MW/IC
Société CHUBB EUROPEAN GROUP
C/
Me [I] [E]
expédition et copie exécutoire
délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1re chambre civile
ARRÊT DU 31 MAI 2022
N° RG 21/00015 - N° Portalis DBVF-V-B7F-FTB2
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 07 décembre 2020,
rendu par le tribunal de commerce de Chaumont - RG : 2018 000310
APPELANTE :
Société CHUBB EUROPEAN GROUP prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social :
[Adresse 7]
[Localité 2]
assistée de Me Catherine POPINEAU-DEHAULLON, membre de la SELARL PBA LEGAL, avocat au barreau de PARIS, plaidant, et représentée par Me Cécile RENEVEY - LAISSUS, membre de la SELARL ANDRE DUCREUX RENEVEY BERNARDOT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 2, postulant
INTIMÉ :
Maître [I] [E] es qualités de liquidateur de la SOCIETE ECONOMIQUE BRAGARDE DE BOUCHERIE ET CHARCUTERIE nommé suivant jugement d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire du tribunal de commerce de Chaumont en date du 3 novembre 2011, domicilié :
[Adresse 6]. 11
[Adresse 3]
[Localité 1]
assisté de Me Stéphane CHOISEZ, membre de la SELARL CHOISEZ & ASSOCIES Société d'avocats, avocat au barreau de PARIS, plaidant et représenté par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126, postulant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 mars 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Michel PETIT, Président de chambre, et Michel WACHTER, Conseiller, chargé du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Michel PETIT, Président de chambre, Président,
Michel WACHTER, Conseiller,
Sophie BAILLY, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 31 Mai 2022,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Michel PETIT, Président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
La SARL Société Economique Bragarde (SEB) a pour objet l'achat, la transformation, la fabrication et la vente en gros de viande de boucherie, charcuterie, salaisons et achat de bétail sur pied. Dans le cadre de cette activité, elle procédait notamment à la fabrication de steaks hachés ensuite commercialisés par les magasins de l'enseigne Lidl.
Le 18 janvier 2000, la société SEB a souscrit auprès de la compagnie ACE une police d'assurance couvrant les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile, et comprenant un volet relatif à la responsabilité civile produits livrés, un volet relatif aux frais de retrait de marchandises, ainsi qu'un volet défense pénale et recours. Le 1er janvier 2005, cette police d'assurance a été transférée à la société Chubb European Group SE.
Le 14 juin 2011, les centres hospitaliers de [Localité 5] et de [Localité 4] ont signalé à l'Institut national de veille sanitaire des cas groupés de syndrome hémolytique et urémique (SHU), maladie d'origine alimentaire et cause d'insuffisance rénale, chez des enfants originaires du nord de la France. L'enquête réalisée auprès des familles des victimes a permis d'établir entre ces dernières un point commun tenant à la consommation de steaks hachés surgelés de la marque 'Steak Country', commercialisés par l'enseigne Lidl, et fabriqués par la société SEB.
Le 15 juin 2011, la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations de la Haute-Marne (DDCSPP 52) a informé la société SEB d'une alerte sanitaire concernant des steaks hachés qu'elle avait produits, et commercialisés notamment par le biais de magasins Lidl.
Le 21 juin 2011, la DDCSPP 52, eu égard aux analyses réalisées, a enjoint à la société SEB de retirer de la vente tous les produits fabriqués dans son usine le 11 mai 2011 à partir de matières premières en provenance d'Allemagne et réceptionnées le 5 mai 2011.
Diverses violations par la société SEB du Plan de maîtrise sanitaire (PMS) ayant été relevées, il lui a ensuite été enjoint d'étendre le rappel de ses produits.
La SNC Lidl a alors rompu les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société SEB depuis 1991.
Par arrêté du 6 juillet 2011 pris au vu des résultats de l'enquête menée par la DDCSPP 52, le Préfet de la Haute-Marne a ordonné l'arrêt temporaire de la production de viande hachée par la société SEB.
Celle-ci ayant transmis un nouveau PMS qui a été accepté par la DDCSPP 52, l'arrêté du 6 juillet 2011 a été abrogé le 18 juillet 2011, et l'activité de production de la société SEB a pu reprendre sa production à compter du 21 juillet 2011.
Entre temps, le 27 juin 2011, le tribunal de commerce de Chaumont a ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant la société SEB, laquelle s'était retrouvée en difficulté du fait de la rupture de ses relations commerciales avec la société Lidl. La date de cessation des paiements a été fixée au 24 juin 2011.
Le 3 novembre 2011, cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire, Me [I] [E] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Le 31 octobre 2011, la société SEB, agissant par les organes de la procédure collective, a fait assigner la société Lidl devant le tribunal de commerce de Nancy en indemnisation du préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales.
Le 19 avril 2012, la société Lidl a déposé auprès du procureur de la République de [Localité 4] une plainte pénale contre X du chef de tromperie. Une information judiciaire a été ouverte, à l'issue de laquelle M. [J] [O], ancien gérant de la société SEB, et M. [D] [T], ancien responsable qualité de la société SEB, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs de blessures involontaires, mise sur le marché de produits d'origine animale, ou de denrées en contenant, préjudiciables à la santé, exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson, produit agricole falsifié, corrompu et nuisible à la santé, tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, et détention de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié ou corrompu et nuisible à la santé.
Par jugement du 18 janvier 2013, le tribunal de commerce de Nancy a sursis à statuer dans le cadre de la procédure concernant la rupture brutale des relations commerciales jusqu'à ce qu'il soit statué par les juridictions pénales sur la plainte déposée par la société Lidl.
