurs et qui caractérisent la mésentente entre les associés.
Elle a enfin fait valoir que le solde de son compte courant d'associée est créditeur depuis de nombreuses années, ce qui rend fondée sa demande de provision, et que l'EARL s'obstinant à ne pas communiquer le résultat de la consultation organisée à sa demande le 29 décembre 2020, il est nécessaire de l'y contraindre.
Par ordonnance rendue le 17 février 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Dijon a :
- débouté M. [R] [V] et l'EARL du Montrond de leur exception d'incompétence,
- dit que le Tribunal judiciaire de Dijon est compétent pour connaitre de l'intégralité des demandes formées dans le cadre de la présente instance,
- déclaré Mme [M] [E] irrecevable en sa demande de dissolution de l'EARL du Montrond articulée sur le fondement des dispositions des articles L 324-8 et L 324-9 du code rural et de la pêche maritime à raison de l'autorité de la chose jugée,
- déclaré Mme [M] [E] recevable en sa demande de dissolution de l'EARL du Montrond articulée sur le fondement des dispositions des articles 1844-7 et 1851 du code civil,
- débouté M. [R] [V] et l'EARL du Montrond de leur exception de prescription partielle de la demande en paiement au titre des terres appartenant à Mme [E],
- débouté Mme [M] [E] de sa demande de communication de pièce,
- débouté Mme [M] [E] de sa demande en paiement d'une provision,
- donné avis à la SELAS Adida et Associés de déposer ses conclusions sur le fond avant le 11.04.2022,
- débouté les parties de leurs demandes articulées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
M. [R] [V] et l'EARL du Montrond ont relevé appel de cette ordonnance, par déclaration reçue au greffe le 17 mars 2022, limité aux chefs de dispositif de l'ordonnance les ayant déboutés de leur exception d'incompétence, ayant dit que le Tribunal judiciaire de Dijon est compétent pour connaître de l'intégralité des demandes formées dans le cadre de la présente instance et les ayant déboutés de leur exception de prescription partielle de la demande en paiement au titre des terres appartenant à Mme [E].
Sur requête présentée le 21 mars 2022 au premier président, les appelants ont été autorisés à assigner à jour fixe par ordonnance du 22 mars 2022.
Par acte d'huissier du 23 mars 2022, ils ont assigné Mme [E] à l'audience du 7 juillet 2022.
Au terme de leurs conclusions notifiées le 4 juillet 2022, les appelants demandent à la cour de :
Vu les dispositions des articles 74 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles L 491-1 du code rural,
- juger recevable et fondé l'appel qu'ils ont relevé et, dans la limite de celui-ci, faisant droit,
- infirmer l'ordonnance rendue par le juge de mise en état du tribunal judiciaire de Dijon,
- juger que le tribunal judiciaire de Dijon était incompétent et ce au profit du tribunal paritaire des baux ruraux de Dijon, pour connaître de la demande en paiement formulée par Mme [E] à hauteur de 27 769,13 euros au titre des fermages impayés,
- juger que le juge de la mise état du tribunal judiciaire de Dijon ne pouvait pas dès lors se prononcer sur le caractère prescrit ou non de la demande en paiement au titre des terres appartenant à Mme [E],
Vu l'article 86 code de procédure civile,
Et sur la demande en paiement de Mme [E] au titre des fermages,
- renvoyer l'affaire devant le tribunal paritaire des baux ruraux,
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état en ce qu'elle a :
' débouté Mme [E] de sa demande en paiement d'une provision,
' débouté Mme [E] de sa demande en communication de pièces,
- débouter Mme [E] de l'intégralité de ses demandes,
Ajoutant,
- condamner Mme [E] à leur régler la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [E] aux entiers dépens.
Au terme de conclusions d'intimée notifiées le 15 avril 2022, Mme [E] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
' débouté M. [R] [V] et l'EARL du Montrond de leur exception d'incompétence,
' dit que le Tribunal judiciaire est compétent pour connaitre de l'intégralité des demandes formées dans le cadre de la présente instance,
' débouté M. [R] [V] et l'EARL du Montrond de leur exception de prescription partielle de la demande en paiement au titre des terres appartenant à Mme [E],
- juger recevable son appel incident,
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle :
' l'a déboutée de sa demande en paiement d'une provision,
' l'a déboutée de sa demande en communication de pièces.
