MINUTE N° 24/345
Copie exécutoire à :
- Me Laurence FRICK
Le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 01 Juillet 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 24/01090 - N° Portalis DBVW-V-B7I-IILV
Décision faisant l'objet du recours en révision : arrêt n°23/103 du 06 février 2023 par le cour d'appel de Colmar
APPELANT ET DEMANDEUR AU RECOURS EN REVISION :
CRÉDIT AGRICOLE ALSACE-VOSGES, société coopérative à capital et personnel variables inscrite au RCS de STRASBOURG sous le n° D 437 642 531, prise en la personne de son représentant légal.
[Adresse 1]
Représentée par Me Laurence FRICK, avocat au barreau de COLMAR
Avocat plaidant : Me Marion DE RAVEL, avocat au barreau de Strasbourg
INTIMÉES ET DEFENDERESSES AU RECOURS EN REVISION :
S.À.R.L. LA FINANCIÈRE DE LA LARGUE SARL anciennement dénommée S.À.R.L. GOLF DE LA LARGUE, représentée par Me [I] [Y] ès qualités de mandataire ad hoc
[Adresse 2]
Non représentée , assignée par acte de commissaire de justice en date du 05 mars 2024 à personne morale
S.E.L.À.R.L. MJ EST prise en la personne de Maître [T] [X] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société LA FINANCIÈRE DE LA LARGUE SARL.
[Adresse 3]
Non représentée , assignée par acte de commissaire de justice en date du 05 mars 2024 à personne morale
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 mai 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme FABREGUETTES, présidente de chambre
Mme DESHAYES, conseillère
Mme MARTINO, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. BIERMANN
ARRET :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Isabelle FABREGUETTES, présidente et M. Jérôme BIERMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
Autorisée par ordonnance sur requête du 8 octobre 2019 du juge de l'exécution de Mulhouse, la société Crédit Agricole Alsace Vosges (ci-avant dénommée la banque) a inscrit une hypothèque judiciaire provisoire sur les biens et droits immobiliers détenus par la Sarl le Golf de la Largue sur les communes de [Localité 5] et [Localité 6] pour sûreté et garantie de différentes créances.
Le 21 février 2020, la banque a fait pratiquer une saisie conservatoire de créances entre les mains de la Sarl le Golf de la Largue en vertu de quatre billets à ordre pour un montant total de 1 102 730,72 €, datés du 27 août 2019 avec échéance au 3 septembre 2019, tous avalisés par Monsieur [E] et demeurés impayés.
La saisie conservatoire a été dénoncée à Monsieur [E] [V] le 25 février 2020.
Par courriel du même jour, Monsieur [C] [M], gérant de la Sarl le Golf de la Largue, a indiqué à l'huissier poursuivant que la société n'était pas débitrice de Monsieur [E] [V].
Par acte d'huissier délivré le 16 juin 2020, la banque a fait assigner la Sarl Le Golf de la Largue, au visa des articles L211-3, R523-4 et R523-4 du code des procédures civiles d'exécution pour voir
condamner cette société à lui payer la somme de 830 736,11 €, pour avoir effectué une déclaration mensongère et inexacte à l'huissier en réponse au procès-verbal de saisie conservatoire signifié le 25 février 2020.
Par jugements du 4 février 2021 et 20 avril 2021, le tribunal judiciaire de Belfort a notamment condamné Monsieur [E] [V], en tant qu'avaliste, à payer à la banque les sommes de 477 501,20 €, 46 120,84 €, 152 747,36 € et 154 366,71 €.
Par jugement en date du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Mulhouse a ouvert une procédure de sauvegarde de justice à l'égard de la Sarl le Golf de la Largue, nouvellement dénommée la Financière de la Largue et le 10 juin 2021, la banque a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.
Elle a fait assigner l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire en intervention forcée.
