MINUTE N° 24/609
Copie exécutoire
aux avocats
le 2 août 2024
La greffière,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRÊT DU 02 AOÛT 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/01688 -
N° Portalis DBVW-V-B7G-H2MT
Décision déférée à la Cour : 29 Mars 2022 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Mulhouse
APPELANTE :
Madame [C] [S]
demeurant [Adresse 1] à [Localité 3]
Représentée par Me Benoît NICOLAS, Avocat au barreau de Colmar
INTIMÉE :
La S.A.R.L. [Localité 4] AMBULANCES prise en la personne de son représentant légal - N° SIRET : 531 690 279 00033
ayant siège [Adresse 2] à [Localité 4]
Représentée par Me Steeve ROHMER, Avocat au barreau de Mulhouse
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. PALLIERES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par M. PALLIERES, Conseiller, en l'absence du Président de Chambre empêché
- signé par M. PALLIERES, Conseiller, et Mme ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 2 mai 2019, la Sarl [Localité 4] Ambulances a engagé Madame [C] [S], en qualité de régulatrice, emploi classé groupe 2, 7 bis, coefficient 157,5 V, pour une durée de travail hebdomadaire de 35 heures en contrepartie d'une rémunération brute horaires de 13,60 euros.
La convention collective applicable est celle nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
Par lettre recommandée avec accusé de réception, postée le 20 mars 2020, Madame [C] [S] a mis en demeure son employeur de lui régler des heures supplémentaires effectuées impayées, en joignant un décompte.
Par lettre recommandée avec accusé de réception, du 7 avril 2020, reçue par l'employeur (Ar signé), Madame [C] [S] a réitéré sa mise en demeure, en joignant un décompte couvrant la période de mai 2019 à janvier 2020.
Par lettre recommandée avec accusé de réception, postée le 18 avril 2020, Madame [C] [S] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, au motif que l'employeur n'a pas donné suite à ses courriers des 18 mars et 17 avril 2020
Par requête du 5 mai 2020, Madame [C] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Mulhouse de demandes d'indemnisations pour prise d'acte de la rupture du contrat ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnisations pour harcèlement moral, pour dépassement des seuils réglementaires exposant sa santé au travail, de rappel de salaires pour heures supplémentaires outre congés payés y afférents, d'indemnisation pour travail dissimulé, d'indemnisation pour non respect du repos compensateur, outre congés payés y afférents.
Par jugement du 29 mars 2022, le conseil de prud'hommes, section activités diverses, a :
- dit et jugé la demande de Madame [C] [S] recevable mais non fondée,
- dit et jugé que les faits de harcèlement moral ne sont pas constitués,
- dit et jugé que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Madame [C] [S] s'analyse en une démission,
- débouté Madame [C] [S] de l'ensemble de ses prétentions,
- débouté la Sarl [Localité 4] Ambulances de sa demande titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Madame [C] [S] aux dépens.
Par déclaration du 27 avril 2022, Madame [C] [S] a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions sauf le rejet de la demande de la Sarl [Localité 4] Ambulances au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par écritures transmises par voie électronique le 9 mars 2023, Madame [C] [S] sollicite l'infirmation du jugement entrepris sur les mêmes bases, et que la cour, statuant à nouveau :
condamne la Sarl [Localité 4] Ambulances à lui payer les sommes suivantes :
6 429,81 euros au titre du préavis,
642,99 euros au titre des congés payés sur préavis,
803,73 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
6 429,81 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat,
5 000 euros au titre du préjudice distinct,
10 000 euros en réparation du préjudice moral occasionné (par du harcèlement moral),
92 664,91 euros à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires,
9 266,49 euros au titre des congés payés sur heures supplémentaires,
63 074,22 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel,
6 307,42 euros au titre des congés payés afférents au repos compensateur,
19 289,40 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
500 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de délivrance de l'attestation destinée à Pôle Emploi,
2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens.
Par écritures transmises par voie électronique le 5 octobre 2022, la Sarl [Localité 4] Ambulances sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, et la condamnation de Madame [C] [S] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 16 janvier 2024.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus amples exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS
Sur les heures supplémentaires
En application de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant (Cass. Soc. 21 octobre 2020 pourvoi n°19-15.453).