Statuant à nouveau de ces deux derniers chefs,
- condamner l'EARL du Montrond à lui payer une provision de 3 000 euros à valoir sur la créance inscrite au solde de son compte courant d'associé (Classe 4 : Compte de Tiers,
- condamner, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, l'EARL du Montrond à produire et lui communiquer le procès-verbal de la consultation d'associés organisé à sa demande en date du 29 décembre 2020,
Ajoutant à l'ordonnance entreprise,
- condamner in solidum M. [R] [V] et l'EARL du Montrond à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les mêmes aux dépens de l'incident de première instance et d'appel.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est référé, pour l'exposé des moyens des parties, à leurs dernières conclusions visées ci-dessus.
SUR QUOI
Sur l'exception d'incompétence soulevée par les appelants
Se fondant sur l'article 74 du code de procédure civile, M. [V] et l'EARL du Montrond prétendent que, par correspondance du 25 octobre 2011, Mme [E] a dénoncé la convention de mise à disposition conclue en 2007, pour une reprise au 1er janvier 2012, et que cette dénonciation faisait suite à une première dénonciation du 28 avril 2010, pour une reprise le 15 septembre 2010, et ils en déduisent que les fermages réclamés par l'intimée ne tombent plus sous le coup des dispositions réglementaires de cette convention mais sous le statut du fermage à partir du 15 septembre 2010.
Ils font valoir que, depuis cette date, Mme [E] n'a ni exploité ni demandé à l'EARL de retirer les animaux des parcelles lui appartenant et qu'elle lui a laissé la libre disposition de ses terres.
Ils précisent que, le 22 décembre 2011, le règlement du fermage 2011 est intervenu sur de nouvelles bases tarifaires estimées par un expert foncier, en accord avec les bases de l'arrêté préfectoral, que l'intimée n'a formulé aucune objection, qu'un décompte a été envoyé par lettre simple, remis contre décharge à Mme [E] le 5 mai 2012, lors de l'assemblée générale ordinaire de l'EARL, et que, depuis ce premier règlement, aucune contestation n'a été émise par cette dernière alors que les règlements des années 2012-2013-2014 ont été effectués sur la base de 2010, ajustée selon l'indice préfectoral de chaque année.
Ils en déduisent que l'EARL du Montrond peut se prévaloir d'un bail verbal dès lors qu'elle a conservé l'autorisation administrative d'exploiter depuis 2007.
Ils ajoutent que, dès lors que le contrat porte sur un bien immobilier à vocation agricole de plus d'un hectare, conclu en vue d'une exploitation agricole par l'EARL, le statut du fermage est applicable et que tout litige opposant bailleur et preneur à bail rural relève de la compétence exclusive du tribunal paritaire des baux ruraux.
Ils relèvent que Mme [E] qui soutient l'EARL occupe ses terres de manière illicite, sans pour autant avoir initié une procédure aux fins de voir ordonner son expulsion, ne demande pas au tribunal de constater que l'EARL est occupante sans droit ni titre des parcelles lui appartenant, alors qu'elle sollicite le paiement de sommes, assimilables à des loyers, par application d'une convention de mise à disposition qui a pris fin depuis plus de 10 ans.
L'intimée objecte, qu'au moment de sa séparation de M. [V], elle a tenté de retrouver la libre disposition de ses terres mais que les appelants s'y sont obstinément opposés.
Elle fait valoir qu'elle n'a pas approuvé les comptes de la société, notamment lors des assemblées générales des associés, et en déduit que la qualification et le montant des sommes portées au crédit de son compte courant, sans son accord, n'est pas susceptible d'être créateur d'un droit à bail pour l'EARL.
