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09/07/2024 | FRANCE | N°22/00608

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 09 juillet 2024, 22/00608


MINUTE N° 24/579





















































Copie exécutoire

aux avocats



Copie à Pôle emploi

Grand Est



le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 9 JUILLET 2024



Numéro d'inscription au répertoire gén

éral : 4 A N° RG 22/00608

N° Portalis DBVW-V-B7G-HYRD



Décision déférée à la Cour : 25 Janvier 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG



APPELANTE :



S.A.S. DEKRA INDUSTRIAL FRANCE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me ...

MINUTE N° 24/579

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 9 JUILLET 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/00608

N° Portalis DBVW-V-B7G-HYRD

Décision déférée à la Cour : 25 Janvier 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG

APPELANTE :

S.A.S. DEKRA INDUSTRIAL FRANCE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour

INTIME :

Monsieur [J] [L]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Bernard ALEXANDRE, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [J] [L], né le 15 juillet 1972, a été engagé par la SAS Dekra Inspection, le 05 mars 2012, par contrat à durée indéterminée, en qualité de directeur d'un ensemble de centres dans la région est.

À compter du 1er janvier 2013, son contrat de travail a été transféré à la SAS Dekra Industrial.

La relation de travail était en dernier lieu régie par la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

Par avenant du 17 février 2015, la SAS Dekra a confié à M. [L] le poste d'adjoint directeur business line qualité, hygiène, sécurité, environnement (BL QHSE), à compter du 1er mars 2015, moyennant une rémunération composée d'une part fixe et d'une part variable pouvant atteindre 15 % de la rémunération brute annuelle.

Par courrier du 06 février 2019, M. [L] s'est vu confier, temporairement, les missions additionnelles de directeur BL QHSE ; missions auxquelles il a été mis un terme, le 15 juillet 2019.

Courant juillet 2019, M. [L] a été informé de la suppression prochaine de son poste d'adjoint directeur BL QHSE, et d'une proposition d'occuper les fonctions de responsable métier opérationnel Nord-Est (RMO Nord-Est), ainsi qu'une mission provisoire complémentaire de deux mois pour formaliser la stratégie et la vision 2025 des métiers QHSE de la BL QHSE.

À compter du 06 août 2019, M. [L] a été placé en arrêt maladie.

Par courrier recommandé du 17 septembre 2019, M. [L] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Dekra.

Entendant faire produire à sa prise d'acte de rupture du contrat de travail les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [L] a saisi le conseil des prud'hommes de Strasbourg, le 04 juin 2020.

Par jugement du 25 janvier 2022, le conseil des prud'hommes a :

- dit que la prise d'acte de rupture est aux torts exclusifs de la SAS Dekra ;

- dit que la rupture du contrat de travail revêt le caractère d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la SAS Dekra à verser à M. [L] les sommes suivantes :

* 22.549,45 € au titre du préavis ;

* 254,94 € au titre des congés payés sur préavis ;

* 14.163,50 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 45.098,88 € au titre des dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse ;

* 27.629 € au titre de rappels de salaire ;

* 2.762,90 € au titre des congés payés sur rappels de salaire ;

* 30.000 € de dommages et intérêts pour non-respect du forfait jours et violation de la législation sur le travail ;

* 3.354,93 € au titre de rappel de majoration de salaire ;

* 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de plein droit ;

- débouté les parties pour le surplus ;

- condamné le défendeur aux entiers frais et dépens.

La SAS Dekra Industrial a interjeté appel de la décision le 08 février 2022.

Par dernières conclusions, transmises par voie électronique le 29 novembre 2023, la SAS Dekra Industrial demande à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a débouté M. [L] de ses demandes de dommages et intérêt pour licenciement nul, harcèlement moral et violation de l'obligation de santé et de sécurité, sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, celle portant sur la remise de documents sociaux conformes sous astreinte et, en conséquence, statuant à nouveau, de :

- débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes ;

- ordonner la restitution à la société des sommes versées au titre de l'exécution provisoire ;

- débouter M. [L] de toute demande formée au titre d'un appel incident ;

- condamner M. [L] à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [L] aux entiers dépens des deux instances.

À titre subsidiaire,

- en cas de privation d'effet de la convention de forfait-jours, ordonner la restitution par M. [L] des sommes versées par la société au titre des jours de RTT les trois années précédant la rupture du contrat de travail, soit la somme nette de 5.140,74 € brut.

En tout état de cause,

- ordonner la restitution à la société des sommes versées au titre de l'exécution provisoire ;

- condamner M. [L] à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens des deux instances.

Par dernières conclusions, transmises par voie électronique le 28 juillet 2023, M. [L] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail revêt le caractère d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la SAS Dekra à lui verser 45.098,88 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'a débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité, ainsi que de l'indemnité spécifique pour travail dissimulé, et, statuant à nouveau, de :

- dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement nul ;

- condamner la société à lui verser les montants suivants :

* 108.820 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, à titre subsidiaire, 58.037 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 65.300 € nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation de l'obligation de santé et sécurité ;

* 43.528,14 € nets à titre d'indemnité spécifique pour travail dissimulé.

À titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la rupture du contrat de travail revêt le caractère d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* condamné la société à lui verser la somme de 45.098,88 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- condamner la société à un rappel des heures supplémentaires au titre des trois dernières années d'un montant de 41.700,75 € brut, outre 4.170,07 € brut au titre des congés payés y afférent.

En tout état de cause,

- débouter la société de ses demandes reconventionnelles relatives au paiement du préavis et au remboursement des jours de réduction du temps de travail ;

- condamner la société à lui verser 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

Il est, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, renvoyé aux conclusions ci-dessus visées.

MOTIFS

I. Sur la prise d'acte de rupture aux torts de la SAS Dekra

Lorsque le salarié prend acte de la rupture en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit d'une démission dans le cas contraire (Cass. Soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335).

Le salarié qui prend acte de la rupture en raison de manquements de l'employeur à ses obligations doit établir les manquements qu'il avance ; en cas de doute, la rupture produit les effets d'une démission (Cass. Soc., 19 décembre 2007, n° 06-44.754).

Lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des manquements qu'il reproche à son employeur, seuls les manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail font produire à la prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 17 septembre 2015, n° 14-10.578).

A. Sur les manquements de l'employeur

Aux termes de son courrier recommandé du 17 septembre 2019, M. [L] a imputé à son employeur les griefs suivants :

" Je vous informe par la présente que je suis contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail, constatant les divers graves manquements de Dekra à mon égard.

Je vous rappelle, à ce titre, mon mail du 24 juillet 2019 et mon mail complémentaire du 30 août 2019.

