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25/06/2024 | FRANCE | N°22/01322

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 25 juin 2024, 22/01322


GLQ/KG





MINUTE N° 24/533









































































Copie exécutoire

aux avocats



Copie à Pôle emploi

Grand Est



le 25 juin 2024



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

C

HAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 25 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/01322

N° Portalis DBVW-V-B7G-HZYT



Décision déférée à la Cour : 25 Mars 2022 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Colmar





APPELANT :



Monsieur [N] [G]

demeurant [Adresse 2]



Représenté par Me Bruno GAMBILLO, avocat au barreau...

GLQ/KG

MINUTE N° 24/533

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le 25 juin 2024

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 25 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/01322

N° Portalis DBVW-V-B7G-HZYT

Décision déférée à la Cour : 25 Mars 2022 par la formation paritaire du conseil de prud'hommes de Colmar

APPELANT :

Monsieur [N] [G]

demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Bruno GAMBILLO, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE :

La S.A.S. CAPSUGEL FRANCE

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 612 050 518

ayant siège [Adresse 1]

Représentée par Me Dominique HARNIST, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre, et Mme ARMSPACH-SENGLE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La S.A.S. CAPSUGEL FRANCE a pour activité principale la fabrication de gélules dures. Par contrat à durée indéterminée du 1er octobre 2001, elle a embauché M. [N] [G] à compter du 1er janvier 2002 en qualité de responsable du centre de développement, statut cadre.

En juillet 2017, la société CAPSUGEL a été acquise par le groupe suisse LONZA.

Par courrier du 08 juin 2020, la société CAPSUGEL a notifié à M. [N] [G] son licenciement pour motif économique prenant effet le 09 septembre 2020.

Le 27 octobre 2020, M. [N] [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Colmar pour contester le licenciement et obtenir le paiement de différentes indemnités.

Par jugement du 25 mars 2022, le conseil de prud'hommes a :

- acté le désistement de la société CAPSUGEL de ses demandes tendant à condamner M. [N] [G] à signer les documents sollicités relatifs à l'invention « LIP/D-BASED COMPOSITIONS COMPRISING LIPOPHIL/C SALTS AND ACIDIC pH MODIFIERS » ainsi que tout futur acte ou formulaire concernant les inventions de la société CAPSUGEL pour lesquels M. [N] [G] est considéré comme inventeur ou co-inventeur et nécessaires à la protection et l'exp1oitation des dites inventions,

- débouté M. [N] [G] de sa demande au titre du licenciement nul,

- dit que le licenciement pour motif économique de M. [N] [G] est dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait de l'absence de suivi de la procédure de reclassement,

- condamné la société CAPSUGEL au paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- débouté M. [N] [G] de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement et de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- condamné la société CAPSUGEL au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture, avec les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- débouté M. [N] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

- débouté M. [N] [G] de sa demande de contrepartie à l'obligation de non concurrence,

- débouté M. [N] [G] de sa demande de remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte,

- débouté M. [N] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes s'est par ailleurs déclaré matériellement compétent pour juger les demandes reconventionnelles et a :

- condamné M. [N] [G] au paiement de la somme de 4 811,89 euros au titre des loyers versés au loueur faute pour M. [N] [G] d'avoir restitué ou acquis le véhicule auprès du loueur au terme de son contrat de travail et des frais de péage et de carburant engagés après le terme du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- condamné M. [N] [G] au paiement de la somme de 46 842 euros bruts au titre de l'indemnité de non concurrence trop perçue, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- débouté la société CAPSUGEL de sa demande au titre de1'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

- condamné la société CAPSUGEL aux dépens, y compris les frais d'actes et d'exécution forcée, notamment les sommes retenues par l'huissier instrumentaire par application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001.

M. [N] [G] a interjeté appel le 29 mars 2022.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 janvier 2024, M. [N] [G] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CAPSUGEL à verser à M. [N] [G] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture, d'infirmer le jugement querellé et, statuant à nouveau, de :

- juger que le licenciement pour motif économique est nul car discriminatoire en raison de l'âge du salarié,

- condamner la société CAPSUGEL au paiement de la somme de 763 225 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- à titre subsidiaire, juger que le licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société CAPSUGEL au paiement de la somme de 553 339,57 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause, il demande à la cour de :

- condamner la société CAPSUGEL au paiement des sommes suivantes :

* 130 211,34 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 114 158,26 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

