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06/02/2007 | FRANCE | N°85B

France | France, Cour d'appel de Dijon, Ct0358, 06 février 2007, 85B


SAS PIERRE ET CAILLOUX

C / Hervé X... SA KIRPY Jean-Pierre Y...

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avoués le 06 Février 2007
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE CIVILE B
ARRÊT DU 06 FEVRIER 2007
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL No 06 / 00767
Décision déférée à la Cour : AU FOND du 10 AVRIL 2006, rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE CHAUMONT RG 1ère instance : 2002003500

APPELANTE :
SAS PIERRE ET CAILLOUX dont le siège social est Chemin des Fourches 52700 ROCHEFORT SUR LA COTE

représentée par la SCP AVRIL et HANSSEN, avoués à

la Cour assistée de Me Olivier WOIMBEE, avocat au barreau de Haute Marne

INTIMES :

Maître Hervé X... pris e...

SAS PIERRE ET CAILLOUX

C / Hervé X... SA KIRPY Jean-Pierre Y...

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avoués le 06 Février 2007
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE CIVILE B
ARRÊT DU 06 FEVRIER 2007
RÉPERTOIRE GÉNÉRAL No 06 / 00767
Décision déférée à la Cour : AU FOND du 10 AVRIL 2006, rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE CHAUMONT RG 1ère instance : 2002003500

APPELANTE :
SAS PIERRE ET CAILLOUX dont le siège social est Chemin des Fourches 52700 ROCHEFORT SUR LA COTE

représentée par la SCP AVRIL et HANSSEN, avoués à la Cour assistée de Me Olivier WOIMBEE, avocat au barreau de Haute Marne

INTIMES :

Maître Hervé X... pris en sa qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la SAS PIERRE ET CAILLOUX demeurant ......52100 BETTANCOURT LA FERREE

représenté par la SCP AVRIL et HANSSEN, avoués à la Cour assisté de Me Olivier WOIMBEE, avocat au barreau de Haute Marne

SA KIRPY dont le siège social est 3 rue de la Gare 47390 LAYRAC

représentée par la SCP FONTAINE-TRANCHAND et SOULARD, avoués à la Cour assistée de la Selarl François TOSI Anne TOSI, avocats au barreau de BORDEAUX

Monsieur Jean-Pierre Y... né le 12 septembre 1944 à SAINT BROINGT LE BOIS (52) demeurant ... 52000 BRETHENAY

représenté par la SCP BOURGEON et KAWALA et BOUDY, avoués à la Cour assisté de la SCP FLORIOT-TRIBOLET, avocats au barreau de HAUTE MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du nouveau Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2007 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame VIEILLARD, Conseiller et Madame VAUTRAIN, Conseiller chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Monsieur LITTNER, Conseiller le plus ancien, présidant la Chambre désigné à ces fonctions par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 22 décembre 2006, Président, Madame VIEILLARD, Conseiller, assesseur, ayant fait le rapport Madame VAUTRAIN, Conseiller, assesseur,

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme GARNAVAULT,
ARRET : rendu contradictoirement,
PRONONCE publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile ;
SIGNE par Monsieur LITTNER, Conseiller, et par Madame GARNAVAULT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DE L'AFFAIRE
Monsieur Jean Pierre Y... a déposé le 3 juin 1993 une demande de brevet français no 93 06757 relative à un broyeur de pierres à marteaux mobiles lourds à régime diminué. Cette demande a été publiée au BOPI no 94 / 49 le 9 décembre 1994 sous le no 2 705 908. Le brevet correspondant a été délivré le 3 mai 1996.

La SARL Y..., qui avait pour objet la fabrication, vente et réparation de matériel agricole et de travaux publics en France et à l'étranger, a déposé le 29 juin 1998 une demande de brevet français no 98 08273 relative à un broyeur de pierres à deux chambres de broyage indépendantes avec une enclume réglable et escamotable.

