DLP/CH
[W] [B]
C/
[K] [D] - ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MC CORMICK FRANCE et de commissaire à l'exécution du plan de la société VALFOND SAINT-DIZIER
UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA D'AMIENS
S.A.S. CNH INDUSTRIAL FRANCE
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 12 MAI 2022
MINUTE N°
N° RG 20/00149 - N° Portalis DBVF-V-B7E-FOKO
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CHAUMONT, section INDUSTRIE, décision attaquée en date du 26 Février 2016, enregistrée sous le n° 14/00180
APPELANT :
[W] [B]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Philippe BRUN de la SELARL BRUN, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉS :
[K] [D] - ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MC CORMICK FRANCE et de commissaire à l'exécution du plan de la société VALFOND SAINT-DIZIER
[Adresse 8]
[Adresse 7]
52115 SAINT-DIZIER CEDEX
représenté par Me Nabil KEROUAZ de la SCP KEROUAZ, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Florent SOULARD, avocat au barreau de DIJON
UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA D'AMIENS
Délégation Régionale Centre-Est
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Eric RAFFIN de la SCP CABINET RAFFIN, avocat au barreau de REIMS, Me Vincent CUISINIER de la SCP du PARC - CURTIL - HUGUENIN - DECAUX - GESLAIN - CUNIN - CUISINIER - BECHE - GARINOT, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Cécile DANDON, avocat au barreau de DIJON
S.A.S. CNH INDUSTRIAL FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Sabrina KEMEL de la SCP CABINET JEANTET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Sofiane KECHIT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Avril 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre, Président,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
qui en ont délibéré,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [B] a été engagé du 5 février 1976 au 9 juillet 1999, en qualité de chef d'équipe, sur le site industriel de Saint-Dizier.
Ce site industriel avait initialement été créé en 1937 par les établissements Champenois qui y avaient construit une fonderie dans le cadre d'une activité de production de composants pour machines agricoles.
En 1949, l'activité a été reprise par la société la Compagnie Industrielle de Machinisme Agricole (la CIMA), filiale de la société Mac Cormick, puis, en 1961, par la société Internationale Harvester France (IHF) qui a poursuivi l'activité de fonderie jusqu'en 1985 puis a intégré le groupe Case en 1985.
En 1987, la société Case IH (anciennement IHF) a fusionné avec la société Poclain. La nouvelle entité a adopté la dénomination Case Poclain laquelle a ajouté aux activités de fonderie celle de fabrication de transmissions pour tracteurs.
Le 1er janvier 1995, le site a été scindé en deux entités distinctes :
- Ainsi, la société Case Poclain a poursuivi son activité de fabrication de transmissions pour tracteurs sous la dénomination Case France.
Le 1er mars 2001, cette activité a été transférée par cession de fonds de commerce à la société Mc Cormick - société immatriculée au RCS de Chaumont le 19 décembre 2000 - qui, après adoption d'un plan de continuation par jugement du 27 octobre 2006, a fait l'objet d'une liquidation judiciaire avec poursuite d'activité, par jugement du 7 décembre 2010.
Par décision du 7 mars 2011, un plan de cession a été établi au profit de la société YTO France. Me [D] a été nommé commissaire à l'exécution du plan.
- De même, la société Case France a cédé sa branche d'activité de fonderie à la société Valfond Saint-Dizier, qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement d'ouverture du tribunal de commerce de Saint-Dizier du 1er octobre 2003. Me [D] a été désigné en qualité de représentant des créanciers.
Le 15 mars 2004, ledit tribunal a arrêté un plan de cession de la société Valfond Saint-Dizier (VSD) au profit de la société FBMA (Fonderie Bragardes de Machinisme Agricole). Me [D] a été désigné commissaire à l'exécution du plan de la société VSD.
Par jugement du 1er décembre 2005, la société FBMA a également été placée en redressement judiciaire avec adoption d'un plan de cession au profit de la société SAS Focast, avec effet au 19 février 2007.
