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08/07/2024 | FRANCE | N°23/02338

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 3 a, 08 juillet 2024, 23/02338


MINUTE N° 24/355

























Copie exécutoire à :



- Me Dominique BERGMANN

- Me Noémie BRUNNER





Le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 08 Juillet 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 23/02338 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IDBR



Décision déférée Ã

  la cour : jugement rendu le 24 mai 2023 par le Juge des contentieux de la protection d'ILLKIRCH GRAFFENSTADEN



APPELANT :



Monsieur [R] [O]

[Adresse 3]



Représenté par Me Dominique BERGMANN, avocat au barreau de COLMAR

Avocat plaidant : Me Fabi...

MINUTE N° 24/355

Copie exécutoire à :

- Me Dominique BERGMANN

- Me Noémie BRUNNER

Le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 08 Juillet 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 23/02338 - N° Portalis DBVW-V-B7H-IDBR

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 24 mai 2023 par le Juge des contentieux de la protection d'ILLKIRCH GRAFFENSTADEN

APPELANT :

Monsieur [R] [O]

[Adresse 3]

Représenté par Me Dominique BERGMANN, avocat au barreau de COLMAR

Avocat plaidant : Me Fabian HINCKER, avocat au barreau de Paris

INTIMÉ :

Monsieur [I] [P]

[Adresse 1]

Représenté par Me Noémie BRUNNER, avocate au barreau de COLMAR

Avocat plaidant : Me Laure KOROMYSLOV, avocate au barreau de Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme FABREGUETTES, présidente de chambre, et Mme DESHAYES, conseillère, un rapport de l'affaire ayant été présentée à l'audience.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme FABREGUETTES, présidente de chambre

Mme DESHAYES, conseillère

Mme GREWEY, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M.BIERMANN

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Isabelle FABREGUETTES, présidente et M. Jérôme BIERMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Monsieur [I] [P] est propriétaire d'une maison sise [Adresse 1] à [Localité 4].

Sur le fonds voisin, appartenant à Monsieur [R] [O], sis [Adresse 2], plusieurs plantations sont présentes.

Par acte du 20 octobre 2022, Monsieur [P] a assigné Monsieur [O] devant le tribunal de proximité d'Illkirch-Graffenstaden aux fins de le voir condamner sous astreinte à mettre ses plantations en conformité avec les dispositions des article 671 et 673 du code civil, ainsi qu'à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la prolifération des végétaux, outre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [O] a conclu à l'irrecevabilité et au mal fondé des demandes et à la condamnation de Monsieur [P] aux dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a également demandé qu'il soit enjoint au demandeur de faire intervenir à l'instance l'Ecole Européenne de psychothérapie socio et stomato analytique (EEPSSA), locataire de son fonds et dont il indique que l'activité requiert une confidentialité assurée par les végétaux.

Par jugement du 24 mai 2023, le tribunal de proximité d'Illkirch-Graffenstaden a :

-débouté Monsieur [R] [O] de sa demande visant à enjoindre à Monsieur [I] [P] de faire intervenir l'EEPSSA à la procédure,

-condamné Monsieur [R] [O] à procéder aux travaux de coupe et d'élagage des plantations situées en limite de propriété lui appartenant, afin de les ramener à une hauteur de deux mètres, à l'exception de la haie le long de la terrasse surélevée sur le fonds de Monsieur [I] [P], qui pourra être ramenée à une hauteur de trois mètres, ce sous astreinte provisoire de 10 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du jugement et pour une durée maximale de trois mois,

-condamné Monsieur [R] [O] à procéder, selon son choix, à l'arrachage ou à la réduction règlementaire des quatre chênes présents sur sa propriété et situés à une distance entre cinquante centimètres et deux mètres de la limite séparative de propriété avec le fonds appartenant à Monsieur [P], ce sous astreinte provisoire de 10 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du jugement et pour une durée maximale de trois mois,

-condamné Monsieur [R] [O] à procéder aux travaux de coupe et d'élagage des plantations situées en limite de propriété lui appartenant et empiétant sur le fonds de Monsieur [I] [P], ce sous astreinte provisoire de 10 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du jugement et pour une durée maximale de trois mois,

-s'est réservé la liquidation des astreintes en cas d'inexécution,

-débouté Monsieur [I] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour trouble anormal de voisinage,

-débouté Monsieur [R] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Monsieur [R] [O] à payer à Monsieur [I] [P] la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Monsieur [R] [O] aux entiers frais et dépens de l'instance,

-rappelé que le jugement est assorti de l'exécution provisoire.

