CKD
MINUTE N° 24/594
Copie exécutoire
aux avocats
Copie à Pôle emploi
Grand Est
le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 09 JUILLET 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 23/04090 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IF5N
Décision déférée à la Cour : 03 Novembre 2023 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG
APPELANT :
Monsieur [V] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Eulalie LEPINAY, avocat au barreau de COLMAR
INTIMEE :
S.A.S.U. MAGASINS GALERIES LAFAYETTE
Prise en son établissement secondaire en la personne de son
représentant légal.
N° SIRET : B 9 57 503 931
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Céline RICHARD, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [V] [W] né le 28 juin 1966 a été embauché par la société BHV de [Localité 3] le 1er décembre 1987 en qualité de vendeur. En 2007 suite à la fermeture de ce magasin, le contrat de travail a été transféré à la société Magasins Galeries Lafayette en son établissement strasbourgeois.
Monsieur [W] a été désigné délégué syndical CFDT, et représentant syndical au CHSCT et au comité d'établissement en 2007. En 2008 il a été élu membre au comité d'établissement et au comité central d'entreprise. Il est toujours délégué syndical CFDT, et a été réélu membre titulaire du CSE d'établissement.
En 2014 Monsieur [W] a saisi le conseil des prud'hommes de Strasbourg aux fins de faire constater une discrimination syndicale à son encontre.
Par jugement de départage du 19 janvier 2017 la discrimination syndicale a été reconnue. Un arrêt de la cour d'appel de Colmar du 31 janvier 2019 a confirmé cette discrimination. Le pourvoi intenté par l'employeur a été rejeté par arrêt du 30 septembre 2020.
Monsieur [W] a ensuite saisi la cour d'appel de Colmar d'une requête en interprétation de son arrêt du 31 janvier 2019. L'arrêt en interprétation a été rendu par la cour de céans le 29 avril 2022.
Le 05 septembre 2023 Monsieur [W] a saisi la formation de référé du conseil des prud'hommes de Strasbourg sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, afin de se faire désigner un huissier de justice pour se rendre au siège de la société, et se faire communiquer une copie du registre du personnel et la copie de l'ensemble des bulletins de paye des conseillers vendeurs appartement à la même classification que lui.
Par ordonnance du 03 novembre 2023 la formation de référé du conseil des prud'hommes a :
Constaté qu'il y a autorité de la chose jugée,
Pris acte que les parties reconnaissent qu'elles veulent saisir le juge de l'exécution,
S'est déclaré compétent, et a
Dit que la mesure d'instruction est infondée,
Débouté Monsieur [W] de l'intégralité de ses demandes,
Débouté la société Magasins Galeries Lafayette de ses demandes,
Dit que chaque partie supportera l'entièreté de ses frais et dépens.
Le 16 novembre 2023 Monsieur [V] [W] a interjeté appel à l'encontre de cette décision.
Par dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 avril 2024 Monsieur [V] [W] demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise
en ce que le juge des référées prud'homales se déclare compétent et déboute la société de ses demandes, mais l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau, il demande à la cour de :
Ordonner une mesure d'instruction,
Désigner tel huissier de justice qu'il plaira avec pour mission :
De se rendre au siège social de la société [Adresse 2],
Pour les besoins de sa mission, de se faire remettre une copie du registre du personnel du 31 janvier 2019 au jour de la notification « du jugement à intervenir »,
De se faire remettre une copie de l'ensemble des bulletins de paye des conseillers vendeurs appartenant à la même classification que lui dans l'établissement de Strasbourg au jour où la cour d'appel a statué soit du 31 janvier 2019 jusqu'au jour de la notification « du jugement à intervenir »,
Dire que l'huissier de justice sera accompagné de Monsieur [W],
Dire qu'un constat sera établi par huissier de justice,
Dire qu'une copie de ce constat sera remise à Monsieur [W],
Débouter la société Magasins Galeries Lafayette de l'ensemble de ses fins moyens et conclusions,
La condamner à lui payer 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 avril 2024 la SASU Magasins Galeries Lafayette demande à la cour de déclarer mal fonder l'appel de Monsieur [W], et de le débouter de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions.
Sur appel incident elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles de paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de demandes de frais irrépétibles.
Elle demande à la cour statuant à nouveau de condamner Monsieur [V] [W] à lui payer les sommes de :
3.000 € pour procédure abusive,
2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile dont distraction au profit de Maître Céline Richard, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
Elle sollicite la confirmation de l'ordonnance pour le surplus.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À titre préliminaire sur les précédentes décisions
Les parties se sont opposées dans un certain nombre de procédures ayant donné lieu aux décisions suivantes :
Jugement de départage du conseil des prud'hommes du 19 janvier 2017 constatant une discrimination syndicale.
Arrêt de la cour d'appel de Colmar du 31 janvier 2019 confirmant la discrimination syndicale, augmentant les dommages et intérêts, et condamnant la société à payer à Monsieur [W] un salaire mensuel brut au niveau moyen des conseillers vendeurs de la même classification, dans la limite de 1.800 € bruts par mois, au cas où son salaire mensuel brut y serait inférieur.
Arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2020 rejetant le pourvoi de la société Magasins des Galeries Lafayette par une décision non spécialement motivée.
Arrêt de la cour d'appel de Colmar du 29 avril 2022 interprétant l'arrêt du 31 janvier 2019 en jugeant la condamnation à augmenter le salaire mensuel contractuel brut, hors primes, tel qu'il figure sur la première ligne des fiches de paye de Monsieur [W], doit se faire au niveau moyen des salaires mensuels contractuels bruts, hors primes, perçus par les conseillers vendeurs appartenant à la même classification que lui, dans l'établissement de Strasbourg, au cas où son salaire mensuel contractuel brut, hors primes, y serait inférieur.
2. Sur la demande fondée sur l'article 145 du code de procédure civile
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Selon une jurisprudence ancienne et constante l'existence du motif légitime de nature à justifier la mesure d'instruction relève du pouvoir souverain du juge.
Par ailleurs le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle, à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit, et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Sur la production d'une copie du registre du personnel à compter du 31 janvier 2019
Selon l'article L 1221-15 du code du travail le registre unique du personnel est tenu à la disposition du comité social et économique, et des fonctionnaires et agents chargés de veiller à l'application du présent code et du code de sécurité sociale.
Monsieur [W] élu depuis 2007 est toujours délégué syndical CFDT, et membre titulaire du CSE d'établissement.
Par conséquent en application de l'article L 1221-15 du code du travail, et compte tenu de sa qualité de membre du comité social et économique, il dispose d'un libre accès au registre unique du personnel, et ne soutient nullement que cet accès lui ait été refusé par l'employeur. Il est par conséquent parfaitement à même de dresser la liste des conseillers vendeurs de l'établissement strasbourgeois, sans avoir recours à un constat d'huissier ordonné par un juge.
Monsieur [W] ne dispose pas du motif légitime exigé par l'article 145 du code de procédure civile, et c'est à juste titre que le juge des référés du conseil des prud'hommes a rejeté ce chef de demande. L'ordonnance entreprise est par conséquent confirmée.
Sur la production des bulletins de salaire de l'ensemble des conseillers vendeurs
Il convient à titre préliminaire de rappeler que la condamnation de l'employeur à augmenter le salaire mensuel brut de Monsieur [W], tel que précisé dans les deux arrêts de la cour d'appel de Colmar, se fait par référence au niveau moyen des salaires mensuels bruts perçus par les conseillers vendeurs de la même classification, et ce uniquement pour les salariés de l'établissement strasbourgeois des Galeries Lafayette. Ainsi les développements concernant les salariés employés, et non pas les seuls conseillers vendeurs, ou la comparaison avec des salaires moyens au plan national sont inutiles.
Les bulletins de paye des salariés comportent des données personnelles qui bénéficient de la protection due au respect de la vie privée.
Une demande en justice tendant à obtenir la production de bulletins de paye d'autres salariés est admise à la condition qu'elle ne porte pas une atteinte excessive au respect de la vie personnelle, et qu'elle est indispensable à l'exercice du droit à la preuve, et proportionnée au but recherché. (Cass.soc. 08 mars 2023 N° 21-12. 492)
En l'espèce Monsieur [W] ne justifie d'aucune demande de remise des bulletins de paye auprès de ses collègues, ni a fortiori d'aucun refus de ces derniers, de sorte qu'il ne justifie pas que la mesure sollicitée soit indispensable à l'exercice du droit à la preuve.
Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres conditions requises, des lors que Monsieur [W] ne rapporte pas la preuve que cette mesure est indispensable à l'exercice de son droit à la preuve, il n'établit pas qu'il dispose du motif légitime exigé par l'article 145 du code de procédure civile.
C'est donc à juste titre que cette demande a été rejetée par les premiers juges. L'ordonnance est confirmée sur ce point.
Sur l'appel incident
La société appelante n'établit pas que la saisine de Monsieur [W] du juge des référés, puis de la cour d'appel, ait dégénéré en abus, et ce d'autant que le contentieux entre les parties, est ancien et surtout complexe, ayant même nécessité un arrêt interprétatif.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts. Il en est de même à hauteur d'appel.
Sur les demandes annexes
L'ordonnance déférée est confirmée s'agissant des dépens, et des frais irrépétibles.
À hauteur de cour l'appelant qui succombe en toutes ses prétentions est condamné aux dépens de la procédure d'appel, et par voie de conséquence sa demande de frais irrépétibles est rejetée.
L'équité ne commande pas de condamner l'appelant à payer à la société intimée une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME l'ordonnance de référé rendue par le conseil des prud'hommes de [Localité 3] le 03 novembre 2023 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Monsieur [V] [W] aux entiers dépens de la procédure d'appel ;
DEBOUTE Monsieur [V] [W] et la SASU Magasins Galeries Lafayette de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 09 juillet 2024, signé par Mme Christine Dorsch, Président de chambre et Mme Martine Thomas, Greffier.
Le Greffier Le Président