Madame Fabienne B..., gérante de la SARL Y..., a déposé le 4 février 1998 une demande de brevet français no 98 01388 relative à un dispositif d'étanchéité à chicanes pour roulements.
Selon contrat en date du 27 février 1999, Monsieur Jean Pierre Y... et la SARL Y... ont cédé à la SA KIRPY tous les droits de propriété et de jouissance qu'ils détenaient chacun respectivement sur le brevet français no93 06757 et sur la demande de brevet no 98 08273 ; Madame Fabienne B... a cédé à la SA KIRPY une licence d'exploitation exclusive gratuite et sans limitation de durée de la demande de brevet no 01 388 du 4 février 1998.

Le prix convenu était le suivant :
-80 000 F versés à Monsieur Jean Pierre Y...-1 420 000 F à la SARL Y...-une redevance égale à 4 % du chiffre d'affaires HT réalisé par le cessionnaire sur les matériels utilisant la demande de brevet, pendant huit ans, à compter du 1er janvier 1999 avec un montant plafonné à 1 500 000 F et un minimum de 125 000 F par an.

Les cédants s'interdisaient directement ou indirectement toute exploitation fabrication et vente de produits conformes aux revendications du brevet et demande de brevet susvisés.
Au cours de l'année 2001, la SAS PIERRES ET CAILLOUX, qui venait d'être constituée et avait pour présidente Madame Fabienne B..., a absorbé la SARL Y..., en liquidation amiable, et a repris tous ses droits et obligations.
Par lettre du 25 juillet 2001, la SA KIRPY rappelait à Monsieur Jean Pierre Y... et à la SAS PIERRES ET CAILLOUX la clause de non concurrence figurant à l'acte de cession du 27 février 1999 et leur faisait grief de commercialiser deux engins appelés BP 194 et BP 244 ressemblant " traits pour traits " à la série des BPB objet de l'accord susvisé, à un prix inférieur de 10 à 15 %, amenant ainsi ses clients à penser qu'il s'agissait d'une forme simplifiée du broyeur Y... KIRPY.
Par lettre du 18 avril 2002, la SA KIRPY mettait en demeure Monsieur Jean Pierre Y... et la SAS PIERRES ET CAILLOUX d'avoir à cesser la fabrication et la distribution de broyeurs analogues aux siens.
Par acte d'huissier du 13 novembre 2002, elle les assignait en concurrence déloyale, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, sollicitant leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 1 150 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Monsieur Jean Pierre Y... accusait la SA KIRPY de fabriquer et commercialiser des broyeurs de pierres équipés d'un dispositif objet de son brevet no 02 563 447, non compris dans la cession.
Par jugement du 7 avril 2003, le tribunal de commerce de Chaumont a désigné Monsieur C... en qualité d'expert avec pour mission de
-dire si les matériels commercialisés par la SAS PIERRES ET CAILLOUX sont des contrefaçons fabriquées en infraction avec la clause de non concurrence figurant au contrat de cession ou de concession des brevet ou demande de brevet cédés à la SA KIRPY le 27 février 1999 par Monsieur Y..., la SARL Y... devenue PIERRES ET CAILLOUX et Madame F B...-dire si les produits commercialisés par la SA KIRPY sont fabriqués en contrefaçon du brevet no 02 563447 dont est titulaire Monsieur Y...-évaluer les préjudices induits par ces fraudes éventuelles.

Sur appel de la SA KIRPY, cette Cour a, par arrêt du 18 mai 2004, modifié comme suit la mission donnée à l'expert :
-donner au tribunal tous les éléments lui permettant de dire si les matériels commercialisés par la SAS PIERRES ET CAILLOUX sont fabriqués en contravention à la clause de non concurrence figurant dans le contrat de cession de concession de brevet ou demande de brevet du 27 février 1999-donner également au tribunal tous éléments lui permettant de dire si les matériels commercialisés par la SA KIRPY sont fabriqués en violation du brevet no 02 563447 dont Monsieur Jean Pierre Y... est titulaire-donner au tribunal des indications chiffrées sur les préjudices induits par ces éventuelles fautes-organiser une réunion contradictoire d'information et de présentation des conclusions du pré-rapport.