Monsieur [R] [O] a interjeté appel de cette décision le 19 juin 2023.

Par dernières écritures notifiées le 12 février 2014, il a conclu ainsi qu'il suit, au visa de l'article 1er du protocole additionnel et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de la Convention relative à la protection du patrimoine mondial culturel et naturel signée le 16 novembre 1972, de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe et de la résolution 48/14 adoptée par le Conseil des droits de l'homme le 8 octobre 2021 et des articles 671 et 672 du code civil,

-déclarer l'appel de Monsieur [R] [O] recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

-infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur [P] en dommages et intérêts,

Statuant à nouveau,

-débouter Monsieur [I] [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Subsidiairement,

-dire que l'ensemble des haies, plantations situées en limite de propriété sur le terrain de Monsieur [O] devront être ramenées à une hauteur de trois mètres à compter du niveau effectif du terrain surélevé de Monsieur [I] [P], soit à une hauteur de cinq mètres,

-condamner Monsieur [I] [P] à payer à Monsieur [O] une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la coupe des arbres/arbustes sur son fonds portant atteinte de manière illégale à son droit de propriété,

-condamner Monsieur [I] [P] à payer à Monsieur [O] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Monsieur [I] [P] aux entiers frais et dépens de la procédure et de celle de première instance,

En tout état de cause,

-débouter Monsieur [I] [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions principales et reconventionnelles à hauteur d'appel,

-condamner Monsieur [I] [P] à payer à Monsieur [O] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Monsieur [I] [P] aux entiers frais et dépens de la procédure et de celle de première instance.

Il fait essentiellement valoir :

-sur la non-conformité des mesures des arbres, arbustes et la surélévation du terrain et de la construction des époux [P]: que les mesures prises par l'huissier de justice mandaté par ce dernier ne sont pas conformes à la jurisprudence, en ce qu'elles ne sont pas déterminées à partir de l'axe médian des troncs des arbres ; que Monsieur [P] a construit il y a douze ans une maison sur la parcelle adjacente et a procédé à une surélévation conséquente de son terrain de l'ordre de deux mètres, imposant ainsi un vis-à-vis important sur son fonds ; que sa terrasse, située à l'arrière de sa maison, jouxte la haie de cyprès qui a été plantée près de la limité de propriété, en accord avec les précédents propriétaires ; qu'à l'époque de la mise en place de la législation prévue aux articles 671 et suivants du code civil, aucune surélévation de terrain n'était pratiquée, de sorte qu'il convient de calculer la hauteur maximale des plantations en tenant compte d'une surélévation de trois mètres, afin d'assurer le respect de sa vie privée et la confidentialité de l'exercice professionnel de sa locataire, dont il précise que les élèves ne s'installent pas régulièrement le long du fonds de Monsieur [P], mais uniquement lui-même et sa famille ;

-sur la nécessaire prise en compte des obligations déontologiques de l'EEPSSA : que le terrain et les bâtiments dont il est propriétaire sont donnés à bail à l'EEPSSA depuis trente-deux ans ; qu'il convient de tenir compte des obligations déontologiques de sa locataire, qui exploite depuis quarante-six ans un centre de psychiatrie de groupe et une école de formation à destination notamment de femmes ayant subi de graves traumatismes sexuels et dont l'intimité absolue doit être protégée pendant leur prise en charge et toute intrusion extérieure empêchée et dont les soins sont aussi axés sur la nature et le bien être en communion avec l'environnement ; que la haie constitue le seul moyen d'atteindre ces buts et doit être maintenue à une hauteur suffisante ; que les dispositions des articles 671 et 672 ne sont pas d'ordre public et qu'il peut y être dérogé si nécessaire, ce d'autant que Monsieur [P] souhaite lui aussi préserver son intimité.

