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09/06/2022 | FRANCE | N°20/00589

France | France, Cour d'appel de Dijon, 2 e chambre civile, 09 juin 2022, 20/00589


MW/IC















[D], [N], [C] [R]



[Y], [T], [A], [P] [G] épouse [R]



[E] [S] [V] [W] [R]



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Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON



2ème chambre civile



ARRÊT DU 09 JUIN 2022



N° RG 20/00589 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FPEQ



MINUTE N°



Décision déférée à la Cour : au fond du 18 mai 2017,

rendue par le tribunal paritaire des baux ruraux de Besançon - RG : 51-16-000005 - arrêt

de la cour d'appel de Besançon - RG 17/01208 cassé par arrêt de la cour de

cassation du 24 octob...

MW/IC

[D], [N], [C] [R]

[Y], [T], [A], [P] [G] épouse [R]

[E] [S] [V] [W] [R]

C/

[U] [I]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 09 JUIN 2022

N° RG 20/00589 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FPEQ

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 18 mai 2017,

rendue par le tribunal paritaire des baux ruraux de Besançon - RG : 51-16-000005 - arrêt

de la cour d'appel de Besançon - RG 17/01208 cassé par arrêt de la cour de

cassation du 24 octobre 2019 sur pourvoi n° N 18-17.609

APPELANTS :

Monsieur [D], [N], [C] [R]

né le 11 Juillet 1946 à [Localité 13] (25)

domicilié :

[Adresse 7]

[Localité 3]

Madame [Y], [T], [A], [P] [G] épouse [R]

née le 08 Juillet 1949 à [Localité 10] (25)

domiciliée :

[Adresse 7]

[Localité 3]

Monsieur [E], [S], [V], [W] [R]

né le 20 Juillet 1982 à [Localité 10] (25)

domicilié :

[Adresse 7]

[Localité 3]

non comparants, représentés par Me Francoise VANDENBROUCQUE, membre de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 117

INTIMÉ :

Monsieur [U] [I]

domicilié :

[Adresse 4]

[Localité 3]

non comparant, représenté par Mme [F] [L], juriste à la FDSEA du Doubs, munie d'un pouvoir en date du 1er mars 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 31 mars 2022 en audience publique devant la cour composée de :

Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, Président,

Michel WACHTER, Conseiller, qui a fait le rapport sur désignation du Président,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 09 Juin 2022,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 1er novembre 2008, M. [D] [R] et son épouse, née [Y] [G], ont donné à bail rural à M. [U] [I] diverses parcelles ainsi qu'un bâtiment agricole sis à [Adresse 14] (25), d'une surface totale de 5 ha 31 a 45 ca.

Par acte d'huissier du 24 mars 2016, les époux [R] ont fait notifier à M. [I] un congé à effet du 31 octobre 2017 en vue de reprendre les terres louées et le bâtiment pour les faire exploiter par leur fils, M. [E] [R].

Le 31 mai 2016, M. [I] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Besançon aux fins d'annulation du congé.

Les parties n'ayant pu se concilier, l'affaire a été renvoyée à l'audience de jugement.

M. [E] [R] est intervenu volontairement aux côtés de ses parents.

M. [I] a maintenu sa demande d'annulation du congé et a réclamé la condamnation des défendeurs à lui verser la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts. Il a fait valoir :

- que les bailleurs n'étaient plus propriétaires de l'ensemble des parcelles louées, à la suite d'une donation à leur fils, et qu'en raison de l'indivisibilité du bail, le congé qui ne pouvait porter que sur une partie des fonds ne pouvait prospérer ; qu'il n'était aucunement rapporté la preuve d'un mandat tacite donné par M. [E] [R] à ses parents pour agir en son nom ;

- subsidiairement, que le repreneur ne justifiait pas de l'autorisation d'exploiter nécessaire, ni qu'il disposera à la date d'effet du congé du cheptel et du matériel nécessaire à l'exploitation envisagée, ni qu'il exploitera personnellement les terres pendant 9 ans ;

- que la reprise des terres porterait atteinte à l'équilibre économique de son exploitation.