L'expert a déposé son rapport le 18 octobre 2005.
Par jugement du 10 avril 2006, le tribunal de commerce de Chaumont a :
-rejeté la demande de nullité formée par la SAS PIERRES ET CAILLOUX et Monsieur Jean Pierre Y... à l'encontre du rapport d'expertise-homologué ledit rapport-condamné in solidum Monsieur Jean Pierre Y... et la SAS PIERRES ET CAILLOUX à payer à la SA KIRPY les sommes suivantes :-1 017 326,72 euros HT à titre principal soit 1 216722,76 euros TTC-120 000 euros à titre de dommages et intérêts-dit que ces sommes seront majorées des intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2002 jusqu'à parfait paiement-condamné Monsieur Jean Pierre Y... à payer à la SA KIRPY la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour accusation mensongère

-condamné la SA KIRPY à payer à la SAS PIERRES ET CAILLOUX la somme de 113 955,64 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter du jugement-débouté Monsieur Jean Pierre Y... et la SAS PIERRES ET CAILLOUX du surplus de leurs demandes-ordonné l'exécution provisoire s'agissant des condamnations prononcées contre la SAS PIERRES ET CAILLOUX et Monsieur Jean Pierre Y...-condamné in solidum Monsieur Jean Pierre Y... et la SAS PIERRES ET CAILLOUX à payer à la SA KIRPY la somme de 12 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile-condamné in solidum Monsieur Jean Pierre Y... et la SAS PIERRES ET CAILLOUX aux dépens qui comprendront les frais d'expertise.

La SAS PIERRES ET CAILLOUX et Monsieur Jean Pierre Y... ont interjeté appel de cette décision la première le 21 avril 2006 et le second le 11 mai 2006.
Les deux dossiers ont été joints par ordonnance du 16 mai 2006.
Par jugement du 7 juin 2006, le tribunal de commerce de Chaumont a prononcé le redressement judiciaire de la SAS PIERRES ET CAILLOUX et nommé Maître X... en qualité de mandataire judiciaire.
Par ordonnance du 21 juillet 2006, le Premier Président de cette Cour a arrêté l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du tribunal de commerce de Chaumont du 10 avril 2006 mais a subordonné la suspension de l'exécution provisoire à la constitution d'une garantie réelle donnée par Monsieur Jean Pierre Y... sur l'intégralité de ses biens immobiliers.
Par acte du 8 août 2006, la SA KIRPY a assigné Maître X.... La procédure a été jointe au dossier principal par ordonnance du 29 août 2006.
Par conclusions déposées le 15 décembre 2006, Monsieur Jean Pierre Y... demande à la Cour de :
-infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau,-annuler le rapport d'expertise de Monsieur C...-débouter la société KIRPY de toutes ses demandes-ordonner une expertise à l'effet de déterminer le préjudice qu'il a subi par suite des actes de contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme dont s'est rendue coupable cette société suite à son appropriation fautive du brevet 02563447, des plans, de l'aspect des broyeurs,-condamner la société KIRPY à lui payer une provision de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,-la condamner à lui payer une indemnité de 80 000 euros en réparation de son préjudice moral outre une indemnité de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile-la condamner aux dépens de première instance, d'expertise et d'appel.

Par conclusions déposées le 30 août 2006, la SAS PIERRES ET CAILLOUX et Maître Hervé X... en qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de la SAS PIERRES ET CAILLOUX demandent à la Cour de :
-infirmer le jugement déféré pour défaut de base légale par application erronée de l'article 1382 du Code civil-le confirmer en ce qu'il condamne la société KIRPY à verser à la SAS PIERRES ET CAILLOUX la redevance minimum contractuelle de 113 955,64 euros TTC.-condamner la SA KIRPY à verser à la SAS PIERRES ET CAILLOUX la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile-la condamner à lui verser la somme de 100 000 euros pour préjudice moral-la condamner aux dépens en ce compris les frais d'expertise.