-sur la nécessité de prendre en considération les questions écologiques et la préservation de la nature : que son terrain constitue un immense parc d'environ un hectare, constituant à lui

seul un écosystème ; qu'il est l'un des poumons verts de la commune de [Localité 4], en bordure de l'église [5] ; que le droit au respect de la vie privée est protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de même que l'article 1er du Protocole additionnel préserve le droit au respect des biens ; que le contraindre à couper la haie et les arbres et arbustes en limite de propriété constituerait une atteinte disproportionnée au respect de ses droits et de ceux de sa locataire, résultant notamment du choix de l'intimé de surélever son terrain et sa terrasse ; que les conventions ratifiées par la France, notamment la convention de Bern et la résolution 48/14 du Conseil des droits de l'homme, visent à protéger la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe et le droit à un environnement propre, sain et durable ; que la protection de l'environnement et de la biodiversité qui fleurit dans son parc est une obligation étatique qui doit s'élever au-dessus des envies et des besoins strictement individuels de chacun.

Il fait valoir que l'intimé a pris la liberté de couper lui-même un certain nombre d'arbres et arbustes sur sa propriété ; qu'il est fondé à obtenir indemnisation de son préjudice.

Il conclut au rejet de la demande de Monsieur [P] tendant à l'obtention de dommages et intérêts pour résistance abusive, en ce que la preuve d'un dessein malicieux dans la mise en 'uvre de ses plantations n'est pas rapportée, non plus qu'un abus de droit ; que l'appel interjeté contre la décision de première instance justifie qu'il n'ait pas procédé à l'élagage ou aux arrachages ordonnés, dont le caractère définitif aurait privé d'intérêt son recours.

Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 27 mars 2024, Monsieur [I] [P] demande à la cour de déclarer l'appel mal fondé, le rejeter et par conséquent de :

-débouter Monsieur [R] [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

-confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

-condamner Monsieur [R] [O] à verser à Monsieur [I] [P] la somme de 3 500 euros pour résistance abusive ;

-condamner Monsieur [R] [O] à verser à Monsieur [I] [P] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamner Monsieur [R] [O] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.

Il fait valoir :

-sur le moyen tiré de la surélévation de son terrain et de sa construction : que la hauteur de la surélévation de son terrain, dont le premier juge a tenu compte, s'élève à un mètre ; qu'elle ne concerne que la terrasse et non l'intégralité de son terrain près de la limite séparative et ne peut pas justifier de maintenir les plantations à une hauteur dépassant celle prévue à l'article 671 du code civil, lequel la prescrit à deux mètres ; que l'appelant prétend sans parvenir à le démontrer qu'un accord aurait été passé avec les anciens occupants de son fonds ; que si Monsieur [O] estimait que sa construction présentait un risque pour la quiétude de ses activités, il était libre de contester le permis de construire, lequel est largement purgé à présent ; que lui-même n'a pas davantage remise en cause une nécessaire discrétion qu'il souhaite également préserver, dès lors que les séances organisées par l'établissement de l'appelant entraînent une occupation du terrain par ses élèves occasionnant du passage, du bruit et diverses nuisances dont les riverains du quartier subissent les désagréments ; que l'appelant ne peut raisonnablement faire référence à cette terrasse de deux mètres pour tenter d'obtenir l'autorisation d'élever sa haie à trois mètres puis cinq mètres comme il le souhaite dans le but de priver sa maison de lumière et de chaleur du soleil ; que la négligence manifeste de l'appelant entraine une prolifération de feuilles, pollens, et déchets verts qui par toute saison le contraint à un entretien hebdomadaire de sa toiture et de ses sols en raison de l'inertie de son voisin ;

-sur les obligations déontologiques du locataire du terrain : que Monsieur [O] qui a interjeté appel en sa qualité de propriétaire de son fonds n'a ni qualité ni intérêt à agir au nom de l'EEPSSA ; que l'argument selon lequel les élèves de cet établissement auraient besoin de confort et de discrétion n'est pas de nature à déroger aux règles relatives aux distances et hauteurs des plantations situées en bordure de limite séparative de propriété ;

