SB/LL
[T] [F]
C/
[I] [V]
[R] [V]
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D'APPEL DE DIJON
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 19 AVRIL 2022
N° RG 19/00358 - N° Portalis DBVF-V-B7D-FGUB
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 22 janvier 2019,
rendu par le tribunal de grande instance de Dijon - RG : 16/03210
APPELANTE :
Madame [T] [F]
née le 26 Juillet 1941 à [Localité 5] (09)
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me David FOUCHARD, membre de la SELARL CABINET D'AVOCATS PORTALIS ASSOCIES - CAPA, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 45
INTIMÉE :
Madame [I] [V]
décédée le 15 juin 2020
PARTIE INTERVENANTE :
Madame [R] [V], es qualités d'héritière de sa soeur [I] [V], décédée à [Localité 4] le 15/06/2020, représentée par Mme [M] [L], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, désignée en qualité de mandataire spéciale de Mme [R] [V], placée sous sauvegarde de justice en vertu d'une ordonnance prononcée par le juge des tutelles de Montbard le 24/09/2020
née le 26 Décembre 1928 à LOUESMES (21)
EHPAD de [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Marie-Hélène HETIER-DEBAURE, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 57
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 janvier 2022 en audience publique devant la cour composée de :
Michel PETIT, Président de Chambre, Président,
Michel WACHTER, Conseiller,
Sophie BAILLY, Conseiller, ayant fait le rapport sur désignation du Président,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier
DÉBATS : l'affaire a été mise en délibéré au 29 Mars 2022 pour être prorogée au 19 Avril 2022,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Michel PETIT, Président de Chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [B] [V] et M. [J] [F] se sont mariés le 25 avril 1962 sous le régime de la séparation de biens.
M. [F] est décédé le 16 septembre 1996, laissant pour lui succéder trois enfants issus de son premier mariage, parmi lesquels se trouve Mme [T] [F].
Se trouvant en possession de treize bons de capitalisation anonymes dénommés 'Compta 7" :
- n°401 056 931 20, n°401 057 140 22, n°401 057 141 00, n°401 057 142 01, n°401 057 143 02, n°401 057 144 03, n°401 057 005 02 et n°401 057 006 03, émis le 16 décembre 1989,
- et n°401 086 480 14, n°401 086 481 15, n°401 086 420 00, n°401 066 421 01 et n°401 086 370 19, émis le 16 octobre 1990 par la société CNP Assurances (via sa filiale ITV),
Mme [T] [F] s'est plaint de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée, en 2014, de se les faire régler auprès de l'organisme d'assurance qui l'a informée qu'une action en opposition avait été initiée sur ces titres le 21 octobre 1996, qu'une mainlevée d'opposition aux fins de se faire délivrer des duplicatas avait été accordée par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Dijon, le 20 novembre 1998, et que la totalité des titres au porteur à la personne détentrice de ces duplicatas en 1999, puis en 2003, avait été rachetée pour un montant total de 92 655,72 euros.
Le 25 mars 2014, Mme [F] a déposé plainte contre X pour abus de confiance et escroquerie, en indiquant que ces bons au porteur lui avaient été donnés par son père en 1995.
L'enquête pénale a révélé qu'une procédure d'opposition avait été initiée par Mme [V] qui avait ainsi obtenu, à l'expiration du délai légal de deux ans, les duplicatas des bons de capitalisation anonymes litigieux, puis bénéficié de leur rachat par la compagnie CNP Assurances.
La plainte de Mme [F] a fait l'objet d'un classement sans suite.
Par acte du 4 octobre 2016, Mme [F] a fait assigner Mme [V] devant le tribunal de grande instance de Dijon aux fins d'obtenir le remboursement de la valeur des treize titres au porteur.
Au terme de ses dernières conclusions saisissant le tribunal, la demanderesse sollicitait la condamnation de Mme [V] à lui payer la somme de 92 655,72 euros en remboursement des treize bons de capitalisation anonymes, outre 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Elle fondait ses demandes sur les articles L.160-1 et R.160-6 alinéa 2 du code des assurances, et prétendait être admise à prouver, au-delà de sa possession paisible et continue des bons litigieux, la date et les conditions dans lesquelles elle était entrée en leur possession afin de démontrer sa légitime propriété sur ces derniers.