Par conclusions déposées le 17 octobre 2006, la SA KIRPY demande à la Cour de confirmer l'intégralité des condamnations prononcées contre Monsieur Jean Pierre Y... et la SAS PIERRES ET CAILLOUX, sauf à porter à la somme de 80 000 euros la condamnation prononcée contre Monsieur Jean Pierre Y... du chef d'accusations mensongères ; elle sollicite l'octroi d'une indemnité complémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties à la décision déférée et aux conclusions ci dessus visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de nullité du rapport d'expertise
Attendu que Monsieur Jean Pierre Y... reproche à l'expert judiciaire d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article 238 du nouveau Code de procédure civile en se livrant à une analyse juridique, au demeurant inexacte, de la clause de non concurrence figurant au contrat de cession de brevets ;
Qu'il est constant qu'à la page 5 de son rapport l'expert indique :
" On remarquera que l'article 6 du contrat... pose des obligations de ne pas faire à la charge de PIERRES ET CAILLOUX qui doivent s'analyser comme une obligation de :-non concurrence à savoir de ne pas exercer une activité concurrente à celle de l'autre directement ou indirectement-ne plus commercialiser les matériels broyeurs à marteaux fixes issus du brevet cédé-ne plus commercialiser de pièces de rechange afférentes aux broyeurs-s'interdire l'usage du nom Y... pour les broyeurs pendant huit ans " ;

Que ces appréciations relèvent effectivement d'un commentaire et d'une analyse juridique des dispositions contractuelles ; que toutefois l'expert ayant reçu pour mission de donner au tribunal tous éléments lui permettant de dire si les matériels commercialisés par la SAS PIERRES ET CAILLOUX étaient fabriqués en contravention à la clause de non concurrence figurant au contrat, il ne pouvait qu'être conduit à la recherche du contenu et de la portée de cette clause ;
Qu'en outre le tribunal relève justement qu'aucune disposition ne sanctionne de nullité l'inobservation des obligations imposées par le texte susvisé au technicien commis ; qu'il appartient au juge d'apprécier la portée du rapport de l'expert et de rectifier les erreurs qu'il a pu commettre ; qu'au titre de ce premier grief, la nullité du rapport d'expertise n'est pas encourue ;
Que par ailleurs Monsieur Jean Pierre Y... reproche injustement à l'expert de ne pas avoir suffisamment examiné ses propres revendications au titre de la contrefaçon de brevet ; que les constatations et explications de Monsieur C... sur ce point (pages 19 et 20 du rapport) sont précises et circonstanciées ; que Monsieur Jean Pierre Y... ne peut se plaindre de ce que l'expert n'a pas comparé les matériels commercialisés par la SA KIRPY et ceux anciennement produits par la SARL Y... puisque mission ne lui avait pas été donnée de ce chef ;
Que Monsieur Jean Pierre Y... fonde encore sa demande de nullité du rapport d'expertise sur la circonstance que l'expert n'a pas accompli lui même l'étude des éléments comptables ;
Qu'il est constant que lors de l'instance relative à la contestation de l'ordonnance taxant les honoraires de l'expert judiciaire, ce dernier a écrit dans un courrier adressé le 23 septembre au Président de Chambre chargé de ce contentieux : " Etude éléments comptables : cette étude a été réalisée avec la coopération de l'expert comptable de mon Cabinet et a concerné les Grands Livres de la société PIERRES ET CAILLOUX de 2001,2002,2003 et 2004 " ;

Qu'il résulte de l'article 233 alinéa 1 du nouveau Code de procédure civile que le technicien doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée ; que selon l'article 278 du même code, il peut prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien dans une spécialité distincte de la sienne, qu'il n'a pas alors à solliciter d'autorisation et que le fait que l'expert n'a pas indiqué l'identité des personnes dont il recueillait les observations ne peut entraîner la nullité du rapport, faute de grief justifié ;