Le 20 juin 2014, la compagnie AIG, assureur de la société Lidl, a fait assigner la société Chubb European Group SE devant le tribunal de commerce de Nanterre en remboursement des sommes qu'elle avait versées aux victimes. Par jugement du 10 mai 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a sursis à statuer dans l'attente de la décision pénale à intervenir.
Par jugement du 27 juin 2017, le tribunal correctionnel de Douai a déclaré M. [J] [O] coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à la peine de trois ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, outre 50 000 d'amende, et l'a déclaré responsable du préjudice subi par les 16 parties civiles. Le tribunal a par ailleurs constaté l'extinction de l'action publique du fait du décès de M. [T], M. [O] a relevé appel de cette décision. Par arrêt du 26 février 2019, la cour d'appel de Douai a confirmé le jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré M. [O] coupable de l'infraction de mise en vente de denrées corrompues ou toxiques, laquelle se confondait avec l'infraction de mise sur le marché de produits dangereux d'origine animale. Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation en date du 31 mars 2020.
Par exploit du 23 janvier 2018, Me [E], ès qualités, a fait assigner la société Chubb European Group SE devant le tribunal de commerce de Chaumont en condamnation, sur le fondement des articles L 113-5, L 113-1, L 121-2 du code des assurances, 1103 et 1104 du code civil :
- à garantir la société SEB de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au titre des conséquences de la crise sanitaire du mois de juin 2011, comprenant notamment toutes les réclamations de victimes directes et indirectes, en application de la garantie 'responsabilité civile produits livrés'
- à payer à la société SEB la somme de 491 895,86 euros, sauf à parfaire, en application de la garantie 'frais de retrait' ;
- à payer à la société SEB la somme de 15 545 euros, sauf à parfaire, en application de la garantie 'défense pénale et recours' ;
- à payer à la société SEB la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
A titre subsidiaire, et concernant exclusivement les frais de retrait, le demandeur a sollicité la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire aux fins de déterminer le montant total des frais de communication, d'annonce de l'opération de retrait, de retrait proprement, dit, de main d'oeuvre supplémentaire, de consignation des produits, et de destruction engagés par la société SEB en suite de la crise déclarée le 15 juin 2011.
Me [E], ès qualités, a exposé au soutien de ses prétentions :
- de manière générale, que la société Chubb ne pouvait opposer à la demande d'indemnisation les fautes commises par M. [O] ; que, d'une part, l'assurée était la société SEB, et non son dirigeant, dont les fautes n'engageaient pas la responsabilité de la personne morale ; que, d'autre part, seules les fautes intentionnelles étaient de nature à justifier une exclusion de garantie, alors que les fautes reprochées à M. [O] ne revêtaient pas ce caractère ;
Sur l'irrecevabilité opposée à Me [E], ès qualités :
- que, si les fins de non-recevoir peuvent être invoquées en tout état de cause, celui qui s'est abstenu de les soulever dès la genèse du litige dans un but dilatoire s'expose à une condamnation à des dommages et intérêts ; que tel était le cas en l'espèce, où la société Chubb avait défendu au fond pendant deux ans avant de soulever une fin de non-recevoir ; que celle-ci n'en était au demeurant pas une, puisqu'elle imposait l'examen préalable du fond, et qu'elle se confondait avec l'argumentation développée par la société Chubb sur le fond ; que la qualité et l'intérêt à agir de Me [E], ès qualités, étaient en tout état de cause incontestables, dès lors que son action visait à obtenir l'application d'un contrat d'assurance souscrit par la société dont il était le liquidateur, et dont les garanties étaient acquises ;
Sur la garantie 'responsabilité civile produits livrés' :
- que les conditions de garantie étaient réunies s'agissant de ce volet, qui avait pour objet l'indemnisation du préjudice, notamment corporel, causé à un tiers par les produits livrés par la société SEB ; que si la plupart des victimes de la crise sanitaire de juin 2011 avaient d'ores et déjà été indemnisées par la compagnie AIG, assureur de la société Lidl, d'autres personnes restaient néanmoins susceptibles de solliciter une indemnisation de leur préjudice, ce dont la compagnie Chubb devait garantir la société SEB ; qu'il était sollicité une condamnation de principe à cette garantie, en l'absence de demande pécuniaire ;
- que c'était à tort que, pour obtenir le rejet de cette demande, la société Chubb invoquait une absence de responsabilité de la société SEB dans la crise sanitaire du mois de juin 2011, alors que celle-ci était incontestablement établie, la défenderesse ayant elle-même reconnu les violations par la société SEB du Plan de maîtrise sanitaire et les dysfonctionnements relevés par la DDCSPP 52 et la préfecture de la Haute-Marne ; qu'au demeurant la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux posait le principe d'une responsabilité de plein droit du producteur, principe repris par les dispositions du code civil, et que les steaks hachés contaminés par la bactérie E Coli avaient bien été produits par la société SEB, laquelle engageait dès lors nécessairement sa responsabilité ;
- que la défenderesse ne pouvait d'autre part pas soutenir que la responsabilité de M. [O] excluait celle de la société SEB ; qu'en effet, en application de la loi, les actes du dirigeant d'une SARL engageaient celle-ci ; que M. [O] était notamment poursuivi pour des infractions non intentionnelles, qui ne pouvaient être considérées comme étant séparables de ses fonctions, le caractère séparable supposant une faute intentionnelle, d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice des fonctions sociales ; qu'en outre, des fautes avaient été commises par M. [T], salarié de la société SEB, qui engageaient la responsabilité de cette dernière en sa qualité de commettant ;