En l'espèce, la salariée fait valoir qu'elle assurait la régularisation, et procédait, seule, à l'ouverture de la société à 7 heures pour terminer, sans pause, à 18 heures.
Elle ajoute qu'à compter du mois de mai 2019, Monsieur [W], ambulancier, a été déchargé de tous les appels des soirs, nuit et week-end, et qu'elle a dû reprendre cette charge de travail, en transférant la ligne de l'entreprise sur son téléphone portable, de telle sorte qu'elle répondait jusqu'à son retour le lendemain à 6 heures 30 - 7 heures, outre du vendredi soir 18 heures au lundi matin 7 heures, cette situation n'ayant cessé qu'à compter du 10 février 2020.
Elle indique, au surplus, qu'elle ne pouvait pas prendre ses pauses pendant la journée, et devait manger sur son poste de travail.
Elle produit :
un décompte journalier, comptabilisant des temps de travail pour la régulation, des temps d'astreinte téléphonique, régule, planification, pour les périodes de mai 2019 à février 2020,
des attestations de témoins de salariés de l'entreprise en copie et en photographie (dont certaines illisibles : une sur 2 de Madame [M], Monsieur [F], une sur 3 de Madame [X], qui ne pourront être retenues par la cour, de ce seul chef).
Selon attestation de témoin de Monsieur [H] [W], dès le 22 mai 2019 et jusqu'au 10 février 2020, le dirigeant de l'entreprise a confié à Madame [S] le soin de s'occuper de manière constante exclusive de la régulation, des plannings quotidiens des personnes roulants et de la ligne de téléphone fixe de l'entreprise pendant ses heures de présence au bureau, soit de 7 heures à 18 heures, mais aussi en dehors de ce créneau.
Ces éléments apparaissent suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
En l'espèce, l'employeur invoque que :
des décomptes étaient effectués par la salariée, et transmis à l'expert-comptable pour paiement avec le bulletin de paie, mais Madame [C] [S] a subtilisé tous les décomptes qu'elle avait alors transmis à l'employeur, ne restant que le décompte du mois de mai 2019,
les bulletins de paie justifient que plusieurs heures supplémentaires, en nombre différent selon les mois, ont été réglées, alors qu'elle a payée, systématiquement, tous les mois, au minimum 17, 33 heures d'heures supplémentaires à 25 %,
l'article 4 de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire, dispose que le temps de travail effectif des personnels ambulanciers est calculé sur la base de leur amplitude diminuée des temps de pause ou de coupure dans le respect des règles, des conditions, et des limites fixées à l'article 5,
l'emploi de Madame [C] [S] consistait à répondre au téléphone et ordonné la course requise à l'équipage d'ambulancier disponible, et Madame [C] [S] n'était responsable d'aucun planning, ne gérait pas les achats matériels et fournitures, ni les absences les congés du personnel, qui était géré par un service administratif comprenant 3 personnes : le gérant, son époux et Madame [X], et Madame [S] n'était pas la seule à répondre au téléphone,
elle n'a jamais sollicité les services de la salariée dès 7 heures le matin, la seule présence dans les locaux ne signifiant pas l'exécution d'une prestation,
Madame [C] [S] effectuait, habituellement, une pause cigarette, 2 fois par heure, d'environ cinq minutes,
Madame [C] [S] effectuait sa pause repas, d'une heure, sur son poste de travail, et les appels téléphoniques pendant les pauses étaient transférés aux services administratifs, ce qui est confirmé par Madame [X],
de l'aveu de Madame [C] [S], à une de ses collègues, la salariée ne travaillait pas 5, mais 4 jours par semaine,
une astreinte ne constitue pas un temps de travail effectif.