Que toutefois, aux termes du dernier alinéa de l'article 282 du nouveau Code de procédure civile, si l'expert a recueilli l'avis d'un autre technicien dans une spécialité distincte de la sienne, cet avis est joint, selon le cas, au rapport, au procès verbal d'audience ou au dossier ; que le respect du principe du contradictoire impose en effet que les parties soient avisées de l'avis sollicité ; qu'or non seulement Monsieur C... ne joint pas à son rapport l'avis du technicien qu'il a consulté sur les aspects comptables de sa mission mais que surtout il n'indique nullement avoir eu recours à cet avis ;
Que cette grave irrégularité cause nécessairement grief aux parties, tenues dans l'ignorance de ce que l'expert n'a pas personnellement accompli sa mission ;
Qu'elle doit conduire à la nullité du rapport dans la partie relative à l'évaluation du préjudice, soit le titre 3, de la page 25 à la page 30 du rapport ;

Sur la demande principale

Attendu que la SA KIRPY indique clairement fonder son action sur la faute délictuelle prévue à l'article 1382 du Code civil à raison des agissements déloyaux de la SAS PIERRES ET CAILLOUX et de Monsieur Jean Pierre Y... qui " démarchent la clientèle à l'aide de broyeurs entretenant volontairement la confusion " ;
Que Monsieur Jean Pierre Y... soutient que l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 18 mai 2004 par cette Cour, la règle de non cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles ainsi que la subsidiarité de l'action en concurrence déloyale imposent de situer le débat sur le terrain de la violation d'une clause de non concurrence ;
Que toutefois l'arrêt rendu le 18 mai 2004, qui s'est borné à modifier la mission de l'expert, n'a pas autorité de chose jugée en ce qu'il ne renferme aucune disposition définitive ;
Que par ailleurs une concurrence délictuelle peut être associée à une concurrence anti-contractuelle qu'elle viendra renforcer ou relayer si celle ci est insuffisante ou inefficace ; qu'enfin des actes distincts de la contrefaçon peuvent servir de fondement à l'exercice de l'action en concurrence déloyale ; Que la demande formée par la SA KIRPY est donc recevable ;

Attendu qu'il convient de distinguer la concurrence déloyale, qui est l'abus de la liberté de concurrence, de la concurrence interdite, violation d'une règle précise et formelle ;
Que la SA KIRPY indique expressément fonder son action sur la concurrence déloyale en reprochant principalement à la SAS PIERRES ET CAILLOUX et à Monsieur Y... de fabriquer et vendre des broyeurs semblables à ceux qu'elle produit et commercialise depuis l'acte de cession ;
Qu'il est admis que la reproduction fidèle d'un produit, même en l'absence de toute contrefaçon ou violation de clauses contractuelles, constitue une manoeuvre tendant à créer une confusion, qui est déloyale ;
Qu'encore faut-il que les conditions de cette concurrence déloyale soient remplies ;
Qu'à cet égard Monsieur Y... soutient notamment dans ses écritures que la SA KIRPY s'est appropriée les apparences des anciens matériels commercialisés par la SARL Y... ;
Qu'il verse aux débats les constats dressés le 7 novembre 2006 par Maître Thierry D..., huissier de justice à Bar sur Seine, et les 26 et 31 octobre 2006 par Maître E..., huissier de justice à Chaumont, destinés à établir la similitude entre le matériel KIRPY et les broyeurs fabriqués par la SARL Y..., aux droits de laquelle se trouve la SAS PIERRES ET CAILLOUX, avant le contrat de cession de 1999 ;
Qu'il forme d'ailleurs une demande reconventionnelle, non seulement en contrefaçon de brevet, mais plus généralement en concurrence déloyale ou parasitaire, reprochant à la SA KIRPY de copier des plans de broyeurs qui ne lui appartenaient pas, ainsi que l'aspect des matériels, et d'occasionner ainsi une confusion préjudiciable ;
Qu'il précise en page 20 de ses conclusions : " le matériel KIRPY ressemble au matériel produit par la SARL Y... avant 1999 : cf rapport d'expertise page 12 et constats d'huissier " ;
Qu'il appartient en effet à la SA KIRPY, qui reproche à la SAS PIERRES ET CAILLOUX et à Monsieur Y... des actes de concurrence déloyale par imitation de produits, d'établir, notamment, sa " possession " antérieure de ces produits ;
Que si la SARL Y..., aux droits de laquelle se trouve la SAS PIERRES ET CAILLOUX, fabriquait et vendait, avant la cession de 1999, des broyeurs identiques à ceux que produit et commercialise désormais la SA KIRPY, cette dernière ne saurait reprocher à la SAS PIERRES ET CAILLOUX des actes de concurrence déloyale en dehors d'actes de contrefaçon de brevets ou demandes de brevets ou d'actes de concurrence anti-contractuelle, basés sur la violation du contrat qu'elle n'allègue d'ailleurs pas ;

