FB / BL
Marianne X...
C / Société BERILA
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avoués le 01 Mars 2007
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE CIVILE B
ARRÊT DU 01 MARS 2007
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL No 05 / 02398
Décision déférée à la Cour : AU FOND du 12 DECEMBRE 2005, rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE CHALON SUR SAONE RG 1ère instance : 2004-5347
APPELANTE :
Madame Marianne X... demeurant... 71100 CHALON SUR SAONE
représentée par Me Philippe GERBAY, avoué à la Cour assistée de la SCP ADIDA MATHIEU BUISSON VIEILLARD MEUNIER GUIGUE, avocats au barreau de CHALON SUR SAONE
INTIMEE :
Société BERILA dont le siège social est Espace Sainte Marie 13 avenue du Général Leclerc 71100 CHALON SUR SAONE
représentée par la SCP BOURGEON et KAWALA et BOUDY, avoués à la Cour assistée de Me HOPGOOD, membre de la SELARL TISSOT HOPGOOD DEMONT, avocats au barreau de CHALON SUR SAONE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Février 2007 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur LITTNER, Conseiller et Monsieur BESSON Conseiller, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Monsieur LITTNER, Conseiller le plus ancien, présidant la Chambre désigné à ces fonctions par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 22 décembre 2006, Président, Monsieur RICHARD, Conseiller, assesseur, Monsieur BESSON, Conseiller, assesseur, ayant fait le rapport sur désignation du président
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme GARNAVAULT,
ARRET : rendu contradictoirement,
PRONONCE publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile ;
SIGNE par Monsieur LITTNER, Conseiller, et par Madame GARNAVAULT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties :
Mme X..., salariée depuis le 1er septembre 1983 d'un salon de coiffure exploité successivement à Chalon sur Saône par les époux Y... Z... puis par Mme Z..., laquelle exerçait une activité de prothèses et de soins capillaires, a été licenciée le 30 avril 2003 par cette dernière, pour motif économique ;
À la suite de la rupture de son contrat de travail, dont il a été jugé qu'elle était sans cause réelle et sérieuse, Mme X... a créé, le 24 août 2004 à Chalon sur Saône, sa propre activité de pose et d'entretien de prothèses capillaires ;
La société Berila, ayant entretemps succédé à Mme Z..., a peu après assigné Mme X... devant le tribunal de commerce de Chalon sur Saône, par acte d'huissier du 14 décembre 2004, afin de la voir condamner sous exécution provisoire :
-d'une part, au paiement d'une somme de 40 000 € de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
-d'autre part, à l'interdiction sous astreinte de poursuivre l'exercice de son activité ;
Par décision du 12 décembre 2005, le tribunal de commerce, jugeant que Mme X... s'était livrée à une concurrence déloyale envers la société Berila :
-l'a condamnée à payer à celle-ci une somme de 25000 € de dommages-intérêts.
-et lui a interdit, à peine d'une astreinte de 500 € par infraction constatée, tout démarchage déloyal et abusif de la clientèle de cette société ;
Mme X... a interjeté appel de ce jugement, par déclaration effectuée le 27 décembre 2005 au secrétariat-greffe de la cour d'appel de ce siège ;
Au soutien de son appel, Mme X... expose, dans ses écritures récapitulatives présentées le 12 décembre 2006 :
-En premier lieu, qu'aucune clause de non-concurrence n'était stipulée dans son contrat de travail rompu sans motif légitime le 30 avril 2003 ;
-En deuxième lieu, que le tribunal n'a pas caractérisé de procédés déloyaux de sa part dans le démarchage en soi autorisé de la clientèle de son ancien employeur, et qu'en particulier, elle n'a pas détourné le fichier clientèle de la société Berila-mais a simplement bénéficié du suivi pendant vingt ans des clients de Mme Z..., qu'elle connaissait bien, et qui, pour certains, se sont présentés spontanément-et n'a en aucune façon dénigré la société concurrente ;
-En troisième lieu, que la société Berila, dont le chiffre d'affaires était en baisse régulière depuis l'année 2000, et qui ne l'a d'ailleurs pas remplacée après son licenciement, ne démontre pas en quoi cette diminution serait la conséquence directe du comportement prétendument fautif qu'elle lui reproche ;
L'appelante conclut ainsi à la réformation du jugement déféré, et réclame le bénéfice d'une somme de 1000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive, et d'une indemnité de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La société Berila, dans ses écritures déposées le 12 septembre 2006, sollicite en revanche la confirmation de la décision entreprise, sauf en ce qu'il a limité à 25000 € la condamnation à dommages-intérêts, et réclame une indemnité de 2000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
L'intimée, qui fait état d'un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 23 novembre 2004, révélant que 56 des 57 fiches du fichier clientèle de Mme X... concernaient des clients de son ancien employeur, alors que Mme X... n'avait fait aucune publicité avant l'ouverture de son salon, affirme que l'intéressée n'aurait pu se souvenir, dix-huit mois après son départ, et sans les recopier, du nom et des coordonnées de 56 clients, qu'elle a, pour certains ne figurant sur aucun annuaire, pourtant contactés téléphoniquement à leur domicile ;