Le 31 mai 2002, la société Case France a, quant à elle, été absorbée par la société CNH Industrial France, qui avait cessé d'exploiter le site de Saint-Dizier en 2001.
Le site industriel est à ce jour exploité pour une partie par la société Focast et pour une autre partie par la société YTO.
Par arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 28 janvier 2010, le site de Saint-Dizier a été inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Allocation de Cessation Anticipée d'Activité des Travailleurs de l'Amiante (ACATA).
Par deux arrêtés ministériels du 28 avril 2010, les sociétés ayant exploité le site de production de Saint-Dizier ont été classées sur la liste de ces établissements pour les périodes suivantes :
- de 1937 à 1994 pour les sociétés CIMA, IHF, Case-Tenneco, Valfond,
- de 1949 à 2003 pour les sociétés CIMA, IHF, Tenneco, Case, Poclain, Valfond.
M. [B] qui travaillait sur le site de Saint-Dizier a opté pour le régime de retraite anticipée précité.
Considérant avoir subi un préjudice pour avoir été exposé aux fibres d'amiante, il a, par requête du 13 août 2014, saisi le conseil de prud'hommes aux fins de voir :
- juger qu'il a été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la société Mc Cormick, dans des conditions constitutives d'un manquement de l'obligation contractuelle de sécurité de résultat de son employeur et qu'il a subi un préjudice d'anxiété (comprenant tant l'inquiétude permanente que le bouleversement dans les conditions d'existence),
- condamner la société Mc Cormick à lui verser la somme de 50 400 euros au titre du préjudice d'anxiété et la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement.
Par jugement de départage du 26 février 2016, le conseil de prud'hommes :
- constate l'intervention à la procédure de la société CNH Industrial France,
- constate l'intervention à la procédure du CGEA d'Amiens, ès qualité de gestionnaire de l'AGS,
- constate la mise hors de cause de la société CNH Industrial France,
- déclare M. [B] irrecevable en ses demandes dirigées contre Me [K] [D], ès qualité de mandataire liquidateur de la société Mc Cormick,
- met hors de cause le CGEA d'Amiens,
- déboute les parties du surplus de leurs demandes,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais non compris dans les dépens,
- condamne M. [B] aux dépens de l'instance,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
M. [B] a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues au greffe le 6 mars 2020 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, il demande à la cour de :
- le dire et juger recevable en son appel à l'encontre du jugement déféré,
En conséquence,
- infirmer ledit jugement,
- mettre hors de cause la société Mc Cormick, ainsi que l'AGS CGEA d'Amiens,
- condamner la société CNH Industrial France à lui payer les sommes de :
* 50 400 euros à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante,
* 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures reçues au greffe le 19 octobre 2020 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la société CNH Industrial France demande à la cour de :
A titre principal,
- dire qu'elle n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat,
- constater que l'appelant n'apporte pas la preuve de l'étendue de son préjudice d'anxiété,
- débouter l'appelant de sa demande indemnitaire au titre du préjudice d'anxiété,
A titre subsidiaire,
- réduire à de plus juste proportions la demande de l'appelant.