La Sarl [Localité 4] Ambulances produit, à ce titre, un échange de Sms entre Madame [C] [S] et Madame « [N] [U] » du 13 mars 2020 dans lequel, la salariée indique que l'employeur doit lui changer ses horaires de travail, et que pour l'instant, elle fait tous les jours 7 heures -18 heures mais sur 4 jours.
en dehors des gardes départementales, qui ne sont pas gérées par le régulateur, les ambulances ne prennent pas en charge les situations d'urgence qui relèvent en premier lieu des pompiers et du Samu,
plusieurs témoignages, produits par la salariée, doivent être écartés des débats, dès lors qu'ils ont été établis par des salariés qui ont engagé des procédures prud'homales contre elle,
elle n'a jamais demandé à Madame [C] [S] d'assurer une quelconque astreinte pour l'entreprise, dont le niveau d'activité est de 20 courses par jour, alors, que, par ailleurs, elle ne dispose d'aucun équipage circulant la nuit, ce qui est confirmé par Monsieur [W], mise à part pour les besoins des gardes départementales qui représentent 10 gardes par mois, et que pour les prises de service, pour les gardes, les ambulanciers doivent s'adresser immédiatement au Centre 15 pour communiquer leur numéro de téléphone portable, ce qui est confirmé par Monsieur [W] dans son attestation de témoin (« lors de mes tours de garde jusqu'en août 2019, j'étais la plupart du temps en contact direct avec le Nva pour recevoir les missions »),
il arrivait à Madame [C] [S] d'amener sa fille au travail.
La Sarl [Localité 4] Ambulances produit, en outre :
une attestation de témoin de Monsieur [A] [J], mais cette dernière est sans intérêt dès lors que le témoin fait état d'une pratique dans la société Huagler Ambulances,
une attestation de témoin de Monsieur [L] [D] selon laquelle durant la période où il exerçait en tant que salarié de la société, à aucun moment, le régulateur ne signifiait les missions Samu, par téléphone, lors de gardes préfectorales nuit ou jour car celles-ci arrivaient directement sur Pda via le logiciel Sirus, et quand ce dernier ne fonctionnait pas, il appelait lui-même le Nva 5 à 10 minutes avant pour laisser son numéro personnel.
une attestation de Monsieur [Y] [Z], qui a pris le poste de régulateur depuis le 1er juillet 2020 au sein de la Sarl [Localité 4] Ambulances, et qui apparaît sans emport, dès lors que l'employeur a pu modifier le fonctionnement du service.
des justificatifs des procédures engagées par plusieurs salariés,
la feuille d'heures personnel administratif du mois de mai 2019 de Madame [C] [S], faisant état d'une pause d'une heure pour le repas, et d'horaires de travail pouvant être de 5 jours par semaine de 7 heures à 17 heures.
La cour relève que :
- la force probante des attestations de témoin de Madame [M], Madame [R], Monsieur [F], Monsieur [P], produites par Madame [C] [S], ne saurait être retenue, dès lors que ces derniers ont un litige avec l'employeur, formalisé par des actions prud'homales dans lequel ils sont représentés par le même conseil que Madame [C] [S], de telle sorte qu'une concertation des intéressés ne peut être écartée,
- la force probante des attestations de Monsieur [W], et de Madame [X] ne saurait être écartée, alors qu'il n'est justifié d'aucun litige entre ces derniers et l'employeur,
- l'attestation de témoin de Monsieur [V] [G], produite par Madame [C] [S], précise que ce dernier a pu voir une fois manger Madame [C] [S] devant ses écrans d'ordinateurs, et que Madame [C] [S] était en charge du planning des prises en charge des patients.
L'employeur ne justifie pas de son obligation légale de contrôler la durée et la charge de travail de sa salariée, dès lors qu'il ne justifie pas que, postérieurement au mois de mai 2019, il aurait maintenu un système de décompte d'heures fournies, par la salariée, mensuellement, et la cour rappelle que la charge de l'administration de la preuve de la réalisation d'heures supplémentaires ne repose pas sur le salarié, conformément à l'article L 3171-4 du code du travail.
S'agissant des temps de pause, c'est à l'employeur de rapporter la preuve qu'ils ont pu être valablement pris par le salarié.
Cette preuve fait défaut, à l'exception de l'existence de pauses cigarettes, dont les conditions d'exercice ont été critiquées par l'employeur dans un échange de Sms avec la salariée. Mais, la durée de ces pauses cigarettes n'est pas établie.