Qu'or l'expert conclut expressément en page 12 de son rapport : " Inversement nous avons pu constater comme en témoignent les photos 1, 2et 3 (pièce 4) que les broyeurs Y... fabriqués par la SARL Y... avant l'accord de 1999 constituent bien une quasi réplique des matériels KIRPY ce qui tend à confirmer sans hésitation que KIRPY a bien reproduit à l'identique les plans de Monsieur Y... à l'époque où ces matériels étaient fabriqués par l'ancienne société SARL Y... devenue aujourd'hui PIERRES ET CAILLOUX SAS " ;
Qu'il ajoute en page 22 du même rapport : " en définitive les broyeurs BPB et WX 300 de la société KIRPY correspondent en tous points aux plans fournis par Monsieur Y... au titre de l'accord de 1999 et selon nous les matériels équivalents à savoir BP et WH de PIERRES ET CAILLOUX reproduisent également les mêmes plans " ;
Que l'expert est toutefois parti du postulat que Monsieur Y... avait cédé les plans complets de ses broyeurs à la SA KIRPY et que l'acte de cession de 1999 comportait à la charge de la SARL Y... et de Monsieur Y... une obligation générale de non concurrence ;
Qu'il importe dès lors de définir l'objet du contrat de cession ainsi que les obligations précises qu'il met à la charge des cédants ;
Que la SARL Y... et Monsieur Jean Pierre Y... ont cédé et exclusivement cédé un brevet et deux demandes de brevet relatifs à des broyeurs et portant sur des spécificités bien particulières de ces engins, notamment, pour le brevet, les marteaux mobiles ; qu'il est précisé dans l'abrégé descriptif du brevet : " l'originalité de cette machine réside d'abord dans la conception même des marteaux qui, tout en étant mobiles, agissent, pendant le travail, tels des marteaux fixes.... cette machine allie donc les avantages des deux systèmes connus, marteaux fixes et marteaux mobiles, tout en supprimant les inconvénients majeurs de chacun d'eux " ;
Qu'il est indiqué à l'article 5 du contrat que les cédants s'interdisent directement ou indirectement toute exploitation, fabrication et vente de produits " conformes aux revendications des brevet et demande de brevet présentement cédés " ; que la clause de non concurrence contenue dans le contrat est donc relative aux produits qui mettent en oeuvre les revendications du brevet et de la demande de brevet ; qu'or la SA KIRPY ne se plaint d'aucune contrefaçon de ces brevets ; qu'elle n'allègue même pas une violation de la clause contractuelle de non concurrence ; qu'il résulte d'ailleurs des constatations de l'expert que les broyeurs qu'elle construit, qui sont à marteaux fixes, n'utilisent pas les revendications des brevet et demande de brevet objets du contrat ;

Que le contrat contient certes une série d'autres dispositions dont l'expert a pu déduire l'existence de l'obligation générale de non concurrence en faveur de laquelle il se prononce ;

Qu'il est ainsi prévu :

-que les broyeurs utilisant le brevet et la demande de brevet seront commercialisés uniquement par le cessionnaire et concessionnaire sous la double marque BELIN-KIRPY ou KIRPY-BELIN, les cédants et concédant s'interdisant l'usage du nom Y... pour les broyeurs pendant huit ans ;-que le matériel et le stock appartenant à la SARL Y... seront rachetés à la signature de l'acte de cession selon un prix convenu et qu'à compter de ce jour, la SARL Y... ne commercialisera plus les matériels, stocks et pièces de rechange afférents aux broyeurs ;-que la fabrication des broyeurs WX continuera d'être réalisée par la SARL Y... pendant l'année 1999 avec sa garantie et que leur rachat par la société KIRPY sera effectué au fur et à mesure des ventes fermes selon prix convenu ;-qu'un droit de préemption sera reconnu à la société KIRPY pendant un délai de deux mois, après validation d'un prototype, sur tous nouveaux brevets dont les cédants seraient les auteurs dans le domaine des machines agricoles et travaux publics, sauf industriels ;-qu'enfin Monsieur Y... s'engage à faire bénéficier la société KIRPY de toute sa compétence et de son assistance lors du salon SIMA à Paris pendant huit ans ;

