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19/08/2024 | FRANCE | N°22/01438

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 19 août 2024, 22/01438


MINUTE N° 299/2024































Copie exécutoire

aux avocats



Le 19 août 2024



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 19 Août 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/01438 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HZ7N



Décision déférée à la cour : 18 Mars 2022 par le trib

unal judiciaire de SAVERNE



APPELANTE :



La S.A.R.L. SOCIETE D'EXPLOITATION REGENASS prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 9]



représentée par Me Anne CROVISIER, avocat à la cour.

Avocat pl...

MINUTE N° 299/2024

Copie exécutoire

aux avocats

Le 19 août 2024

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 19 Août 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/01438 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HZ7N

Décision déférée à la cour : 18 Mars 2022 par le tribunal judiciaire de SAVERNE

APPELANTE :

La S.A.R.L. SOCIETE D'EXPLOITATION REGENASS prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 9]

représentée par Me Anne CROVISIER, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me Julie KAPPLER, avocat à Strasbourg.

INTIMÉS :

Monsieur [Z] [H]

Madame [X] [D] épouse [H]

demeurant ensemnle [Adresse 4] à [Localité 9]

représentés par Me Thierry CAHN de la SCP CAHN ET ASSOCIES, avocat à la cour.

Avoczat plaidant : Me Anne-Catherine BOUL, avocat à Strasbourg.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Myriam DENORT, conseillère faisant fonction de présidente, et Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre,

Madame Myriam DENORT, conseillère,

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseillère,

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE

En présence de Madame [W] [L], greffière stagiaire.

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 27 juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et madame Sylvie SCHIRMANN, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

M. [O] [H] était propriétaire, depuis courant 2010 suite au décès de sa mère, des parcelles n°[Cadastre 5] et [Cadastre 3] de la commune de [Localité 9] (67). Par acte notarié du 3 septembre 2013, ils les a vendues à son épouse, Mme [X] [D], tout en se réservant un droit de co-usage et d'habitation, exercé conjointement avec cette dernière.

Sur la parcelle n°[Cadastre 3] est érigée une maison (la maison [H]), sise [Adresse 4] à [Localité 9] (67), qu'ils habitaient jusqu'à un incendie survenu courant mai 2022.

Sur une parcelle de cette commune située à proximité, cadastrée n°[Cadastre 8], la SARL Société d'exploitation Regenass (la société Regenass) exerce une activité d'exploitation forestière et y a construit, en 2007, un hangar.

Soutenant subir, depuis 2016, des troubles anormaux de voisinage et des empiètements suite à l'extension de l'activité de cette dernière sur les parcelles n°[Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6], les deux premières étant contiguës à leur parcelle n°[Cadastre 3], les époux [H] ont, par acte délivré le 25 juin 2019, assigné cette société afin de faire cesser ces troubles et d'engager sa responsabilité.

Par jugement du 18 mars 2022, le tribunal judiciaire de Saverne a :

- déclaré la société Regenass responsable des troubles anormaux de voisinage subis par les consorts [H] ;

- condamné la société Regenass à faire cesser les troubles anormaux de voisinage subis par les consorts [H] :

- en lui faisant interdiction de poursuivre toute activité d'exploitation forestière et de vente sur les parcelles n° [Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6], et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- en lui enjoignant de procéder au reboisement des parcelles n° [Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6], et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamné la société Regenass à verser aux consorts [H] la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des nuisances ;

- enjoint à la société Regenass de cesser tout empiètement sur le terrain des consorts [H], et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir ; - rejeté les demandes reconventionnelles de la défenderesse ;

- condamné la société Regenass à payer aux consorts [H] la somme de 2 000 euros, ou telle autre qu'il plaira au tribunal à arbitrer, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Regenass aux entiers frais et dépens de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Le 8 avril 2022, la société Regenass a, par voie électronique, interjeté appel de ce jugement en listant toutes ses dispositions, à l'exception de celle relative à l'exécution provisoire.