Dans le chiffrage, effectué par la salarié, cette dernière a comptabilisé des temps d'astreinte, notamment de nuit et de week-end comme temps de travail effectif, alors que selon l'article L 3121-9 du code du travail, une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise ; la période d'astreinte fait l'objet d'une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.
La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.
S'agissant des interventions en dehors des horaires de jour de l'entreprise, et des appels téléphoniques, hors gardes départementales, le nombre d'appels devait être particulièrement limité, l'employeur justifiant qu'aucune équipe d'ambulanciers ne fonctionnait alors pour le service commercial.
S'agissant des périodes de gardes départementales, Monsieur [W] confirme que la participation à la garde départementale imposait que la société soit joignable à tout instant depuis son numéro de téléphone fixe officiel, de jour comme de nuit, par les services concernés (Nva, Centre 15, Préfecture,'.). Il précise, toutefois, que jusqu'en août 2019, lors de ses tours de garde, il était la plupart du temps en contact direct avec le Nva pour recevoir les missions mais pas avec le Centre 15, qui n'avait d'autre choix que d'appeler le numéro de la société et, donc, Madame [S].
Il en ressort que de nombreuses heures mises en compte par la salariée ne constituent pas un temps de travail effectif, et ne peuvent être comptabilisées comme des heures supplémentaires.
Par ailleurs, la cour relève que la salariée a mis en compte, au titre du mois de mai 2019, pour l'essentiel des horaires de travail, de régulation, finissant à 18 heures, alors même qu'elle a attesté par sa signature de la feuille d'heures personnels administratif, qu'elle a remplie, que ses journées se terminaient au plus tard à 17 heures.
Enfin, les bulletins de paie, sur la période en cause, font état du paiement de nombreuses heures supplémentaires.
Au regard des éléments précités, il est établi que la salariée a effectué des heures supplémentaires impayées, mais que la cour évalue à la somme de 9 000 euros, outre les congés payés à la somme de 900 euros.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de la demande à ce titre.
Sur l'indemnité pour travail dissimulé
Selon l'article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé, le fait pour un employeur d'intentionnellement mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Il n'est pas établi que le défaut d'indication, sur les bulletins de paie, du nombre réel des heures supplémentaires effectuées, fait suite à une intention frauduleuse de l'employeur.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de la demande d'indemnité à ce titre.
Sur l'indemnité pour dépassement des seuils réglementaires
Madame [C] [S] se contente d'affirmer que l'employeur a largement dépassé les seuils réglementaires, en se fondant sur son décompte d'heures de travail, qui apparaît erroné au regard des motifs précités sur les heures supplémentaires impayées, et n'explicite pas sa demande, outre qu'elle ne justifie pas de son préjudice.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation à ce titre.
Sur l'indemnité pour non respect du repos compensateur obligatoire pour dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires
En application des dispositions de l'article L 3121-30 du code du travail, les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent ouvrent droit à un repos obligatoire, qui s'ajoute au paiement des heures.
À défaut de stipulations conventionnelles, les dispositions supplétives du code du travail s'appliquent, soit une contrepartie obligatoire en repos égale à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel pour les entreprises de 20 salariés au plus, étant précisé que les parties n'ont pas précisé le nombre de salariés de l'entreprise.
A défaut de précision, par les parties, il y a lieu de retenir un contingent annuel d'heures supplémentaires de 220 heures, conformément à l'article D 3121-24 du code du travail.
Il résulte des bulletins de paie de mai à décembre inclus 2019, que, sur l'année 2019, Madame [C] [S] a été rémunérée pour 318, 64 heures supplémentaires.
En réintégrant les heures impayées, Madame [C] [S] a réalisé de l'ordre de 441, 50 heures supplémentaires en sus du contingent annuel légal sur l'année 2019, de telle sorte qu'elle a droit à une indemnité pour non respect du repos compensateur obligatoire de 3 092, 02 euros net.
Pour l'année 2020, au regard des bulletins de paie comptabilisant les heures supplémentaires payées (172, 91), en ajoutant les heures supplémentaires non payées (86), le salarié aurait dû bénéficier d'un repos compensateur obligatoire pour l'équivalent de 38, 91 heures en sus, soit une indemnité équivalente de 272, 51 euros.