Elle ajoute, qu'alors qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de reprendre les terres mises à la disposition de l'EARL, la MSA qui prétendait l'assujettir à des cotisations d'exploitant a diligenté un contrôle sur place et que le contrôleur assermenté et agréé a constaté que M. [V] s'était octroyé l'usage des parcelles sans droit ni titre.
Elle soutient que le bail verbal dont se prévalent les appelants est inexistant et que la convention de mise à disposition des terres reste applicable en l'absence de tout bail, ayant continué à s'exécuter faute pour l'EARL de restituer les terres.
Le juge de la mise en état a pu justement considérer que la convention de mise à disposition régularisée entre l'EARL du Montrond et Mme [E], qui échappait au statut des baux ruraux, a pris fin dans la mesure où, d'une part, Mme [E] n'exerce plus d'activité d'exploitation agricole au sein de la société et où, d'autre part, ce contrat a été dénoncé par courrier recommandé avec avis de réception du 25 octobre 2011.
Mme [E], qui ne participe plus personnellement à l'exploitation des parcelles a clairement manifesté, au cours des différentes actions engagées, son intention de se retirer de la société et de reprendre la libre disposition de ses terres, et c'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que l'EARL ne pouvait pas prétendre qu'un bail rural verbal s'est substitué à la convention de mise à disposition dès lors que le consentement de la propriétaire des terres agricoles à une mise à disposition de ces terres à titre onéreux au profit de l'EARL n'était pas démontré.
L'ordonnance critiquée sera ainsi confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence du Tribunal judiciaire au profit du tribunal paritaire des baux ruraux de Dijon.
Sur la prescription partielle de la demande en paiement relative aux terres occupées
Les appelants qui critiquent l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté leur fin de non recevoir tirée de la prescription partielle de la demande en paiement formée par Mme [E] se prévalent uniquement du défaut de pouvoir du juge de la mise en état pour connaître de cette demande en raison de l'incompétence du tribunal judiciaire saisi.
Or, l'exception d'incompétence soulevée ayant été rejetée et l'article 789 du code de procédure civile donnant expressément compétence exclusive au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non recevoir, l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription, par adoption des motifs du premier juge qui ne sont pas critiqués par les appelants.
Sur la demande de production de pièce
Au soutien de son appel incident, Mme [E] prétend avoir été exclue de ses fonctions de gérante depuis dix ans à raison de l'existence d'un solde débiteur de son compte courant d'associé, lequel s'élevait à la somme de 225 059 32 euros au 31 décembre 2020.
Elle expose, qu'à la séparation du couple, elle a demandé à M. [B], expert près la Cour d'appel de Dijon, d'évaluer ses droits sociaux dans l'EARL et que cette évaluation a été arrêtée à 145 000 euros environ, à partir des comptes de l'exercice 2009.
Elle affirme que M. [V] a refusé d'acquérir ses parts et, qu'après sa révocation, il s'est alloué chaque année des sommes confortables en lui proposant, depuis plus de dix ans, une répartition à son profit quasi exclusif des dividendes à percevoir par les associés, aucun bénéfice n'ayant été distribué depuis plus de dix ans, et indique que, lors de l'assemblée des associés se prononçant sur les comptes de l'exercice 2020, il a été proposé d'affecter le bénéfice distribuable à concurrence de 378 258,88 euros au profit de M. [V] et à concurrence de 331,47 euros à son profit, en soulignant le caractère arbitraire de cette affectation alors que, dans le silence des statuts et à défaut d'accord contraire entre les associés, la répartition des bénéfices doit intervenir au prorata de la détention du capital, soit à hauteur de moitié pour chacun des associés.
Elle précise avoir constamment refusé de voter le partage léonin qui lui a été présenté à chaque assemblée générale depuis 10 ans et qu'elle a décidé de soumettre à l'assemblée générale du 25 février 2021 le vote d'une résolution relative à l'affectation du bénéfice distribuable arrêté à la clôture de l'exercice 2019, en proposant une répartition par moitié, à laquelle M. [V] s'est opposé.
