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21/06/2024 | FRANCE | N°21/04893

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 21 juin 2024, 21/04893


MINUTE N° 250/2024



















































Copie exécutoire

aux avocats



Le 21 juin 2024



Le greffier

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 21 JUIN 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/04893 -

° Portalis DBVW-V-B7F-HW5E



Décisions déférées à la cour : 5 octobre 2015 par le tribunal de grande instance de Strasbourg et 18 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANT et intimé sur incident :



Monsieur [F] [M]

demeurant [Adresse 1] à [Localité 7]



représenté par Me Joëlle LITO...

MINUTE N° 250/2024

Copie exécutoire

aux avocats

Le 21 juin 2024

Le greffier

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 21 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/04893 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HW5E

Décisions déférées à la cour : 5 octobre 2015 par le tribunal de grande instance de Strasbourg et 18 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANT et intimé sur incident :

Monsieur [F] [M]

demeurant [Adresse 1] à [Localité 7]

représenté par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me WEYGAND, avocat à Strasbourg

INTIMÉS et appelants sur incident :

1/ Monsieur [V] [M]

demeurant [Adresse 4] à [Localité 7]

2/ Madame [T] [M] épouse [A]

demeurant [Adresse 2] à [Localité 6]

représentés par Me Guillaume HARTER de la SELARL LX COLMAR, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me BOUCHAUD, avocat à Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Janvier 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, conseiller

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement, après prorogation du 31 mai 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

De l'union des époux [Z] [M] et [Y] [E] sont nés trois enfants : [F] [M], [V] [M] et [T] [M], épouse [A].

Les époux [M] ont consenti différentes donations-partages à leurs enfants.

En outre, selon acte établi par Me [W], notaire à [Localité 8], le 29 novembre 1979, ils ont consenti une donation préciputaire à M. [V] [M] portant sur le fonds de commerce de boulangerie-épicerie exploité par [Z] [M], l'entrée en jouissance étant fixée au 1er janvier 1980.

Les époux [M] étant restés propriétaires des murs, ils ont consenti un bail commercial, daté du 20 décembre 1979, à effet au 1er janvier 1980, à M. [V] [M] portant sur les locaux dans lesquels le fonds était exploité, moyennant un loyer de 1 000 francs l'an.

Selon acte de donation-partage du 5 juillet 1988, reçu par Me [X], notaire à [Localité 8], les époux [M] ont fait donation à leurs trois enfants de la nue-propriété de différents biens immobiliers, et M. [V] [M] s'est vu attribuer la nue-propriété de l'immeuble sis [Adresse 5] à [Localité 7] comprenant le local commercial, un logement, ainsi que différentes dépendances.

Suite au décès de [Z] [M], le 19 novembre 1997, les biens constituant la communauté ont été transmis à sa veuve qui bénéficiait d'une donation au dernier vivant figurant dans leur contrat de mariage. [Y] [M] est elle-même décédée le [Date décès 3] 2009, laissant pour lui succéder ses trois enfants.

M. [F] [M] estimant que son frère avait bénéficié d'avantages indirects, le loyer payé pendant 30 ans au titre de l'occupation de l'immeuble où était exploité le fonds de commerce de boulangerie étant dérisoire, et l'occupation des dépendances et du logement étant gratuite, a saisi le tribunal d'instance de Haguenau qui a ordonné l'ouverture d'une procédure de partage judiciaire le 26 janvier 2011, désignant Me [C], notaire, pour y procéder.

Le 21 septembre 2011, Maître [C] a établi un procès-verbal de difficultés portant sur les avantages indirects résultant de l'occupation par MM. [F] [M] et [V] [M] de biens ayant appartenu à leurs parents, leur requalification en libéralités et sur la prescription.

M. [F] [M] a saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg, par assignations des 27 février et 7 mars 2012, aux fins de voir ordonner que son frère [V] rapporte à la succession les avantages indirects dont il avait bénéficié.

Par décision du 9 mars 2015, le juge de la mise en état a rejeté une demande d'expertise graphologique formée par M. [V] [M] et Mme [T] [M] portant sur des reçus de paiement attribués à [Y] [M].

Par jugement en date du 5 octobre 2015, le tribunal a :

- rejeté l'exception de prescription des demandes de M. [F] [M] antérieures au 12 avril 2004 et 12 avril 1989,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement,

- réservé les dépens,

avant dire droit, a :

- ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [D] aux fins de :

* délimiter le fonds de commerce, le logement d'habitation et les dépendances,

* évaluer la valeur locative de 1979 à 2009 respectivement, du fonds de commerce et du logement d'habitation,

* recueillir année par année de 1979 à 2009 les éléments de l'occupation par M. [V] [M] de ces dépendances ou de parties de celles-ci et d'évaluer leur valeur locative pendant ladite période,

* faire un tableau de la valeur locative de 1979 à 2009 pour chaque bien en recueillant auprès de M. [V] [M] les éléments de preuve écrits de ses paiements, année par année, pour chaque bien sans prendre position sur la valeur de ces éléments de preuve,

* faire le compte entre les parties.