En conséquence, infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera l'employeur à payer à la salariée la somme totale de 3 364, 54 euros net à titre d'indemnité pour non-respect du repos compensateur obligatoire.
Le salarié, qui n'a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l'indemnisation du préjudice subi ; celle-ci comporte à la fois le montant de l'indemnité de repos compensateur et le montant de l'indemnité de congés payés afférents (Cass. Soc. 23 octobre 2011 pourvoi n°99-40.879).
En conséquence, infirmation le jugement, la cour condamnera l'employeur à payer à la salariée la somme de 336, 45 euros net au titre des congés payés afférents à l'indemnité précitée.
Sur le harcèlement moral
Selon l'article L 1554-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Sur la matérialité des faits
Madame [C] [S] invoque comme faits :
l'absence de reconnaissance.
La matérialité de ce fait n'est pas établie, alors que la salariée produit une note, rédigée par l'employeur, à destination de l'ensemble du personnel, aux termes de laquelle, à compter du 1er juillet 2019, elle a été nommée responsable d'exploitation, en étroite collaboration avec le gérant.
de nombreuses heures supplémentaires accomplies.
La matérialité de la réalisation d'heures supplémentaires est établie tant par les bulletins de paie, pour les heures supplémentaires payées, que par la présente décision, s'agissant d'heures supplémentaires impayées.
Toutefois, l'exécution d'heures supplémentaires ne constitue pas, en soi, un ou des faits de harcèlement moral.
des conditions de travail qui se sont dégradées suite aux agissements répétés de l'employeur qui n'a cessé de désapprouver le travail qu'elle accomplissait.
Madame [C] [S] produit des échanges de Sms avec Monsieur [B] [O], gérant de la société, et avec Madame [I] [O], épouse du gérant.
Les Sms, échangés avec le dirigeant de la société, font apparaître un rappel à l'ordre de l'employeur (pièce salariée n°14), :
reprochant à la salariée des décisions, dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail (2 reproches),
quant à ses directives pour la pause cigarette, notamment de Madame [C] [S] (1 fait).
Les termes employés par Monsieur [O] apparaissent courtois et ne dépassent pas le cadre normal de l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur.
Les autres échanges de Sms, avec Monsieur [O], produits par la salariée, font preuve du respect par Monsieur [O] de sa salariée.
L'échange, avec Madame [O], fait uniquement apparaître que la salariée vivait mal ses relations professionnelles, sans qu'on puisse dire que cela faisait suite à des faits qui auraient pu être reprochés à Monsieur [O].
La matérialité du fait dénoncé n'est, dès lors, pas établie.
La cour relève, par contre, que Madame [C] [S] a pu avoir une réponse en des termes pouvant paraître discourtois à l'égard de son supérieur hiérarchique : « 'et si cela ne vous convient pas vous pouvez gérer aussi les plannings du lendemain et envoyer les heures au chauffeur ».
Il en résulte que les faits de harcèlement moral sont inexistants, et que le jugement sera, dès lors, confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande d'indemnisation, à ce titre.
Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur ayant les effets d'un licenciement sans cause et sérieuse
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul selon le manquement) si les faits invoqués apparaissent suffisamment graves, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
En l'espèce, il résulte des motifs supra, et des faits constants, que malgré 2 mises en demeure, l'employeur n'a pas donné suite à la demande de paiement d'heures supplémentaires réalisées et non payées d'une valeur importante, heures supplémentaires réalisées tous les mois sur une période de travail de moins d'un an.
Compte tenu de ces éléments, le manquement de l'employeur apparaissait suffisamment grave pour que le salarié puisse mettre fin au contrat de travail, par la prise d'acte de la rupture du contrat aux torts exclusifs de l'employeur.
Cette prise d'acte a donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de telle sorte que le jugement sera infirmé en ce qu'il a analysé ladite prise en une démission.
Sur les indemnités subséquentes à la rupture ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salaire mensuel de référence, sur la moyenne des 3 derniers mois précédant la rupture, retenu par le salarié, soit 3 214, 90 euros brut, n'est pas discuté et inférieur à la moyenne en cause.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents
Selon l'article 5 de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires de transport, en cas de licenciement d'un ouvrier comptant une ancienneté comprise entre 6 mois et 2 ans, le délai-congé est de 1 mois.
