MINUTE N° 24/381
Copie exécutoire à :
- Me Guillaume HARTER
- Me Alexandre DIETRICH
Le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 02 Septembre 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 23/02346 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IDCA
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 03 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Strasbourg
APPELANTE :
S.A.S. SOLUTIONS TRANSPORT LOCATION
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Guillaume HARTER de la Selarl Lx Colmar, avocat au barreau de COLMAR
INTIMÉE :
S.A.S. GRENKE LOCATION prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège,
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Alexandre DIETRICH, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 mai 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme FABREGUETTES, présidente de chambre
Mme DESHAYES, conseillère
Mme MARTINO, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. BIERMANN
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Isabelle FABREGUETTES, présidente et M. Jérôme BIERMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
Selon contrat signé le 18 mars 2019, la Sas Grenke Location a consenti à la Sas Solutions Transport Location la location longue durée d'un équipement à usage professionnel fourni par la Sarl Geoloc Systems, moyennant versement de 48 loyers de 120 € hors-taxes payables trimestriellement.
La locataire ayant cessé de régler les loyers malgré mise en demeure, la Sas Grenke Location s'est prévalue de la résiliation anticipée du contrat de location par lettre recommandée avec avis de réception postée le 14 août 2019.
Par acte du 12 septembre 2022, la Sas Grenke Location a assigné la Sas Solutions Transport Location devant la chambre civile des contentieux de proximité et de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg, aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 1 049,79 € au titre des arriérés outre les intérêts au taux légal majoré de cinq points, la somme de 5 544 € au titre de l'indemnité de résiliation avec intérêts au taux légal, la somme de 49,59 € au titre de l'indemnité de non restitution augmentée des intérêts au taux légal, la somme de 40 € TTC au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement et la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle a sollicité capitalisation des intérêts au titre des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
Par jugement réputé contradictoire du 3 mars 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg a :
-condamné la Sas Solutions Transport Location à payer à la Sas Grenke Location la somme de 864 € TTC au titre des arriérés de loyers avec intérêts au taux légal à compter du 14 août 2019,
-condamné la Sas Solutions Transport Location à payer à la Sas Grenke Location la somme de 5 040 € hors-taxes au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
-condamné la Sas Solutions Transport Location à payer à la Sas Grenke Location la somme de 49,59 € au titre de l'indemnité de non restitution, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement,
-condamné la Sas Solutions Transport Location à payer à la Sas Grenke Location la somme de 40 € au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement,
-débouté la Sas Grenke Location de sa demande de majoration immédiate de cinq points du taux d'intérêt légal,
-débouté la Sas Grenke Location de sa demande au titre des cotisations d'assurance impayées,
-débouté la Sas Grenke Location de sa demande au titre de la capitalisation des intérêts,
-condamné la Sas Solutions Transport Location à payer à la Sas Grenke Location la somme de 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné la Sas Solutions Transport Location aux dépens de l'instance,
-rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.
La Sas Solutions Transport Location a interjeté appel de cette décision le 16 juin 2023.
Par écritures notifiées le 1er mars 2024, elle conclut à l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande à la cour de :
-juger que la chambre civile des contentieux de proximité et de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg était incompétente pour connaître de l'instance au profit de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg,
-juger la Sas Grenke Location irrecevable dans ses demandes à l'encontre de la Sas Solutions Transport Location,
-renvoyer l'affaire devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg,
Subsidiairement, sur le fond,
-prononcer la résolution du contrat passé entre la Sas Solutions Transport Location et la Sarl Geoloc Systems,
-prononcer la caducité du contrat de location financière liant la Sas Solutions Transport Location à la Sas Grenke Location,
-prononcer la caducité du contrat de vente passé entre la Sarl Geoloc System et la Sas Grenke Location,
Subsidiairement,
-juger que la clause de résiliation anticipée insérée au contrat de location constitue une clause pénale manifestement excessive,
-réduire le montant de la clause pénale insérée au contrat de location à de plus justes proportions,
En tout état de cause :
-condamner la Sas Grenke Location à payer à la Sas Solutions Transport Location la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la Sas Grenke Location aux entiers frais et dépens,
-débouter la Sas Grenke Location de l'intégralité de ses demandes et conclusions,
-rejeter toute demande formée au titre d'un appel incident.