L'expert a déposé son rapport le 31 janvier 2018.

Par jugement mixte du 18 octobre 2021, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire, a :

- constaté ne pas être saisi des conséquences chiffrées concernant la valeur du fonds de commerce,

- déclaré prescrite toute demande afférente aux taxes foncières, droit au bail et CSG,

- fixé le loyer annuel de l'appartement à 2 849,92 euros

- fixé le loyer annuel des annexes à 5 107,20 euros

sur la demande reconventionnelle :

- ordonné une expertise en écritures aux fins de dire si la signature portée sur les quittances est de la main d'[Y] [M],

- réservé à statuer sur le surplus des demandes.

M. [F] [M] a interjeté appel de ce jugement, le 29 novembre 2021, en toutes ses dispositions autres que celles concernant l'expertise.

Le 15 décembre 2021 M. [V] [M] et Mme [T] [M] ont également interjeté appel de ce jugement en ce qu'il fixe le loyer annuel pour l'appartement et les annexes, et réserve à statuer pour le surplus des demandes, ainsi que du jugement du 5 octobre 2015 en ce qu'il rejette l'exception de prescription.

Les deux procédures ont été jointes le 6 décembre 2022.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 7 novembre 2023.

MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 septembre 2023, M. [F] [M] demande à la cour de :

Sur son appel, infirmer le jugement en ce que le tribunal a :

- constaté ne pas être saisi des conséquences chiffrées concernant la valeur du fonds de commerce,

- déclaré prescrite toute demande afférente aux taxes foncières, de droit au bail et de CSG,

- fixé le loyer annuel de l'appartement à 2 849,92 euros,

- fixé le loyer annuel des annexes à 5 107,20 euros,

- réservé à statuer sur le surplus de ses demandes,

et statuant à nouveau, de :

- dire et juger que l'occupation gratuite du logement d'habitation sis [Adresse 5] à [Localité 7] par M. [V] [M] de 1979 à 2009 constitue un avantage indirect pour M. [V] [M] aux dépens de la masse partageable dans la succession [E]-[M] ;

- dire et juger que l'occupation gratuite des dépendances du fonds de commerce de la boulangerie-épicerie exploité sis [Adresse 5] à [Localité 7] par M. [V] [M] de 1979 à 2009 constitue un avantage indirect pour M. [V] [M] aux dépens de la masse partageable dans la succession [E]-[M] ;

- dire et juger que le bail commercial consenti à M. [V] [M] le 20 décembre 1979 est un bail fictif et a conféré jusqu'en 2009 à M. [V] [M] un avantage indirect aux dépens de la masse partageable dans la succession [E]-[M] ;

- dire et juger que M. [V] [M] a bénéficié de libéralités annexes, à savoir les impôts fonciers et locaux qui ont été acquittés par feu les époux [M] en ses lieu et place contrairement à ce qui avait été convenu entre les parties ;

- dire et juger que M. [V] [M] a bénéficié d'une cession particulièrement avantageuse du fonds de commerce, au tiers de sa valeur réelle ;

- dire et juger que les avantages consentis à M. [V] [M] relèvent d'une intention libérale ayant généré un appauvrissement avec intention d'en gratifier les défendeurs et intimés ;

En conséquence,

- fixer le montant de ces avantages indirects à la somme de 717 419,18 euros ;

- condamner Monsieur [V] [M] à rapporter à la succession [E]-[M] la somme de 717 419,18 euros ;

- dire et juger que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et que ces intérêts produiront eux-mêmes intérêts lorsqu'ils seront dus pour une année entière ;

- condamner M. [V] [M] à payer à M. [F] [M] la somme de 35 000,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les frais et dépens de première instance et d'appel comprenant non seulement les frais de conseil qu'il a pu engager à ce jour mais également ceux des experts privés auxquels il a eu recours ;

- dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et prononcer l'anatocisme ;

- dire l'arrêt à intervenir commun et opposable à Mme [T] [M] ;

- renvoyer pour le surplus les parties par devant Maître [H] [C], notaire désigné pour poursuivre les opérations de partage ;

- débouter M. [V] [M] et Mme [T] [M], épouse [A] de toutes conclusions contraires.

Sur l'appel de Mme [T] [M], épouse [A] et de M. [V] [M] :

Sur leur appel du jugement du 5 octobre 2015 :

- dire l'appel mal fondé,

en conséquence, en débouter M. [V] [M] et Mme [T] [M], épouse [A] ainsi que de l'intégralité de leurs fins, moyens, demandes et prétentions ;

- confirmer le jugement du 5 octobre 2015 en ce qu'il a rejeté l'exception tirée de la prescription des demandes de M. [F] [M] antérieures au 12 avril 2004 et 12 avril 1989 ;

- les condamner aux frais et dépens d'appel,

Sur leur appel du jugement du 18 octobre 2021 :

- dire l'appel mal fondé, en débouter M. [V] [M] et Mme [T] [M], épouse [A] ainsi que de l'intégralité de leurs fins, moyens, demandes et prétentions ;

- confirmer le jugement du 18 octobre 2021, sous réserve des fins de l'appel de M. [F] [M] ;

- condamner M. [V] [M] et Mme [T] [M], épouse [A] aux frais de leur appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 octobre 2023, M. [V] [M] et Mme [T] [M], épouse [A], demandent à la cour de :

Sur appel du jugement du 5 octobre 2015 :

In limine litis, infirmer la décision rendue par le tribunal de grande instance le 5 octobre 2015 en ce qu'elle a rejeté l'exception de prescription des demandes de M. [F] [M] antérieures au 12 avril 2004 et 12 avril 1989 ;

Statuant à nouveau,

- juger que les demandes portant sur des sommes antérieures au 12 avril 2004 et 12 avril 1989 sont prescrites.