Par ordonnance du 21 septembre 2022, a été ordonné le sursis à exécution du jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 novembre 2023.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 octobre 2023, la société Regenass demande à la cour de :

- déclarer l'appel recevable et bien fondé,

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris, en listant toutes ses dispositions, à l'exception de celle relative à l'exécution provisoire,

Statuant à nouveau :

- débouter les époux [H] de l'ensemble de leurs fins et conclusions,

A titre tout à fait subsidiaire :

- interdire toute activité d'exploitation forestière uniquement les samedis sur les parcelles n° [Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6],

En tout état de cause,

- condamner in solidum les époux [H] à lui payer les sommes de :

- 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, tous préjudices confondus,

- 5 000 euros pour la procédure de première instance, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- 5.000 euros pour la procédure d'appel au même titre,

- condamner in solidum les époux [H] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

En substance, elle soutient que l'action est prescrite, rappelant qu'une telle action engagée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage doit l'être dans le délai de cinq ans à compter de la survenance des prétendus troubles anormaux du voisinage, et qu'en l'espèce, les consorts [H], prétendent, mais sans le justifier, avoir agi à temps au motif que l'activité se serait étendue depuis 2016, alors qu'elle-même démontre que son activité sur le site voisin de celui des consorts [H] est continue et stable depuis 2010.

Ensuite, elle conteste occasionner aux époux [H] des troubles anormaux du voisinage, lesquels supposent pour être retenus que soient caractérisées des nuisances et une atteinte anormale du fait de sa répétition, son intensité, sa durabilité.

Elle reproche au premier juge d'avoir commis une erreur d'appréciation des faits et des pièces produites, dès lors que :

- la circulation de l'un ou l'autre engin sur le terrain voisin des époux [H] et le façonnage de stères de bois entre 20 et 30 jours par an, s'ils peuvent déplaire, ne sont pas constitutifs de 'nuisances',

- ces activités ne constituent pas une atteinte anormale à la tranquillité du voisinage (n'étant ni intenses, ni durables, ni répétitives, et exercées le cas échéant seulement les jours ouvrables entre 8h et 17h et très exceptionnellement le samedi matin),

- le débitage de grumes et le façonnage de stères de bois est la seule activité exercée sur les parcelles voisines des époux [H] avec le stockage et le transport du bois corrélativement nécessaires ; elle réalise en moyenne 100 à 120 stères de bois par an, à raison de 10 stères par jour, ce qui nécessite une moyenne de trois semaines d'activité de façonnage du bois par an,

- les véhicules sortent du hangar situé sur la parcelle n°[Cadastre 8], du côté opposé à celle des consorts [H] qui ne s'en sont jamais plaints,

- son activité est majoritairement exercée sur la parcelle n°[Cadastre 8] ; la parcelle n°[Cadastre 7] sert au stockage du bois, de sorte que la seule nuisance occasionnée au voisinage peut être le déplacement d'un tracteur avec remorque et la vue de stocks de bois, ce qui n'est pas anormal en zone forestière ; la parcelle n°[Cadastre 6] est à peine utilisée ; la parcelle n°[Cadastre 2] n'est pas utilisée et a seulement fait l'objet de nettoyage pour supprimer le bois sauvage pouvant être source d'incendie,

- son activité n'est pas extrêmement bruyante, ni exercée au quotidien,

- les pièces des époux [H] ne permettent pas de démontrer des troubles anormaux du voisinage,

- depuis le prononcé du jugement, les époux [H] n'ont fait procéder qu'à un constat, le 28 mars 2022 ; même s'ils ne demeurent plus sur place depuis l'incendie ayant affecté leur maison, ils n'auraient pas hésité à tenter d'obtenir un constat si les troubles étaient tels qu'ils le prétendent.

Enfin, elle conteste toute preuve de préjudice subi par les époux [H] en lien avec les nuisances invoquées.

S'agissant de la condamnation au reboisement, elle soutient qu'elle n'est pas motivée, pas plus que la demande, qui n'est pas non plus fondée, dans la mesure où elle n'a pas procédé au déboisement des parcelles n°[Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6], mais a seulement procédé à des travaux de terrassement, pour lesquels elle n'avait pas besoin d'autorisation, et à des travaux de remblaiement et de nettoyage de la parcelle pour éviter les risques d'incendie et aplanir autant que possible la parcelle n°[Cadastre 6]. Elle invoque un courrier du maire refusant le reboisement et soutient que la parcelle n°[Cadastre 2], classée en zone UB constructible à vocation d'urbanisation, ne doit pas être boisée. Elle ajoute que les parcelles ne sont pas sa propriété, de sorte qu'elle ne peut être condamnée à procéder à un reboisement, et, qu'en tout état de cause, les époux [H] ne justifient d'aucune obligation de reboiser.