-sur la prise en compte des considérations écologiques : que l'appelant n'établit pas que son « parc » présente des arbres répertoriés dans le plan vert de la commune ni même qu'aucun ne soit identifié comme arbre isolé remarquable dans le règlement du plan local d'urbanisme susceptible de lui accorder une protection spécifique ;

sur la résistance abusive exercée par Monsieur [O] : que de nouvelles photographies mettent en évidence l'inertie de Monsieur [O] qui tente d'expliquer son refus d'entretenir sa

végétation par des nécessités écologiques tout en soutenant que les détritus qui prolifèrent constitueraient du compost ; que l'appelant n'est pas fondé à lui faire grief d'avoir procédé conformément aux dispositions de l'article 673 alinéa 2 du code civil ; que Monsieur [O] n'a jamais souhaité s'exécuter et que son intention consiste à échapper aux obligations mises à sa charge ; qu'il avait admis devant les époux [P] son intention de laisser proliférer les végétations dans le but de cacher entièrement leur maison, et ce afin de leur nuire ; que l'appel a été interjeté dans la même logique de nuisance ; que le contexte des mauvaises relations de voisinage est amplement rapporté par les diverses attestations des voisins des parties.

MOTIFS

Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu les pièces régulièrement communiquées ;

Conformément aux articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier du paiement ou du fait qui a produit l'extinction de son obligation, chacun devant prouver les faits nécessaires au soutien de ses prétentions.

Il sera constaté que si aux termes de ses écritures d'appel Monsieur [O] conclut à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a débouté de sa demande visant à enjoindre à Monsieur [P] de faire intervenir l'EEPSSA à la procédure, il ne saisit pour autant pas la cour d'une demande en ce sens, se bornant à conclure au rejet des demandes de la partie adverse, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.

Sur les demandes en élagage et taille des arbres et arbustes de la propriété de Monsieur [O] :

Conformément aux dispositions des articles 671 et 672 du code civil, il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux, et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers, ou par des usages constants et reconnus, et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les

plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance

d'un demi-mètre pour les autres plantations, faute de quoi le voisin peut en exiger leur arrachage ou leur réduction à la hauteur précitée, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.

Les dispositions de l'article 671 précité ne s'appliquent que de manière supplétive, à défaut de convention, de règlements ou d'usages locaux constants et reconnus.

En l'espèce, l'intimé verse aux débats un procès-verbal de constat établi le 23 janvier 2023 par Maître [N] [D], commissaire de justice, qui indique que la haie de thuyas présente sur la propriété [O] dépasse sur la propriété des époux [P] et mesure plus de deux mètres ; que les thuyas dépassent à certains endroits les quatre mètres ; que les mesures ont été faites sur toute la longueur de la haie ; que la distance la séparant de la limite de propriété est à moins de deux mètres et à certains endroits de moins de cinquante centimètres ; qu'il est ainsi relevé une distance de trente centimètres entre un tronc et la limite de propriété et une distance de vingt centimètres entre un autre tronc et cette limite ; que les débris des tailles des arbres sont en amas sur le grillage et déforment celui-ci ; qu'un conifère dépassant largement deux mètres de haut est planté à moins de deux mètres de la limite des fonds ; qu'il existe à l'arrière de la maison des plants faisant plus de deux mètres de haut à moins de deux mètres de la limite ; que les branches de bouleaux et d'un chêne dépassent sur la propriété [P] ; que le tronc du chêne est à moins de deux mètres de la limite séparative.

Ainsi que le relève Monsieur [O], il ne résulte pas de ce constat que les mesures ont été prises à partir de l'axe médian des troncs des arbres et arbustes, ainsi qu'il est pourtant fixé par une jurisprudence constante.

Toutefois, l'examen des photographies illustrant le constat permettent de se convaincre que compte tenu de la circonférence des troncs des végétaux concernés, il est certain que les thuyas sont implantés à moins de deux mètres de la limite et que les spécimens mesurés à vingt et trente centimètres se trouvent à moins de cinquante centimètres ; que de même, le tronc du chêne est mesuré à moins d'un mètre de la limite (quatre-vingt-quinze centimètres précisément), de sorte qu'il est acquis qu'il est implanté à moins de deux mètres.

La preuve du non-respect des dispositions légales est ainsi rapportée pour la haie de thuyas, le conifère et le chêne.