- que la société Chubb invoquait par ailleurs des clauses contractuelles d'exclusion de garantie, ce qui valait reconnaissance du principe de la garantie ; qu'il était fait état d'une clause d'exclusion des conséquences de la responsabilité des mandataires sociaux et des modalités d'exécution des travaux ; que l'exclusion relative aux modalités d'exécution des travaux ne pouvait en aucun cas trouver application, dès lors qu'il ne pouvait être considéré que la contamination des steaks était une conséquence prévisible et inévitable de l'activité de la société ; que la société Chubb ne démontrait d'autre part pas la réalité d'une faute de gestion du dirigeant, laquelle ne pouvait être assimilée à une simple faute civile, et, en tout état de cause, la responsabilité de la société SEB était engagée, non seulement du fait des agissements de son dirigeant, mais aussi de ceux de son salarié, M. [T] ; qu'au demeurant une clause d'exclusion devaiit être formelle et limitée de façon à permettre à l'assuré de connaître exactement l'étendue de la garantie, et qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'une interprétation ; qu'en l'occurrence, la clause visait limitativement une faute de gestion dans le mandat social, une infraction à la réglementation concernant les sociétés et une violation des statuts de la société, soit des cas étrangers aux fautes retenues à l'encontre de M. [O] ;
- qu'il était encore stipulé au contrat une clause d'exclusion pour faute dolosive de l'assuré, qui était nulle comme n'étant ni formelle, ni limitée ; qu'en tout cas, la société SEB n'avait commis aucune faute dolosive, laquelle supposait un comportement commis sciemment et faisant disparaître l'aléa, ce qui ne correspondait pas au cas d'espèce, où l'intoxication alimentaire ne touchait pas l'ensemble des consommateurs, et dépendait de facteurs extérieurs tenant à l'état de santé des consommateurs ou encore au degré de cuisson des produits ; que la procédure pénale ne portait que sur des infractions involontaires, et visait exclusivement son dirigeant ; qu'au surplus, cette clause ne permettrait pas d'exclure la responsabilité de la société SEB du fait des agissements de son salarié, M. [T], même si celui-ci avait agi volontairement ;
Sur la garantie 'frais de retrait' :
- que ce volet garantissait à l'assurée le remboursement des frais qu'elle a exposés dans le cadre d'une opération de retrait du produit ;
- qu'il était indiscutable que la société SEB avait bien procédé à des retraits de ses produits en se conformant aux demandes de la DDCSPP 52 ; que la société Chubb considérait à tort que les sommes concernées n'étaient pas justifiées, alors qu'étaient produits des tableaux de synthèse et l'intégralité des factures correspondant aux frais de retrait, faisant ressortir un préjudice total de 491 895,86 euros, consistant en des frais de transport pour 54 500,17 euros, en des frais de destruction pour 14 969,73 euros, et en des frais de livraison pour 422 425,96 euros ; qu'en cas de besoin, une expertise pouvait être ordonnée pour chiffrer ce poste de préjudice ;
- que la défenderesse ne pouvait se prévaloir d'une clause d'exclusion relative aux non-conformités connues de l'assuré au moment de la livraison, alors qu'il était totalement invraisemblable que la société SEB ait sciemment mis sur le marché des produits dangereux pour la santé des consommateurs ; que le fait que les mesures sanitaires aient été allégées antérieurement au sinistre n'avait pas pour conséquence automatique la contamination des denrées ;
Sur la garantie 'défense pénale et recours' :
- que ce volet avait pour objet d'apporter à l'assurée les moyens juridiques et financiers nécessaires pour réclamer amiablement, et au besoin judiciairement, la réparation pécuniaire des dommages subis, et survenus dans des circonstances où la garantie responsabilité civile du contrat aurait été acquise à l'assurée si elle en avait été l'auteur au préjudice d'un tiers ;
- que la société SEB avait fait assigner la société Lidl devant le tribunal de commerce de Nancy sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales, en réparation de dommages immatériels consécutifs à un dommage corporel entrant dans les prévisions du contrat d'assurance responsabilité civile souscrit auprès de la société Chubb ; que cette procédure avait amené Me [E], ès qualités, à engager de nombreux frais judiciaires ; qu'il avait par ailleurs dû engager des frais administratifs à l'égard de la DDCSPP 52 ;
- que la compagnie Chubb ne pouvait soutenir que les conditions d'application de la garantie ne seraient pas réunies au motif que les dommages subis par la société SEB n'auraient pas été couverts si la société SEB en avait été à l'origine, alors que la police souscrite incluait un volet 'responsabilité civile exploitation' aux termes duquel l'assurée était garantie contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile pouvant lui incomber à raison des dommages corporels, matériels ou immatériels causés à des tiers et résultant des activités déclarées ; que, d'ailleurs, dans un courrier du 19 juin 2017, la société Chubb évoquait un accord transactionnel aux termes duquel elle admettait devoir indemniser la société SEB au titre de cette garantie ;
- qu'il était réclamé à ce titre une somme de 15 545 euros correspondant au plafond de garantie ;
Sur la résistance abusive :
- que la société Chubb n'avait jamais donné à Me [E], ès qualités, de réponse claire quant à sa garantie, et avait multiplié les arguments dilatoires et contradictoires pour ne pas verser d'indemnités.