S'agissant de la suppression des empiètements, elle fait observer que les époux [H] n'évoquaient un empiètement qu'en ce qui concerne le feuillage d'une haie et soutient que ces branches prennent naissance dans le mur appartenant aux consorts [H], et empiètent sur son terrain.

Elle conclut au rejet de la demande de dommages-intérêts en l'absence de trouble anormal de voisinage et de préjudice en lien de causalité avec l'activité qu'elle exerce.

Elle forme une demande de dommages-intérêts, invoquant l'intention de nuire des époux [H], le fait qu'elle a dû déposer plusieurs plaintes contre eux, qu'ils ont fait l'objet d'un rappel à la loi, qu'ils passent leur temps à prendre des photos et à filmer ses employés et à écrire des courriers au maire, à un député, à l'inspection du travail, ce qui lui fait perdre son temps pour répondre et ternit son image auprès des autorités et des politiciens.

Par leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 octobre 2023, les époux [H] demandent à la cour de :

- dire et juger l'appel de la société Regenass mal fondé,

- l'en débouter,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- condamner la société Regenass à leur payer la somme de 3.000 euros, ou telle autre qu'il plaira à la cour d'arbitrer, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- la condamner aux entiers frais et dépens de l'instance.

Ils précisent conclure, d'abord, à la confirmation du jugement 's'agissant de l'absence de forclusion faute de prescription' de leurs demandes, se référant principalement aux motifs du jugement ayant constaté la modification de la distance et de l'activité de la société Regenass depuis l'acquisition des parcelles n° [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2] en 2016.

Ils exposent qu'en 2016, la société Regenass a acquis les parcelles n°[Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2], qui sont situées autour de la parcelle n°[Cadastre 8], sur laquelle est édifiée le hangar, jouxtant leur maison ; et que c'est depuis cette acquisition, que la société Regenass a développé son activité et use d'engins forestiers extrêmement bruyants.

Ils concluent également à la confirmation du jugement s'agissant de l'existence des troubles anormaux de voisinage, et soutiennent subir des nuisances sonores, visuelles et olfactives provenant de l'exploitation forestière de la société Regenass, qui sont liées à l'emploi de machines et à la circulation intempestive d'engins de chantier extrêmement bruyants. Ils se réfèrent à cet égard à plusieurs constats d'huissiers de justice. Ils soutiennent que les travaux de coupe de bois et la manipulation d'engins n'ont pas lieu que les jours ouvrés.

Ils considèrent prouver leur préjudice occasionné par les bruits incessants des engins, les odeurs et émanations générées par les engins, ainsi qu'une atteinte à la vue sur le paysage environnant.

S'agissant du feuillage de la haie-bosquet qui empiète sur leur terrain, ils indiquent que celle-ci se trouve sur la parcelle n°[Cadastre 7] et qu'ils sont fondés à demander la démolition du feuillage empiètant sur leur terrain et l'enlèvement des troncs d'arbre et des billiots de bois.

Par ailleurs, ils émettent divers autres griefs à l'encontre de la société Regenass.

S'agissant de l'injonction faite à la société Regenass de procéder au reboisement des parcelles n°[Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 8], ils soutiennent que cette société a déboisé ces parcelles et a procédé à un terrassement sans l'autorisation requise par l'article L.421-19 du code de l'urbanisme. Ils ajoutent que le courrier du maire est dénué de tout fondement juridique.

Ils concluent en outre à la confirmation du jugement ayant rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Regenass, puisqu'ils ne font qu'exercer leur droit d'agir en justice. Ils expliquent les raisons pour lesquelles ils ont pris des photos et écrit divers courriers.

***

Lors de l'audience de plaidoirie du 22 février 2024, a été autorisé le dépôt d'une note en délibéré sur la question de la saisine de la cour sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, ainsi que sur l'accord des parties à une mesure de médiation.

La mesure de médiation pproposée aux parties n'a pas recueilli l'accord de toutes les parties selon les notes en délibéré produites.