Les consorts [R] ont sollicité la validation du congé et l'expulsion de M. [I] sous astreinte, en exposant :

- qu'ayant conservé un droit d'usage et d'habitation sur les biens donnés à leur fils, ils pouvaient parfaitement délivrer congé sur l'ensemble des terres louées ; qu'en tout état de cause, ils justifiaient d'un mandat tacite de la part de leur fils, régularisé par l'intervention volontaire de ce dernier à l'instance ;

- qu'en raison de la superficie des terres reprises et du caractère familial de la reprise, M. [E] [R] ne relevait pas du régime de l'autorisation d'exploiter mais de celui de la déclaration ; qu'il justifiait remplir toutes les autres conditions d' aptitude ou d'exploitation personnelle, et qu'il disposera des moyens financiers permettant l'exploitation des terres.

Par jugement du 18 mai 2017, le tribunal paritaire des baux ruraux a :

- constaté l'intervention volontaire de [E] [R] ;

- dit que le congé du 24 mars 2016 avec effet au 31 octobre 2017 portant sur les parcelles et un bâtiment situés sur les communes de [Localité 12] pour une superficie de 18 a 5 ca (sections référencées ZC n°[Cadastre 2], AC n°[Cadastre 8], AC n°[Cadastre 9], ZA n°[Cadastre 6], ZA n°[Cadastre 1],ZD n°[Cadastre 1]), et sur la commune de [Localité 15] (section ZC n°[Cadastre 5]) pour une superficie de 5 ha 13 a 40 ca visées dans le bail conclu entre [D] [R] et son épouse [Y] [G] et [U] [I] le 1er novembre 2008, est nul et de nul effet ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts ;

- dit n'y avoir application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné [D] [R] et son épouse [Y] [G] et [E] [R] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :

- que la conclusion ou la rupture d'un bail rural étant un acte de disposition, M. [E] [R] aurait du être associé à la procédure de congé en application de l'article 815 3 du code civil ; que toutefois les époux [R] ont fait valoir, à juste titre, que l'existence d'un mandat tacite avait été ratifié par l'intervention volontaire à l'instance de leur fils, qui avait confirmé se joindre à l'action de ses parents, propriétaires des autres parcelles, peu important, contrairement à ce que soutenait le demandeur, que le mandat n'ait pas été spécifié dans le congé, ce qui n'était pas de nature à induire M. [I] en erreur sur la reprise envisagée ;

- qu'en application de l'article L 331 2 du code rural était soumise à déclaration préalable la mise en valeur d'un bien agricole reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus lorsque les conditions suivantes étaient remplies :

1° Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnée au 3°du I ;

2° Les biens sont libres de location ;

3° Les biens sont détenus par ce parent ou allié depuis neuf ans au moins ;

4° Les biens sont destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle ci après consolidation n'excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l'article L 312-1 ;

- que M. [I] était mal fondé à soutenir que les biens ne seraient pas libres de location, dès lors que, si le congé était validé, les terres concernées seraient réputées libres de toute occupation à la date d'effet du congé ; que les diplômes obtenus par M. [E] [R] lui permettaient de répondre à la condition de capacité professionnelle ; que la superficie d'exploitation portant sur 25 hectares n'excédait pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles pour le secteur de [Localité 12] en application du II de l'article L 312 1 du code rural, lequel était de 75 hectares ; que l'opération de reprise était en conséquence soumise au régime simplifié de la déclaration préalable ;

- que, sur le fond, il incombait à M. [E] [R] de démonter qu'à la date d'effet du congé, soit le 31 octobre 2017, il se trouvera dans les conditions permettant une exploitation personnelle du fonds pour une durée de neuf ans et qu'il disposera du cheptel et du matériel nécessaires à l'exploitation du fonds, ou des moyens de les acquérir, conformément à l'article L 411 49 du code rural ; que, pour justifier de la faisabilité de son projet d'exploitation, il s'appuyait essentiellement sur la validation de son plan de professionnalisation personnalisé le 7 février 2017 par la préfecture du [Localité 11] ; que ces documents purement administratifs étaient la démonstration que l'intéressé disposait de compétences agricoles et qu'il avait suivi avec assiduité les formations dispensées pour créer ou reprendre une exploitation, mais n'étaient pas suffisants pour vérifier la viabilité de son projet ; que, plus précisément, il n'était produit aucune étude de marché même sommaire, permettant d'appréhender le secteur de vente envisagé, la concurrence existante, les acheteurs potentiels et les grandes tendances du marché ovin au niveau régional ; que s'il était certes justifié d'un document intitulé simulation du projet ovin établi par le réseau d'ovins de l'Est portant sur une exploitation avec un cheptel de 240 brebis, 60 agnelles et 9 béliers, similaire au projet envisagé, seule la page 14 de ce document avait été produite ; qu'aucune étude économique personnalisée certifiée par un cabinet comptable n'était fournie permettant d'analyser les comptes de résultats prévisionnels alors que la faisabilité reposait sur l'octroi de subventions et d'emprunts bancaires ; que la pièce numéro 3, récapitulant le coût de son installation et l'estimation annuelle des charges, n'était pas corroborée par une analyse comptable permettant de connaître les charges dont il serait redevable au titre des cotisations MSA, des taxes et impôts ; qu'en ce qui concernait le besoin en financement, s'il était rapporté que l'intéressé disposait de 56 153 euros de fonds propres et d'un bâtiment, la simple attestation de sa banque mentionnant un accord de principe sans préciser de montant, ne permettait pas de démontrer que la banque assurerait le financement manquant, l'accord de principe étant conditionné à la production d'éléments financiers ; que, là aussi, aucune estimation au titre du besoin en fonds de roulement n'était produite, alors même qu'elle apparaissait fondamentale dès lors que l'intéressé souhaitait pouvoir vivre de son exploitation ; qu'en l'absence de démonstration de la viabilité du projet, qui seule pouvait garantir que l'intéressé sera en mesure d'exploiter les fonds pendant au moins 9 ans et acquérir le cheptel et le matériel nécessaires, le congé devait être annulé ;