Par ses dernières écritures reçues au greffe le 11 juin 2020 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, Me [K] [D], ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Valfond Saint-Dizier, et de mandataire liquidateur de la société Mc Cormick France, demande à la cour de :
- dire et juger qu'il est recevable, ès qualité de mandataire de la société Mc Cormick France, et bien fondé en ses demandes,
- dire et juger qu'il est recevable, ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Valfond Saint-Dizier, et bien fondé en ses demandes,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté l'appelant de ses prétentions à son égard, ès qualité de mandataire liquidateur de la société Mc Cormick,
A titre principal,
- dire et juger que l'appelant ne démontre pas avoir été salarié des sociétés Mc Cormick et Valfond Saint-Dizier,
- dire et juger que les appelants ne rapportent pas le moindre élément quant à leur situation professionnelle ou de retraite,
- dire et juger que les conditions posées par l'arrêté ACAATA et la jurisprudence de la Cour de cassation relatives au préjudice d'anxiété ne sont pas réunies en ce qui concerne la société Mc Cormick et la société Valfond Saint-Dizier,
En conséquence,
- débouter toute partie de leurs prétentions à son égard, ès qualité de mandataire liquidateur de la société Mc Cormick, et ès qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Valfond Saint-Dizier,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que l'appelant n'apporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice d'anxiété ni de son étendue, ni de son point de départ,
ce faisant,
- rejeter les prétentions de toute partie,
A titre infiniment subsidiaire,
- réduire à de plus justes proportions les demandes des appelants faute de rapporter la preuve d'un préjudice particulier,
- dire et juger opposable à l'AGS-CGEA la décision à intervenir en cas de fixation au passif des sociétés Mc Cormick et Valfond Saint-Dizier,
En tout état de cause,
- condamner toute partie succombante à lui payer, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Mc Cormick la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner toute partie succombante aux entiers dépens.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 19 octobre 2021 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, l'Unédic Délégation AGS CGEA d'Amiens (l'AGS) demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
A titre principal,
- juger que le salarié n'a jamais travaillé pour la société Valfond Saint-Dizier, ni ne justifie d'un lien contractuel avec la société Valfond Saint-Dizier,
Par conséquent,
- juger que l'article L. 1224-2 du code du travail ne s'applique pas,
- mettre hors de cause la société Valfond Saint-Dizier, ainsi que l'AGS.
Subsidiairement sur le fond,
- juger que seuls les salariés dont la situation correspond aux critères de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sont susceptibles de se voir reconnaître le préjudice d'anxiété,
- juger qu'en l'espèce, la société Mc Cormick n'est pas classée ACAATA,
- juger que n'est pas rapportée la preuve d'une exposition au sein de la société Mc Cormick, puisque cette dernière est née postérieurement à la période d'exposition reconnue dans l'arrêté ACAATA,
Par conséquent,
- débouter le salarié de ses demandes, ce dernier ne remplissant pas les conditions de l'article 41 de la loi de 1998 à l'endroit de la société Cormick et ne rapportant pas la preuve d'un manquement de la société M Cormick à son obligation de sécurité,
En toute hypothèse,
- débouter M. [B] de sa demande de préjudice d'anxiété formulée à l'encontre de la société Mc Cormick, ce dernier n'ayant travaillé que pour une société d'intérim non classée ACAATA, et ne pouvant par conséquent justifier d'une part avoir eu son contrat transféré au sein de Mc Cormick, et d'autre part remplir les conditions de l'article 41 de la loi de 1998 ou rapporter la preuve d'un manquement de la société Mc Cormick à son obligation de sécurité,
Sur la garantie de l'AGS,
* concernant la société Valfond Saint-Dizier,
- juger que l'anxiété des salariés est née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société Valfond Saint-Dizier,
Par conséquent,
- juger que l'AGS n'est pas tenue de garantir les éventuelles créances à ce titre fixées au passif de la société Valfond Saint-Dizier,
* concernant la société Mc Cormick,
- juger que la société Mc Cormick, n'a pas repris de passif de sociétés pour lesquelles les salariés ont travaillé,
Par conséquent,
- juger que l'AGS n'est tenue de garantir aucune créance,
Subsidiairement,
- juger que la société Mc Cormick n'est tenue que d'assumer les sommes résultant des contentieux déjà en cours au moment de la cession de 2001,
Par conséquent,
- mettre hors de cause l'AGS pour toute créance imputable aux sociétés ayant précédé la société Mc Cormick et née postérieurement au contrat de cession,