Ces messages, et les faits qui étaient dénoncés, n'ont amené aucune réaction de votre part.

Je rappelle en particulier que :

- Dekra n'a jamais défini les objectifs qui devaient déterminer ma rémunération variable prévue par mon contrat de travail.

Mes demandes répétées de régularisation de la situation à ce titre n'ont été suivies d'aucun effet.

- Il a été successivement rajouté à ma fonction des missions complémentaires, sans définition de poste précise, mais rajoutant des charges de travail extrêmement conséquentes.

Cela m'a conduit à dépasser le forfait jour et plus généralement à du surmenage.

- L'entreprise n'a jamais assuré un suivi de ma charge de travail dans ce cadre.

- Au mois de juillet dernier, j'ai été convoqué brusquement pour me faire dire que ma mission et plus généralement la fonction d'adjoint au directeur de la BL QHSE disparaissait, et que je devrai choisir entre deux postes : un poste d'adjoint au directeur BL Bâtiment ou un poste de responsable opérationnel régional.

J'ai été invité à prendre rendez-vous avec M. [H] [N], ce que j'ai fait.

Lorsque je l'ai rencontré à [Localité 5], il m'a indiqué qu'il n'avait pas besoin de moi à ses côtés !

Il m'a exposé que la seule possibilité qui m'était offerte était d'accepter un poste de responsable opérationnel qui n'est rien d'autre qu'une rétrogradation et qu'il n'y avait aucune alternative.

L'ensemble de ces éléments ont gravement nui à ma santé et vos agissements relèvent d'un harcèlement moral.

Ils constituent d'une façon générale une violation de vos engagements et de vos obligations, d'une particulière gravité.

Je n'ai pas, dans ce contexte, d'autre issue que d'acter la rupture de mn contrat de travail, à vos torts exclusifs.

Mon contrat de travail prendra fin à la date de notification de la présente (') ".

1. Sur le non-versement de salaires

a. Sur l'absence de définition d'objectifs déterminant la rémunération variable, et son non-versement

Contestant tout manquement, la SAS Dekra Industrial réplique, d'une part, que le grief relatif au non-versement de la rémunération variable n'a pas été soulevé au moment de la prise d'acte, tandis que la seule absence de fixation des objectifs ne peut constituer un manquement suffisamment grave, d'autre part, que M. [L] ne disposait d'aucun droit acquis au versement de la totalité de la partie variable, laquelle n'était qu'hypothétique.

Il convient de rappeler, au préalable, que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige et que le juge est, ainsi, tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit (Cass. Soc., 29 juin 2005, n° 03-42.804).

Par ailleurs, force est de constater que M. [L], en sus d'invoquer l'absence de fixation d'objectifs aux termes de son courrier du 17 septembre 2019, a mentionné le défaut de versement de sa rémunération variable, par deux fois, dans un courrier daté du 24 juillet 2019, et dans un courriel du 30 août 2019.

En effet, dans le premier courrier, il a évoqué les faits précités en les termes suivants :

" (') le 17 février 2015, Dekra me propose un avenant modifiant ma fonction qui devient adjoint au directeur BL QHSE. Au final, ma rémunération fixe ne bouge pas (me promettant une fois de plus une évolution basée sur ma performance). J'accepte néanmoins en précisant que ma part variable doit substantiellement évoluer, être entièrement individualisée et complétée par les autres dispositifs de primes sur performance que l'entreprise pourrait à l'avenir mettre en place. Ceci est accepté par la Direction Générale, et le taux de ma prime individuelle sur objectif évolue de 10 à 15 % de ma rémunération fixe annuelle. Cependant, les objectifs ne sont toujours pas fixés par la Direction Générale.

Le total des parts variables que Dekra m'a versé à ce jour représente 15.529 euros en 7 ans (5.000 euros versés en juillet 2016, 7.312 euros versés en avril 2017, et 3217 euros versés en avril 2018) alors qu'aucun objectif ne m'a jamais été fixé et qu'aucune évaluation de mon résultat par rapport à ces objectifs ne m'a été remis malgré mes multiples relances et mes demandes d'explications et de régularisations. Sur les primes versées, je n'ai jamais eu d'information sur le mode de calcul qui a été appliqué malgré mes demandes d'éclaircissement ".

Par son courriel du 30 août 2019 à la responsable ressources humaines, M. [L], sollicitait " le règlement immédiat des rémunérations non versées à ce jour ".

Enfin, dans la prise d'acte du 17 septembre 2019, il invoquait " [ses] demandes répétées de régularisation de la situation [qui] n'ont été suivies d'aucun effet ".

En l'espèce, M. [L] a signé un avenant à son contrat de travail, daté du 17 février 2015, comprenant les stipulations ci-suivantes : " a) une partie fixe égale en brut à la somme de 65.000 euros payable sur 13 mensualités, soit 5.000 euros brut chacune, étant entendu que votre rémunération est indépendante du nombre d'heures de travail effectif et de jours accomplis pendant la période de paye.

b) Vous serez éligible à une partie variable égale à 15 % de la partie fixe de votre rémunération annuelle brute dès lors que vous aurez atteint 100 % des objectifs qui vous auront été fixés. Les modalités de définition des objectifs et de versement de cette partie variable feront l'objet d'une communication spécifique chaque année en début d'exercice par la direction générale du groupe Dekra ".

Cependant, il ressort des pièces versées aux débats, premièrement, que la SAS Dekra Industrial, contrairement aux stipulations contractuelles, n'a jamais fixé d'objectifs à M. [L], ni communiqué sur les modalités de définition de ceux-ci et de versement de la partie variable ; deuxièmement, que ce dernier a alerté son employeur sur cette carence, notamment par un courriel du 27 juin 2017 ; troisièmement, que la société a calculé cette partie variable unilatéralement et en totale opacité, en versant au salarié 5.000 euros au titre de l'année 2016, 7.312 euros au titre de l'année 2017, et 3.217 euros au titre de l'année 2018, sans y apporter de justifications.

Or, lorsque la rémunération variable d'un salarié dépend d'objectifs définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, en l'absence de fixation desdits objectifs, la rémunération variable doit lui être intégralement versée. (C.cass, 07 juin 2023 n° 22-10.196).

Ainsi, il incombait à la SAS Dekra Industrial, d'une part, de se soumettre aux stipulations contractuelles, en fixant des objectifs à M. [L], ce dont elle s'est abstenue.

D'autre part, en l'absence de fixation d'objectifs, elle devait lui verser intégralement la rémunération variable due, soit, en l'espèce, 15 % de la partie fixe de sa rémunération annuelle brute.

Dès lors, en se soustrayant à ses obligations contractuelles et en privant, ainsi, M. [L] d'une partie importante de sa rémunération variable, la société a, incontestablement, commis des manquements graves.