Par note en délibéré transmise par voie électronique le 4 mars 2024, la société Regenass soutient que le dispositif de ses conclusions du 27 octobre 2023 comporte une prétention relative au débouté des époux [H] de l'ensemble de leurs fins et conclusions, cette prétention s'appuyant sur le moyen principal d'irrecevabilité pour cause de prescription, et sur les moyens, subsidiaires, établissant le mal fondé de leurs demandes, de sorte qu'en application de l'article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, la cour est saisie du moyen tiré de la prescription de l'action. Elle soutient que dans un arrêt du 30 mars 2016 (n°14-24.874), la Cour de cassation a considéré que l'usage inapproprié du terme 'déboute' dans un jugement confirmé par une cour d'appel ne signifie pas que la cour a statué au fond sur des demandes qu'elle a déclaré irrecevables. En conséquence, la cour doit examiner l'irrecevabilité des demandes pour cause de prescription puisqu'elle est saisie, par le dispositif, d'une prétention, développée, dans les motifs, sur l'irrecevabilité des demandes.

Les époux [H] n'ont pas répliqué à cette note.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées

MOTIFS

1. Sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage :

A titre liminaire, il convient de constater que si, dans le corps de ses conclusions, la société Regenass soutient que l'action fondée sur les troubles anormaux de voisinage, engagée par acte du 25 juin 2019, est prescrite, elle ne présente aucune fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions, demandant seulement de 'débouter les époux [H] de l'ensemble de leurs fins et conclusions', et non pas de déclarer irrecevables leurs demandes.

En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est donc pas saisie d'une prétention tendant à déclarer irrecevables les demandes des époux [H].

Sur le fond, les époux [H] invoquent subir des troubles anormaux de voisinage, à savoir des nuisances sonores, visuelles et olfactives du fait de cette extension de l'emprise au sol et du développement de l'activité, ce que conteste la société Regenass.

Sur ce,

Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage.

Les photographies produites en pièces 17 et 18 par les époux [H] montrent une extension de l'activité de la société Regenass en direction de leur maison. Alors qu'à l'arrière du bâtiment de la société Regenass situé sur la parcelle n°[Cadastre 8], se situaient principalement de la végétation et des arbres, ceux-ci ont été supprimés et l'espace est utilisé pour stocker des grumes. Sur ces photographies, cette modification n'est toutefois pas située juste en face de la partie arrière de la maison [H].

Cette situation est confortée par les images qu'ils produisent en pièce 29, issues du portail IGN, correspondant à des photographies aériennes permettant de voir aux alentours de la maison [H], et en particulier à l'arrière, pendant les années 2000-2005, un espace arboré et couvert de végétation, pendant les années 2006-2010, une légère extension de la surface déboisée mais jusqu'à un endroit relativement éloigné de la maison [H], et en 2018, la présence d'un grand hangar au milieu de cette surface déboisée et le défrichement d'une partie de terrain à l'arrière de ce hangar, en direction de la maison [H], sans toutefois que cette partie déboisée soit située juste en face de la partie arrière de la maison [H].

Il peut être relevé que la société Regenass justifie, par sa pièce n°20, que son chiffre d'affaires n'a pas évolué de manière significative pendant ces années, et que les époux [H] ne démontrent pas qu'il était en réalité plus élevé.

Il résulte des courriers des 15, 16 et 17 août 2018 adressés au maire, à la gendarmerie et à un député que les époux [H] se sont plaints de bruits causés par les outils et engins de la société Regenass, en particulier le 15 août 2018 à 8h30 et à 22h15.

La société Regenass admet avoir, le 15 août 2018, sorti différents véhicules, expliquant avoir agi ainsi pour se rendre à une fête de village, dont elle justifie de la tenue.

En outre, il résulte des constats d'huissier de justice effectués à la demande des époux [H], que :

- le 10 novembre 2018 : la maison [H] est située à l'entrée du village avec une vue magnifique sur la vallée et les monts environnants ; la partie nord et ouest constitue un environnement naturel et boisé ; en partie sud et sud-ouest, des troncs d'arbres et bois sont entassés sur la propriété Regenass et en particulier le long du mur de soutènement ; un engin forestier non utilisé est présent à proximité de la clôture séparative, le long de laquelle se situe une haie-bosquet plantée au pied du mur de soutènement de la propriété [H], et dont le feuillage déborde légèrement sur la propriété [H], les arbustes composant la haie étant plantés à moins de 50 centimètres du mur ; l'environnement est calme et le son ambiant oscille autour des 40 décibels à l'extérieur et entre 38 et 44 décibels à l'intérieur, fenêtre ouverte ; ce matin là, l'entreprise Regenass n'utilise pas ses engins forestiers et ne coupe pas de bois.