Sur appel du jugement du 18 octobre 2021 :

- déclarer l'appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé le loyer annuel de l'appartement à 2 849,92 euros, et fixé le loyer annuel des dépendances / annexes à 5 107,20 euros;

statuant à nouveau,

In limine litis, juger que les demandes portant sur des sommes antérieures au 12 avril 2004 sont prescrites ;

- juger que les demandes nouvelles portant sur la donation du fonds de commerce sont prescrites au jour du dépôt des conclusions du 13 décembre 2019.

Sur le fond,

- juger qu'à compter du 1er mars 1998, M. [V] [M] n'était plus locataire des biens loués ;

- juger que le l'intimé ne rapporte aucune preuve de l'occupation des dépendances par M. [V] [M] ;

Au besoin,

- juger que s'il est démontré l'existence d'une occupation gratuite, elle devra être requalifié en prêt à usage ;

En conséquence,

- juger que le l'intimé ne rapporte aucune preuve de l'existence d'un avantage indirect rapportable à la succession ;

- juger que M. [F] [M] ne formule aucune demande à l'encontre de Mme [T] [M] ;

- débouter M. [F] [M] de ses entières demandes, fins et conclusions ;

- confirmer les jugements du 5 octobre 2015 et 21 octobre 2021 pour le surplus.

Sur appel de M. [F] [M] :

- débouter M. [F] [M] de l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions  ; - confirmer le jugement entrepris pour le surplus, sous réserve des fins de l'appel principal ;

- condamner M. [F] [M] à payer à M. [V] [M] et à Madame [T] [A] la somme de 15 000,00 euros chacun par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [F] [M] aux entiers frais et dépens de l'instance (première instance et appel), en ce compris les frais taxables supportés par les parties concluantes, ainsi que les frais d'expertises judiciaires et privées ;

- dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et prononcer l'anatocisme.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

1 - Sur l'appel du jugement du 5 octobre 2015

Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de M. [F] [M] antérieures au 12 avril 2004 et 12 avril 1989, le tribunal a tout d'abord rappelé qu'il considérait que son frère, M. [V] [M], avait bénéficié de trois avantages indirects : un bail commercial ayant une contrepartie fictive, la jouissance des dépendances et celle de l'appartement situé au 1er étage de l'immeuble abritant le fonds de commerce sans contrepartie, puis a retenu en premier lieu que, s'agissant d'une demande de rapport à la masse successorale d'avantages indirects, et non d'une action en paiement d'un arriéré de loyers, la prescription quinquennale prévue par l'article 2224, qui reprend le délai de l'article 2277 ancien du code civil, ne pouvait être étendue à une situation antérieure à la naissance de l'indivision successorale, l'inaction prolongée des bailleurs ne pouvant être opposée aux héritiers qui étaient dépourvus du droit d'agir du vivant de leurs parents, et en second lieu que le droit au rapport de libéralités naissant à l'ouverture de la succession, l'article 2232 était inapplicable, l'assignation étant intervenue avant le 12 avril 2014.

Au soutien de leur appel, M. [V] [M] et Mme [T] [M] font valoir que la prescription quinquennale trouve à s'appliquer, et que c'est au jour de l'ouverture de la succession qu'il faut se placer pour apprécier si des dettes de loyers ou d'indemnités d'occupation existaient, et donc si elles sont prescrites ou non. Ils invoquent à cet égard deux arrêts de la Cour de cassation en date des 15 mai 2013, et 21 octobre 2015, dont ils déduisent que le point de départ de la prescription des dettes de l'héritier à l'égard de la succession n'est pas la date de l'ouverture de la succession, car pour être rapportables, les dettes constitutives de l'avantage indirect ne doivent pas être prescrites vis-à-vis du défunt au jour de l'ouverture de sa succession.

Ils soutiennent qu'à son décès, le [Date décès 3] 2009, [Y] [M] pouvait encore réclamer les loyers impayés jusqu'au 12 avril 2004, de sorte que la demande de M. [F] [M] n'est donc recevable que dans cette limite. En outre, le délai butoir de 20 ans trouverait, le cas échéant à s'appliquer, de sorte, que les demandes ne pourraient porter sur la période antérieure au 12 avril 1989.

Ils considèrent que l'analyse doit être la même que l'avantage indirect soit qualifié de loyer ou d'indemnité d'occupation.