Elle fait valoir que la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg avait compétence exclusive pour connaître du litige né entre deux sociétés commerciales ; que la Sas Grenke Location ne peut se prévaloir d'une jurisprudence au terme de laquelle l'exception d'incompétence matérielle soulevée en appel est dépourvue d'objet dès lors que la cour est juridiction d'appel pour les deux juridictions, dans la mesure où les faits ne sont pas transposables à la présente instance.
Subsidiairement, elle se fonde sur les dispositions de l'article 1186 du code civil pour solliciter la caducité du contrat de location en conséquence de la résolution du contrat conclu avec la société Geoloc Sysayant fourni, en raison de l'interdépendance des contrats.
Elle fait valoir en effet que la Sarl Geoloc System a été défaillante dans la fourniture et l'entretien du matériel et que le contrat qu'elle a passé avec cette société doit être résolu.
À titre subsidiaire, elle fait valoir que la clause de résiliation anticipée, qui s'analyse en une clause pénale, est excessive et doit être réduite en son montant ; qu'elle n'a pas utilisé le matériel loué qui n'a donc subi aucune usure susceptible d'en réduire la valeur.
Par écritures notifiées le 22 mars 2024, la Sas Grenke Location a conclu au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et à la condamnation de la Sas Solutions
Transport Location aux dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.
Elle fait valoir que l'exception d'incompétence matérielle soulevée en appel est dépourvue d'objet, dans la mesure où la cour est la juridiction d'appel tant de la chambre commerciale que de la chambre des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg.
Au fond, elle fait valoir que la Sarl Geoloc System a confirmé avoir réceptionné le matériel le 20 mars 2019 ; qu'elle ne peut se prévaloir d'une interdépendance de contrat, car elle n'a pas produit le contrat de prestation de services qu'elle prétend avoir régularisé avec la Sarl Geoloc System, qu'elle n'a pas appelée en la cause ; qu'elle ne rapporte pas plus la preuve d'une inexécution grave des obligations contractuelles du fournisseur.
Elle maintient que l'indemnité de résiliation n'est pas excessive ; que le matériel ne lui a pas été restitué malgré demande.
MOTIFS
Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu les pièces régulièrement communiquées ;
Sur l'incompétence matérielle de la chambre des contentieux de proximité et de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg :
En vertu des dispositions de l'article L. 721-3 du code de commerce, les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.
Par application de l'article L. 731-2 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, la compétence de la chambre commerciale du tribunal
judiciaire de [Localité 7] est celle des tribunaux de commerce.
Selon le tableau IV-III, visé à l'article D. 212-19-1 du code de l'organisation judiciaire, créé par le décret n° 2019-914 du 30 août 2019, et annexé audit code, seules les chambres de proximité situées dans les ressorts des cours d'appel de [Localité 5] et de [Localité 6] sont compétentes pour connaître, notamment, en matière civile et commerciale, des actions patrimoniales jusqu'à la valeur de 10 000 euros et des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros.
Aucune chambre de proximité n'étant instaurée au sein du tribunal judiciaire de Strasbourg, il en découle que lorsque, en matière commerciale, une action patrimoniale jusqu'à la valeur de 10 000 euros ou des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros relèvent de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Strasbourg, seule la chambre commerciale de ce tribunal est compétente pour en connaître (avis de la Cour de cassation du 19 octobre 2023).
C'est en conséquence à juste titre que la Sas Solutions Transport Location conteste la compétence de la chambre des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg pour connaître du litige entre deux sociétés commerciales.
L'article 90 alinéa 2 du code de procédure civile dispose cependant que lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.
En l'espèce, en statuant au fond, le premier juge a nécessairement retenu sa compétence pour connaître du litige.