Si, comme le soutiennent les époux [H], Maître [U], qui a rédigé ce constat du 10 novembre 2018, indique que les travaux de la société Regenass 'ont lieu du lundi au vendredi mais également le samedi matin ; que notamment, des travaux de coupe de bois et manipulation d'engins débutent également le samedi matin à partir de 8h15", il convient de souligner que cet huissier de justice énonce ces faits dans la partie de son constat relative aux déclarations que M. et Mme [H] lui ont faites, et qu'à aucun moment, il ne précise avoir personnellement constaté de tels faits.

- le 1er avril 2019 : un tracteur, en limite de la propriété [H], a son moteur allumé, ainsi qu'une fendeuse à bois, laquelle est utilisée ; dans le jardin, il est nécessaire de hausser la voix pour entendre la parole d'une personne à distance normale de conversation ; à l'intérieur du salon des époux [H], situé dans le coin sud-est, en direction de la propriété voisine et du tracteur, le bruit est sensiblement le même que celui constaté dans le jardin si la fenêtre est ouverte, bien qu'un peu moins fort ; si les fenêtres sont fermées, un léger bruit de fond, perceptible distinctement, peut être constaté, mais n'est pas perceptible sur une vidéo réalisée par l'huissier de justice ; le bruit de fond est également perçu dans la salle de bain située dans le coin-nord ouest de la maison ; l'huissier de justice était présent de 15h à 15h25 et précise qu'à 15h22, l'employé le voyant prendre une vidéo arrête la fendeuse et déplace le tracteur plus loin en direction du hangar.

- le 5 avril 2019, des constats similaires sont effectués de 10h50 à 11h05, outre que l'huissier a constaté qu'un camion est venu vider le contenu de sa benne, occasionnant également des nuisances sonores,

- le 8 avril 2019, de 10h30 à 10h42, des constats similaires à ceux du 1er avril sont effectués dans le jardin uniquement, avec la précision qu'outre le moteur allumé du tracteur et de la fendeuse à bois, la personne qui manipule la fendeuse et du bois, utilise également une tronçonneuse, ce qui génère aussi des nuisances sonores.

- le 12 juillet 2019 de 10h15 à 10h49, est constatée sur le terrain de la société Regenass la présence d'une pelle à chenille, dont le moteur reste allumé de manière inutile, et d'un tas de gravats, qui n'était pas présent le 8 avril 2019 ; depuis cette date, le terrain de la société Regenass a été grandement étendu, par nivellement au sud-ouest et à l'ouest de la propriété [H] ; les arbres qui étaient situés en partie supérieure du terrain de la société Regenass (à proximité de la route et en limite de propriété des requérants) ont été coupés, sans que le terrain ainsi dégagé ne soit visiblement utilisé ; la vue depuis le salon des époux [H] donne à présent sur les installations de la société Regenass, et non plus sur des arbres ;

- le 18 juillet 2019 de 8h25 à 8h53, sont constatés à proximité du hangar de la société Regenass plusieurs monticules de terre, qui n'étaient pas présents le 12 juillet 2019, et dont les deux les plus éloignés ont une couleur plus foncée, ainsi que de nombreuses traces de chenilles d'engins de chantier tant au sud-ouest qu'à l'ouest de la propriété [H].

- le 23 août 2019 de 8h27 à 8h43, sont constatés l'absence de ces monticules de terre ainsi que du tas de gravats, le maintien de la présence de tas de buchettes, de trois caisses et d'un fagot de bois ; des nombreux troncs sont empilés ; une tracteur est présent à proximité du hangar.

- le 15 juin 2020, de 8h34 à 9h14, la fendeuse à bois accouplée à un tracteur est allumée et utilisée ; elle génère un bruit continu, lequel est également perceptible lorsque les fenêtres sont fermées ; du bois est stocké en périphérie du terrain de l'exploitant ; deux caméras sont situées sur l'entrepôt. Est annexé à ce constat un plan de masse visé par le maire le 13 juillet 2007 sur lequel se situe un bâtiment de stockage pour matériel forestier, mais sur lequel ne figure pas la maison des requérants, la notice d'impact paysager relatif au projet de réalisation de ce bâtiment, ainsi qu'un courrier du conseil des époux [H].