En outre, la cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Dekra Industrial à verser à M. [L] la somme de 27.629 euros brut, au titre de rappels de salaire sur la rémunération, correspondant à la différence entre les sommes effectivement allouées au salarié et celles correspondant au versement intégral de la rémunération variable sur les années 2016, 2017 et 2018, dues en l'absence de fixation d'objectifs.

b. Sur l'absence de versement du supplément temporaire de rémunération au titre de l'intérim sur le poste de directeur BL QHSE

M. [L] fait grief aux premiers juges d'avoir écarté ce manquement, constitué par l'absence de versement d'un complément de rémunération en contrepartie de l'exécution temporaire des fonctions de directeur BL QHSE, entre février et juillet 2019, en sus de ses missions habituelles.

En réplique, la SAS Dekra Industrial argue, d'une part, de l'omission de ce grief dans le courrier de prise d'acte de rupture, d'autre part, du versement de ce complément de rémunération, prévu par l'article 25 de la convention collective ne prévoit aucune échéance de paiement, sur le dernier bulletin de paie du salarié.

Concernant l'omission du grief dans le courrier de prise d'acte de rupture, il convient de se reporter aux développements précédents.

En l'espèce, par courrier du 06 février 2019, la SAS Dekra a confié une " mission additionnelle " à M. [L], consistant en l'exercice des fonctions de directeur BL QHSE, afin de suppléer " l'absence actuelle de M. [G] [V] ". Et il résulte des pièces versées aux débats que la mission additionnelle s'est étendue du 06 février 2019 au 15 juillet 2019.

L'article 25 de la convention collective applicable à l'entreprise prévoit : " Dans le cas où un ingénieur ou cadre assurerait pendant une période qui s'étendrait au-delà de 3 mois l'intérim d'un poste de classification supérieure entraînant pour lui un surcroît de travail ou de responsabilité, il bénéficiera, à partir du quatrième mois et pour les 3 mois écoulés, d'un supplément temporaire de rémunération.

Ce supplément mensuel sera égal aux 3/4 de la différence entre les appointements minima garantis applicables pour sa position repère et les appointements minima garantis applicables pour la position repère du cadre dont il assure l'intérim ; les appointements minima garantis sont ceux fixés par le barème national en vigueur pour le mois considéré ".

Ainsi M. [L], ayant assuré l'intérim d'un poste de classification supérieure de directeur BL QHSE, durant plus de cinq mois, aurait dû bénéficier d'un supplément temporaire de rémunération.

La SAS Dekra Industrial, affirme qu'elle a versé ledit supplément sur le solde de tout compte postérieurement à la prise d'acte de rupture, et invoque l'absence de stipulations conventionnelles régissant les modalités, et la date de son versement.

Toutefois, l'alinéa 2 de l'article 25 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie prévoit expressément que " [l'ingénieur ou le cadre qui a assuré l'intérim d'un poste de classification supérieure] bénéficiera, à partir du quatrième mois et pour les 3 mois écoulés, d'un supplément temporaire de rémunération ".

Dès lors, M. [L] aurait dû bénéficier de ce supplément temporaire de rémunération à compter du mois de juin 2019, ce qui ne fût le cas, en l'espèce, illustrant, ainsi, le manquement de la SAS Dekra.

Il est indifférent que la SAS Dekra se soit, in fine, acquittée des sommes dues dans le solde de tout compte, soit postérieurement à la rupture.

2. Sur la charge de travail et le temps de travail

Par son courrier du 17 septembre 2019, M. [L] reproche à la SAS Dekra Industrial les manquements suivants : " (') - Il a été successivement rajouté à ma fonction des missions complémentaires, sans définition de poste précise, mais rajoutant des charges de travail extrêmement conséquentes.

Cela m'a conduit à dépasser le forfait jour et plus généralement à du surmenage.

- L'entreprise n'a jamais assuré un suivi de ma charge de travail dans ce cadre ".

a. Sur le rajout de missions, et l'absence de définition de poste précise

La SAS Dekra Industrial fait grief aux premiers juges d'avoir retenu un tel manquement, alors, que le poste de M. [L] a été défini par une lettre d'accompagnement adjointe à l'avenant du 17 février 2015, et qu'elle n'a jamais procédé à l'ajout de missions autres que celles convenues contractuellement.

En l'espèce, par un avenant du 17 février 2015, la SAS Dekra a confié à M. [L] les fonctions d'" adjoint au directeur BL QHSE ", à compter du 1er mars 2015.

Par un courrier du même jour, la société a explicité les missions incombant au salarié dans les termes suivants :

" (') nous vous proposons un poste d'adjoint au directeur de la BL QHSE dont la mission principale est le développement des produits QSSE (principalement A&C, SSP et Mesures) sur un plan national.

Rattaché au directeur BL QHSE, ce poste revêt une véritable importance stratégique pour orienter et mettre en cohérence le business des différentes lignes de produits en travaillant à la fois sur le business modèle, le cross-selling, l'innovation et l'adaptation au marché, et partager ainsi activement notre ambition de porter cette BL de 27 à 70 M€ CA dans les 5 ans à venir.

(').

En parallèle, vous exercerez les missions complémentaires suivantes :

- Référent national Audit & Conseils (définition ci-jointe)

- Management opérationnel des lignes de produit QSSE au sein de l'agence Alsace avec les fonctions suivantes : Responsables Métier Opérationnel Audits & Conseils et Coordinateur QSSE (définition ci-jointe) (') ".

Force est de constater que la définition des fonctions occupées à compter de février 2015 n'est pas précise, mais formulée sur la base de généralités.

M. [L] produit en outre six courriels, s'étendant du 1er juillet 2016 au 02 mars 2018, desquels il ressort que son positionnement au sein de la BL QHSE générait des incompréhensions auprès du personnel et par lesquels plusieurs demandes ont été émises auprès de la direction sur l'allègement de la charge de travail et sur la " définition précise " de ses fonctions, ainsi que leur " poids dans l'organisation (périmètre, responsabilité et moyens associés notamment) ".

La SAS Dekra Industrial, quant à elle, ne produit aucune pièce justifiant d'une réponse aux demandes répétées du salarié.

M. [L] ajoute, ensuite, que les missions de directeur BL QHSE, exercées à titre provisoire entre le 06 février et le 15 juillet 2019, et s'ajoutant à ses fonctions contractuelles, ont détérioré ses conditions de travail.