- qu'il n'était pas justifié d'un préjudice justifiant l'allocation de dommages et intérêts.

Par arrêt du 27 mars 2018, la cour d'appel de Besançon a :

- infirmé, dans les limites de l'appel, le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande de dommages et intérêts, et dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau, et ajoutant :

- débouté M. [U] [I] de sa demande de nullité du congé délivré le 24 mars 2016 portant sur les parcelles et un bâtiment situés sur la commune de [Localité 12] pour une superficie de 18 a et 5 ca (cadastrées section ZC n° [Cadastre 2], AC n° [Cadastre 8], AC n°[Cadastre 9], ZA n° [Cadastre 6] et [Cadastre 1] et ZD n°[Cadastre 1]) et sur la commune de [Localité 15] pour une superficie de 5 ha 13 et 40 ca (cadastrées section ZC n°[Cadastre 5]), parcelles incluses dans l'assiette du bail conclu le 1er novembre 2008 entre M. [D] [R] et son épouse Mme [Y] [G], d'une part, et M. [U] [I], d'autre part ;

- dit n'y avoir lieu à hauteur de cour à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [U] [I] aux dépens d'appel.

Pour statuer ainsi, la cour a retenu :

- que la donation consentie par les époux [R] à leur fils avait eu pour conséquence que ce dernier était devenu le titulaire exclusif du bail à ferme portant sur l'immeuble litigieux et que les donateurs n'avaient plus qualité pour délivrer le congé sur ledit immeuble ; que le moyen tiré du mandat tacite ratifié par l'intervention volontaire de M. [E] [R] devait être jugé opérant quand bien même l'intervention n' avait pas été régularisée dans le délai de 18 mois de l'article L 417 11 du code rural, dès lors que la ratification revêtait un caractère rétroactif ; qu'il importait peu pour la solution du litige que le mandat n'ait pas été spécifié dans le congé, ce défaut de mention ne pouvant en aucun induire M. [I] en erreur sur l'étendue de la reprise ;

- que l'opération de reprise litigieuse n'était pas soumise à autorisation préalable d'exploitation, mais au régime de déclaration préalable ;

- que M. [E] [R], titulaire depuis le 20 octobre 2002 d'un brevet de technicien supérieur agricole (productions animales) souhaitait exploiter directement les parcelles objets de la reprise, pour y créer une exploitation d'élevage ovin ; qu'il versait à son dossier une étude de marché très complète réalisée en juillet 2017 par la chambre interdépartementale d'agriculture Doubs Territoire de Belfort concluant à l'existence d'un projet cohérent dont les objectifs devraient être rapidement atteints dès lors qu'il s'inscrivait dans la tendance actuelle des circuits courts réclamés par les consommateurs ; que dans une étude économique d'installation, le même organisme prévoyait un résultat d'exploitation de l'ordre de 19 000 euros au cours des quatre années à venir ; que M. [E] [R] établissait disposer d'avoirs bancaires à hauteur de 56 000 euros ; que le Crédit Agricole avait donné son accord de principe pour l'accompagner financièrement ; qu'il avait établi en août 2017 une demande de prêt à l'installation qui avait été validé par l'organisme financier et que ce dossier, examiné par un comité de sélection du Conseil régional, avait abouti le 13 novembre 2017 à l'octroi d'une subvention de 44 400 euros ; que M. [R] disposait des bâtiments nécessaires ; que si M. [I] faisait état d'une atteinte à l'équilibre économique du GAEC du Grand Châtel, dans lequel il était associé, ce groupement n'était cependant pas intervenu dans la cause, alors par ailleurs que les consorts [R] faisaient justement valoir que l'article L 411 62 du code rural et de la pêche maritime n'était pas applicable dès lors qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'une reprise partielle ; que les conditions de la reprise étaient donc satisfaites.