- le 28 mars 2022 (pièce 30) : l'huissier de justice indique procéder à ses constatations depuis les abords de la départementale surplombant l'exploitation forestière ou depuis le jardin attenant à la propriété [H]. Cependant, il ne précise pas ensuite d'où sont constatés les stockages de bois, l'entreposage de divers fûts métalliques, tuyaux de canalisation et d'une roue dont les photographies figurent au constat. Il constate une benne à proximité de la propriété des requérants et un tas de sciure.

Il ne résulte pas des constatations effectuées le 10 novembre 2018 la preuve de nuisances sonores, visuelles et olfactives.

Par ailleurs, aucune pièce ne permet de démontrer l'existence d'une nuisance olfactive, quand bien même il est acquis que des véhicules sont utilisés sur les parcelles voisines, ce qui est en soi insuffisant à établir le trouble invoqué. Les époux [H] se bornent en effet à affirmer, sans aucun élément de preuve, sentir l'odeur du carburant provenant des engins de la société Regenass jusque dans leur maison d'habitation.

Les constats effectués en juillet et août 2019 sont manifestement relatifs à des travaux de terrassement effectués sur une durée de quelques jours, et donc de manière ponctuelle, dont il ne peut être considéré qu'ils génèrent un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.

En revanche, ont été constatées des nuisances sonores liées à l'activité de la société Regenass les 1er, 5 et 8 avril 2019, ainsi que le 15 juin 2020, telles que décrites par l'huissier de justice, outre le matin et le soir du 15 août 2018. La société Regenass admet d'ailleurs débiter et façonner le bois pendant l'équivalent de trois semaines par an. Une telle activité génère manifestement, pendant cette durée, des nuisances sonores pour la propriété voisine.

Il n'est cependant pas démontré que les nuisances sonores, qui résultent de ce qui précède, sont régulières ou continues, et en tous les cas qu'elles excèdent un nombre total de jours équivalent à trois semaines.

De même, il n'est pas démontré qu'elles ont une intensité telle qu'elles excèdent les inconvénients normaux du voisinage, et ce même en prenant en considération le fait qu'il s'agit d'une zone rurale et calme à l'écart du village.

Il sera d'ailleurs souligné que la pièce n°20 produite par les époux [H] n'est pas de nature à démontrer l'intensité d'un bruit imputable à la société Regenass, dans la mesure où les photographies produites ne permettent pas d'identifier l'endroit correspondant à la prise de mesures.

En outre, depuis juillet 2019, les installations de la société Regenass, divers matériaux, objets et véhicules d'exploitation ainsi que des troncs d'arbres sont visibles depuis la maison [H]. Cette situation, constatée par huissier de justice, est également démontrée par différentes photographies produites aux débats par les époux [H].

Cependant, si sur les parcelles exploitées, et en partie déboisées, par la société Regenass, sont à présent visibles, depuis la propriété [H], des éléments d'une exploitation forestière, les photographies produites par la société Regenass en pièce 7-4 montrent aussi que l'environnement direct de la maison détruite par l'incendie est végétalisé et que la parcelle défrichée se situe légèrement sur le côté.

Il n'est ainsi pas non plus démontré l'existence d'un trouble visuel de caractère anormal pour le voisinage.

Il sera, en outre, relevé que le certificat médical du 16 novembre 2018 relatif à des insomnies de M. [H] depuis deux années est insuffisant pour démontrer l'existence d'un lien avec l'activité de la société Regenass. De surcroît, les époux [H] ne résident plus sur place et, selon les photographies produites, la maison est inhabitable depuis l'incendie survenu courant 2022.

Les époux [H] ne démontrent pas non plus que leur propriété a perdu de la valeur du fait de l'activité exercée par la société Regenass. D'ailleurs, ils ne démontrent pas que, comme ils le soutiennent, leur maison d'habitation se trouve désormais à l'intérieur d'un terrain industriel, les photographies produites, et notamment celles de l'IGN ou celles produites par la société Regenass en pièce 7-4 montrant au contraire que tel n'est pas le cas.