La cour de céans est juridiction d'appel relativement à la chambre commerciale aussi bien qu'à la 11e chambre civile des contentieux de proximité de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg.
Les parties ont eu l'occasion de formuler des observations sur la faculté pour la cour de céans de statuer dans cette occurrence sur le litige et ont fait valoir leurs arguments au fond, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande de l'appelante tendant à voir renvoyer l'affaire devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg et qu'il sera statué au fond, par application des dispositions précitées.
Sur le fond :
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 1186 dispose qu'un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît. Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie. La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement.
Enfin, aux termes de l'article 1224, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.
En l'espèce, la société Solutions Transport Location a souscrit, selon contrat signé le 18 mars 2019, une location longue durée de matériel à usage professionnel pour une durée ferme de 48 mois, moyennant paiement de loyers trimestriels de 120 € hors-taxes.
Le 20 mars 2019, la locataire a signé une confirmation de livraison au terme de laquelle elle a certifié avoir réceptionné intégralement les produits loués en parfait état et en état de fonctionnement.
Nonobstant le fait que soit également apposée sur ce document la date du 15 mars 2019, force est de constater qu'en y apposant son cachet commercial et en le signant, la Sas Solutions Transport Location a affirmé à la Sas Grenke Location avoir bien été destinataire du matériel choisi par elle auprès de la Sarl Geoloc Systems et a ainsi déterminé la bailleresse à se porter acquéreur dudit matériel, de sorte qu'elle n'est plus recevable à soutenir n'avoir en réalité pas été livrée.
Au demeurant, l'appelante ne produit aucun contrat qu'elle aurait souscrit auprès de la Sarl Geoloc Systems et ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1226 du code civil, en ce qu'elle n'a adressé au fournisseur aucune mise en demeure de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
Sa demande tendant à voir prononcer la résolution du contrat passé entre elle et la Sarl Geoloc Systems ne peut prospérer, à défaut d'avoir appelé en la cause sa cocontractante, de sorte qu'aucune caducité du contrat de location ne peut être constatée.
Le contrat souscrit entre les parties étant valable, la Sas Grenke Location était fondée à se prévaloir de la résiliation anticipée du contrat faute pour la locataire de s'être acquittée des loyers convenus.
C'est en conséquence à juste titre, par une décision qui sera confirmée, que le premier juge a condamné l'appelante au paiement des arriérés de loyer, de l'indemnité de non restitution et de l'indemnité forfaitaire de recouvrement.
Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article 10 des conditions générales de location une indemnité de résiliation égale au loyer à échoir jusqu'au terme du contrat pouvait être mise en compte par la bailleresse.
Cette indemnité, s'analysant en une clause pénale, ne présente pas de caractère excessif, en ce que la Sas Grenke Location s'est acquittée d'une somme de 5940,42 € pour acquérir le matériel donné en location ; que du fait de la résiliation anticipée du contrat, elle est privée de la rentabilité espérée de l'opération financière ; que cette perte est justement compensée par l'octroi des loyers restant à courir jusqu'au terme de la convention, étant relevé que le premier juge a à bon escient écarté la majoration de 10 % des loyers restant à échoir ainsi que la majoration immédiate de cinq points de l'intérêt légal.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a condamné la Sas Solutions Transport Location au paiement d'une somme de 5 040 € hors-taxes à ce titre.
Sur les frais et dépens :
Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.
Partie perdante, la Sas Solutions Transport Location sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel, sera déboutée de sa demande au titre des frais non compris dans les dépens et sera condamnée à payer à la Sas Grenke Location la somme de 1 200 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
DIT que la chambre des contentieux de proximité de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg était incompétente pour connaître du litige,
DECLARE compétente la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg pour connaître du litige,
Faisant application des dispositions de l'article 90 alinéa 2 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré,
Y ajoutant,
CONDAMNE la Sas Solutions Transport Location à payer à la Sas Grenke Location la somme de 1 200 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE la Sas Solutions Transport Location de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Sas Solutions Transport Location aux dépens de l'instance d'appel.
Le Greffier La Présidente