Prenant acte de la procédure de sauvegarde, la banque a conclu à la fixation de sa créance au passif de la procédure de sauvegarde ouverte contre la défenderesse à la somme de 830 736,11 € avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2019 à titre de dommages intérêts et a demandé la condamnation de l'adversaire à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Sarl le Golf de la Largue, nouvellement dénommée la Financière de la Largue, la Selarl Ajassociés prise en la personne de Me [I] [Y] en qualité d'administrateur judiciaire et la Selarl MJM Froelich et associés pris en la personne de Me [T] [X] en qualité de mandataire judiciaire, ont demandé la mainlevée de la mesure conservatoire autorisée par ordonnance du juge de l'exécution de Mulhouse du 8 octobre 2019, signifiée le 17 octobre 2019 et ont conclu au débouté de la demande de la banque et à sa condamnation à payer la somme de 830 736,11 € à titre de dommages intérêts outre 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 21 avril 2022, le juge de l'exécution au tribunal judiciaire de Mulhouse a :
-rejeté les exceptions de litispendance et de connexité,
-rejeté la demande de la Sarl le Golf de la Largue nouvellement dénommée La Financière de la Largue et les organes de la procédure collective, en mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire inscrite par la banque le 15 octobre 2019,
-confirmé la validité de la saisie conservatoire de créances pratiquée le 21 février 2020 entre les mains de la Sarl Golf de la Largue nouvellement dénommée la Financière de la Largue, en
vertu des quatre billets à ordre souscrits le 27 août 2019 avec échéance au 3 septembre 2019 par la Sas Oneida Construction, la Sci de la Largue, la Sas Groupe Peterson Normil et la Sas Oneida TV, avalisés par Monsieur [E] [V],
-débouté la banque de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article R523-5- du code des procédures civiles d'exécution,
-rejeté la demande reconventionnelle indemnitaire de la société le Golf de la Largue nouvellement dénommée la Financière de la Largue sur le fondement de l'article L121-2 du code des procédures civiles d'exécution à l'encontre de la banque,
-dit n'y avoir eu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné la banque aux dépens de l'instance,
-rappelé que la décision est de plein droit exécutoire à titre provisoire.
La banque, qui a reçu notification de cette décision le 2 mai 2022, en a interjeté appel le 11 mai 2022.
La procédure a été fixée à bref délai en application de l'article 905 du code de procédure civile.
Par écritures d'appel remises au greffe le 22 juin 2022, l'appelante a conclu à l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de dommages intérêts sur le fondement de l'article R 523-5 , en ce qu'elle a été condamnée aux dépens de l'instance et en ce qu'il a été dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et demande à la cour, statuant à nouveau de :
-juger que l'action du Crédit agricole Alsace Vosges est recevable et bien fondée,
Avant dire droit
-ordonner une expertise judiciaire confiée à tel expert qu'il plaira à la cour et dont la mission sera de se faire communiquer tous documents utiles à la manifestation de la vérité et permettant d'établir si la créance de Monsieur [E] [V] d'un montant de 722 712,07 €, figurant au bilan pour 2019, remis par le cabinet d'expertise Beaumlin, a effectivement été remboursée et selon quelles modalités,
-condamner les intimées au paiement des frais d'expertise,
Au fond,
-juger que la Financière de la Largue a effectué une déclaration inexacte et mensongère à l'huissier en réponse au procès-verbal de saisie conservatoire qui lui a été signifié en date du 21 février 2020,
-fixer en conséquence la créance de la banque au passif de la procédure de sauvegarde ouverte contre la Financière de la Largue à la somme de 830 736,11 € portant intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2019, à titre de dommages intérêts,
-fixer la créance de la banque au passif de la procédure de sauvegarde ouverte contre la Financière de la Largue à une somme équivalente aux frais et dépens de première instance,
-fixer la créance de la banque au passif de la procédure de sauvegarde ouverte contre la Financière de la Largue à une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,
En tout état de cause,
-condamner solidairement la Financière de la Largue, et la Selarl Ajassociés, prise en la personne de Me [I] [Y], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la Sarl la Financière de la Largue à lui payer une somme de 5 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner solidairement la Financière de la Largue, et la Selarl Ajassociés, prise en la personne de Me [I] [Y], ès-qualités d'administrateur judiciaire de la Sarl la Financière de la Largue aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.