Il n'est ainsi pas démontré que les nuisances précitées en provenance de l'exploitation litigieuse excédent, par leur nature, leur récurrence et leur intensité, les inconvénients normaux du voisinage.

Enfin, il sera constaté que les époux [H] adressent différents autres reproches à la société Regenass, mais sans en tirer de conséquences juridiques, et en particulier, sans les invoquer pour tenter de démontrer l'existence d'un trouble anormal de voisinage.

Statuant par voie d'infirmation, les demandes d'arrêt de l'activité de la société Regenass et de paiement de dommages-intérêts seront donc rejetées.

2. Sur la demande de suppression de l'empiètement de feuillages :

Les éléments produits aux débats ne permettent pas de démontrer l'existence d'un dépassement, sur la propriété [H], du feuillage d'un arbre ou arbuste planté sur les parcelles exploitées par la société Regenass.

Statuant par voie d'infirmation, la demande sera donc rejetée.

3. Sur la demande de reboisement des parcelles n°[Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6] :

Outre que la société Regenass justifie ne pas être propriétaire desdites parcelles, il a été retenu qu'il n'était pas démontré qu'elle avait causé un trouble anormal de voisinage aux époux [H].

Alors que ces derniers n'expliquent pas en quoi l'absence d'autorisation de procéder à un terrassement qu'ils reprochent à la société Regenass devrait conduire à la condamner à procéder à un reboisement, ils ne démontrent pas la réunion des conditions posées par l'article L.421-19 du code de l'urbanisme et, dès lors, qu'une telle autorisation était requise.

Ils n'invoquent aucun autre fondement juridique à l'appui de leur demande de reboisement.

Statuant par voie d'infirmation, la demande, qui n'est pas fondée, sera donc rejetée.

4. Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts :

La société Regenass ne démontre pas l'existence de l'intention de nuire des époux [H], étant d'ailleurs observé que le premier juge avait fait droit à leurs demandes, de sorte qu'il n'est pas démontré que la procédure soit fautive. Elle ne démontre pas non plus que les différents courriers auxquels elle a dû répondre soient fautifs, ou en tous les cas, procèdent d'une intention de nuire, ni avoir subi un préjudice d'atteinte à son image. Enfin, elle ne justifie pas avoir subi personnellement un préjudice résultant de ce que les époux [H] filment ses employés.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande.

5. Sur les frais et dépens :

Succombant, les époux [H] seront condamnés in solidum à supporter les dépens de première instance, le jugement étant infirmé, et d'appel.

Ils seront condamnés in solidum à payer à la société Regenass la somme de 2 000 euros pour la première instance et celle de 2 000 euros pour l'instance d'appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et leurs demandes seront rejetées, le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné la société Regenass au paiement de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Saverne du 18 mars 2022, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles de la SARL Société d'exploitation Regenass ;

LE CONFIRME de ce chef ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

REJETTE les demandes de M. [O] [H] et de Mme [X] [D] épouse [H] tendant à :

- déclarer la SARL Société d'exploitation Regenass responsable de troubles anormaux de voisinage ;

- condamner la SARL Société d'exploitation Regenass à faire cesser les troubles anormaux de voisinage en lui faisant interdiction de poursuivre toute activité d'exploitation forestière et de vente sur les parcelles n° [Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6], et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner la SARL Société d'exploitation Regenass à faire cesser les troubles anormaux de voisinage en lui enjoignant de procéder au reboisement des parcelles n°[Cadastre 2], [Cadastre 7] et [Cadastre 6], et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- leur payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des nuisances ;

- enjoindre à la SARL Société d'exploitation Regenass de cesser tout empiètement sur le terrain des consorts [H], et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner la SARL Société d'exploitation Regenass à leur verser une somme au titre l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [O] [H] et Mme [X] [D] épouse [H] in solidum à supporter les dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE M. [O] [H] et Mme [X] [D] épouse [H] in solidum à payer à la SARL Société d'exploitation Regenass la somme de 2 000 (deux mille) euros pour la première instance et celle de 2 000 (deux mille) euros pour l'instance d'appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les demandes de M. [O] [H] et de Mme [X] [D] épouse [H] formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffière, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 22/01438
Date de la décision : 19/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-19;22.01438 ?
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