La société Chubb European Group SE a soulevé l'irrecevabilité de la demande de Me [E], ès qualités, au titre de la garantie 'responsabilité civile produits livrés', et le rejet de l'intégralité de ses autres prétentions. Subsidiairement, elle a conclu à la limitation des condamnations aux plafonds des garanties souscrites, à savoir :
- 4 573 000 euros par sinistre et par année d'assurance, tous dommages confondus, pour le volet 'produits livrés', avec les sous-limites suivantes :
* 2 287 000 euros par sinistre et par année d'assurance au titre des dommages matériels et immatériels consécutifs ;
* 457 000 euros par sinistre et par année d'assurance au titre des dommages immatériels non consécutifs, outre une franchise de 10 % par sinistre, avec un maximum de 1 524 euros ;
- 228 700 euros, outre une franchise de 3 811 euros, pour la garantie 'frais de retrait' ;
- 15 524 euros s'agissant de la garantie 'défense pénale recours'.
La société Chubb European Group SE a fait valoir :
Sur la fin de non-recevoir :
- qu'en l'absence de justification d'une indemnité versée par la société SEB à une victime, cette société n'avait ni qualité, ni intérêt à agir contre son assureur en exécution d'un contrat d'assurance responsabilité civile ; que Me [E], ès qualités, était donc irrecevable à agir au titre du volet 'responsabilité civile produits livrés' ;
Sur l'absence d'applicabilité des garanties :
- qu'en toute hypothèse, les garanties de responsabilité civile souscrites par la société SEB ne pourraient trouver à s'appliquer que si sa responsabilité était démontrée ; que tel n'était pas le cas, la responsabilité de la société SEB n'ayant pas été retenue devant les tribunaux, et aucune victime n'ayant d'ailleurs agi à l'encontre de la personne morale au titre de la crise sanitaire de juin 2011, seuls MM [O] et [T] ayant été renvoyés devant le tribunal correctionnel, et seul M. [O] ayant été condamné, à titre personnel, sur le plan pénal comme sur le plan civil ; qu'il ne pouvait y avoir lieu à une garantie de principe, comme le sollicitait le demandeur, ce qui correspondait à l'indemnisation d'un préjudice futur et incertain ; que la société SEB n'était par ailleurs pas partie au litige engagé devant le tribunal de commerce de Nanterre à l'initiative de la société AIG, assureur de la société Lidl ; qu'il importait peu que la société SEB puisse encourir une responsabilité de plein droit au titre de la garantie des produits défectueux, ou encore qu'elle soit responsable des actes commis par M. [T], en sa qualité de salarié, dès lors qu'en réalité aucune demande d'indemnisation n'a été dirigée contre la société SEB par quelque victime que ce soit, toute action au titre des produits défectueux étant au demeurant désormais prescrite ;
- qu'à supposer que la responsabilité civile de la société SEB puisse être envisagée, la gravité des faits imputés à M. [O] exclurait toute responsabilité de la personne morale ; qu'il était en effet de jurisprudence constante que les dirigeants étaient exclusivement et personnellement responsables à l'égard des tiers des fautes des fautes qu'ils commettaient, lorsqu'elles étaient détachables de leurs fonctions, ce qui était le cas des fautes pénales volontaires ; que le tribunal correctionnel de Douai, comme la cour d'appel de Douai, aux termes d'un arrêt désormais définitif, avaient bien caractérisé des infractions pénales volontaires à la charge de M. [O], en relevant la violation délibérée du plan de maîtrise sanitaire par un professionnel de la filière bovine ;
A titre subsidiaire, sur les clauses d'exclusion :
- que s'il devait être considéré que le contrat d'assurance était mobilisable, les demandes se heurteraient alors à des clauses d'exclusion de garantie ; que l'invocation, à titre simplement subsidiaire, d'une exclusion de garantie ne valait pas, comme le soutenait le demandeur, aveu de l'applicabilité des garanties ;
- que le contrat comportait ainsi une exclusion d'application générale tenant à la commission d'une faute dolosive ; que la Cour de cassation considérait que la faute dolosive était constituée par un manquement délibéré de l'assuré à ses obligations, même s'il n'avait pas recherché les conséquences dommageables qui en étaient résultées ; que, lorsque le contrat d'assurance était souscrit au nom d'une personne morale, la faute intentionnelle ou dolosive au sens de l'article L 113-1 du code des assurances s'appréciait en la personne de son dirigeant de droit ou de fait, de sorte que les fautes à tout le moins dolosives caractérisées à l'encontre de M. [O] étaient en l'espèce opposables à l'assurée ; que cette exclusion concernait toutes les garanties du contrat, de sorte que son application imposait le rejet de l'ensemble des demandes du liquidateur ;
- qu'il était encore prévu une clause d'exclusion d'application générale tenant à la faute de gestion du mandataire social ; que les infractions pénales volontaires caractérisées à l'encontre de M. [O] étaient constitutives de fautes de gestion détachables des fonctions de l'intéressé, et de nature à engager sa responsabilité civile personnelle, de sorte que cette clause d'exclusion devait trouver à s'appliquer ;
- que, s'agissant de la garantie frais de retrait, le contrat comportait une exclusion de garantie lorsque le retrait résultait d'une non-conformité du produit qui était connue de l'assuré lors de la livraison ; qu'il était incontestable que le lot fabriqué le 11 mai 2011, et qui était à l'origine de la crise, n'était pas conforme aux prescriptions réglementaires relatives à la sécurité et à la protection des consommateurs ; que cette non-conformité était connue de M. [O] lorsqu'il avait libéré ce lot, puisqu'il avait élaboré et signé un plan de maîtrise sanitaire n°3 visant à alléger les contrôles du minerai servant à la fabrication, de sorte que cette violation était manifestement délibérée, comme l'avait d'ailleurs retenu le tribunal correctionnel, ainsi que la cour d'appel, laquelle avait relevé que le dirigeant savait que les contrôles bactériologiques avaient été allégés, et savait également que le 11 mai 2011 une mêlée potentiellement contaminée avait été libérée, et qu'il avait donc sciemment mis sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux ;