M. [F] [M] fait sienne la motivation du tribunal et fait valoir, en s'appuyant sur différentes décisions de jurisprudence, que si le rapport de dette est exclu en cas de prescription de la dette au jour de l'ouverture de la succession, il n'en est pas de même du rapport des libéralités dont la prescription ne commence à courir qu'à compter de l'ouverture de la succession.

Il rappelle qu'il demande que M. [V] [M] soit tenu d'une indemnité de rapport égale aux loyers qui auraient dû être payés, et qui ne l'ont pas été ou alors pour un prix symbolique.

Sur ce :

L'article 843 du code civil, dispose « Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale ».

La demande de rapport à la succession formée par M. [F] [M] porte sur trois avantages indirects dont aurait bénéficié son frère, M. [V] [M], résultant de :

- 'la contrepartie fictive' liée au bail du 20 décembre 1979 concernant le fonds de commerce de boulangerie, le loyer ayant été fixé à un montant annuel symbolique de 1 000 francs ;

- l'absence de contrepartie financière pour l'utilisation des dépendances du 'fonds de commerce' qui n'étaient pas incluses dans le bail commercial ;

- l'occupation gratuite, dès 1979, du logement d'habitation situé au premier étage de l'immeuble où se situe le fonds de commerce.

La cour ne peut que constater que la demande de M. [F] [M] ne tend pas au rapport de dettes, à savoir de loyers impayés au jour du décès d'[Y] [E], veuve [M], mais d'avantages indirects dont aurait bénéficié M. [V] [M] du fait d'un loyer minoré pour le local commercial, et de la gratuité de la jouissance des dépendances et d'un appartement, constituant des libéralités.

En effet, la référence faite par M. [F] [M] à des loyers restés impayés n'est destinée qu'à étayer sa démonstration de l'existence d'une intention libérale des bailleurs, et sa réclamation ne porte, s'agissant du local commercial, que sur l'avantage retiré par M. [V] [M] du paiement d'un loyer minoré et non revalorisé, raison pour laquelle l'appelant porte en déduction de sa réclamation les loyers payés par son frère. Il sera en outre observé que le bail commercial ayant été transféré en 1998 à la SARL [V] [M], seule cette dernière serait, en tout état de cause, redevable, le cas échéant, d'arriérés de loyers.

Le délai de prescription de l'action tendant au rapport de libéralités ne commençant à courir qu'à compter de l'ouverture de la succession, c'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que l'action de M. [F] [M], introduite par assignations des 27 février et 7 mars 2012, dans les cinq ans du décès d'[Y] [E], veuve [M] n'était pas prescrite, le délai butoir prévu par l'article 2232 du code civil, qui concerne le report du point de départ de la prescription, n'ayant pas vocation à s'appliquer en l'espèce.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

2 - Sur l'appel du jugement du 18 octobre 2021

2- 1 sur la prescription

Le tribunal a relevé que dans le dispositif de leurs dernières conclusions, les défendeurs - M. [V] [M] et Mme [T] [M] - ne soulevaient la prescription que pour les demandes 'nouvelles' de M. [F] [M] tendant au remboursement de la taxe foncière, de la taxe de droit au bail et de la CSG ainsi que sur la donation du fonds de commerce.

Il a considéré, après avoir visé les conclusions de M. [F] [M] du '19 décembre 2019", en premier lieu, que 'la demande reconventionnelle' concernant la prescription portant sur la valeur du fonds de commerce, était sans intérêt puisqu'aucune demande chiffrée n'était contenue dans le dispositif de 'la demande'. En second lieu, il a considéré que l'action en remboursement des taxes acquittées se prescrivait par cinq ans et que, quelle que soit la date retenue, - décès d'[Y] [M], ou jour où les cohéritiers avaient eu la possibilité d'agir -, la prescription était déjà intervenue au 13 décembre 2019.

M. [F] [M] considère que c'est à tort que le tribunal a d'une part, considéré qu'il n'était pas saisi de demandes chiffrées concernant la donation du fonds de commerce, en ayant retenu ses conclusions de décembre 2019 comme étant les dernières, alors qu'il avait encore conclu le 11 décembre 2020, et qu'il a d'autre part, déclaré ses demandes complémentaires, et non pas nouvelles, prescrites, alors que les assignations avaient été diligentées dès février et mars 2012, soit dans les cinq ans du décès d'[Y] [E], veuve [M], de sorte que ses prétentions, y compris concernant le fonds de commerce, n'étaient pas prescrites, outre que la demande de rapport porte notamment, sur des remboursements pour les années 2007 et 2008.

M. [V] [M] et Mme [T] [M] font leurs les motifs du jugement, et font valoir en outre que la demande de 'rapport' de la valeur du fonds de commerce est également prescrite, motifs pris de ce que s'agissant d'une donation préciputaire, seule l'action en réduction était susceptible d'être engagée, et devait l'être dans le triple délai visé à l'article 921 du code civil, de 5 ans à compter de l'ouverture de la succession, ou de 2 ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte à la réserve, sans dépasser 10 ans à compter du décès.