Au soutien de son appel, la banque a fait valoir qu'un projet de bilan de la Sarl le Golf de la Largue, établi le 16 janvier 2020, par un expert-comptable, faisait apparaître pour l'année 2019 une créance de Monsieur [E] [V] sur la société, d'un montant de 722 712,07 € alors que le responsable de cette société a déclaré le 25 février 2020 à l'huissier, qui avait signifié la saisie conservatoire, que la société n'était pas débitrice de Monsieur [E] [V] au jour de la saisie.
Elle suspecte que ce n'est que par un jeu d'écritures destiné à échapper à la saisie qu'un nouveau bilan a été établi, ne comportant plus mention de la créance de Monsieur [E] [V].
Elle justifie sa demande d'expertise en faisant valoir que la société le Golf de la Largue, qui ne publie plus ses comptes depuis 2017, n'a jamais entendu justifier du règlement de sa dette à Monsieur [E] [V] alors qu'elle-même n'a pas accès à la comptabilité de cette société.
Elle fait grief au premier juge de s'être fondé sur les seules affirmations de la société La Financière de la Largue et la production, par elle, d'une seconde version de son bilan pour juger qu'elle n'avait pas fait de déclaration mensongère.
Par arrêt par défaut du 6 février 2023, la cour d'appel de céans a :
-confirmé la décision déférée dans ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
-rejeté la demande d'expertise comptable,
-rejeté la demande formée par la société Crédit agricole Alsace Vosges au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné la société Crédit agricole Alsace Vosges aux dépens d'appel.
Par acte du 5 mars 2024, la société Crédit agricole Alsace Vosges a formé un recours en révision contre cet arrêt.
Assignées à cette fin devant la cour d'appel de Colmar par actes de commissaire de justice du 5 mars 2024 délivrés à personne morale, la Sarl La Financière de la Largue, anciennement dénommée Sarl Golf de la Largue, représentée par Maître [I] [Y] en qualité de mandataire ad hoc, la Selarl MJ Est, prise en la personne de Maître [T] [X], en qualité de liquidateur de la société Financière de la Largue, n'ont pas constitué avocat.
Ces assignations ont été dénoncées à Monsieur le procureur général près la cour d'appel par acte du 11 mars 2024.
Par observations écrites en date du 8 avril 2024, Monsieur le procureur général a déclaré s'en rapporter à sagesse.
Aux termes de ce recours en révision, la société Crédit agricole Alsace Vosges demande à la cour de, au visa des articles L 211-3, R 523-4 et R 523-5 du code des procédures civiles d'exécution et 144, 146, 789, 905 et 907 du code de procédure civile :
-déclarer le recours en révision recevable et bien fondé,
-rétracter l'arrêt rendu le 6 février 2023 par la cour d'appel de Colmar en ce qu'il :
'confirme la décision déférée dans ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
' rejette la demande d'expertise comptable,
' rejette la demande formée par la société Crédit agricole Alsace Vosges au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamne la société Crédit agricole Alsace Vosges aux dépens d'appel.
Statuant à nouveau :
-déclarer l'action du Crédit agricole Alsace Vosges recevable et bien fondée,
-déclarer que la société Financière de la Largue a effectué une déclaration inexacte et mensongère à l'huissier en réponse au procès-verbal de saisie conservatoire qui lui a été signifié en date du 21 février 2020,
-fixer en conséquence la créance du Crédit agricole Alsace Vosges au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte contre la société Financière de la Largue à la somme de 830 736,11 € portant intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2019, à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause,
-condamner la société Financière de la Largue à payer au Crédit agricole Alsace Vosges une somme de 5 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société Financière de la Largue aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel et de la procédure en révision.