* 120 162,16 euros bruts à titre de solde de contrepartie à l'obligation de non-concurrence à titre principal, ou, à titre subsidiaire, la somme de 54 599,06 euros bruts,

- assortir ces sommes des intérêts légaux avec anatocisme, depuis la réception de la convocation par la défenderesse, pour les sommes ayant le caractère de salaire ou d'indemnités conventionnelles de rupture, ou depuis le prononcé de la décision pour les condamnations revêtant le caractère d'indemnité,

- condamner la société CAPSUGEL à remettre à M. [N] [G] les documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte définitive de 50 euros par document et par jour de retard à compter du 9ème jour suivant la notification du jugement à intervenir,

- se réserver la compétence de liquider ladite astreinte,

- débouter la société CAPSUGEL de ses demandes,

- codamner la société CAPSUGEL au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société CAPSUGEL aux dépens, y compris les frais d'actes et d'exécution forcée, notamment les sommes retenues par l'huissier instrumentaire par application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er mars 2024, la société CAPSUGEL demande à la cour de :

- débouter M. [N] [G] de son appel ainsi que de l'intégralité de ses demandes,

- en conséquence, confirmer le jugement sauf en ses dispositions critiquées ci-dessous,

- sur appel incident, infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CAPSUGEL au paiement de la somme de 100 000 euros pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du non-suivi de la procédure de reclassement,

- débouter intégralement M. [N] [G] de cette demande,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CAPSUGEL au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et débouter M. [N] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture.

Sur demande additionnelle, elle demande à la cour de :

- condamner M. [N] [G] à reverser à M. [N] [G] le montant de l'indemnité de non-concurrence versée à hauteur de 120 000 euros bruts,

- à défaut et subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [N] [G] à rembourser la somme de 46 842 euros bruts au titre des indemnités de non-concurrence trop perçues.

En tout état de cause, elle demande de condamner M. [N] [G] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 mars 2024. L'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 26 mars 2024 et mise en délibéré au 25 juin 2024.

MOTIFS

Sur le licenciement

Sur le motif économique du licenciement

Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment (...) à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. La nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécie au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

En l'espèce, dans la lettre de licenciement du 08 juin 2020, la société CAPSUGEL informe M. [N] [G] de la suppression de ses fonctions de chief scientific officer en justifiant cette décision par « la nécessité de sauvegarder la pérennité de notre entreprise par des mesures de réorganisation qui ont pour objectif de concentrer nos ressources sur les priorités commerciales indispensables à générer une quantité suffisante d'opportunités tout en évitant de disperser nos efforts sur un nombre de projets trop important ».

Elle fait état du résultat négatif pour l'année 2019 des business units CDS (capsules delivery solutions) et CHN (consumer health & nutrition) et de la décision « de renforcer la restructuration en une nouvelle structure à même de garantir la croissance nécessaire aux deux segments de marchés que constituent la capsule dure d'une part et les ingrédients nutritionnels d'autre part », cette restructuration prenant la forme d'un transfert de l'activité encadrée par M. [N] [G] auprès de la co-entreprise BacThera qui doit permettre de consolider « les équipes d'application de la capsule et les équipes d'analyses avec pour projet de passer de quatre à deux équipes » et de mieux équilibrer la charge de travail « grâce à la création d'une masse critique accrue dans les domaines respectifs ». L'employeur en attend également « l'amélioration du partage de l'information et de la circulation de cette dernière, l'amélioration de l'efficacité de l'équipement et une optimisation du partage des installations, une augmentation de la fertilisation croisée des équipes grâce à une plus grande base de connaissances et à une expertise complémentaire ». L'employeur précise que M. [N] [G] a travaillé sur ce projet de co-entreprise mais a exprimé le souhait de ne pas la rejoindre en ajoutant que « l'entreprise a dès lors décidé de cesser tout investissement et recherche dans les domaines non en lien direct avec les objectifs opérationnels et ne s'inscrivant pas dans les organisations projetées, ce qui conduit à la suppression » de la fonction de M. [N] [G].

La société CAPSUGEL fait valoir à ce titre qu'elle réalise 80 % de son chiffre d'affaire sur le marché de la capsule dure en gélatine. Elle explique que, jusqu'en 2017, l'ancien actionnaire avait privilégié une politique de prix élevé qui a permis d'augmenter le chiffre d'affaire et le résultat mais qui a entraîné une diminution du volume des ventes qui a amorcé une fragilisation de la situation de l'entreprise (annexe 26). Ces éléments résultent des comptes de résultat de l'entreprise qui montrent que l'augmentation du chiffre d'affaire entre 2015 et 2017 (de 118 497 000 euros à 137 896 900 euros) s'est accompagnée d'une forte diminution du volume de production (de 85 591 300 à 66 796 100). En 2018, suite au rachat du groupe CAPSUGEL par le groupe LONZA, le volume de production augmente de manière significative (81 808 000), de même que le chiffre d'affaire (149 400 000 euros) mais cette croissance s'interrompt en 2019 (77 313 000 pour le volume de production, 147 100 900 euros pour le chiffre d'affaire).