C'est à ce titre que, par un courriel du 24 juillet 2019, M. [L] a notamment dressé l'historique des tâches qui lui ont été, progressivement, attribuées, puis a évoqué sa charge de travail, ainsi que les défaillances de la direction en ces termes : " ('). Je suis amené à devoir effectuer de nombreux déplacements et à participer à des réunions supplémentaires [du fait de l'exercice temporaire des missions de directeur BL QHSE]. Cela se traduit par une charge de travail en sus très conséquente, ainsi qu'une représentation au COMEX de l'entreprise.

À aucun moment il n'a été prévu ou proposé de me soulager de mes autres fonctions ou missions, et aucune communication n'a été faite à l'ensemble du réseau à l'exception d'un nombre restreint de destinataires, ce qui engendre mécaniquement beaucoup de confusions, de dysfonctionnements internes, puisque je ne suis pas officiellement en charge de cette fonction et des responsabilités associées (') ".

Ainsi, il ressort des pièces versées aux débats que M. [L] n'a jamais bénéficié d'une précision des fonctions prises le 17 février 2015, de l'allocation de moyens propres à leur exercice, et d'un allègement de sa charge de travail, malgré ses demandes répétées, notamment par courriels des 1er juillet 2016, 14 mars 2017, 06 juin 2017, 27 juin 2017 et 02 mars 2018, et qu'en outre il a en sus remplacé le directeur BL QHSE, du 06 février au 15 juillet 2019, sans aucune décharge.

Dès lors, en demeurant inerte face aux alertes du salarié, notamment sur sa charge de travail, l'inadéquation des moyens pour y faire face, et l'imprécision concernant son périmètre d'action, malgré des sollicitations émises par ce dernier, la société a commis des manquements graves.

C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a retenu ce grief.

b. Sur le non-respect des conditions de validité du forfait-jours

La SAS Dekra Industrial fait grief aux premiers juges d'avoir retenu ce manquement en affirmant, d'une part, qu'ils se sont fourvoyés en considérant que la convention de forfait en jours résultait de l'application de l'accord d'entreprise du 07 juin 2015, d'autre part, qu'elle s'est acquittée des obligations de suivi de la charge de travail, conformément aux dispositions légales.

- Sur la conclusion du forfait-jours

L'article L. 3121-55 du code du travail dispose : " La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit ".

L'article L. 3121-58 du code du travail dispose : " Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année, dans la limite du nombre de jours fixé en application du 3° du I de l'article L. 3121-64 :

1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées ".

L'article L. 3121-63 du code du travail dispose : " Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ".

En l'espèce, M. [L] a été engagé par la SAS Dekra Inspection, à compter du 05 mars 2012, par un contrat de travail à durée indéterminée qui comprenait la clause suivante :

" Convention de forfait annuel en jours : En application de l'accord d'entreprise du 07 juin 2005, vos responsabilités et la nature spécifique de vos missions font que la réduction du temps de travail s'effectue dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jours.

Cette convention comporte un nombre de jours de travail dans l'année pouvant varier en fonction des aléas du calendrier et des droits à congés payés que vous aurez acquis ".

Le 17 février 2015, M. [L] initialement embauché par la société Dekra Inspection, a signé un avenant à son contrat de travail, avec la SAS Dekra Industrial, comportant la clause suivante :

" Convention de forfait annuel en jours : vos responsabilités et la nature spécifique de vos missions font que la réduction du temps de travail s'effectue dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jours.

Cette convention comporte un nombre de jours de travail dans l'année pouvant varier en fonction des aléas du calendrier et des droits à congés payés que vous aurez acquis. Elle s'entend d'un forfait annuel de 218 jours travaillés ".

Ainsi, eu égard à ses fonctions d'adjoint au directeur BL QHSE, M. [L] remplissait les conditions pour conclure une convention individuelle de forfait en jours, conformément à l'article L. 3121-58 du code du travail.

Cependant, les parties ne s'accordent pas sur le fondement conventionnel de la convention individuelle de forfait en jours.

En effet, M. [L] affirme que celle-ci a été conclue en application de l'accord d'entreprise du 07 juin 2015, comme énoncé dans son contrat de travail conclu avec la SAS Dekra Inspection, alors qu'il est incontestable qu'il était lié à une autre société, soit la SAS Dekra Industrial, au moins à compter de la signature de l'avenant daté du 17 février 2015.

La SAS Dekra Industrial, quant à elle, invoque, comme fondement conventionnel, la convention collective des ingénieurs et cadres du 13 mars 1972, laquelle ne prévoit pourtant aucune stipulation relative au forfait jours, et l'article 14 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie, lequel régit la conclusion de forfait jours au sein des entreprises entrant dans son champ d'application.

La convention de forfait en jours signée par M. [L] le 17 février 2015 remplit donc les conditions prévues par les articles précités du code du travail.

- Sur les obligations de l'employeur

L'article L. 3121-64 du code du travail, en son II., dispose : " L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17 ".

L'article 14 de l'accord national du 28 juillet 1998 sur l'organisation du travail dans la métallurgie prévoit les stipulations suivantes :

" Le forfait en jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés. Afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises, l'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail auxquels le salarié n'a pas renoncé dans le cadre de l'avenant à son contrat de travail visé au 2e alinéa ci-dessus. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur.

Le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail.

En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées d'activité. Cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés. A cet effet, l'employeur affichera dans l'entreprise le début et la fin de la

période quotidienne du temps de repos minimal obligatoire visé à l'alinéa 7 ci-dessus. Un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir d'autres modalités pour assurer le respect de cette obligation ".

Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet la convention de forfait.( C.cass 02 juillet 2014 n° 13-11.940).

Or, il ressort des pièces versées aux débats que :

- la SAS Dekra Industrial n'a accompagné le forfait en jours d'aucun contrôle du nombre de jours travaillés, ce contrôle devant être matérialisé par un document faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées ;

- si la société produit le compte-rendu de l'entretien professionnel, réalisé en 2016, au cours duquel ont été évoquées l'organisation et la charge de travail du salarié, elle ne verse aux débats aucune pièce attestant de la réalisation d'un tel entretien durant les années suivantes ;

- la SAS Dekra Industrial n'a, manifestement, pas préservé le caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail de M. [L], eu égard aux pièces produites par celui-ci ;

- à défaut de la production d'une pièce attestant du contraire, que la société n'a pas affiché dans l'entreprise le début et la fin de la période quotidienne du temps de repos minimal obligatoire.

Ainsi, il résulte de ce qui précède que la convention de forfait en jours doit être déclarée privée d'effet, en ce que la SAS Dekra Industrial a méconnu les clauses de l'accord collectif du 28 juillet 1998 destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au forfait en jours.

En se soustrayant à ses obligations conventionnelles et en demeurant inerte face à la surcharge de travail de M. [L], lequel produit de nombreuses pièces attestant de l'exécution de ses fonctions sur ses temps de repos légaux, tels les samedis et dimanches, la SAS Dekra Industrial a commis des manquements graves.