Elle précisait être entrée en leur possession le 9 septembre 1995, par donation expresse de son père, oralement confirmée par ce dernier au cours de l'année 1996, et réfutait avoir frauduleusement soustrait ces bons au domicile conjugal des époux [F]-[V], en démentant avoir été la conseillère financière de son père et avoir conservé les bons pendant plusieurs années afin d'en dissimuler l'existence à la défenderesse.
Mme [V] a conclu au rejet de l'ensemble des demandes de Mme [F] et à sa condamnation au paiement d'une indemnité de procédure de 2 500 euros.
Elle soutenait que les bons au porteur dont il lui était réclamé le remboursement lui appartenaient, en faisant valoir que la demanderesse ne rapportait pas la preuve qu'elle était titulaire des créances matérialisées par les bons litigieux, pas plus qu'elle ne démontrait que les titres que son époux lui auraient donnés étaient les bons litigieux, et en précisant que rien ne permettait d'établir que les bons au porteur qu'elle avaient retirés étaient ceux de son époux ni que les bons donnés à la demanderesse avaient véritablement appartenu à son père.
Elle considérait que son droit de propriété sur les titres litigieux se trouvait conforté par le classement sans suite de la plainte de Mme [F], et alléguait enfin que le droit de propriété de Mme [F] sur les bons au porteur était d'autant moins établi que cette dernière ne les avait pas déclarés dans son projet de déclaration de succession de son père, conformément aux dispositions de l'article 843 du code civil.
A titre subsidiaire, elle opposait les règles du recel successoral à la demanderesse qui avait omis de déclarer les bons prétendument donnés dans le projet de déclaration de succession.
Par jugement rendu le 22 janvier 2019, le tribunal a débouté Mme [F] de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à Mme [V] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] [F] a interjeté appel de cette décision le 7 mars 2019.
Aux termes de ses conclusions n°4 du 30 juin 2021, elle formule ses prétentions comme suit :
Réformant en toutes ses dispositions le Jugement entrepris,
Dire et juger que Mme [F] est titulaire des créances qui étaient matérialisées par les bons de capitalisation anonymes portant les numéros :
40105714302
40105714403
40105714100
40105714022
40105714201
40105693120
40108637019
L'ensemble racheté pour une valeur totale de 288 233,61 F soit 43 940,93 euros.
1040108648014
40108648115
40108642000
40108642101
40105700502
40105700603
L'ensemble racheté pour une valeur de 48 714,78 euros.
Condamner en conséquence Mme [R] [V] prise en sa qualité d'héritière et ayant droits de sa s'ur [I] [V] à lui payer la somme de 92 655,72 euros en remboursement des titres dont elle a perçu indûment le prix de rachat, outre les intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,
Condamner Mme [R] [V] à payer à Mme [F] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient que :
- lors de son audition, Mme [V] a reconnu explicitement que M. [F] possédait bien un certain nombre de titres, dont il était propriétaire, puisque ces titres se trouvaient rangés dans une pochette qui était la sienne, dont il a repris la liste :
- Mme [F] a retrouvé classés ensemble, pour les années 1990 et 1991, les documents de comptabilité domestique suivants :
. un relevé de titres récapitulant les placements en valeurs mobilières de [J] [F],édité par le Trésorier Payeur Général de la COTE D'OR (voir pièce 13 pour 1990, et 15 pour 1991),
. correspondant exactement à chacun de ces deux relevés, des tableaux manuscrits de la main de [J] [F] (pièces 14 et 15 pour décembre 1990 et 16 pour Décembre 1991) reprenant les valeurs de ces placements, et qui contiennent, en plus des valeurs du relevé de titres, des indications manuscrites correspondant à l'investissement dans les bons aux porteurs.