Elle fait valoir qu'à la suite de la communication et de l'analyse du dossier pénal relatif à l'enquête dont fait l'objet Monsieur [E] [V], gérant et associé à titre principal de la société Financière de la Largue, il est apparu que les comptabilités des sociétés de Monsieur [V] étaient inexistantes, incomplètes et non sincères ; que le 7 février 2024, autorisation lui a été donnée par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Mulhouse de produire diverses pièces du dossier pénal dont elle n'a pu se prévaloir au moment où l'arrêt du 6 février 2023 été rendu ; que dans le cadre de cette décision, la cour d'appel s'est fondée exclusivement sur la deuxième version du bilan produite par la société Financière de la Largue, dont il est maintenant démontré qu'elle a été fabriquée pour les besoins de la cause ; que le gérant de la société Financière de la Largue a procédé à une déclaration inexacte et mensongère
à l'huissier de justice en affirmant que la société n'était débitrice d'aucune somme envers Monsieur [V] ; qu'elle est fondée à obtenir condamnation de la Financière de la Largue au paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'article R 523-5 du code des procédures civiles d'exécution.
MOTIFS
Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu les pièces régulièrement communiquées ;
En vertu des dispositions de l'article 595 du code de procédure civile, le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes :
1. S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ;
3. S'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
4. S'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
L'article 596 dispose que le délai du recours en révision est de deux mois. Il court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.
Il résulte en l'espèce des éléments du dossier que par acte du 20 février 2023, le Crédit agricole Alsace Vosges s'est constitué partie civile par voie d'intervention dans le cadre de l'information ouverte notamment contre Monsieur [E] [V], gérant et/ou associé à titre principal de la société Financière de la Largue et contre toute personne non dénommée pour des faits susceptibles d'être qualifiés d'escroquerie ; que par lettre du 7 février 2024, le Crédit agricole a sollicité l'autorisation de verser à la présente procédure divers éléments du dossier pénal tendant à démontrer que les comptabilités des sociétés de Monsieur [V] sont inexactes, incomplètes et non sincères ; qu'une telle autorisation lui a été accordée le même jour.
Il convient de considérer que le recours en révision, formé dans les deux mois à compter de la date à laquelle la banque a eu communication des pièces lui permettant de l'exercer, est recevable en la forme.
Sur le fond :
En application de l'article R 523-4 du code des procédures civiles d'exécution, à l'occasion de la signification d'un procès-verbal de saisie conservatoire, le tiers saisi est tenu de fournir sur-le-champ à l'huissier de justice les renseignements prévus à l'article L211-3 du même code et de lui communiquer les pièces justificatives.
Il est ainsi tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s'il y a lieu, les cessions de créance, délégations ou saisies antérieures.
Aux termes de l'article R 523-5 du code des procédures civiles d'exécution, le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus, s'expose à devoir payer les sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée si le débiteur est condamné et sauf son recours contre son dernier. Il peut être condamné à des dommages intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère.
Il appartient au créancier qui entend mettre en 'uvre les dispositions de l'article R 523-5 alinéa 2 de rapporter la preuve de l'inexactitude ou du caractère mensonger de la déclaration faite par le tiers saisi et de caractériser le préjudice qui en est directement résulté.
En l'espèce, il est constant que suite à la signification, à l'initiative de la Sa Crédit agricole Alsace Vosges, le 21 février 2020 d'un procès-verbal de saisie conservatoire des sommes dont elle est redevable envers Monsieur [E] [V] pour un montant de 1 102 730 €, la Sarl Golf de la Largue, par la voix de son gérant Monsieur [M], a indiqué à l'huissier par mail du 25 février 2020 « notre société ne doit pas d'argent ni à Monsieur [V] ni au groupe Peterson Normil ».
La banque avait fait procéder à la saisie conservatoire litigieuse en date du 21 février 2020 en se référant à un projet de bilan 2019 qui avait été transmis au mandataire ad hoc, désigné dans le cadre d'un mandat de justice à l'effet d'analyser la situation économique et financière de la société Golf de la Largue, lequel projet faisait état d'une dette de la société vis-à-vis de [E] [V] d'un montant de 722 712,07 €.
Dans le cadre de l'instance devant le premier juge, la société Golf de la Largue a produit un « projet de bilan V2 » pour l'année 2019 ne faisant plus état que d'une dette de la société d'un montant de
9,83 € à l'égard de Monsieur [V].