Sur ce :

La cour constate tout d'abord que c'est à tort que le tribunal s'est référé à des conclusions de M. [F] [M] datées du 13 décembre 2019, alors que ce dernier avait conclu à nouveau, et en dernier lieu, le 11 décembre 2020, et donc qu'il a constaté « ne pas être saisi des conséquences chiffrées concernant la valeur du fonds de commerce », alors que dans ses dernières conclusions, M. [F] [M] demandait au tribunal de « constater, au besoin dire et juger que M. [V] [M] a bénéficié d'une cession particulièrement avantageuse d'un fonds de commerce, au tiers de sa valeur réelle », et qu'il formait une prétention chiffrée globale pour tous les avantages indirects à hauteur d'une somme totale de 717 419,18 euros, demande qu'il réitère à hauteur de cour.

La demande de rapport concernant « la valeur du fonds de commerce » n'est donc pas une demande nouvelle en appel, et le jugement devra être complété en tant qu'il a omis de statuer sur la prescription de cette demande.

A cet égard, les intimés relèvent à bon droit que la donation du fonds de commerce dont a bénéficié M. [V] [M], le 20 novembre 1979, était consentie à titre préciputaire et hors part, de sorte que seule l'action en réduction peut être engagée.

Selon l'article 921, alinéa 2 du code civil, dans sa version applicable au litige, le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.

La demande qui a été formée dans des conclusions datées du 13 décembre 2019, transmises par RPVA le 16 décembre 2019, soit plus de dix ans après le décès d'[Y] [E], veuve [M], est donc manifestement irrecevable comme prescrite.

M. [F] [M] prétend par ailleurs que selon le contrat de bail de locaux commerciaux du 20 décembre 1979, M. [V] [M], preneur, était redevable du paiement des taxes foncières, taxes additionnelles au droit au bail et CSG foncière, et que ces taxes ayant été acquittées par les bailleurs, en ses lieu et place, contrairement à ce dont étaient convenues les parties, l'intimé a ainsi bénéficié de libéralités annexes dont il doit rapport à la succession.

Cette demande, comme précédemment, ne tend pas au rapport d'une dette mais d'une libéralité. Il est admis par les parties qu'elle n'a été présentée pour la première fois que par conclusions du 13 décembre 2019, transmises par RPVA le 16 décembre 2019, soit plus de dix ans après le décès d'[Y] [E], veuve [M], survenu le [Date décès 3] 2009, de sorte que la prescription quinquennale ayant commencé à courir à cette date était acquise. Elle l'est au demeurant également, en considérant que la demande porterait sur un rapport de dettes.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

2-2 les avantages indirects

M. [F] [M] fait valoir que les avantages indirects dont a bénéficié [V] [M] sont de trois ordres :

- la location des locaux commerciaux moyennant un loyer symbolique lorsqu'il exerçait « en propre » puis par la SARL [V] [M] à partir de 1998, sans conclusion d'un nouveau bail,

- l'occupation gratuite des dépendances (s'agissant d'un ancien corps de ferme)

- l'occupation de l'appartement situé au 1er étage au-dessus de la boulangerie sans payer de loyer, le tout formant un ensemble indivisible.

Il invoque l'article 843 du code civil, et fait valoir que le fait de ne pas réclamer des loyers à l'héritier occupant, ou de lui louer un bien moyennant un loyer fictif est constitutif d'une libéralité rapportable.

Le tribunal a retenu que :

- l'avantage dont avait bénéficié M. [V] [M] au titre des locaux commerciaux trouvait sa limite en 1998, date à laquelle la SARL éponyme avait exploité le fonds de commerce, et que la prescription étant acquise au jour de l'assignation qui a saisi le tribunal le '10 novembre 2013", que l'on se place au jour du décès d'[Y] [M] ou au jour où les cohéritiers avaient la possibilité d'agir, la demande était prescrite ;

- M. [V] [M] avait occupé l'appartement au-dessus de la boulangerie sans payer de loyer, ce qui constituait un avantage indirect rapportable à la succession, dans la limite de la prescription quinquennale ;

- les parties s'accordaient pour considérer que l'ensemble immobilier était indivisible ;

- l'intention libérale découlait de l'appauvrissement de l'usufruitière, sans contrepartie, le fait qu'elle trouve son couvert au quotidien à la table de M. [V] [M] n'étant pas la contrepartie de la jouissance gratuite du logement mais de l'aide qu'elle apportait à son fils pour la vente dans le commerce ;

- le même raisonnement pouvait être appliqué aux dépendances, les parties étant convenues au cours des opérations d'expertise de considérer l'ensemble immobilier comme indivisible, de sorte que M. [V] [M] ne pouvait revenir sur cet accord et arguer de ce qu'il n'en aurait occupé qu'une partie ;

- le loyer annuel pouvait être fixé à 2 849,92 euros, soit 14 249,60 euros pour 5 ans pour le logement et à 5 107,20 euros, soit 25 536 euros pour 5 ans pour les dépendances.