Que si l'ensemble de ces dispositions a pu conduire la SA KIRPY à se méprendre sur la portée de l'acte qu'elle a signé, force est de constater que le contrat en cause ne comporte aucune garantie générale de non concurrence ni aucun engagement des cédants à ne plus fabriquer et commercialiser des broyeurs si ce n'est ceux porteurs des revendications objets des brevet et demande de brevet en cause ;
Que la SA KIRPY n'invoque d'ailleurs aucune contrefaçon ni aucune violation des dispositions contractuelles ;
Que si Monsieur Jean Pierre Y... a remis, semble-t-il gracieusement, à la SA KIRPY le plan des broyeurs fabriqués par la SARL Y..., l'intimée ne saurait interdire aux cédants sous ce seul motif, qu'elle n'invoque d'ailleurs pas, la production et la vente de broyeurs similaires à ceux qu'ils fabriquaient et commercialisaient préalablement à l'acte de cession dès lors que ces engins ne mettent pas en oeuvre les revendications des brevet et demande de brevet cédés ;
Que la commission d'actes de concurrence déloyale ne pourrait être retenue que si les appelants fabriquaient ou commercialisaient des broyeurs semblables à ceux produits par l'intimée et différends de ceux qu'ils produisaient avant l'acte de cession ;
Qu'or la SA KIRPY ne rapporte pas la preuve de l'antériorité de son produit ;
Attendu que la SA KIRPY reproche encore à la SAS PIERRES ET CAILLOUX et à Monsieur Y... le démarchage de sa clientèle ;

Que le démarchage de la clientèle d'un concurrent est toutefois considéré comme une pratique commerciale normale à condition qu'il ne soit pas systématique ou ne s'accompagne pas de manoeuvres déloyales comme le dénigrement ; qu'en l'espèce la SA KIRPY ne prouve pas que les intimés démarcheraient sa clientèle à l'aide de procédés déloyaux ; que les plaquettes publicitaires produites, si elles vantent le matériel et l'entreprise PIERRES ET CAILLOUX ne dénigrent pas la SA KIRPY ou les produits qu'elle commercialise ; que l'intimée ne démontre pas l'existence d'une publicité mensongère de nature à constituer une concurrence déloyale ;

Que de même la SAS PIERRES ET CAILLOUX respecte les engagements pris en 1999 en ne commercialisant pas les broyeurs sous le nom de Y... ; qu'il est sans incidence qu'une relation puisse être effectuée entre la SAS PIERRES ET CAILLOUX et Monsieur Y... ou l'ancienne SARL Y... puisque ce seul fait n'est pas contraire aux dispositions contractuelles qui n'interdisent pas la poursuite d'activités autres que la vente de broyeurs sous la dénomination Y... et qu'il n'est pas à lui seul constitutif de concurrence déloyale ;
Qu'enfin l'intimée ne rapporte pas la preuve que la SAS PIERRES ET CAILLOUX ait commercialisé des pièces de rechange en contravention avec l'acte de cession ;
Que la SA KIRPY, qui ne rapporte pas la preuve des actes de concurrence déloyale qu'elle allègue, sera déboutée de ses demandes à ce titre ;