En tout état de cause,
- juger que le contrat de travail de M. [B], qui travaillait en intérim, n'a pas été transféré au sein de la société Mc Cormick,
Par conséquent,
- juger que la société Mc Cormick ne peut en aucun cas être tenue d'assumer le passif de sociétés qui ne justifient pas d'un lien contractuel avec elle, et que l'AGS ne peut donc être tenue de garantir des créances desdites sociétés d'intérim,
- juger que le préjudice d'anxiété est né au plus tôt en 2005, soit postérieurement au contrat de cession de fonds en faveur de la société Mc Cormick datant de 2001,
Par conséquent,
- juger que l'anxiété n'a donc jamais été reprise en tant que passif par la société Mc Cormick,
Par conséquent,
- déclarer les créances d'anxiété non susceptibles de garantie,
- juger que même à considérer que l'anxiété fait bien partie du passif transféré à la société Mc Cormick, il s'agirait dès lors d'une créance commerciale,
Par conséquent,
- juger que l'AGS n'est pas tenue de garantir ce type de créance,
A titre subsidiaire,
- juger qu'en application de l'article L. 3253-8 5°, et lorsque le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société débitrice, la garantie de I'AGS ne couvre les créances de nature salariales éventuellement dues au titre de l'article L. 622-17 du code de commerce, que dans la limite d'un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail,
En conséquence,
- prononcer la mise hors de cause de I'AGS pour toute fixation au passif de la procédure collective de créances de nature salariales dues au-delà de cette limite,
A titre subsidiaire,
- juger, en tout état de cause, que les montants des dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété seront réduits à de plus juste proportions,
A titre subsidiaire,
- juger que s'il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,
- juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L. 143-11-1 ancien du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens dudit article L. 143-11-1 ancien du code du travail, les astreintes et article 700 étant ainsi exclus de la garantie,
- juger que les intérêts ont nécessairement été arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce, sans avoir pu courir avant mise en demeure régulière au sens de l'article 1153 du code civil,
- juger qu'en tout état de cause la garantie de I'AGS est nécessairement plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D. 3253-5 du code du travail,
- statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à sa charge,
- condamner les appelants aux entiers dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il sera liminairement relevé que le jugement déféré n'est pas remis en cause en ce qu'il a déclaré les demandes de M. [B] formées à l'encontre de la société Mc Cormick représentée par Maître [D] irrecevables, ni en ce qu'il a mis l'AGS hors de cause.
La cour n'est ainsi saisie que de la question du bien-fondé des demandes formées à l'encontre de la société CNH Industrial France.
SUR L'INDEMNISATION DU PRÉJUDICE D'ANXIÉTÉ
M. [B] sollicite la condamnation de la société CNH Industrial France à l'indemniser de son préjudice d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante au sein de ses locaux.
En réponse, la société CNH Industrial France excipe, en premier lieu, dans le corps de ses conclusions (sans toutefois le reprendre dans son dispositif), de l'inconventionnalité de « l'obligation de sécurité de résultat » qui conduirait à instaurer une responsabilité sans faute et de plein droit de l'employeur en matière d'hygiène et sécurité et qui serait, dès lors, contraire à l'article 5 de la directive communautaire n° 89/391 relatif à l'obligation de sécurité mais également au principe constitutionnel de responsabilité civile, ainsi qu'au principe de séparation des pouvoirs. Elle se prévaut, en second lieu, de son respect de l'obligation de sécurité (absence de conscience du danger encouru et mise en 'uvre des mesures prescrites par la réglementation alors applicable) et, subsidiairement, de l'absence de préjudice du salarié.
En application des dispositions des articles 1137 et 1147 du code civil et L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise. Le manquement à cette obligation est établi lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
L'article 5 de la directive 89/391/ CEE du 12 juin 1989, transposée par ordonnance n° 2001-175 du 22 février 2001 et concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, dispose quant à lui que l'employeur est obligé d'assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail. L'article 1 § 3 précise que cette directive ne porte pas atteinte aux dispositions nationales et communautaires, existantes ou futures, qui sont plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.