Elle ajoute que, malgré les nombreuses relances qu'elle a adressées, le procès verbal de l'assemblée qui devait être établi par le gérant ne lui a jamais été communiqué, ce dernier cherchant à empêcher que le litige touchant à la répartition des bénéfices soit soumis au juge.
M. [V] et l'EARL du Montrond s'opposent à cette demande en relevant que la pièce réclamée est sans intérêt au regard des prétentions émises au fond par l'intimée.
Pas plus en appel qu'en première instance Mme [E] n'établit que le procès-verbal de l'assemblée générale des associés du 25 février 2021 dont elle sollicite la communication est nécessaire à la solution du litige, alors qu'il concerne la répartition des bénéfices réalisés par l'EARL, dont le tribunal n'est pas saisi.
L'ordonnance mérite donc également confirmation en ce qu'elle a débouté l'intimée de ce chef de demande.
Sur la demande de provision
Mme [E], appelante incidente, soutient qu'elle a vainement tenté d'obtenir le remboursement du solde de son compte courant d'associée, créditeur depuis de nombreuses années, notamment par une mise en demeure du 25 octobre 2017, mais également par voie de compensation.
Elle précise, qu'au 31 décembre 2019, les écritures des derniers comptes qui lui ont été communiqués faisaient état d'un compte courant créditeur pour 6 848,15 euros, somme qu'elle réclame.
Elle estime que la loyauté des débats commanderait que M. [V] fasse connaître le solde créditeur du compte, à défaut de quoi sa demande en paiement pourrait être perpétuellement ajournée au fil des instances dont la durée est supérieure à celle des exercices comptables de la société.
Elle fait valoir qu'il est de principe que le compte courant d'associé est un compte de « Classe 4 : Comptes de tiers », répertorié au plan comptable sous le numéro « 455 ' Associés ' Comptes courants », et, qu'en application des articles 111.1 et 932 1 du règlement ANC N°2014 03 relatif au plan comptable général, il ne peut, s'agissant d'un compte du plan de compte de l'article 932 1 précité, faire l'objet d'une clôture qu'au retrait de l'associée, obstinément refusé par M. [V] depuis plus de dix années.
Pour rejeter la demande formée à titre provisionnel par Mme [E], le juge de la mise en état a relevé que la demande en paiement du solde créditeur du compte courant d'associé avait été formée dès le mois d'octobre 2017, date à laquelle il présentait, selon Mme [E], un solde créditeur de 6 500,61 euros, mais que, n'ayant pas été clôturé et continuant à fonctionner, le compte courant d'associé avait nécessairement enregistré de nouveaux mouvements, ce qui rendait la créance invoquée sérieusement contestable.
Or, Mme [E] est en droit de solliciter le remboursement du solde créditeur de son compte courant d'associée.
Elle démontre, qu'à la date du 31 décembre 2019, le solde de ce compte s'élevait à 6 500,61 euros, qu'au 31 décembre 2020 il s'élevait à 6 514,61 euros et au 31 décembre 2021 à 6 848,15 euros.
L'obligation de l'EARL de Montrond de rembourser le compte courant de Mme [E] n'étant pas sérieusement contestable, il sera fait droit à la demande en paiement d'une provision à hauteur de la somme réclamée de 3 000 euros, infirmant sur ce point l'ordonnance entreprise.
Sur les demandes accessoires
Les appelants qui succombent supporteront la charge des dépens d'appel.
Il est par ailleurs équitable de mettre à leur charge une partie des frais de procédure exposés par l'intimée et non compris dans les dépens.
Ils seront ainsi condamnés in solidum à payer à Mme [E] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance rendue le 17 février 2022 par le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Dijon en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'elle a débouté Mme [M] [E] de sa demande en paiement d'une provision,
L'infirme sur ce point et, statuant à nouveau,
Condamne l'EARL du Montrond à payer à Mme [M] [E] la somme de 3 000 euros à valoir sur la créance inscrite au solde de son compte courant d'associée,
Condamne in solidum M. [R] [V] et l'EARL du Montrond à payer à Mme [E] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les appelants aux dépens d'appel.
Le Greffier,Le Président,