Pour rejeter la demande de la banque tendant à la condamnation du tiers saisi au paiement des causes de la saisie, le premier juge retient qu'il ne peut valablement être reproché à la société Golf de la Largue, devenue Financière de la Largue, qu'à la date de son établissement le 16 janvier 2020, le premier projet de bilan de l'exercice 2019 (V1), clos depuis quelques jours, ne comportait pas toutes les écritures comptables et ne soit pas fiable quant au détail du passif et quant au montant des dettes au profit des autres sociétés du groupe.
Il résulte cependant d'un procès-verbal d'investigation sur commission rogatoire établi le 19 février 2023 par la section de recherches de [Localité 4] que dans un mail en date du 25 mars 2020, Monsieur [G] [A], comptable salarié du cabinet d'expertise comptable [K], en charge des comptabilités des sociétés de Monsieur [E] [V], a indiqué que le projet de bilan V2 faisait apparaître un résultat comptable bénéficiaire de 1 780 973,43 € notamment compte tenu d'abandon de créances ; qu'il a évoqué la problématique d'écritures en compte d'attente, non soldées car il n'avait toujours pas reçu de pièces comptables justificatives ; que les comptes réciproques inter sociétés n'étaient également pas justifiés, plus particulièrement concernant le Groupe Peterson Normil, pour lequel il était prévu de faire un abandon de créances conséquent ; qu'il était ainsi mentionné que Monsieur [E] [V] et le Groupe Peterson Normil abandonneraient respectivement 822 780 € et 787 620 €, générant ainsi un produit exceptionnel de 1 610 400 €. Les enquêteurs précisent que ces éléments n'ont pas été retrouvés dans la comptabilité qui leur a été fournie ; qu'à ce titre, il est également constaté qu'il existe un compte de tiers intitulé [E] [V]/GPN regroupant ces deux entités, qui sont pourtant juridiquement indépendantes ; que se pose la question de savoir si plusieurs états comptables n'ont pas été produits pour l'exercice 2019, affichant une situation comptable avantageuse pour le golf de la Largue alors qu'il n'en était rien.
Les enquêteurs relèvent également que dans un mail du 12 novembre 2021 relatif au projet de bilan V1 de la Financière de la Largue, Monsieur [A] indique à Monsieur [E] [V] que les différents transferts de fonds opérés entre certaines entités, sans lien juridique, constituent des abus de biens sociaux.
Procédant à l'examen de la comptabilité de la société Financière de la Largue pour les exercices 2018, 2019 et 2020, les enquêteurs ont relevé de nombreuses inexactitudes et anomalies, notamment des mouvements de trésorerie effectués sans justificatif entre différentes entités et la société. Ils relèvent notamment que le compte de tiers de Monsieur [V] n'enregistre pas l'ensemble des mouvements de trésorerie émis en sa faveur, notamment les chèques émis depuis « Golf de la Largue » encaissés sur ses
comptes personnels. Ils concluent que les exercices de 2018 et 2019 « Golf de la Largue » ne respectent en rien les règles comptables et ne peuvent ainsi fournir une image sincère et fidèle de l'entreprise ; que bon nombre de pièces comptables semblent manquantes ; qu'il en ressort très clairement que la société a été victime d'abus de biens sociaux pour un montant à minima de 1 640 568,20 €.
Lors de son audition devant les services de gendarmerie le 10 mai 2023, Monsieur [O] [K], expert-comptable, a indiqué avoir le plus souvent rencontré Monsieur [V] pour l'exercice de sa mission, mais avoir eu également des échanges avec Monsieur [M] et Monsieur [R], qui avaient des fonctions de direction et des mandats sociaux, pour la comptabilité des sociétés dont ils étaient les gérants. Il a précisé avoir eu des difficultés pour exercer ses missions. Répondant à la question de savoir si plusieurs états comptables ont été produits pour l'exercice 2019, affichant une situation comptable avantageuse pour le golf alors qu'il n'en était rien (ou au gré de circonstances), il indique que dans les comptes 2019, le résultat courant avant impôt était de -911 948 € avec une prise en compte d'un résultat exceptionnel de 1 168 000 € lié notamment aux abandons de créances et que l'exercice se solde par un résultat positif de 656 785,03 € ; que le résultat est donc seulement positif après prise en compte des abandons de créances ; qu'il s'agit d'un exercice 2019, finalisé en juillet 2020.