Il ne résulte en revanche pas des pièces versées aux débats et notamment de ce constat que trois autres chênes seraient implantés irrégulièrement sur le terrain de Monsieur [O], de sorte que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné ce dernier à procéder à l'arrachage ou à la réduction de quatre chênes, seul un arbre de cette essence étant à prendre en considération. Il sera relevé à cet égard que si le constat mentionne la présence de bouleaux à proximité du chêne, aucune mesure n'a été prise quant à l'implantation de ces arbres, ce qui ne permet pas de caractériser un non-respect des dispositions légales précitées, dont la preuve incombe à Monsieur [P].

Aux termes de ses écritures, Monsieur [P] indique que la terrasse implantée sur l'arrière de son immeuble, à proximité de la haie de thuyas, est surélevée d'un mètre par rapport au niveau initial du terrain. Le premier juge a tenu compte de son accord pour fixer à trois mètres la hauteur maximale de la haie de thuyas le long de cette terrasse surélevée.

Monsieur [O] ne verse au dossier aucune pièce de nature à établir que cette surélévation serait plus importante, ce qui ne résulte pas des photographies versées aux débats.

Il est en tout état de cause de jurisprudence que les articles 671 et 673 du code civil font référence à la hauteur intrinsèque des arbres, indépendamment du relief des lieux et qu'il convient, pour calculer leur hauteur, de mesurer la distance séparant leur pied de leur sommet. C'est donc à juste titre que le premier juge s'est borné à constater l'accord de l'intimé pour augmenter la hauteur légale des plantations jouxtant la terrasse et a appliqué pour le surplus les distances légales.

L'appelant, qui se prévaut par ailleurs d'un accord conclu avec les anciens propriétaires et avec les époux [P] quant à l'implantation de la haie de thuyas en limite de propriété ne verse cependant aux débats aucune pièce de nature à démontrer la volonté commune des parties de s'affranchir des dispositions légales précitées, ce que l'intimé conteste formellement.

Monsieur [O] soutient également que les végétaux implantés sur son terrain sont nécessaires pour assurer la confidentialité des activités de sa locataire.

A l'appui de cette allégation, il produit trois attestations de témoins, indiquant avoir suivi la formation dispensée par l'EEPSSA, selon lesquelles: « (') il est souvent arrivé de faire des exercices dans le parc (') je ressens le besoin de ne pas être vue, la haie est donc sécurisante pour ce type de travail psychothérapeutique ; j'ai pu m'exprimer, moi-même, corps et âme devant mes formateurs car je savais que la confidentialité était respectée. Ainsi, le parc de l'école est également un lieu d'exercice (') la végétation qui entoure le parc, était pour moi sécurisant car je savais que mon intimé psychique était préservé des regards intempestifs. La haie de confidentialité a été pour moi une condition sine qua non pour permettre une expression entière et sécurisée ; la haie dont il est question constitue (') l'espace plébiscité par les participants qui souhaiterait s'isoler (') le parc est entretenu dans le respect de la nature, et de la vie (') ».

Pour autant et à supposer qu'en sa qualité de bailleur, Monsieur [O] se doive d'assurer à sa locataire des conditions particulières pour l'exercice de son activité, il sera relevé que la confidentialité réclamée ne nécessite en rien que dérogation soit faite aux distances légales des plantations. En effet, outre que la haie de thuyas, non plus que les autres végétaux, n'assure pas de protection phonique, la surface du terrain de l'appelant est de nature à permettre la plantation de végétaux à une distance supérieure à deux mètres de la limite séparative des fonds, dont la hauteur ne serait pas régie par les articles 671 et 672 du code civil, propres à assurer une protection visuelle et à isoler les occupants du terrain du voisinage.

Enfin, Monsieur [O] ne peut faire reproche au premier juge de n'avoir pas recherché si des dispositions dérogatoires existaient sur la commune de [Localité 4], alors qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir l'existence d'usage local quant aux distances des plantations sur le territoire communal ; que les végétaux dont il est propriétaire ne font l'objet d'aucun classement particulier dont découleraient des prérogatives et une protection spécifiques ; que son terrain n'est de même pas signalé comme constituant un écosystème jouissant d'une protection particulière.