M. [F] [M] fait valoir, s'agissant du bail commercial, que le tribunal se contredit puisqu'il a retenu la prescription tout en ayant relevé que M. [V] [M] et Mme [T] [M] ne reprenaient pas la fin de non-recevoir tirée de la prescription des loyers dans le dispositif de leurs conclusions car cela avait été tranché en 2015 ; que l'interposition d'une personne morale ne fait pas obstacle au rapport ; que le bail prévoyait un loyer annuel de 1 000 francs manifestement dérisoire et fictif ; que les intimés ne peuvent prétendre de mauvaise foi, pour la première fois à hauteur de cour, qu'il s'agirait d'une erreur de plume ni dénaturer les clause claires de l'acte, le terme annuel étant mentionné à plusieurs reprises ; que la preuve du paiement d'un loyer mensuel, ni même annuel n'est pas non plus rapportée ; qu'un tel paiement n'est pas mentionné sur les déclarations fiscales de leurs parents ; que le décompte erroné qu'il a pu établir au début de la procédure ne

peut lui être opposé ; qu'un nouveau bail n'a pas été conclu avec la SARL cessionnaire du fonds de commerce ; que le loyer n'a jamais été révisé ; et que, si selon les témoignages produits par les intimés les bailleurs ne se sont jamais plaints d'un défaut de paiement du loyer c'est qu'à l'évidence, il existait une volonté de ces derniers de conférer un avantage indirect à leur fils.

S'agissant du logement, M. [F] [M] fait valoir que M. [V] [M] a bénéficié de ce logement de 6 pièces à partir de 1979, sans démontrer avoir payé un loyer ; que le logement ne faisait pas partie des locaux loués dans le bail commercial ; que l'existence d'un droit d'usage et d'habitation au profit de Mme [R] [M], soeur de [Z] [M], qui était religieuse, et n'en a jamais profité puisqu'elle vivait dans un couvent, est sans emport.

Enfin, s'agissant des dépendances, M. [F] [M] fait valoir que si seule une petite partie de l'extension du bâtiment principal a été utilisée par M. [V] [M] à des fins professionnelles, il a par contre utilisé une grande partie du rez-de-chaussée en tant qu'atelier de menuiserie, et l'appentis a été utilisé pour le stationnement des véhicules et le stockage de bois.

Les intimés opposent s'agissant du bail commercial, que le tribunal n'a pas tenu compte des paiements effectués dont ils rapportent la preuve, et n'a pas apprécié correctement les surfaces ; que le loyer n'était pas dérisoire s'agissant en réalité d'un loyer mensuel, le terme annuel résultant d'une erreur de plume, le contrat étant très mal rédigé ; qu'il a été réévalué, et régulièrement payé, l'appelant l'admettant à tout le moins depuis 1993 ; que les déclarations fiscales des époux [M] ne sont pas nécessairement fiables, [Z] [M] ne déclarant pas toujours les montants versés en espèces ; que d'ailleurs dans ses propres décomptes, M. [F] [M] qui gérait les affaires de sa mère admet des paiements ; que depuis le 20 février 1998 et le transfert du bail à la SARL, devenue SAS, M. [V] [M] ne doit plus les loyers, de sorte que le rapport ne pourrait être dû, tout au plus, que pour la part détenue par l'héritier dans le capital, or M. [V] [M] n'est plus associé.

Ils soutiennent par ailleurs que le bail incluait le logement, et que le tribunal aurait dû tenir compte de la reprise du bail par la SARL [V] [M], outre qu'il n'a pas été tenu compte du droit d'usage et d'habitation réservé à Mme [R] [M], de sorte que M. [V] [M] ayant payé un montant total de 161 154,50 euros pour l'ensemble des locaux qu'il occupait, il a en réalité versé plus que la valeur locative chiffrée par l'expert, après déduction de la valorisation de ce droit d'usage et d'habitation.

S'agissant des dépendances, M. [V] [M] et Mme [T] [M] font valoir que l'ancien bâtiment agricole qui est vétuste, et n'est ni chauffé ni alimenté en eau ne servait que de lieu de stockage pour les parents des parties et n'a jamais été utilisé par M. [V] [M], M. [F] [M] ne démontrant pas le contraire, et que le tribunal a par ailleurs inclus à tort dans les dépendances le bâtiment du fond qui sert à la boulangerie (silo et fournil), alors qu'il est inclus dans le bail.

Sur ce :

Il convient de constater qu'après avoir retenu, dans les motifs de sa décision, la prescription de la demande, le tribunal n'a pas statué dans son dispositif sur cette prétention.

Selon un jurisprudence établie, seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier, est rapportable à la succession.

Si M. [F] [M] relève à juste titre que l'interposition d'une personne morale ne fait pas obstacle au rapport à la succession d'une libéralité, encore faut-il qu'il soit démontré que l'héritier, qui est seul tenu au rapport, bénéficie d'un avantage indirect, le rapport n'étant en effet dû, dans cette hypothèse, que pour la part détenue par l'héritier dans le capital social.

Or il appartient à M. [F] [M], sur qui pèse la charge de la preuve, de démontrer quelle était la participation de son frère dans le capital de cette société, ce dernier indiquant avoir constitué ladite société pour transmettre le fonds à sa fille et à son gendre et affirmant, sans être contredit, ne plus être associé.