- qu'au demeurant, les préjudice invoqués au titre de la garantie frais de retrait étaient justifiés par des tableaux établis par la société SEB elle-même, qui n'avaient donc aucune valeur probante ; que la plupart des factures versées étaient illisibles, de sorte que ni leur montant, ni les prestations concernés ne pouvaient être vérifiés ; que les frais de transport indemnisables ne s'entendaient que de ceux concernant le transport et le stockage des marchandises retirées, ce qui ne semblait pas être le cas de l'intégralité de ceux réclamés, qui concernaient des frais de livraison normaux ; qu'il ne pouvait être suppléé à cette carence par la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire ;
- qu'encore plus subsidiairement, il convenait d'appliquer les plafonds de garantie ;
- que, s'agissant de la garantie défense pénale et recours, elle s'appliquait en l'état de dommages subis par l'assuré dans le cadre des recours qu'il exerçait pour les voir compenser, sous réserve que ces dommages aient été générés par des cas de responsabilité civile couverts par la police d'assurance ; que si les conditions particulières du contrat étendaient certes la garantie aux dommages immatériels non consécutifs qui étaient en principe exclus de la garantie 'responsabilité civile exploitation', cette extension de garantie n'était toutefois acquise que si ces dommages immatériels résultaient d'un accident au sens de la police d'assurance ; que, dès lors que la rupture des relations commerciales ne pouvait en aucun cas s'apparenter en un accident si elle était intervenue à l'initiative de la société SEB, la garantie défense pénale et recours ne pouvait être mobilisée pour prendre en charge les frais générés par l'instance opposant la société SEB à la société Lidl devant le tribunal de commerce de Nancy ; qu'elle contestait par ailleurs s'être engagée à prendre en charge ces frais ;
- qu'à cet égard également, il convenait plus subsidiairement d'appliquer le plafond de garantie ;
- qu'aucune résistance abusive ne pouvait lui être reprochée, alors que c'était de manière parfaitement fondée et valable qu'elle s'opposait aux demandes du liquidateur de la société SEB.
Par jugement rendu le 7 décembre 2020, le tribunal de commerce de Chaumont a :
Vu les articles L 113-5, L 113-1, L 121-2 et L 124-1 du code des assurances,
Vu l'article 121-3 du code pénal,
Vu les articles 1103, 1104 et 1356 du code civil,
Vu les articles 32, 122, 123 et 146 du code de procédure civile,
Vu le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Douai le 27 juin 2017,
Vu l'arrêt rendu par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai le 26 février 2019,
- dit que Me [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SEB, a qualité à agir contre Chubb aux fins d'obtenir l'application de la police d'assurance souscrite et l'octroi des garanties en découlant ;
- dit la société SEB, représentée Me [I] [E], liquidateur à la liquidation judiciaire de la société SEB, recevable et partiellement bien fondée en ses demandes ;
- débouté la compagnie Chubb European Group SE de l'ensemble de ses demandes ;
- dit que la responsabilité de SEB dans la crise sanitaire du mois de juin 2011 est engagée de plein droit ;
- pris acte de la reconnaissance, à plusieurs reprises, de cette responsabilité par la société Chubb ;
- dit que les garanties 'responsabilité civile produits livrés', 'frais de retrait' et 'garantie pénale et recours' sont acquises ;
- dit que la procédure pénale engagée à l'encontre notamment de M. [O], ancien gérant de la société SEB, est sans incidence sur la garantie due par Chubb, seule SEB et non ses dirigeants, étant définie comme 'assuré' ;
En conséquence,
- condamné la compagnie Chubb, anciennement ACE, à garantir et relever indemne la société SEB, représentée par Me [I] [E], de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle au titre des conséquences de la crise sanitaire du mois de juin 2011, comprenant notamment toutes les réclamations des victimes ou indirectes (sic), conformément à la garantie 'responsabilité civile produits livrés' ;
- condamné la compagnie Chubb, anciennement ACE, à verser à la société SEB, représentée par Me [I] [E], la somme de 491 895,86 euros, conformément à la garantie 'frais de retrait' ;
- condamné la compagnie Chubb, anciennement ACE, à verser à la société SEB, représentée par Me Hervé Dechristé, la somme de 15 545 euros, conformément à la garantie 'défense pénale et recours' ;
- dit n'y avoir lieu à expertise et en conséquence débouté la société SEBN, représentée par Me [E], de ce chef de demande ;
- condamné la compagnie Chubb European Group SE à verser à la société SEB, représentée par Me [I] [E], liquidateur à la liquidation judiciaire de la société SEB, la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- condamné la compagnie Chubb European Group SE à verser à la société SEB, représentée par Me [I] [E], liquidateur à la liquidation judiciaire de la société SEB, la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la compagnie Chubb European Group SE aux frais et dépens de la procédure ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
- que l'assurée était exclusivement la personne morale SEB, et non ses dirigeants ou mandataires sociaux ;
- que la procédure pénale dont faisait état la compagnie Chubb concernait exclusivement M. [O], personne physique ;
- qu'il y avait indépendance de la personne morale vis-à-vis des personnes physiques la composant ;
- que les infractions reprochées à M. [O] étaient non intentionnelles ;
- que la société était engagée même par les actes du gérant qui ne relevaient pas de l'objet social ;
- que, dans ces conditions, Me [E], ès qualités, avait qualité et intérêt à agir ;
- que la responsabilité de la société SEB dans la crise de juin 2011 était engagée de plein droit ; que la société Chubb avait à plusieurs reprises reconnu la responsabilité de la société SEB, seule assurée ;
- qu'aucune exclusion de garantie contractuelle ou légale n'était applicable au sinistre ;
- que la procédure pénale engagée à l'encontre de M. [O], ancien gérant de la société SEB, était sans incidence sur la garantie due par la compagie Chubb, seule la société SEB et non ses dirigeants étant définie comme 'assuré' ;
- que la garantie 'responsabilité civile produits livrés' était acquise à la société SEB ;