Sur les demandes reconventionnelles

-Sur la demande de la SAS PIERRES ET CAILLOUX
Attendu que la demande en paiement formée par la SAS PIERRES ET CAILLOUX sur le fondement des dispositions contractuelles est justifiée ; qu'elle ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune contestation émanant de l'intimée ;
-Sur la demande de Monsieur Jean Pierre Y...
Attendu que Monsieur Jean Pierre Y... reproche à la SA KIRPY la commission d'actes de contrefaçon du brevet no 02563447 dont il est resté propriétaire ;
Que l'expert judiciaire, après avoir rappelé la revendication du brevet en cause telle que modifiée par l'arrêt rendu le 7 mai 1996 par la Cour d'Appel de Paris et procédé à un examen minutieux des broyeurs fabriqués par la SA KIRPY, observe que ces broyeurs sont équipés de marteaux démontables et parallélépipédiques très éloignés des proportions revendiquées par Monsieur Y..., à savoir que la hauteur représente le tiers de la longueur ; qu'enfin ils ne sont en aucun cas soudés au rotor et que leur arrête inférieure ne vient pas tangenter le rotor dans la mesure où lesdits marteaux sont enchâssés dans des usinages périphériques du rotor ;
Qu'il en conclut que les broyeurs de la SA KIRPY n'empruntent pas les renseignements du brevet no 2 563 447 déposé par Monsieur Y... ;
Que l'appelant ne conteste pas les observations techniques de l'expert dont les conclusions doivent donc être retenues, Monsieur Y... ayant apparemment effectué une confusion volontaire ou non entre l'aspect général du broyeur et la revendication précise objet du brevet ;
Qu'aucune contrefaçon n'est donc prouvée ;
Que s'agissant des actes de concurrence déloyale ou de parasitisme reprochés par Monsieur Y... à la SA KIRPY il convient de noter que l'appelant, qui a mis les plans de ses broyeurs à la disposition de la société cessionnaire des brevets, ainsi que le relève l'expert dans son rapport et qu'il ne le conteste d'ailleurs pas, est mal venu à lui reprocher des actes de concurrence déloyale du fait de la fabrication et de la commercialisation de matériels conformes à ces plans ; que si la SA KIRPY, qui a fait une appréciation inexacte de la portée et du contenu du contrat de cession, n'est pas fondée à reprocher des actes de concurrence déloyale à la SAS PIERRES ET CAILLOUX et à Monsieur Y..., ce dernier, eu égard à l'ambiguïté de cet acte, ne saurait davantage imputer à son co-contractant la commission d'actes de même nature ;
Qu'il sera donc débouté de sa demande d'expertise et de provision ;

Sur les autres demandes

Attendu que n'est pas en elle même fautive l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits ; que la SAS PIERRES ET CAILLOUX ne saurait reprocher à la SA KIRPY d'avoir sollicité l'exécution d'une décision de justice en sa faveur, celle ci n'ayant pas été obtenue au moyen de procédés frauduleux ;
Que de même Monsieur Jean Pierre Y..., qui ne prouve pas l'existence d'une faute à la charge de l'intimée sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Que le tribunal n'ayant pas suffisamment caractérisé la faute reprochée à Monsieur Jean Pierre Y... du fait des accusations de contrefaçon et de concurrence déloyale injustement portée à l'encontre de la SA KIRPY, la décision sera réformée en ce qu'elle l'a condamné au paiement d'une indemnité à titre de dommages et intérêts de ce chef ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en l'espèce ;

PAR CES MOTIFS

Confirme la décision entreprise mais seulement en ce qu'elle a condamné la SA KIRPY à payer à la SAS PIERRES ET CAILLOUX la somme de 113 955,64 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement et débouté Monsieur Jean-Pierre Y... de ses demandes à l'encontre de la SA KIRPY,
Réforme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs réformés et ajoutant,
Annule le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur C... dans sa partie relative à l'évaluation du préjudice, soit le titre 3 de la page 25 à la page 30,
Déboute la SA KIRPY de toutes ses demandes,
Déboute la SAS PIERRES ET CAILLOUX de sa demande de dommages et intérêts,
Déboute Monsieur Jean Pierre Y... de toutes ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel et que le coût de l'expertise sera partagé entre la SA KIRPY et Monsieur Jean-Pierre Y....


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Dijon
Formation : Ct0358
Numéro d'arrêt : 85B
Date de la décision : 06/02/2007

Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Chaumont, 10 avril 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.dijon;arret;2007-02-06;85b ?
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