La société CAPSUGEL invoque également un renforcement de la concurrence sur le marché de la capsule dure avec l'émergence de concurrents qui proposent désormais des produits de qualité à des tarifs inférieurs aux siens. Elle se réfère notamment à une étude de marché réalisée en 2019 (annexe 28) qui prévoit une intensification de la concurrence au niveau mondial comme au niveau local, avec une augmentation significative de la capacité de production et une forte tendance à la baisse des prix, plus forte en Europe et aux Etats-Unis. Elle considère que cette situation lui impose d'investir pour augmenter sa capacité de production et d'adapter sa politique commerciale. La société CAPSUGEL constate également une forte augmentation du prix d'achat de la gélatine, qui entre pour 1/3 dans le prix de fabrication d'une gélule, et une moindre disponibilité de cette matière première (annexe 29).

M. [N] [G] lui oppose que la demande mondiale en capsule est en hausse, que, postérieurement au licenciement, le groupe LONZA, auquel appartient l'entreprise, a procédé à un investissement en Suisse pour augmenter sa capacité de fabrication et que le chiffre d'affaire et le bénéfice de la société CAPSUGEL ont augmenté en 2021. Ces éléments apparaissent toutefois cohérents avec ceux invoqués par l'employeur qui insiste sur la nécessité d'augmenter sa capacité de production pour proposer des prix concurrentiels. La société CAPSUGEL démontre ainsi l'existence d'un risque pour la compétitivité des entreprises du groupe dans le secteur de la capsule dure en gélatine sur le territoire français qui justifiait une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

La société CAPSUGEL rappelle par ailleurs qu'elle avait développé une politique ambitieuse d'innovation, supervisée par M. [N] [G] qui animait plusieurs équipes de recherches en Australie, à [Localité 4] et à [Localité 3]. Elle relève que ces équipes travaillaient sur des projets qui n'ont pas permis de dégager des revenus ou qui ont été abandonnés, que, depuis 2019, les projets présentés par M. [N] [G] pour repositionner les équipes de recherche nécessitaient des investissements complémentaires et qu'ils n'ont pas été mis en oeuvre faute de cohérence économique. Elle ajoute que, au début de l'année 2020, M. [N] [G] faisait état de 34 projets en cours dont 9 seulement présentaient une chance de succès supérieure à 60 % (annexe 36).

Ces éléments ont amené l'employeur en 2020 à dissoudre le groupe de chercheurs supervisé par M. [N] [G] et à redéployer une partie du personnel de recherche sur le site de [Localité 3] pour travailler sur des projets clients destinés à favoriser la vente de gélules, sous la direction du responsable de recherche développement d'une nouvelle division capsules & health ingredients (annexes 37 et 78). Contrairement à ce qu'indique M. [N] [G], d'autres postes que le sien ont été supprimés suite à cette réorganisation puisque les trois chercheurs avec lesquels il collaborait en Australie ont démissionnés ou ont été licenciés et que l'équipe « microbiome » (cinq personnes) a été transférée à la société BACTHERA en Suisse, ce qui impliquait un changement d'employeur pour les membres de cette équipe.

Au vu de ces éléments, la société CAPSUGEL démontre la réalité du motif économique invoqué dans la lettre de licenciement.

Sur le motif discriminatoire

Il résulte des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que la rupture du contrat de travail fondée sur ce motif est nulle.

En application de l'article L. 1134-1, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions relatives au principe de non-discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie

défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Pour solliciter la nullité du licenciement, M. [N] [G] soutient que son licenciement ne repose sur aucun motif sérieux et qu'il a été motivé par le souhait de l'employeur de se séparer d'un salarié âgé de 55 ans. L'employeur lui oppose toutefois le motif économique du licenciement dont il a été jugé ci-dessus qu'il était établi. La suppression du poste occupé par M. [N] [G] apparaît en outre comme la conséquence logique de la suppression du groupe de recherche qu'il supervisait. La société CAPSUGEL fait également valoir que la nouvelle unité Capsules & Health Ingredients (CHI) créée à l'occasion de cette réorganisation est présidée par une salariée plus âgée que M. [N] [G] et que le responsable recherche et développement, d'un niveau équivalent à celui de M. [N] [G], était certes moins âgé que lui mais bénéficiait d'une ancienneté plus grande au sein de l'entreprise.