Par arrêt du 24 octobre 2019, la Cour de cassation a décidé qu'en retenant, pour valider le congé, que M. [R], titulaire d'un diplôme de technicien supérieur agricole, souhaitait exploiter directement les parcelles reprises pour y créer une exploitation d'élevage ovin et qu'il produisait des études économiques et financières complètes relatives à ce projet, et en statuant ainsi sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le bénéficiaire de la reprise, exerçant la profession de technicien vétérinaire, justifiait avoir pris les dispositions nécessaires pour se consacrer aux travaux de façon effective et permanente sans se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale. La Cour de cassation a en conséquence cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon, remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Dijon.

La cour de renvoi a été saisie le 4 juin 2020 par les consorts [R].

Par conclusions n°2 après cassation du 8 novembre 2021, reprises à l'audience, les consorts [R] demandent à la cour :

Vu les articles L 331-2, L 411-47, L 411-59 et L 411-62 du code rural et de la pêche

maritime,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré nul et de nul effet le congé délivré le 24 mars 2016 ;

- de débouter M. [U] [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Y ajoutant,

- de constater que M. [E] [R] remplit l'intégralité des conditions exigées du bénéficiaire de la reprise, et notamment qu'il justifie de la viabilité de son projet ;

- de condamner M. [U] [I] à payer à M. [D] [R], Mme [Y] [R] et M. [E] [R], une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de le condamner aux entiers dépens.

Par conclusions du 20 septembre 2021 reprises à l'audience, M. [I] demande à la cour :

- de dire que le congé est nul car ne justifiant pas une participation effective et permanente dans le cadre du contrôle a priori ;

- de condamner solidairement M. et Mme [R] [D] et M. [E] [R] à verser à M. [I] [U] une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner solidairement M. et Mme [R] [D] et M. [E] [R] à verser une somme de 85 600 euros à M. [I] [U] à titre de dommages et intérêts ;

- de les condamner aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

A titre liminaire, il sera constaté que la disposition du jugement querellé relative à l'intervention volontaire de M. [E] [R] n'est pas critiquée à hauteur d'appel.

Il sera relevé en premier lieu qu'à ce stade de la procédure, M. [I] ne conteste plus que le congé litigieux a été valablement délivré par les époux [R], y compris pour les fonds dont ils avaient antérieurement fait donation à leur fils, les premiers juges ayant en tout état de cause pertinemment retenu sur ce point l'existence d'un mandat tacite qui leur avait été confié par l'intéressé, intervenant volontaire à l'instance.

Pa ailleurs, M. [I] n'invoque plus le défaut d'autorisation préalable, alors, au demeurant, qu'au regard de l'origine familiale des fonds et de la satisfaction aux conditions de l'article L 331-2 II du code rural et de la pêche maritime, le tribunal paritaire a à bon droit considéré que l'opération ne relevait pas du régime de l'autorisation préalable, mais de celui de la déclaration préalable.

L'article L 411-59 du code rural et de la pêche maritime dispose que 'le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l'exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d'une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d'une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir.

Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe.

Le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu'il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions.'

Il ne peut qu'être constaté, à la lecture de ses dernières écritures, que M. [I] ne remet désormais plus en cause la pertinence des études économiques et financières produites depuis la première instance par M. [E] [R] à l'appui de son projet de reprise. D'ailleurs, leur examen approfondi révèle que, contrairement à ce qu'ont cru devoir retenir les premiers juges, ces documents apparaissent à la fois complets, comme touchant à l'ensemble des aspects de l'opération, et parfaitement circonstanciés quant à ses perspectives et à sa viabilité. C'est dès lors à tort que le tribunal s'est fondé sur le caractère prétendument insuffisant de ces pièces pour estimer que les consorts [R] ne démontraient pas satisfaire aux conditions posées par l'article L 411-59.