C'est à juste titre que le conseil des prud'hommes a retenu ce grief.

3. Sur la modification unilatérale du contrat de travail et sa rétrogradation

Par courrier de pris acte de la rupture du 17 septembre 2019, M. [L] fait grief à la SAS Dekra Industrial des manquements suivants :

" - Au mois de juillet dernier, j'ai été convoqué brusquement pour me faire dire que ma mission et plus généralement la fonction d'adjoint au directeur de la BL QHSE disparaissait, et que je devrai choisir entre deux postes : un poste d'adjoint au directeur BL Bâtiment ou un poste de responsable opérationnel régional.

J'ai été invité à prendre rendez-vous avec M. [H] [N], ce que j'ai fait.

Lorsque je l'ai rencontré à [Localité 5], il m'a indiqué qu'il n'avait pas besoin de moi à ses côtés !

Il m'a exposé que la seule possibilité qui m'était offerte était d'accepter un poste de responsable opérationnel qui n'est rien d'autre qu'une rétrogradation et qu'il n'y avait aucune alternative ".

M. [L] fait grief aux premiers juges d'avoir rejeté ce manquement, alors, d'une part, que la SAS Dekra Industrial l'a informé, oralement, de la suppression de son poste d'adjoint au directeur BL QHSE, d'autre part, qu'elle a tenté de lui imposer une rétrogradation en lui proposant d'exercer les fonctions de responsable métier opérationnel (RMO) A&C Nord-Est, ainsi qu'une mission provisoire complémentaire de deux mois pour formaliser la stratégie et vision 2025 des métiers QSSE pour le compte de la BL QHSE.

Il est constant que l'employeur ne peut imposer au salarié un changement de qualification entraînant l'exécution de tâches différentes (Cass. Soc., 20 octobre 1976, n° 75-40.843), ou une diminution conséquente de ses responsabilités et prérogatives (Cass. Soc., 06 avril 2011, n° 09-66.818), ces décisions constituant une modification du contrat de travail pouvant justifier une prise d'acte de rupture de celui-ci lorsqu'elles en empêchent la poursuite.

En l'espèce, M. [L], exerçant les fonctions d'adjoint au directeur BL QHSE depuis le 1er mars 2015, a assuré, temporairement et conjointement, les missions de directeur BL QHSE, à compter du 06 février 2019.

M. [L] affirme que, lors d'un entretien avec M. [M] [I], directeur général, le 15 juillet 2019, il a été informé, oralement, du terme de sa mission additionnelle de directeur BL QHSE. Une note interne, diffusée le même jour à l'ensemble du personnel de la société, confirme l'achèvement de cette mission temporaire.

M. [L] assure que lors de deux entretiens, organisés le 17 juillet 2019, le premier avec le directeur général, et la directrice des ressources humaines, le deuxième avec M. [H] [N], le nouveau directeur BL QHSE, il a été informé, oralement, d'une part, de la suppression prochaine de son poste d'adjoint au directeur BL QHSE, d'autre part, des nouvelles propositions.

Par courriel du 17 juillet 2019, M. [L] s'est adressé à M. [N], nouveau directeur BL QHSE, en les termes suivants : " (') j'ai pris connaissance aujourd'hui de ta proposition. Sur le retour, un doute s'est installé. Je résume.

Il s'agit d'occuper à 100 % la fonction de RMO A&C Nord-Est et de la compléter d'une mission additionnelle de quelques mois pour formaliser la stratégie et vision 2025 des métiers QHSE pour le compte de la BL QHSE dont tu assumeras la direction (') ".

Par courriel du 19 juillet 2019, M. [L], s'adressant toujours à M. [N], a regretté son absence de réponse et mentionné ceci : " (') déjà que tu m'as particulièrement déstabilisé en m'annonçant que tu n'avais pas besoin d'adjoint et que tu n'avais qu'une seule offre à me faire (') ".

M. [N], par courriel du même jour, a répondu à M. [L] en ces termes : " ('). Pour ce qui concerne ta question principale concernant une mission ponctuelle sur la stratégie QHSE, je te confirme que le délai devrait être de l'ordre de 1,5 mois à 2 mois.

Concernant cette proposition, tu es évidemment libre de l'accepter ou non (') ".

Ainsi, il résulte de ces pièces que M. [L] a bien été informé, par voie orale, de la suppression prochaine de son poste d'adjoint au directeur BL QHSE et que lui ont été proposées l'exercice de nouvelles fonctions, en sus d'une mission provisoire complémentaire.

En outre, il ressort d'une pièce retranscrivant l'organisation matricielle au sein de la société que les fonctions de RMO entrent dans un lien hiérarchique subordonné à la direction BL et, ainsi, à son adjoint (pièce 38 intimé). Dès lors, M. [L], en intégrant des fonctions de RMO, aurait vu ses responsabilités et prérogatives s'amenuir.

Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'aucune formalisation écrite des volontés de la SAS Dekra n'est versée aux débats, ni aucune preuve de leur effectivité, après les entretiens précités, en ce que le salarié occupait encore ses fonctions contractuelles au jour de la prise d'acte de rupture, nonobstant son arrêt de travail courant depuis le 06 août 2019.

Par conséquent, la modification unilatérale du contrat et, par là-même, la rétrogradation ne sont pas constituées, de sorte que c'est à juste titre que le conseil des prud'hommes n'a pas retenu ce grief.

4. Sur le harcèlement moral

M. [L] fait grief aux premiers juges de l'avoir débouté de ses demandes tendant à ce que sa prise d'acte de rupture produise les effets d'un licenciement nul à raison du harcèlement moral dont il a été victime.

L'article L. 1152-1 du code du travail dispose : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".

L'article L. 1154-1 du code du travail dispose : " Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".

Lorsque l'altération de l'état de santé du salarié est en lien avec le comportement de l'employeur dont les agissements répétés avaient eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul. (C.cass 20 septembre 2018 n° 16-26.152)

En l'espèce, M. [L], invoquant les manquements imputés à la SAS Dekra Industrial dans le cadre de sa prise d'acte de rupture, affirment que ceux-ci et leurs conséquences sur son état de santé caractérisent l'existence d'un harcèlement moral.

a. Sur les éléments établis par le salarié

Au titre des faits qu'il lui appartient d'établir et de présenter, M. [L] invoque les éléments suivants :

- L'absence de fixation d'objectifs et le non-versement de l'intégralité de la rémunération variable ;

- L'absence de versement du supplément temporaire de rémunération au titre de l'intérim sur le poste de directeur BL QHSE ;

- Une surcharge de travail, conséquence d'un rajout de missions, sans définition de poste précise ;

- L'inobservation des clauses de l'accord collectif, régissant la convention de forfait jours, destinées à assurer la santé et la sécurité des salariés ;

- Une modification unilatérale du contrat de travail et sa rétrogradation.