- que la garantie 'frais de retrait' était acquise, la société SEB ayant procédé aux retraits et rappels des produits sur demande de la DDCSPP 52 ; que la nomination d'un expert judiciaire n'était pas nécessaire ; que la société Chubb devait être condamnée à ce titre au paiement de la somme de 491 895,86 euros ;
- que, s'agissant de la garantie 'défense pénale et recours', la compagnie Chubb a évoqué dans son courrier du 19 juin 2017 un accord transactionnel aux termes duquel elle aurait reconnu devoir indemniser la société SEB au titre de cette garantie ; qu'aucune exclusion ne s'opposait à ce que ce volet de la police s'applique ; qu'eu égard aux frais engagés, la société Chubb devait être condamnée au paiement de la somme de 15 545 euros correspondant au plafond de la garantie ;
- que la compagnie Chubb n'avait jamais donné de réponse claire quant à sa garantie, en imaginant régulièrement de nouveaux arguments, et ce pendant 6 ans ; que, dans cette instance, elle n'avait envoyé ses conclusions que 6 mois après l'assignation ; que Me [E], ès qualités, avait adressé une mise en demeure le 7 août 2017 ; que la compagnie Chubb opposait l'irrecevabilité de Me [E] à agir et opposait que la société SEB, finalement, n'aurait jamais eu de qualité et d'intérêt à se prévaloir de cette police d'assurance ; qu'en conséquence, la société Chubb avait résisté abusivement, et devait être condamnée à payer à Me [E], ès qualités, une somme arbitrée à 30 000 euros.
La société Chubb European Group SE a relevé appel de cette décision le 6 janvier 2021.
Par ordonnance du 23 mars 2021, la première présidente de la cour d'appel de Dijon a débouté l'appelante de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire, mais a fait droit à sa demande d'aménagement de l'exécution provisoire, et a dit en conséquence que l'appelante devait consigner sur le sous-compte CARPA de son conseil les sommes représentant l'intégralité des condamnations prononcées par le jugement déféré.
Par conclusions récapitulatives n°2 notifiées le 8 mars 2022, l'appelante demande à la cour :
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce,
Vu l'article 121-3 du code pénal,
Vu les articles L. 113-1 et L. 124-1 du code des assurances
Vu les articles 32, 122 et 146 du code de procédure civile,
Vu le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Douai le 27 juin 2017, l'arrêt rendu par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai le 26 février 2019 et l'arrêt rendu le 31 mars 2020 par la Cour de cassation,
- d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
Et, statuant à nouveau :
A titre principal,
- de déclarer irrecevable la prétention de la société SEB, prise en la personne de Me [I] [E], le liquidateur à sa liquidation judiciaire, visant à voir condamner Chubb European Group SE à 'garantir et relever indemne la société SEB, prise en la personne de Me [E], de toute condamnation susceptible d'être prononcées contre elle au titre des conséquences de la crise sanitaire du mois de juin 2011, comprenant notamment toutes les réclamations des victimes directes ou indirectes, conformément à la garantie «responsabilité produits livrés »' ;
- de rejeter l'intégralité des demandes et appels incidents formés par la société SEB, représentée par son liquidateur judiciaire, Me [I] [E], à l'encontre de Chubb European Group SE, prise en sa qualité d'assureur responsabilité civile, dans le cadre de la présente instance ;
A titre subsidiaire,
- de limiter les garanties de Chubb European Group SE aux plafonds de garantie souscrits, à savoir :
I) à la somme de 4 573 500 euros, par sinistre et année d'assurance, tous dommages confondus, pour le volet responsabilité civile produits livrés, avec les sous-limites suivantes :
a. 2 287 000 euros, par sinistre et par année d'assurance, au titre des dommages matériels et immatériels consécutifs ;
b. 457 500 euros, par sinistre et par année d'assurance, au titre des dommages immatériels non consécutifs avec une franchise par sinistre de 10% avec un maximum de 1 524 euros ;
c. 228 700 euros, avec une franchise de 3 811 euros, s'agissant des frais de retrait ;
II) à la somme de 15 524 euros, s'agissant de la garantie défense pénale et recours ;
En tout état de cause,
- de condamner Me [E], pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de SEB, à verser à Chubb European Group SE la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700du code de procédure civile ainsi qu'à payer les entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions récapitulatives notifiées le 9 mars 2022, Me [E], ès qualités, demande à la cour :
- de recevoir SEB, représentée par Me [E], en ses moyens, fins et conclusions et y faisant droit de :
Vu l'article L 113-5 du code des assurances,
Vu l'article L 113-1 du code des assurances,
Vu l'article L 121-2 du code des assurances,
Vu l'article 1103 du code civil,
Vu l'article 1104 du code civil,
Vu l'article 1356 du code civil,
Vu l'article 122 du code de procédure civile,
Vu l'article 123 du code de procédure civile,
A titre principal :
- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
- à titre subsidiaire, si la cour réformait le jugement déféré sur le montant de l'indemnité due au titre de la garantie frais de retrait, statuant à nouveau de ce chef :
- de désigner en tant que de besoin tel expert judiciaire qu'il plaira à la cour d'appel avec pour mission de :
* convoquer l'ensemble des parties en cause en avisant leurs conseils,
* se faire communiquer par tous tiers, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de sa mission,
* déterminer le montant total des frais de communication, d'annonce de l'opération de retrait, de retrait proprement dit, de main d''uvre supplémentaires, de consignation des produits, de destruction engagés par SEB en suite de la crise déclarée le 15 juin 2011,
* établir un pré-rapport d'expertise adressé aux parties et à leurs conseils au minimum 1 mois avant la date fixée pour le dépôt du rapport définitif pour permettre aux parties d'émettre des observations sur ce pré-rapport,
* dresser ensuite un rapport d'expertise après avoir répondu à ces observations ;
Y ajoutant en tout état de cause,
- de condamner Chubb, anciennement ACE, à verser à SEB, représentée par Me [E], la somme de 50 000 euros supplémentaires, au titre de sa résistance abusive ;
- de condamner Chubb, anciennement ACE, à verser à SEB, représentée par Me [E], la somme de 50 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner Chubb, anciennement ACE, aux entiers dépens d'appel.