En conséquence, infirmant le jugement entrepris, la Sarl [Localité 4] Ambulances sera condamnée à payer à Madame [C] [S] la somme de 3 214,90 euros brut outre la somme de 321,49 euros brut au titre des congés payés y afférents.
Sur l'indemnité de licenciement
Compte tenu de son ancienneté, Madame [C] [S] a droit à la somme de 803, 73 euros net.
En conséquence, infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera l'employeur au paiement de cette somme.
Sur les dommages et intérêts pour rupture du fait de l'employeur
Madame [C] [S] ne justifie pas de sa situation professionnelle après la prise d'acte.
En application de l'article L 1235-3 du code du travail, au regard de l'ancienneté de la salariée (une année), de l'âge de cette dernière à la date de la rupture (40 ans), et du préjudice subi, infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera l'employeur à payer à Madame [C] [S] la somme de 3 500 euros brut (étant rappelé que depuis les ordonnances Macron, ces dommages et intérêts doivent être exprimés en brut).
Sur l'indemnisation pour défaut de délivrance de l'attestation Pôle Emploi
Madame [S], qui ne demande d'ailleurs pas la production d'une attestation destinée à Pôle Emploi conforme à ses prétentions et à l'arrêt, ne justifie d'aucun préjudice par l'absence de délivrance d'une attestation Pôle Emploi par l'employeur, la cour précisant que la force probante de l'attestation de témoin de Madame [I] [O], sur une remise en main propre, ne saurait être retenue, dès lors que Madame [O] a un intérêt personnel indirect à la solution du litige.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de la demande à ce titre.
Sur les demandes annexes
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles rejetant la demande de la salariée, mais infirmé sur les dépens.
Succombant pour l'essentiel, la Sarl [Localité 4] Ambulances sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, elle sera condamnée à payer à Madame [C] [S] la somme de 2 000 euros, pour les frais exposés à hauteur d'appel.
Sa demande, à ce titre, sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du 29 mars 2022 du conseil de prud'hommes de Mulhouse SAUF en :
ce qu'il a débouté Madame [C] [S] de sa demande d'indemnité pour préjudice distinct pour dépassement des seuils réglementaires,
ce qu'il a débouté Madame [C] [S] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,
ce qu'il a débouté Madame [C] [S] de sa demande d'indemnité pour harcèlement moral,
en ce qu'il a débouté Madame [C] [S] de sa demande d'indemnité pour absence de délivrance de l'attestation destinée à Pôle Emploi ;
ses dispositions sur la demande de Madame [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la Sarl [Localité 4] Ambulances à payer à Madame [C] [S] les sommes suivantes :
* 9 000 euros brut (neuf mille euros) à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires impayées,
* 900 euros brut (neuf cents euros) au titre des congés payés y afférents ;
* 3 364,54 euros net (trois mille trois cent soixante quatre euros et cinquante quatre centimes) à titre d'indemnité pour non-respect du repos compensateur obligatoire,
* 336,45 euros net (trois cent trente six euros et quarante cinq centimes) au titre des congés payés afférents à l'indemnité précitée ;
* 3 214,90 euros brut (trois mille deux cent quatorze euros et quatre vingt dix centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 321,49 euros brut (trois cent vingt et un euros et quarante neuf centimes) au titre des congés payés y afférents ;
* 803,73 euros net (huit cent trois euros et soixante treize centimes) à titre d'indemnité de licenciement,
* 3 500 euros brut (trois mille cinq cent euros) à titre d'indemnité de rupture ;
* 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés à hauteur d'appel ;
DÉBOUTE la Sarl [Localité 4] Ambulances de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés à hauteur d'appel ;
CONDAMNE la Sarl [Localité 4] Ambulances aux dépens d'appel et de première instance.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 2 août 2024 et signé par Monsieur Edgard PALLIERES, Conseiller, en l'absence du Président de chambre empêché, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière.
La Greffière, Le Conseiller, pour le Président empêché,