Eu égard aux développements précédents, seuls les faits relatifs à la modification unilatérale du contrat de travail, et à la tentative de rétrogradation ne sont pas établis.

Afin d'attester des conséquences sur sa santé des faits précités, M. [L] produit, notamment, un arrêt de travail émis le 06 août 2019 et un compte-rendu du médecin du travail, rédigé à l'issue de la visite du 1er août 2019, par lequel ce dernier a constaté que l'intimé " est fatigué, se sent épuisé, a trop donné, " est en colère ", " déception ", " manque de respect ", " et justifie d'un suivi par un psychiatre ainsi que d'un suivi rapproché par son médecin traitant tous les deux mois.

Il résulte de ce qui précède que le salarié établit des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il convient, par conséquent, d'examiner les éléments objectifs apportés en réponse par l'employeur.

b. Sur les réponses objectives apportées par l'employeur

Sur l'absence de fixation d'objectifs et le non-versement de l'intégralité de la rémunération variable, la SAS Dekra Industrial réplique qu'elle a évalué M. [L], mais que ce dernier n'a pas atteint l'intégralité des objectifs fixés, ce qui est pour le moins contradictoire, précisément en l'absence de fixation d'objectifs.

Ainsi la société n'apporte aucune explication objective à l'absence de fixation d'objectifs, ni au versement d'une rémunération variable calculée unilatéralement, et de manière opaque durant trois années, ni encore à l'absence de versement des 15 % prévus, faute de fixation des objectifs.

Sur l'absence de versement du supplément temporaire de rémunération au titre de l'intérim sur le poste de directeur BL QHSE, la SAS Dekra Industrial réplique qu'elle a versé la prime sur le solde de tout compte. Ce versement intervenu postérieurement à la rupture, ne constitue pas une explication objective à l'absence de paiement durant la relation contractuelle.

Sur la surcharge de travail, conséquence d'un rajout de missions, sans définition précise de poste, la SAS Dekra Industrial réplique que M. [L] ne démontre pas avoir subi une charge de travail trop élevée, ce qui est inexact.

Par ailleurs la société est demeurée inerte face aux alertes du salarié, lequel a fait part à de nombreuses reprises, par différents courriels, de la charge de travail excessive à laquelle il était soumis. Aucune explication objective n'est apportée par l'employeur.

Sur l'inobservation des clauses de l'accord collectif, régissant la convention de forfait jours, destinées à assurer la santé et la sécurité des salariés, la SAS Dekra Industrial réplique à tort que M. [L] a fait l'objet d'un suivi dans le cadre de l'application de sa convention de forfait en jours.

Là encore l'employeur n'apporte aucun élément objectif permettant de justifier qu'il se soit totalement affranchi des stipulations conventionnelles destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au forfait en jours.

c. Sur la synthèse s'agissant du harcèlement moral

Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SAS Dekra Industrial ne parvient pas à renverser la présomption de harcèlement moral, en apportant des éléments objectifs établissant que ses décisions et manquements sont étrangers à tout harcèlement moral. Et ce d'autant que le salarié justifie d'une dégradation de son état de santé.

Peu importe que ces manquements relèveraient d'une défaillance organisationnelle, ou de carences managériales, dès lors que le caractère volontaire n'est pas exigé pour retenir le harcèlement moral.

Le harcèlement moral est par conséquent établi contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges.

B. Sur les effets de la prise d'acte

1. Sur les effets d'un licenciement nul

La SAS Dekra Industrial a manqué à ses obligations à plusieurs titres tel que jugé ci-dessus.

Ces manquements répétés constituent des motifs suffisamment graves pour justifier une prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur, sur ce point le jugement est confirmé.

En outre en application de l'article L1152 3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152 1 et L. 1152 2, toute disposition, ou tout acte contraire, est nul.

En l'espèce, la prise d'acte est justifiée par les faits qui ont été retenus au titre du harcèlement entraînant une dégradation de l'état de santé du salarié.

En conséquence, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul, et non pas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a jugé que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a débouté M. [L] de ses demandes tendant à déclarer nul le licenciement, et à obtenir des dommages et intérêts majorés.

2. Sur les conséquences financières

- Sur le salaire moyen de référence

Le salaire moyen de référence de M. [L] s'élève à 7.516,48 euros, compte tenu de la réintégration, d'une part, du supplément temporaire de rémunération, versé dans le cadre du solde de tout compte, , d'autre part, du rappel de rémunération variable au titre de l'année 2019, laquelle aurait dû lui être versée intégralement, eu égard à l'absence de fixation d'objectifs.

- Sur les indemnités de licenciement, de préavis et les congés payés afférents

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a alloué à M. [L] une indemnité de licenciement d'un montant de 14.163,50 euros nets, une indemnité compensatrice de préavis de 22.549,45 euros brut, outre 2.254,94 euros brut au titre des congés payés afférents.

- Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

S'agissant d'un licenciement nul, selon l'article L 1235-3-1 du code du travail, les barèmes d'indemnisation de l'article L 1235-3 ne sont pas applicables, et le salarié se voit octroyer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant du salaire, de l'âge du salarié, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation, et son expérience professionnelle, ainsi qu'une période limitée d'absence d'emploi entre septembre 2019 et janvier 2020, et des conséquences du licenciement à son égard, il y a lieu de condamner la société appelante à payer à M. [L] la somme de 50.000 € bruts à titre de dommages et intérêts, ce qui entraîne l'infirmation du jugement sur ce point.

II. Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité

M. [L] fait grief aux premiers juges de l'avoir débouté de sa demande tendant à obtenir paiement de dommages et intérêts d'un montant de 65.300 euros nets pour le préjudice moral subi, en exposant que le harcèlement moral subi résulte de la violation de l'obligation de santé de sécurité.

L'article L. 4121-1 du code du travail dispose : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ".

L'article L. 4121-2 du code du travail dispose : " L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ".

L'inobservation des dispositions légales ou conventionnelles dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours constitue un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité. (Cour Cass. 02 mars 2022 n° 20-16.683).

Or, en l'espèce, il résulte des développements précédents que la SAS Dekra Industrial a commis plusieurs manquements à l'obligation de sécurité, en ce qu'elle n'a pas appliqué les dispositions conventionnelles protectrices, régissant la convention de forfait en jours, elle est demeurée inerte face aux alertes, émises par M. [L], sur sa surcharge de travail, alors que le salarié a exercé ses fonctions sur ses temps de repos légaux, à plusieurs reprises durant trois ans.