Les enquêteurs lui rappellent que dans un mail en date du 4 janvier 2022 relatif au projet de situation V 2 de la Financière de la Largue, Monsieur [A] indique à Monsieur [E] [V] que suivant les éléments qui lui ont été transmis par Monsieur [R], enregistrés en comptabilité, la perte comptable est de 431 772,25 € ; qu'il ajoute que certaines écritures en compte d'attente ont été reclassées suite à la fourniture de justificatifs mais que certaines écritures restent injustifiées ; qu'il rappelle que les remarques effectuées dans le précédent mail restent d'actualité (problématique des dépréciations créances clients/ autres comptes débiteurs matérialisant des infractions) et demande à Monsieur [V] s'il valide le projet avant son envoi à Maître [Y], ce à quoi Monsieur [K] répond aux enquêteurs que tout est dit, le mail étant très explicite.
Alors que le projet de bilan V1, mentionnant l'existence d'une dette de la société vis-à-vis de Monsieur [E] [V] d'un montant de 722 712,07 € avait été transmis au mandataire ad hoc, désigné dans le cadre d'un mandat de justice à l'effet d'analyser la situation économique et financière de la société Golf de la Largue, il résulte clairement des investigations menées par les services de gendarmerie dans le cadre de l'information ouverte que le projet V2 ne reflète pas la situation réelle de la société, en ce qu'aucune preuve d'un abandon de créances par Monsieur [V] n'a pu être fournie ; que cet abandon de créances n'a été comptablement
indiqué que pour les besoins de la cause, afin de permettre à la société Financière de la Largue d'obtenir un résultat positif.
La preuve du caractère inexact et mensonger des renseignements qui ont été fournis à la créancière est ainsi rapportée, par des éléments obtenus par la banque postérieurement à l'arrêt du 6 février 2023.
Le recours en révision étant bien fondé, il convient de rétracter cet arrêt et, statuant à nouveau, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la banque, à laquelle il sera fait droit sur le fondement des dispositions de l'article R 523-5 alinéa 2 du code de procédure civile d'exécution.
Nonobstant les fortes suspicions d'abus de biens sociaux et en raison du caractère insincère et non probant des écritures comptables à défaut de pièces justificatives, il ne résulte pas des éléments du dossier que le tiers saisi n'aurait pas été en mesure d'acquitter la dette envers Monsieur [V], dont le projet de bilan transmis au mandataire social mentionne bien l'existence, à hauteur de la dette de ce dernier vers le Crédit Agricole.
Il en résulte que le préjudice résultant de la faute commise par le tiers saisi sera fixé à la somme de 722 712,07 € portant intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les frais et dépens :
Les dispositions du jugement déféré quant aux dépens seront infirmées.
L'appelante prospérant en ses prétentions, la société Financière de la Largue sera condamnée aux dépens de première instance, d'appel et du recours en révision, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer la somme de 2 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
DECLARE recevable le recours en révision formée par la société Crédit Agricole Alsace Vosges,
RETRACTE l'arrêt rendu le 6 février 2023 par la cour d'appel de céans en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
INFIRME la décision déférée en ce qu'elle a débouté la banque de sa demande de dommages intérêts sur le fondement de l'article R523-5- du code des procédures civiles d'exécution et l'a condamnée aux dépens,
Statuant à nouveau,
FIXE la créance de la société Crédit Agricole Alsace Vosges au passif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte contre la société Financière de la Largue à la somme de 722 712,07 € portant intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,
CONDAMNE la société Financière de la Largue aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Financière de la Largue à payer à la société Crédit Agricole Alsace Vosges la somme de 2 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Financière de la Largue aux dépens de première instance, d'appel et du recours en révision.
Le Greffier La Présidente