La clôture de la procédure a été prononcée le 10 mars 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
Sur la fin de non-recevoir
La société Chubb European Group SE oppose aux demandes de Me [E], ès qualités, en tant qu'elles sont fondées sur la mobilisation de la garantie responsabilité produits livrés, une fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir.
C'est en premier lieu de manière vaine que l'intimée argumente sur le caractère tardif de cette irrecevabilité, qui n'avait été soulevée en première instance qu'après plusieurs mois de procédure, alors qu'en application de l'article 123 du code de procédure civile une fin de non-recevoir peut être proposée en tout état de cause, sauf à donner lieu, en cas d'intention dilatoire, à l'allocation de dommages et intérêts, qui ne sont pas sollicités en l'espèce.
Il sera rappelé qu'au titre de la garantie responsabilité civile produits livrés, le liquidateur de la société SEB ne formule aucune demande chiffrée, mais sollicite une condamnation de principe de l'assureur à garantir son assurée de toute somme qu'elle serait éventuellement tenue de régler à des victimes de la crise sanitaire survenue au mois de juin 2011.
L'article L 124-1 du code des assurances dispose que 'dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé.'
L'article L 124-3 du même code énonce quant à lui, en son alinéa 2, que 'l'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.'
Il en résulte, d'une part, que la garantie de l'assureur ne peut être recherchée que si une réclamation a été formée par la victime à l'encontre de l'assuré ayant engagé sa responsabilité, d'autre part que, sauf à avoir préalablement désintéressé lui-même le tiers lésé, l'assuré ne peut obtenir de l'assureur le règlement de l'indemnité.
En l'espèce, il est constant que la société SEB n'allègue, a fortiori ne démontre pas avoir indemnisé une quelconque victime, ni même avoir fait l'objet, de la part d'une victime, d'une quelconque demande d'indemnisation en lien avec la crise sanitaire de juin 2011.
Il doit en être déduit que, pas plus au jour de l'assignation qu'à celui du présent arrêt, Me [E], ès qualités, ne justifie d'un intérêt né et actuel pour obtenir la garantie de la société Chubb European Group SE. Il ne saurait agir pour obtenir une condamnation de principe de l'assureur à le garantir de préjudices qui sont en l'état simplement éventuels, donc futurs et incertains.
Les demandes fondées par le liquidateur judiciaire de la société SEB sur le volet 'responsabilité civile produits livrés' de la police souscrite devront en conséquence être déclarées irrecevables.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
Sur les autres volets de la garantie
L'irrecevabilité qui vient d'être prononcée ne s'étend pas aux volets frais de retrait et défense pénale recours, qui n'ont pas pour objet l'indemnisation d'un tiers lésé, mais celle de l'assurée elle-même.
L'argumentation développée 'à titre principal' par l'appelante, et tendant à soutenir que ses garanties ne seraient pas mobilisables dans la mesure où la société SEB n'encourait aucune responsabilité dans la crise sanitaire du mois de juin 2011, ne peut elle-aussi concerner que la garantie responsabilité civile produits livrés, de sorte qu'elle est dépourvue d'emport eu égard à l'irrecevabilité prononcée à cet égard. Le volet frais de retrait, ainsi que l'indiquent les conventions spéciales applicables, n'est en effet pas conditionné à une responsabilité civile de l'assurée, mais à la survenue d'un sinistre consistant en une 'décision (injonction) de retrait'. La garantie défense pénale et recours a quant à elle pour objet d'apporter à l'assurée les moyens juridiques et financiers nécessaires pour réclamer amiablement ou judiciairement la réparation pécuniaire des dommages qu'elle a elle-même subis.
L'assureur se prévaut ensuite de plusieurs exclusions de garantie.
Elle invoque ainsi l'exclusion de garantie liée à la faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré, en se fondant, d'une part, sur les dispositions de l'article L 113-1 du code des assurances, selon lesquelles 'l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré', mais aussi sur les exclusions générales stipulées aux conditions générales de la police fondant les demandes, qui stipule que 'sont exclus dans tous les cas les dommages résultant du fait intentionnel et dolosif de l'assuré'.
Il convient en premier lieu d'écarter le moyen de Me [E], ès qualités, selon lequel la clause contractuelle d'exclusion serait nulle comme n'étant pas formelle et limitée, alors que cette clause n'encourt pas une telle critique dès lors qu'elle reproduit à l'identique les termes clairs de l'article L 113-1 du code des assurances.
Il n'est pas argué par la société Chubb European Group SE d'une faute intentionnelle, mais d'une faute dolosive, étant rappelé que les deux notions sont autonomes.