Enfin, il est incontestable que la santé de M. [L] a été altérée par la surcharge de travail, eu égard aux éléments médicaux produits.

Ainsi, la SAS Dekra Industrial ayant manqué à son obligation de sécurité, caractérisant par ailleurs un harcèlement moral, la cour infirmera le jugement entrepris et condamnera la société à verser à M. [L] la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts.

III. Sur l'indemnité pour non-respect de la convention de forfait en jours et violation de la législation sur le temps de travail

1. Sur le jugement entrepris

Il convient de rappeler que le conseil des prud'hommes a condamné la SAS Dekra Industrial à verser à M. [L] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du forfait jours et violation de la législation sur le travail.

Or, il résulte des développements précédents que la convention de forfait jours ne souffrait d'aucune invalidité, mais était privée d'effet du fait de l'inobservation, par la SAS Dekra Industrial, des clauses conventionnelles destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé de M. [L].

En effet, le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet la convention de forfait (Cour cass 02 juillet 2014 n° 13-11.940).

A contrario, le non-respect par l'employeur des dispositions de l'accord d'entreprise relatives à l'exécution de la convention de forfaits en jours n'a pas pour effet la nullité de la convention individuelle de forfait en jours (Cass. Soc., 22 juin 2016, n°14-15.171).

Ainsi, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a constaté " le non-respect des conditions de validité du forfait jours " et condamné la société appelante à verser M. [L] la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts à ce titre.

2. Sur la demande subsidiaire de paiement d'heures supplémentaires

À hauteur de cour, M. [L] sollicite la condamnation de la SAS Dekra à lui verser la somme de 41.700,75 euros à titre de rappel des heures supplémentaires, outre 4.170,07 euros brut au titre des congés payés y afférent.

La SAS Dekra Industrial, réplique que la demande de M. [L] est nouvelle et prescrite, et par conséquent qu'elle est irrecevable, sans cependant soulever ces irrecevabilités dans le dispositif de ses conclusions, qui seul saisi la cour. Il y est donc répondu surabondamment.

En outre, elle affirme que cette demande a le même objet que celle relative au dépassement du forfait jours et que M. [L] n'apporte aucun élément permettant de prouver qu'il aurait effectué des heures supplémentaires.

- Sur la nouveauté de la demande

L'article 564 du code de procédure civile dispose : " À peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ".

L'article 566 du code de procédure civile dispose : " Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ".

La demande de paiement d'heures supplémentaires étant la conséquence de la prétention initiale tendant à obtenir la " non-validité " de la convention de forfait en jours, ne peut être jugée nouvelle.

- Sur la prescription

L'article R. 1452-1 du code du travail dispose que : " La demande en justice est formée par requête. La saisine du conseil de prud'hommes, même incompétent, interrompt la prescription ".

En l'espèce, M. [L] a rompu son contrat de travail, le 17 septembre 2019, par la notification d'une prise d'acte de rupture.

Il a, ensuite, saisi le conseil des prud'hommes par requête du 04 juin 2020, date à laquelle la prescription s'est donc interrompue.

Devant la juridiction d'appel, M. [L] a formé une demande tendant à obtenir la condamnation, à titre subsidiaire, de la SAS Dekra Industrial à lui verser la somme de 41.700,75 euros brut à titre de rappel des heures supplémentaires, conséquence de la " non-validité " de la convention de forfait en jours.

En formant cette demande, qui constitue la conséquence d'une des prétentions soumises au premier juge, à hauteur de cour, M. [L] bénéficie de l'interruption de la prescription édictée par l'article R. 1452-1 précité, laquelle court à compter de la saisine du conseil des prud'hommes.

Ainsi, sa demande tendant à obtenir la condamnation de la SAS Dekra Industrial à lui verser une somme à titre de rappel des heures supplémentaires n'est pas prescrite.

- Sur le fond

En l'espèce, dès lors que la convention de forfait en jours a été jugée inopposable au salarié, celui-ci est fondé à réclamer le paiement des heures non-rémunérées effectuées au-delà de la durée légale de travail.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l''existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

À l'appui de ses demandes, M. [L] produit des décomptes, s'étendant de la 38ème semaine de l'année 2016 à la 38ème semaine de l'année 2019, des heures supplémentaires qu'il indique avoir réalisées ainsi que plus d'une soixantaine de courriels emis entre le 06 janvier 2017 et le 04 juillet 2019, aux fins d'attester de l'exercice de ses fonctions sur ses jours de repos légaux, tels les samedis et dimanche.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

En réplique, la SAS Dekra Industrial se borne à affirmer que le salarié n'apporte aucun élément permettant de prouver qu'il a effectué des heures supplémentaires.

La SAS Dekra Industrial qui a pourtant la charge de contrôler les heures de travail des salariés, ne produit pas son propre décompte ni aucun élément susceptible de remettre en cause les éléments présentés par le salarié.

Il y a par conséquent lieu de faire droit à la demande et de condamner la SAS Dekra Industrial à verser à M. [L] la somme de 41.700,75 euros bruts à titre de rappel des heures supplémentaires, outre 4.170,07 euros brut au titre des congés payés afférent.

3.Sur la demande de rappel de salaires au titre du dépassement du forfait en jours

La SAS Dekra Industrial fait grief aux premiers juges de l'avoir condamnée à verser à M. [L] la somme de 3.354,93 euros bruts au titre du dépassement du forfait en jours, alors, d'une part, que la demande était prescrite, puisque nouvelle, et d'autre part, que M. [L] n'apporte aucun élément permettant de prouver qu'il aurait travaillé au-delà de 218 jours en 2017, 2018 et 2019.

- Sur la nouveauté de la demande et sa prescription

La SAS Dekra Industrial affirme que cette demande est nouvelle, et prescrite et donc irrecevable, sans là non plus viser ces irrecevabilités dans le dispositif de ses conclusions.

En l'espèce, M. [L] a saisi le conseil des prud'hommes de Strasbourg par une requête réceptionnée le 04 juin 2020, dans laquelle ne figurait pas la demande tendant à obtenir la condamnation de la SAS Dekra à lui verser des rappels de salaire au titre du dépassement du forfait jours.

Par conclusions transmises le 16 mars 2021, il sollicitait la première le versement de rappels de salaire à ce titre.

Toutefois, cette demande se rattachant par un lien suffisant à la demande portant sur la " non-validité " du forfait en jours, est une demande additionnelle, et donc recevable. De ce fait, M [L] bénéficiait de l'interruption de la prescription édictée par l'article R. 1452-1 laquelle court à compter de la saisine du conseil des prud'hommes.