Le seul moyen désormais opposé par M. [I] aux appelants consiste à soutenir qu'alors que le congé pour reprise indiquait expressément que le bénéficiaire de la reprise exerçait la profession de technicien vétérinaire, il n'était nullement précisé si l'intéressé comptait ou non arrêter cette profession pour se consacrer à l'exploitation du bien repris.

Contrairement à ce que soutient l'intimé, dès lors que l'instance s'est prolongée au-delà de la date d'effet du congé contesté, ce qui est le cas en l'espèce, la cour est tenue de prendre en compte les faits qui se sont produits depuis cette date, et jusqu'au jour où elle statue. En l'espèce, il est constant que la date d'effet du congé est échue depuis plus de 4 ans et demi, et il doit être observé qu'en suite de l'arrêt infirmatif de la cour d'appel de Besançon, lequel a ultérieurement fait l'objet d'une cassation, les bailleurs ont récupéré les fonds litigieux, dont l'exploitation a été effectivement reprise par M. [E] [R], ce qui n'est pas sérieusement contestable au vu des pièces produites par les appelants (déclaration préalable d'exploitation, baux conclus avec l'association foncière pastorale, adhésion à la coopérative ovine Cobevim, bilans comptables pour les exercices 2019 et 2020...)

S'agissant plus particulièrement de la capacité de M. [E] [R] à se consacrer personnellement, de manière effective et permanente, à cette exploitation, compte tenu de la profession qu'il exerce par ailleurs, les appelants produisent aux débats une première attestation de la Direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations du [Localité 11], employeur de M. [E] [R], datée du 15 juillet 2021, indiquant que l'intéressé bénéficiait d'un aménagement de son poste de travail depuis qu'il avait créé son exploitation agricole en mai 2018, ainsi qu'une deuxième attestation émanant du même organisme, datée du 2 novembre 2021, qui apporte des précisions supplémentaires sur cet aménagement, en indiquant que, pour conjuguer ses deux activités, M. [E] [R] avait réduit progressivement son temps de travail de technicien vétérinaire, et qu'il travaillait actuellement à temps partiel à 60 %, sur trois jours, savoir le mardi, le mercredi, et le jeudi, tout en bénéficiant sur ce temps de travail d'un jour de télé-travail à son domicile le jeudi. Il est encore ajouté par l'employeur que certaines missions que l'intéressé assurait avaient été réorganisées.

Il est en outre produit divers documents, notamment des photographies et de nombreuses attestations, qui confirment que M. [E] [R] assure personnellement la plupart des tâches relevant de son exploitation. C'est vainement que M. [I] prétend dénier à ces attestations leur valeur probante, au motif qu'elles émaneraient de proches et qu'elles seraient libellées dans les mêmes termes, alors, d'une part, que si certaines attestations ont effectivement été établies par des membres de la famille, cela est loin d'être le cas de la totalité d'entre elles, la plupart émanant en effet de voisins ou de clients de l'exploitation, dont rien ne permet de mettre l'objectivité en cause, et, d'autre part, qu'elles ne procèdent aucunement d'une rédaction commune.

Il ressort suffisamment de ces éléments la preuve que le bénéficiaire de la reprise, au prix d'une modification de son temps de travail ainsi que des modalités d'exercice de sa profession antérieure, est matériellement en mesure de se consacrer personnellement, de manière effective et permanente, à l'exploitation reprise.

Ainsi, M. [I] sera débouté de sa demande d'annulation du congé litigieux.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé sur ce point.

Il sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [I], laquelle est d'autant moins fondée que la reprise des terres par les bailleurs s'est faite de manière régulière et légitime.

La décision déférée sera enfin infirmée s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.

M. [I] sera condamné aux entiers dépens de première instance et des procédures d'appel, et à payer aux consorts [R] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,

Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 octobre 2019,

Confirme le jugement rendu le 18 mai 2017 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Besançon en ce qu'il a constaté l'intervention volontaire de M. [E] [R], et en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [U] [I] ;

Infirme le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau, et ajoutant :

Rejette la demande de M. [U] [I] tendant à l'annulation du congé aux fins de reprise qui lui a été délivré le 24 mars 2016 à l'initiative des consorts [R] ;

Condamne M. [U] [I] à payer à M. [D] [R], Mme [Y] [R], née [G], et M. [E] [R] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] [I] aux entiers dépens de première instance et des deux procédures d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : 2 e chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/00589
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;20.00589 ?
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