- la date à laquelle ces documents ont été établis est également importante, dans la mesure où Mme [V] maintient que les bons dont elle était propriétaire étaient conservés par ses soins, dans un coffre qui se trouvait à la perception où elle travaillait et ce, jusqu'à sa mise en retraite en 1995,
- tout ceci démontre que les bons aux porteurs dont il est question dans le présent litige sont bien ceux de M. [F], dont il était en possession depuis la souscription, et non ceux de Mme [V] qui étaient rangés dans un coffre dont elle avait seule l'accès,
- à aucun moment, Madame [I] [V] n'a apporté ni même proposé d'apporter la preuve de ce qu'elle aurait elle-même souscrit les 13 bons au porteur ; elle n'a fourni aucun relevé bancaire, aucun document extérieur à son nom se rapportant à cette souscription,
- sur la remise des bons, Madame [N] complète sa première attestation en attestant avoir rédigé le 11 septembre 1995, à la demande de Mme [F], et sur les conseils de [J] [F], un document où ont été transcrits les renseignements figurant sur les titres au porteur donnés par son père, qui ont été présentés au témoin pour qu'il relève ces références. Ce document manuscrit est joint en copie par Madame [N] à cette attestation du14/05/2019. De plus, Madame [Y] atteste le 23 mai 2019 (pièce n°10) avoir toujours eu en sa possession ces mêmes références, copiées par une amie de Madame [F] (Mme [N]) et fournies à elle-même par Mme [F] pour qu'elle conserve une copie de ce document, cette dernière souhaitant se prémunir utilement d'une perte ou d'un vol,
- sur le vol des titres, la déposition de Mme [V] laisse entendre que c'est M. [J] [F] lui-même qui aurait volé les titres à son épouse, pour les remettre à sa fille. Maiselle n'a à l'époque pas déposé plainte pour une soustraction frauduleuse de ses bons, et ceci tend à confirmer que son attitude générale et ses déclarations ne sont pas sincères.
Les dernières conclusions transmises le 20 janvier 2021 par Mme [R] [V] comporte les prétentions suivantes :
« A titre principal,
Débouter Mme [T] [F] de son appel et confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamner Mme [T] [F] à payer à Mme [R] [V] la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles à hauteur d'appel conformément à l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre subsidiaire,
et si par impossible la Cour devait dire et juger que Mme [T] [F] est titulaire des créances matérialisées par les bons litigieux, il conviendrait alors :
. de dire et juger que Mme [T] [F] s'est rendue coupable d'un recel de succession en dissimulant la donation que son père lui aurait faite des bons litigieux ;
. dans ce cas, de dire et juger qu'elle ne peut prétendre à aucun droit sur les bons ainsi recelés conformément à l'article 770 du Code Civil ;
. en conclusion, de la débouter purement et simplement de l'intégralité de ses demandes ;
. de la condamner enfin à payer à Mme [R] [V] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 1ère instance et d'appel ;
En tous les cas, condamner Mme [T] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel. »
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2022.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
L'article 778 du code civil prévoit : « Sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un co-héritier, est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détourné ou recelés...
Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport
ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part... ».
L'article 843 du même code, dans sa version applicable au présent litige, dispose : « Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses co-héritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donation entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'il ne lui ait été fait expressément par préciput et hors part, ou avec dispense du rapport. »
Or comme le relève avec pertinence l'intimée, Mme [T] [F] affirme avoir reçu les bons
en cause par don manuel de son père en septembre 1995.
Par principe, les dons manuels sont présumés rapportables et les débats comme les pièces communiquées permettent d'établir que Mme [F], quand bien même aurait-elle obtenu de son père les treize bons de capitalisation, s'est abstenue de déclarer l'existence de ce don manuel effectué à son profit lors des opérations successorales ouvertes à la suite du décès de son père.
Il n'est d'ailleurs pas contesté qu'un projet de déclaration de succession a été établi par notaire, en l'occurrence Me [S], ledit projet n'ayant jamais fait l'objet d'un dépôt. Il est toutefois constant que ce projet de déclaration, versé aux débats, ne comporte aucunement à l'actif les bons de capitalisation dont Mme [F] indique avoir bénéficié par don manuel de son père.
Une telle omission constitue un recel successoral, tel qu'invoqué par Mme [V]
et défini dans les dispositions légales rappelées ci-avant, privant Mme [F] de tout droit sur les bons litigieux.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
condamne Mme [T] [F] aux dépens du second degré de juridiction et vu l'article 700 du code de procédure civile, au paiement de 1 500 euros à Mme [R] [V] en application de ce texte.
Le Greffier,Le Président,