La société Berila, qui reproche en outre à Mme X... d'avoir commis un acte de concurrence déloyale en incitant certains clients à la rejoindre au prétexte que les tarifs pratiqués par son ancien employeur étaient trop élevés, soutient ainsi que ce comportement a nécessairement porté atteinte à son image commerciale et eu des répercussions sur l'évolution de son chiffre d'affaires, lui causant un préjudice tant moral que financier ;
La clôture des débats a été prononcée le 19 janvier 2007 ;
La cour d'appel se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée ainsi qu'aux écritures d'appel évoquées ci-dessus ;
Motifs de La Décision :
Sur l'action en concurrence déloyale :
Attendu que le démarchage par un ancien salarié de la clientèle de son ancien employeur ne constitue pas, en soi, une pratique commerciale répréhensible, à la condition toutefois qu'elle ne s'accompagne pas de procédés déloyaux ; qu'il appartient à la victime, dans le cas contraire, d'établir l'existence de tels procédés ;
Attendu, pour la circonstance, que la société Berila reproche à Mme X... de s'être livrée à des actes de concurrence déloyale en détournant le fichier clientèle de la société et en incitant certains de ses anciens clients à venir la consulter au prétexte que la société Berila pratiquait des tarifs trop élevés et qu'elle leur proposerait des conditions plus avantageuses ;
Attendu, sur le premier point, qu'il est exact que la conservation ou le détournement d'un fichier de clientèle en vue de son utilisation frauduleuse constitue un acte de concurrence déloyale de nature à engager la responsabilité de son auteur sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil ;
Attendu, en l'espèce, que la société Berila, pour établir le détournement de fichiers qu'elle dénonce, se fonde essentiellement sur la circonstance selon laquelle il a été constaté, par procès-verbal d'huissier de justice, que la quasi totalité des fiches clients recensées chez Mme X... correspondaient à autant de clients de l'intimée ;
Attendu, toutefois, qu'il convient d'observer, en premier lieu, que Mme X... a exercé sa profession pendant près de vingt ans dans le salon exploité successivement par les époux Y... Z..., par Mme Z... puis par la société Berila, de sorte qu'elle a pu nouer des contacts pérennes avec la clientèle de ce salon et conserver ainsi la mémoire des clients avec lesquels elle été en mesure d'établir une relation professionnelle durable ;
Attendu que l'on doit rappeler, en second lieu, que Mme X..., avant d'avoir été licenciée par son ancien employeur le 30 avril 2003, avait été placée en arrêt de travail au mois d'octobre 2002, puis mise d'office en congés payés par Mme Z..., à son retour le 1er avril 2003 ; qu'il apparaît ainsi que, Mme X... n'ayant pas effectué son préavis, il s'est écoulé une période de près de vingt-deux mois entre le jour où elle a effectivement quitté le salon tenu par Mme Z... et le jour où elle a ouvert son propre salon ;
Attendu qu'il résulte de ceci que la seule similitude observée entre les fichiers clients de chacune des parties ne peut suffire à établir que Mme X..., qui a été en mesure de constituer une partie de sa clientèle dans la période de trois mois qui a précédé l'établissement du constat d'huissier invoqué par la société Berila, grâce à la connaissance personnelle qu'elle avait de celle-ci et au moyen d'une diffusion publicitaire certes restreinte mais réelle, a commis le détournement de fichier qui lui est reproché et qui n'aurait pu avoir lieu qu'à une époque très antérieure à son installation ; qu'à cet égard, les témoignages recueillis par la société Berila auprès de quelques uns de ses clients ayant attesté qu'ils avaient été contactés par Mme X..., alors qu'ils ne figurent pourtant pas sur l'annuaire, ne sont pas de nature à accréditer de façon suffisamment probante un tel détournement ;
Attendu, sur le second point, que le fait pour Mme X... d'avoir incité certains des clients de la société Berila à venir la consulter, en soulignant que les prix pratiqués par son ancien employeur étaient trop élevés et en offrant de consentir des tarifs plus avantageux, ne s'analyse pas en un procédé commercial déloyal, étant observé que les témoignages recueillis par la société Berila ne révèlent pas que Mme X... se soit livrée à de quelconques dénigrements à l'encontre de celle-ci ;
Attendu, par conséquent, qu'il convient de débouter la société Berila, qui ne démontre pas que Mme X... aurait commis des actes de concurrence déloyale envers elle, de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'article 1382 du code civil ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :
Attendu qu'il n'apparaît pas que la société Berila, dont la thèse avait été admise par les premiers juges, ait abusé, ne serait-ce que par légèreté blâmable, de l'exercice de son droit d'ester en justice ;
Qu'il y a lieu, par conséquent, de débouter Mme X... de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de leurs frais irrépétibles exposés pour les besoins de la procédure ;
Sur les dépens :
Attendu que la société Berila supportera la charge des dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs :
La cour d'appel, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Réformant le jugement prononcé le 12 décembre 2005 par le tribunal de commerce de Chalon sur Saône ;
Déboute la société Berila de toutes ses demandes ;
Rejette la demande de dommages-intérêts présentée par Mme X... pour procédure abusive ;
Rejette les demandes formées en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Laisse à la société Berila la charge des dépens de première instance et d'appel, et dit que Maître GERBAY, avoué, pourra les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.