Il a de même été jugé par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2014- 394 du 7 mai 2014 sur question prioritaire de constitutionnalité que les articles 671 et 672 du code civil sont conformes à la Constitution en ce qu'ils ne méconnaissent notamment ni la Charte de l'environnement, ni le droit de propriété.

L'appelant n'explique pas en quoi le fait que cette décision date désormais de plus de dix ans ne la mettrait plus en conformité avec les textes supranationaux et/ou résolutions actuellement en vigueur.

Il ne peut pas plus se prévaloir de l'article 1 du Protocole additionnel et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors que l'atteinte portée à son droit de propriété

du fait de la restriction posée aux articles précités du code civil n'est pas disproportionnée, ainsi que l'a retenu le Conseil constitutionnel ; que la Convention de Berne, qui a pour objet d'assurer la conservation de la flore et de la faune sauvage et de leur habitat naturel n'a pas vocation à régir les distances de plantations de végétaux dans des jardins de ville ; qu'il en est de même de la résolution 48/14 du Conseil des droits de l'homme du 8 octobre 2021, portant droit à un environnement propre, sain et durable.

En conséquence, à défaut pour l'appelant de justifier de circonstances dérogatoires issues d'un accord entre les parties, d'un usage local ou de textes supranationaux, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a condamné à ramener à une hauteur de deux mètres la haie de thuyas implantée sur son fonds, à l'exception de celle se situant le long de la terrasse surélevée de Monsieur [P], ramenée à une hauteur de trois mètres, à procéder à l'arrachage ou à la réduction du chêne, du conifère et des plants présents sur sa propriété et situés à une distance comprise entre cinquante centimètres et deux mètres de la limite séparative des fonds ainsi qu'à procéder à l'élagage des plantations empiétant sur le fond voisin, ces condamnations étant assorties de l'astreinte telle que définie par le premier juge.

Sur la demande en dommages et intérêts pour atteinte à la propriété :

Monsieur [O] soutient que Monsieur [P] a pris la liberté de couper lui-même un certain nombre d'arbres et arbustes sur sa propriété, lui causant un préjudice justifiant l'allocation de dommages et intérêts.

Monsieur [P] se prévaut des dispositions de l'article 673 alinéa 2 du code civil lui permettant de couper lui-même les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son fonds.

L'appelant n'apporte aucune preuve de ce que l'intimé aurait excédé le droit qui lui est ainsi reconnu, de sorte que la demande indemnitaire sera rejetée, aucune faute n'étant démontrée.

Sur la demande en dommages et intérêts pour résistance abusive :

Bien que la décision de première instance soit exécutoire par provision, il ne peut être tiré du fait que Monsieur [O] n'ait pas encore procédé aux coupes et élagages ordonnés une résistance abusive en relation causale avec un préjudice, de sorte que Monsieur [P] sera débouté de sa demande de ce chef.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions du jugement déféré s'agissant des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Partie perdante à hauteur d'appel, Monsieur [R] [O] sera condamné aux dépens de la procédure d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, et sera débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera par ailleurs condamné à verser à la partie adverse une indemnité de procédure de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 24 mai 2023 par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité d'Illkirch-Graffenstaden, sauf en ce qu'il a ordonné l'arrachage de la réduction réglementaire de quatre chênes présents sur la propriété de Monsieur [O],

Statuant à nouveau du chef infirmé,

CONDAMNE Monsieur [R] [O] à procéder, selon son choix, à l'arrachage ou à la réduction règlementaire du chêne présent sur sa propriété et situé à une distance entre cinquante centimètres et deux mètres de la limite séparative de propriété avec le fonds appartenant à Monsieur [P], ce sous astreinte provisoire de 10 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du jugement et pour une durée maximale de trois mois,

Y ajoutant,

DEBOUTE Monsieur [R] [O] de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte au droit de propriété,

DEBOUTE Monsieur [I] [P] de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive,

CONDAMNE Monsieur [R] [O] à payer à Monsieur [I] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE Monsieur [R] [O] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [R] [O] aux entiers dépens de la procédure d'appel.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 3 a
Numéro d'arrêt : 23/02338
Date de la décision : 08/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-08;23.02338 ?
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