La faute dolosive au sens de l'article L 113-1 s'entend d'un manquement délibéré de l'assuré à ses obligations, qui retire au contrat son caractère aléatoire, même si l'assuré n'a pas recherché les conséquences dommageables qui en sont résultées.
S'il est exact que l'assuré est en l'espèce la seule société SEB, et non pas ses dirigeants ou représentants légaux, il n'en demeure pas moins que, lorsque l'assurée est une personne morale, la faute intentionnelle ou dolosive au sens de l'article L 113-1 s'apprécie au regard des actes de ses représentants légaux, étant rappelé qu'aux termes de l'article L 223-18 alinéa 5 du code de commerce relatif aux SARL 'la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.'
Dans son arrêt du 26 février 2019, désormais définitif, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Douai a rappelé que M. [J] [O], gérant de la société SEB depuis 1966, en sa qualité de professionnel de la filière bovine, ne pouvait ignorer que le plan de maîtrise sanitaire (PMS) était un élément essentiel d'une entreprise alimentaire, et en particulier de fabrication de viande hachée surgelée où les risques de contamination étaient majeurs, et qu'il pouvait d'autant moins l'ignorer qu'une précédente crise sanitaire avait affecté ce secteur en 2005, et que les services de l'Etat avaient rappelé à sa société leur vigilance particulière à ce sujet, notamment dans un courrier du 15 juillet 2010 sollicitant la mise en place d'un protocole complet de la gestion du risque relatif à la bactérie E.Coli 0157H7. La cour a ensuite relevé que le plan de maîtrise sanitaire PMS2, établi suite à ces observations, et prévoyant une recherche de cette bactérie sur tous les achats de minerai de viande, une recherche de la bactérie E.Coli 'classique' sur les carcasses, puis une recherche de la bactérie E.Coli 0157H7 sur les mêlées potentiellement contaminées, c'est-à-dire celles pour lesquelles les analyses des carcasses avaient révélé un taux d'E.Coli 'classique' supérieur à 150 par gramme, n'avait pas été respecté, le responsable qualité ayant mis en place dès février 2011 un nouveau plan de maîtrise sanitaire, dit PMS3, qui allégeait les contrôles au niveau du risque E.Coli en prévoyant désormais une recherche non plus systématique, mais aléatoire de la bactérie sur les arrivages de minerai, lequel PMS, qui n'avait jamais été, ni approuvé, ni même transmis à l'administration, avait néanmoins été validé par M. [O], qui l'avait signé. Elle a ajouté qu'en contravention avec le PMS2, aucune analyse des matières n'avait eu lieu le 11 mai 2011, et que l'analyse d'une partie des produits finis ayant donné lieu à des résultats préoccupants en termes d'E.Coli classique, puisqu'un taux de 770 par gramme avait été relevé, il n'avait été pratiqué aucune analyse en E.Coli 0157H7, le responsable qualité s'étant borné à faire réaliser des analyses complémentaires en E.Coli 'classique' sur les produits finis, dont tous les professionnels de la sécurité alimentaire s'accordaient à déclarer qu'elles étaient sans intérêt du fait de l'hétérogénéité des mêlées, alors que le taux inquiétant de 770 par gramme imposait des analyses en E.Coli 0157H7. La cour en a déduit que M. '[J] [O] savait que les contrôles bactériologiques avaient été allégés, et savait également que le 11 mai 2011 une mêlée potentiellement contaminée avait été libérée', qu'en conséquence, 'en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux et sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, [J] [O] a bien violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le règlement CE n° 178/2002", et encore que '[J] [O] a sciemment trompé la société Lidl et les consommateurs sur les risques inhérents à l'utilisation de la viande vendue, et sur les contrôles effectués'.
Le fait pour M. [O], en sa qualité de gérant, d'avoir ainsi sciemment violé les obligations de prudence et de sécurité s'imposant à la société qu'il dirigeait caractérise la faute dolosive au sens de l'article L 113-1 du code des assurances, peu important qu'il n'ait pas recherché les dommages qui en ont découlé pour les consommateurs.
Tant l'opération de retrait dont la prise en charge des frais est sollicitée que l'action judiciaire engagée contre la société Lidl pour rupture brutale des relations commerciales trouvant leur origine dans une intoxication alimentaire résultant de la faute dolosive de M. [O], représentant légal de l'assurée, l'exclusion légale et conventionnelle trouve donc à s'appliquer, et interdit en conséquence à Me [E], ès qualités, d'obtenir la mobilisation des garanties frais de retrait et défense pénale recours.
Ces demandes devront dès lors être rejetées.
Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Sur les dommages-intérêts pour résistance abusive
La solution donnée au présent litige suffit à établir l'absence d'abus commis par la société Chubb European Group SE dans son refus des prises en charge sollicitées par Me [E], ès qualités.
La demande indemnitaire ne pourra dans ces conditions qu'être rejetée.
Là-encore, la décision querellée devra être infirmée.
Sur les autres dispositions
L'infirmation s'impose enfin s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.
Me [E], ès qualités, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à l'appelante la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 décembre 2020 par le tribunal de commerce de Chaumont ;
Statuant à nouveau, et ajoutant :
Déclare Me [I] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL SEB, irrecevable en ses demandes formées sur le fondement de la garantie 'responsabilité civile produits livrés' de la police d'assurance ;
Rejette les autres demandes formées par Me [I] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SEB, à l'encontre de la société Chubb European Group SE ;
Condamne Me [I] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SEB, à payer à la société Chubb European Group SE la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Me [I] [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société SEB, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier,Le Président,