La société CAPSUGEL démontre ainsi que la décision de licencier M. [N] [G] est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [N] [G] de sa demande tendant à la nullité du licenciement.

Sur l'obligation de reclassement

Il résulte de l'article L. 1233-4 du code du travail que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

En l'espèce, la société CAPSUGEL soutient qu'aucun emploi correspondant au profil de M. [N] [G] n'était disponible en son sein ni au sein des autres sociétés du groupe en France. Pour en justifier, elle fait valoir les efforts qu'elle aurait mis en oeuvre pour redéployer en interne dix chercheurs membres des équipes auparavant supervisées par M. [N] [G]. Elle ajoute que rien ne justifiait de confier la supervision du laboratoire d'application de cinq chercheurs créé à cette occasion à un cadre dirigeant comme M. [N] [G], raison pour laquelle cette supervision a été confiée à un autre salarié. Elle explique également que la société CAPSUGEL Ploërmel n'était pas dotée d'un laboratoire de recherche et de développement, que cette société enregistrait une perte financière importante en 2019, qu'une autre société du groupe connaissait des difficultés financières et que la dernière ne disposait pas de poste disponible susceptible d'être proposé à M. [N] [G].

Il convient toutefois de constater que la société CAPSUGEL ne justifie d'aucune recherche d'un poste en reclassement en son sein ou au sein des autres sociétés du groupe. Elle ne produit pas non plus d'élément permettant de démontrer l'absence de poste disponible pour M. [N] [G] au sein du groupe sur le territoire français. L'employeur échoue donc à démontrer qu'il aurait respecté son obligation de reclassement et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse pour ce motif.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Vu l'article L. 1235-3 du code du travail,

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'employeur à payer à M. [N] [G] la somme de 100 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité légale de licenciement

Vu les articles L. 1234-9 et R. 1234-1 et suivants du code du travail,

Vu la convention collective nationale des industries chimiques,

Pour solliciter un rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement, M. [N] [G] soutient que l'employeur devait intégrer dans l'assiette de calcul la prime exceptionnelle de 129 159 euros versée au mois de juillet 2019. La société CAPSUGEL lui oppose l'article 14.3 de l'avenant n°3 de la convention collective relatif aux ingénieurs et cadres qui exclut les gratifications exceptionnelles de l'assiette de calcul de l'indemnité conventionnelle.

Il résulte d'un courrier du 27 juillet 2017 qu'à l'occasion du rachat de l'entreprise CAPSUGEL par la société LONZA et en reconnaissance de ses compétences et de sa contribution attendue aux entreprises combinées, l'employeur a informé le salarié de sa participation au « programme de rétention de CAPSUGEL ». Ce programme prenait la forme d'une attribution d'actions LONZA sous certaines conditions et d'une prime. Le courrier précise que cette prime est versée à condition que le salarié reste employé à temps plein de LONZA ou de son affilié deux années après le 06 juillet 2017, date de l'acquisition, et qu'il atteigne un niveau de performance minimal répondant pleinement aux attentes notées dans les évaluations annuelles. M. [N] [G] ne produit par ailleurs aucun élément permettant de démontrer que cette prime serait la contrepartie d'une prestation de travail qu'il aurait fournie à l'occasion de l'opération de rachat.

Il résulte de ces éléments que la prime exceptionnelle perçue par M. [N] [G] au mois de juillet 2019 n'avait pas un caractère contractuel mais constituait une gratification exceptionnelle versée discrétionnairement par l'employeur et qu'elle n'avait de ce fait pas à être intégrée dans l'assiette de calcul de l'indemnité de licenciement, conformément à la convention collective.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté M. [N] [G] de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement ainsi que de sa demande de remise des documents de fin de contrat rectifiés.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Comme l'a relevé à juste titre le conseil de prud'hommes, les mandats sociaux ne relèvent pas de l'exécution du contrat de travail et le retrait de ces mandats ne peut caractériser une exécution déloyale du contrat de travail. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [N] [G] de cette demande.