- Sur le dépassement du forfait en jours

La cour déclarant la convention de forfait en jours privée d'effet, la SAS Dekra Industrial est condamnée à verser à M. [L] la somme de 41.700,75 euros à titre de rappel des heures supplémentaires, outre les congés payés afférent.

Par conséquent la demande tendant à obtenir la somme de 3.354,93 euros à titre de rappels de salaires en vertu du dépassement du forfait en jours a le même objet que celle tendant à obtenir le rappel des heures supplémentaires, conséquence de l'inopposabilité de la convention de forfait en jours.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

4. Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

- Sur la prescription

La SAS Dekra Industrial affirme à tort, (là encore sans soulever l'irrecevabilité dans le dispositif de ses conclusions) que la demande de M. [L] est nouvelle et prescrite. Or sa demande transmise par conclusions du 16 mars 2021 au conseil des prud'hommes se rattache par un lien suffisant à la demande portant sur la " non-validité " du forfait en jours, et constitue une demande additionnelle. M [L] bénéficiait ainsi de l'interruption de la prescription édictée par l'article R. 1452-1 précité.

- Sur le travail dissimulé

M. [L] fait valoir que la SAS Dekra Industrial a volontairement dissimulé ses heures de travail, en ce qu'il a dénoncé, à plusieurs reprises, l'absence de définition précise de ses fonctions, générant ainsi une surcharge conséquente de travail et un grand nombre d'heures travaillées, y compris le soir, les week-ends et durant ses congés payés.

En outre, il soutient que la société s'est soustraite, sciemment, aux obligations découlant de la convention de forfait en jours, soit celles relatives à l'organisation d'un entretien annuel et au contrôle de la charge de travail. De ce fait, il en déduit que la SAS Dekra Industrial a continué à appliquer une convention qu'elle savait privée d'effet afin de s'exempter du paiement des heures supplémentaires.

L'article L. 8221-5 du code du travail dispose : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ".

L'article L. 8223-1 du code du travail dispose : " En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire "

Le non-respect par l'employeur de ses obligations en matière de contrôle de la charge de travail et l'application d'une convention de forfait privée d'effet, est toutefois insuffisant pour caractériser l'élément intentionnel exigé par les dispositions susvisées. Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

IV. Sur les demandes reconventionnelles de la SAS Dekra

A. Sur le préavis

La prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement nul, de sorte que la société ne peut-être que déboutée de cette demande reconventionnelle de payement.

B. Sur le rappel des JRTT

La SAS Dekra Industrial sollicite le remboursement des jours de repos accordés dans le cadre de la convention de forfait en jours, conséquence de son inopposabilité.

M. [L] réplique que la demande est irrecevable, car nouvelle, car présentée pour la première fois à hauteur d'appel.

- Sur la demande nouvelle

Vu les articles 564 et 566 du Code de Procédure Civile ci-dessus rappelés.

La demande tendant à obtenir le remboursement des jours de réduction du temps de travail est incontestablement l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire de l'inopposabilité du forfait en jours, elle ne constitue pas une demande nouvelle et est, de ce fait, recevable.

- Sur le fond

La SAS Dekra Industrial sollicite la condamnation de M. [L] à lui verser la somme de 5.140,74 euros bruts au titre des 22 jours de réduction du temps de travail accordés, indûment, dans le cadre de la convention de forfait en jours.

Lorsque la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis est privée d'effet, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention est devenu indu. (C.cass, ch.soc.06 janvier 2021n° 17-28.234).

Par conséquent M. [L] doit rembourser à la SAS Dekra Industrial une somme équivalente aux jours de repos accordés indûment dans le cadre de ladite convention.

Il convient par conséquent de faire droit à la demande de la SAS Dekra Industrial en condamnant M. [L] à lui verser la somme de 5.140,74 euros bruts à ce titre.

V. Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L 1132-4, L 1134-4, L 1144-3, L 1152-3, L 1152-4 L. 1235-3, et L 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées, ce qui est le cas en l'espèce ;

Il conviendra en conséquence d'ordonner le remboursement des indemnités éventuellement versées dans la limite de 3 mois.

Le présent arrêt se suffit à lui-même, sans que la cour n'ai à ordonné expressément le remboursement de sommes versées en première instance, ce point relevant de l'exécution de la décision.

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles, et aux dépens.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la SAS Dekra Industrial, succombant à hauteur d'appel, est condamnée aux dépens d'appel.

L'équité commande de la condamner à payer à la M. [L] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Strasbourg, le 25 anvier 2022, en ce qu'il a :

- dit que la rupture du contrat de travail revêt le caractère d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouté Monsieur [J] [L] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamné la SAS Dekra à verser à Monsieur [J] [L] la somme de 30.000 € de dommages et intérêts pour " non-respect des conditions de validité du forfait jours ", et violation de la législation sur le travail,

- condamné la SAS Dekra à verser la somme de 3.354,93 euros à titre de rappel de salaire au titre du dépassement du forfait-jours;

CONFIRME le jugement en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT que la prise d'acte de rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement nul ;

CONDAMNE la SAS Dekra Industrial à payer à Monsieur [J] [L] la somme de 50.000 € brut (cinquante mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

CONDAMNE la SAS Dekra Industrial à payer à Monsieur [J] [L] la somme de 8.000 € (huit mille euros) à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

DIT que la convention de forfait en jours est privée d'effet ;

CONDAMNE la SAS Dekra Industrial à payer à Monsieur [J] [L] la somme de 41.700,75 € brut (quarante et un mille sept cents et soixante quinze centimes) à titre de rappel des heures supplémentaires, outre 4.170,07 € brut (quatre mille cent soixante dix euros et sept centimes) au titre des congés payés y afférent ;

DÉBOUTE Monsieur [L] de sa demande tendant à obtenir la somme de 3.354,93 € brut à titre de rappels de salaires en vertu du dépassement du forfait en jours ;

DÉBOUTE la SAS Dekra Industrial de sa demande reconventionnelle tendant à obtenir payement du préavis non-effectué ;

CONDAMNE Monsieur [J] [L] à verser à la SAS Dekra Industrial la somme de 5.140,74 € brut (cinq mille cent quarante euros et soixante quatorze centimes) au titre des jours de réduction du temps de travail indûment accordés ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande tendant à ordonner la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire ;

ORDONNE le remboursement par la SAS Dekra Industrial aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées le cas échéant à Monsieur [J] [L] dans la limite de trois mois à compter de la rupture sur le fondement des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail ;

CONDAMNE la SAS Dekra Industrial à verser à Monsieur [J] [L] la somme de 3.000 € (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la SAS Dekra Industrial de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS Dekra Industrial aux dépens d'appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 09 juillet 2024 par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 22/00608
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-09;22.00608 ?
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