Ainsi, le mécanisme de réparation du préjudice du salarié tel qu'il résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail n'est pas contraire aux dispositions du droit communautaire, ni aux principes du droit de la responsabilité civile consacrés par le bloc de constitutionnalité, ni davantage au principe de séparation des pouvoirs. Il est favorable à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, sans répondre pour autant à un régime de responsabilité sans faute de l'employeur, ni à un régime de garantie automatique. Ainsi, ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes.
L'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a, pour sa part, créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle.
Par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc., 11 mai 2010, pourvoi n°09-42.241), adopté en formation plénière de chambre et publié au rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.
La chambre sociale a ainsi instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'ACAATA un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence. L'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur n'exclut cependant pas l'existence d'une cause exonératoire de responsabilité dont la preuve incombe alors à l'employeur.
De plus, par un arrêt en date du 5 avril 2019 (pourvoi n° 18-17.442), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a retenu que, désormais, même s'il n'a pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, tout salarié exposé à l'amiante et présentant, de ce fait, un risque élevé de développer une maladie grave peut agir contre son employeur sur le fondement d'un manquement à l'obligation de sécurité en vue d'obtenir la réparation du préjudice d'anxiété, tenant à l'inquiétude permanente de déclarer une maladie liée à l'amiante. Ainsi, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, les salariés n'ayant pas travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 doivent justifier d'une exposition à l'amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition.
Ici, la société CNH Industrial France a exercé ses activités sur le site de Saint-Dizier sous les dénominations Case Poclain, Case France et CNH France jusqu'en 2001. Elle est ainsi devenue débitrice des créanciers de la société Case aux lieu et place de celle-ci, par l'effet de la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, au titre de l'ensemble du passif, présent ou futur. Or, par deux arrêtés ministériels du 28 avril 2010, les sociétés Case, Poclain et Valfond ont été classées, pour la période allant de 1949 à 2003, sur la liste des établissements ouvrant droit au régime de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), prévue par l'article 41 précité. Ainsi, M. [B] qui a travaillé sur le site de Saint-Dizier en qualité de chef d'équipe de production du 5 février 1976 au 9 juillet 1999 est éligible à ce régime, étant ajouté que la société CHN Industrial France ne conteste pas sa qualité d'employeur, ni le fait qu'elle figure parmi les établissements classés sur la liste de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998.
Il résulte de ce classement par arrêté ministériel une présomption de faute de l'employeur, dont M. [B] bénéficie, sauf à la société CNH Industrial France à démontrer l'existence d'une cause exonératoire de responsabilité. Peu importe la nature des fonctions exercées par le salarié laquelle n'emporte aucune conséquence sur la caractérisation du préjudice dès lors que les arrêtés ministériels visent des établissements sans opérer aucune distinction selon les catégories de salariés exposés ou les tâches effectuées, compte tenu notamment de la polyvalence des employés au sein de ces entreprises.
Or, la société CNH Industrial France ne rapporte pas la preuve d'une cause d'exonération de responsabilité. Elle se contente d'invoquer son absence de conscience du danger encouru et la mise en 'uvre des mesures prescrites par la réglementation alors en vigueur, alors que le dispositif de droit commun lui est ici inapplicable.
Au vu des éléments qui précèdent, pris dans leur ensemble, la société CNH Industrial France est tenue de réparer le préjudice d'anxiété de M. [B].
Compte tenu de la nature du poste occupé par ce dernier, de la durée de l'exposition à l'amiante sur le site de Saint-Dizier et en l'absence de tout autre élément sur l'étendue de son préjudice, il convient de lui allouer une indemnité de 5 000 euros.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision sera réformée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société CNH Industrial France, qui succombe, doit prendre en charge les dépens de première instance et d'appel et supporter une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement entrepris dans ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de M. [B] à l'encontre de la société CNH Industrial France et sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société CNH Industrial France à payer à M. [B] une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société CNH Industrial France à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros pour les frais d'avocat engagés en première instance et à hauteur de cour,
Condamne la société CNH Industrial France aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLe président
Frédérique FLORENTINOlivier MANSION