Sur le licenciement vexatoire

M. [N] [G] fait valoir que l'employeur a diffusé le 14 avril 2020 la nouvelle organisation sur laquelle M. [N] [G] n'apparaissait plus, signifiant ainsi publiquement son exclusion de l'unité Capsules & Health Ingredients quinze jours avant sa convocation pour un entretien préalable.

La société CAPSUGEL ne produit aucun élément permettant de démontrer que M. [N] [G] aurait été informé au préalable de cette nouvelle organisation dont il était exclu, ce qui ne résulte pas du fait que le salarié pouvait par ailleurs être en contact avec d'autres interlocuteurs au sein du groupe en vue du repositionnement du service qu'il animait.

Les circonstances de l'annonce de l'éviction de M. [N] [G] présentent dès lors un caractère vexatoire pour M. [N] [G] et le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société CAPSUGEL à indemniser le salarié de son préjudice en allouant à ce dernier la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la remise tardive des documents de fin de contrat

Il résulte des pièces produites par M. [N] [G] que les documents de fin de contrat n'ont été adressés au salarié que le 02 octobre 2020 alors que la rupture du contrat de travail a pris effet le 09 septembre 2020. M. [N] [G] ne justifie toutefois pas de la réalité du préjudice allégué et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de la demande de dommages et intérêts formée à ce titre.

Sur l'obligation de non-concurrence

Sur le respect de l'obligation de non-concurrence par le salarié

Il résulte du contrat de travail que M. [N] [G] est soumis à une clause de non-concurrence qui trouve à s'appliquer selon les modalités suivantes :

« A la fin du présent contrat et quelle que soit la cause de votre départ, vous ne pourrez exploiter pour vous-même ou faire exploiter par d'autres, directement ou indirectement, et même par personne interposée, une entreprise similaire ou concurrente ou vous faire engager dans une telle entreprise, à quelque titre que ce soit, ceci pour une durée d'un an commençant à courir le lendemain du jour de la fin du contrat et pour le secteur géographique couvrant le territoire national et les pays membres de l'Union européenne et la Suisse. Par 'entreprise concurrente' on doit entendre uniquement entreprise fabriquant et commercialisant pour tout type d'industrie des gélules ou des capsules molles(...) »

La société CAPSUGEL soutient que M. [N] [G] n'aurait pas respecté cette interdiction en continuant d'exercer son activité de professeur associé à l'université de [Localité 5] en Australie et en refusant de signer le document de cession de droits portant sur les travaux de recherche financés par l'entreprise au sein de cette université. Aucun élément ne permet toutefois d'assimiler cette activité d'enseignement et de recherche avec l'activité visée dans le contrat de travail, à savoir l'exploitation d'une entreprise similaire ou concurrente de la société CAPSUGEL, fabriquant et commercialisant pour tout type d'industrie des gélules ou des capsules molles.

La société CAPSUGEL reproche par ailleurs à M. [N] [G] la création de la société DELNOVAT dont l'activité porte sur des thématiques en lien avec les activités de son ancien employeur. Mais la seule activité de M. [N] [G] pour cette société dont la société CAPSUGEL fait état concerne uniquement des conférences portant sur des thèmes en lien avec son ancienne activité au sein de la société CAPSUGEL. Ces conférences sont toutefois insuffisantes pour démontrer que l'activité de la société DELNOVAT serait similaire ou concurrente à celle de la

société CAPSUGEL, étant relevé au surplus que cette dernière justifie uniquement de la participation de son ancien salarié à une conférence organisée le 09 juin 2022

au Burkina-Faso, donc après l'expiration de la clause de non-concurrence et en dehors du secteur géographique concerné par l'interdiction. La société CAPSUGEL ne démontre pas non plus que M. [N] [G] aurait exercé une activité quelconque au sein de la société AQUILON avant le terme de son obligation de non-concurrence alors qu'il résulte des pièces produites qu'il a été nommé administrateur de cette société au mois de décembre 2022.

La société CAPSUGEL échoue donc à démontrer que M. [N] [G] aurait manqué à son obligation de non-concurrence et qu'il ne pouvait prétendre au versement de la contrepartie financière.

Sur le montant de la contrepartie financière

S'agissant du montant de la contrepartie financière, le contrat de travail cite expressément l'article 16 de l'avenant n°3 de la convention collective qui prévoit que « l'interdiction que comportera la clause de non-concurrence aura pour contrepartie une indemnité qui sera versée mensuellement et qui sera au moins égale au tiers des appointements mensuels lorsque l'interdiction visera un produit ou une technique de fabrication pouvant s'appliquer à un ou plusieurs produits ».