Il n'est dès lors pas démontré que M. [V] [M] ait pu, à travers la société qu'il a créée, et qui est exploitée désormais, depuis une date non précisée, par sa fille et son gendre, bénéficier d'un avantage indirect du fait d'une minoration du loyer.

La cour constate en premier lieu que le contrat de bail commercial qui est rédigé sur un document pré-imprimé, sommairement rempli, prévoit un loyer annuel de 1 000 francs, sans que la ligne suivante prévoyant un paiement par termes mensuels ou trimestriels soit renseignée, et en second lieu que n'y figure pas la désignation précise des locaux commerciaux qui sont seulement identifiés par l'adresse de l'immeuble dont ils dépendent, [Adresse 5] à [Localité 7].

Sur ce dernier point, il ressort de l'acte de donation du fonds de commerce du 29 novembre 1979 que les donateurs s'engageaient à louer au donataire 'les locaux dans lesquels le fonds de commerce est exploité, aux termes d'un contrat de bail à intervenir incessamment'.

Au cours des opérations d'expertise, les parties sont expressément convenues que l'ensemble des locaux formait un tout indivisible du point de vue de l'exploitation du fonds de commerce, une partie des dépendances étant en effet affectée à l'exploitation, et le logement de l'étage n'étant accessible que par le commerce, ne disposant pas d'une cuisine, et n'étant pas raccordé aux réseaux d'eau et d'électricité de manière indépendante, ce qui excluait qu'il puisse faire l'objet d'une mise en location indépendamment du fonds. Les parties étaient également convenues de 'considérer l'ensemble immobilier comme une entité à part entière occupée en totalité par M. [V] [M] sur la période 1979 à 2009".

En considération de cet accord, l'expert judiciaire a procédé à une évaluation des surfaces des différents bâtiments en appliquant des coefficients de pondération conformes à la Charte de l'expertise, et a déterminé la valeur locative de l'ensemble des locaux, année par année de 1979 à 2009.

Il a relevé qu'un droit d'usage et d'habitation était inscrit au Livre foncier au profit de Mme [R] [M], soeur de [Z] [M], religieuse, et a indiqué que, communément, un tel droit d'usage était valorisé à 60% de la valeur de l'usufruit, lequel, compte tenu de l'âge de la bénéficiaire, serait de 50% à 20% de 1979 à 2009 en fonction du barème légal. Il a ajouté que ce droit d'usage et d'habitation était de nature à impacter la valeur locative, mais que cette question serait à trancher ultérieurement.

M. [F] [M] critique le rapport d'expertise judiciaire qui comporte, selon lui, de multiples erreurs, notamment sur l'année de construction de l'immeuble, s'appuie sur des coefficients de pondération fixés arbitrairement, et non sur une étude de marché permettant de déterminer la commercialité de l'emplacement comme cela est préconisé par la Charte de l'entreprise applicable depuis juillet 2015, et oppose un rapport d'expertise de Mme [G] [P], expert judiciaire.

Les intimés considèrent que l'expert judiciaire, M. [D], a parfaitement rempli sa mission, que les critiques qui lui sont faites ne sont pas fondées, et produisent un rapport établi par M. [I] qui en conforte les conclusions.

La cour constate que les critiques exprimées par M. [F] [M] ont été soumises à l'expert, dans un dire du 12 janvier 2018, que celui-ci y a répondu de manière très précise, explicitant notamment le choix du classement du bien en catégorie 3 et le barème de pondération appliqué. L'expert a également examiné les références produites par M. [F] [M] qu'il a écartées pour différents motifs qu'il indique, soulignant que la méthode consistant à fixer la valeur locative au regard des prix couramment pratiqués dans le voisinage était impossible à mettre en oeuvre en raison de l'absence de références fiables sur la période de 1979 à 2009, les références actuelles ne reflétant pas le marché de l'époque.

L'appréciation des experts privés diverge de celle de l'expert judiciaire s'agissant du coefficient de pondération à appliquer d'une part aux 'annexes reliées' : 0,30 pour M. [D], 0,25 pour M. [I] et 0,60 pour Mme [P], d'autre part aux 'annexes reliées à usage d'habitation' : MM. [D] et [I] s'accordant sur 0,2 et Mme [P] retenant 0,5.

Ces divergences d'appréciation, qui n'ont pas fait l'objet d'un débat contradictoire au cours des opérations d'expertise, ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'expert judiciaire, étant au surplus observé que les conclusions de M. [I] sont très proches de celles-ci, et que Mme [P] ne s'est quant à elle pas rendue sur les lieux et s'est prononcée sur la base des pièces qui lui ont été soumises.

Il en est de même, s'agissant des références à prendre en compte pour la détermination de la valeur locative, l'expert ayant souligné la difficulté de trouver des valeurs adéquates au regard de l'ancienneté de la période d'évaluation. La pertinence des références proposées par les experts privés, qui est discutée, ne peut par ailleurs pas être vérifiée en l'absence d'éléments suffisants.

Il convient donc de ne retenir que les seules conclusions de M. [D], expert judiciaire.

Conformément à l'accord des parties, l'ensemble immobilier sera envisagé en sa globalité.