L'avenant à la convention collective prévoit par ailleurs que l'indemnité sera au moins égale « aux deux tiers des appointements mensuels lorsque l'interdiction visera plusieurs produits ou plusieurs techniques de fabrication ».

M. [N] [G] revendique une indemnité correspondant aux deux tiers de ses appointements mensuels au motif que la société CAPSUGEL fabrique plusieurs produits, selon plusieurs techniques de fabrication. Il cite à ce titre les capsules à base de gélatine avec fermeture sécurisée, celles à base de plantes sans dioxyde de titane ou à base de polymère résistant à l'humidité, les capsules dures à base d'hypromellose ou les capsules à saupoudrer.

Le contrat de travail limite toutefois l'interdiction à un seul type de produit puisqu'il précise que « par 'entreprise concurrente' on doit entendre uniquement entreprise fabriquant et commercialisant pour tout type d'industrie des gélules ou des capsules molles ». Aucun des éléments invoqués par le salarié ne permet de considérer que cette référence à des gélules ou des capsules molles viserait plusieurs produits ou techniques de fabrication différents et qu'elle serait susceptible de justifier une indemnité correspondant aux deux tiers des appointements mensuels. Le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il a débouté M. [N] [G] de sa demande au titre de la contrepartie à l'obligation de non-concurrence.

La société CAPSUGEL soutient quant à elle que le montant de l'indemnité devait être calculé sur la base du seul salarie brut sans intégrer les primes et bonus versées au salarié et que M. [N] [G] serait redevable à ce titre d'un trop-perçu de 46 842 euros.

Dès lors que l'appointement visé par la convention collective s'entend de la rémunération versée mensuellement au salarié, à l'exclusion des primes et bonus versés par ailleurs au salarié (Soc., 28 septembre 2017, pourvoi n° 15-29.047), le montant de l'indemnité à laquelle M. [N] [G] pouvait prétendre au titre de l'obligation de non-concurrence doit être calculé sur la base du dernier salaire mensuel de 18 331,36 euros bruts et s'élevait à 73 320 euros bruts. Il résulte par ailleurs des pièces produites que M. [N] [G] a perçu une indemnité totale de 120 162 euros. Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné M. [N] [G] au paiement de la somme de 46 842 euros en remboursement du trop-perçu d'indemnité de non-concurrence.

Sur le remboursement des frais afférents au véhicule

M. [N] [G] reconnaît qu'il a conservé le véhicule de fonction après la rupture du contrat de travail. Il doit donc rembourser les frais exposés par l'employeur postérieurement à cette date (loyers, frais de péage et de carburant) pour un montant de 4 811,89 euros. Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [N] [G] au paiement de cette somme.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Dès lors qu'il a été jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu d'ordonner le cas échéant le remboursement des indemnités qui auraient été versées par Pôle emploi ou par France Travail dans la limite de trois mois, conformément aux dispositions légales.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société CAPSUGEL aux dépens et débouté la société CAPSUGEL de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile mais infirmé en ce qu'il a débouté M. [N] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la société CAPSUGEL aux frais d'exécution du jugement.

Compte tenu de l'issue du litige, il convient de condamner la société CAPSUGEL aux dépens de l'appel. Par équité, la société CAPSUGEL sera en outre condamnée à payer à M. [N] [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera par ailleurs déboutée de la demande présentée sur ce fondement.

Il n'appartient en revanche pas à la cour d'appel de statuer par avance sur la charge des frais liés à une éventuelle exécution forcée du présent arrêt, comme demandé par M. [N] [G], ces frais étant régis par les dispositions d'ordre public de l'article L. 111-8 du code des procédures d'exécution et relevant de la compétence exclusive du juge de l'exécution en cas de litige.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Colmar du 25 mars 2022 sauf en ce qu'il a débouté M. [N] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la S.A.S. CAPSUGEL FRANCE aux frais de l'exécution forcée du jugement ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et Y ajoutant,

ORDONNE le remboursement par la S.A.S. CAPSUGEL FRANCE des indemnités de chômage versées le cas échéant à M. [N] [G], dans la limite de trois mois à compter de la date de la rupture ;

CONDAMNE la S.A.S. CAPSUGEL FRANCE aux dépens de la procédure d'appel ;

CONDAMNE la S.A.S. CAPSUGEL FRANCE à payer à M. [N] [G] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la S.A.S. CAPSUGEL FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre, et Madame Corinne Armspach-Sengle, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 22/01322
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;22.01322 ?
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