S'agissant du caractère prétendument dérisoire du loyer prévu dans le bail ayant pris effet au 1er janvier 1980, les intimés se prévalent d 'une erreur matérielle, et soutiennent, en appel, comme ils l'avaient déjà fait en première instance, que le loyer stipulé était en réalité mensuel. A cet égard, il sera relevé que le premier décompte établi par M. [F] [M] prenait en considération un loyer mensuel. Il est par ailleurs établi tant par des extraits du Grand livre de la société [V] [M]

concernant les années 2000 à 2002 et 2008, corroborés par les relevés de compte de Mme [Y] [M], que par les comptes de résultat simplifiés de la boulangerie des années 1980 à 1982, et par les livres de caisse versés aux débats par M. [V] [M] pour les années 1985, 1986, 1988, 1989, 1991, 1993, 1995 à 1997 incluse, qu'il réglait, comme la société, un loyer mensuel.

Ces éléments sont également corroborés par les déclarations de revenus des époux [Z] et [Y] [M], puis de cette dernière seule, qui font apparaître des revenus fonciers afférents, notamment, à l'immeuble, sis [Adresse 5]. Il ressort également de ces éléments de preuve que le loyer a été revalorisé, à tout le moins jusqu'en 1993, M. [V] [M] ayant ainsi notamment réglé mensuellement 1 800 francs en 1985, 2 000 francs en 1986 et 2 400 francs en 1988, et enfin 3 000 francs en 1993, 1995 et 1996, ce qui est confirmé par les déclarations de revenus fonciers des époux [M].

Il est ainsi établi que, contrairement à ce que soutient M. [F] [M], les loyers ont été régulièrement payés et revalorisés, quand bien même la preuve des paiements n'a-t-elle pas pu être rapportée pour la totalité de la période de 29 ans considérée, compte-tenu de l'ancienneté des faits, certains paiements étant au surplus faits en espèces.

Il ressort également des productions que, comme l'affirme M. [V] [M], il réglait un loyer en contrepartie de l'occupation du logement, la mention '70% et 30 %' apparaissant sur certains livres de caisse en face du montant du loyer, et cette mention étant explicitée dans le livre de caisse de 1997 qui opère une distinction claire entre le loyer du commerce et le loyer privé, ainsi que dans les déclarations de revenus de M. [V] [M].

Il appartient à M. [F] [M] de démontrer que les loyers stipulés et versés étaient dérisoires au regard de la valeur locative des biens, comme il le soutient.

L'expert judiciaire, après avoir tenu compte de l'évolution des surfaces consécutive à une augmentation de la surface de vente en 1982 et à la reconstruction en 1995 du bâtiment central comportant notamment des locaux techniques abritant le fournil, le laboratoire et un espace de stockage de la farine, retient pour la totalité des locaux, incluant l'appartement et les diverses dépendances, notamment les valeurs locatives annuelles totales suivantes prises à titre d'exemple, de :

- 19 793,44 francs en 1980, année de prise d'effet du bail, pour une surface pondérée totale de 161,07 m²,

- 29 420 francs pour 1985 pour une surface pondérée totale de 169,47 m²,

- 30 368,98 francs pour 1986 pour une surface pondérée totale de 169,47 m²,

- 32 144 francs en 1988 pour une surface pondérée totale de 169,47 m²,

- 32 592,15 francs en 1989 pour une surface pondérée totale de 169,47 m²,

- 41 010,44 francs en 1995 pour une surface pondérée totale de 194,31 m²,

- 42 732,98 francs, en 1997, pour une surface pondérée totale de 194,31 m²,

- 45 825,49 francs, soit 6 986,05 euros en 2001, pour une surface pondérée totale de 194,31 m².

Les loyers payés s'établissent pour lesdites années, prises à titre d'exemple, selon les pièces produites a :

- 12 000 francs en 1980

- 21 600 francs en 1985

- 24 000 francs en 1986

- 28 800 francs en 1988

- 31 200 francs en 1989

- 36 000 francs en 1993, 1995 et 1996

- 36 000 francs en 1997 selon déclaration de revenus d'[Y] [M], dont 25 200 francs pour la partie commerciale et 10 800 francs pour la partie privée selon livre de caisse de M. [V] [M],

- 3 841,68 euros pour le loyer commercial, à partir de 2001 (Grand livre de la société, extraits de compte d'[Y] [M]).

Si postérieurement à la constitution de la SARL [V] [M], les documents comptables ne permettent plus d'établir le paiement du loyer pour le logement, il ressort toutefois des attestations de M. [S] [N], contrôleur des impôts retraité, qui assistait [Z] [M] pour l'établissement de ses déclarations fiscales, que M. [V] [M] réglait les loyers pour le commerce et la partie privée en espèces, en accord avec son père, et que postérieurement au décès de celui-ci, les déclarations étaient faites sur la base des seules déclarations de M. [F] [M] ; de l'attestation de M. [B], expert-comptable qu'il a été informé par M. [V] [M], dès le début de son intervention en 2005, du versement mensuel de 305 euros en espèces pour la partie habitation ; et de l'attestation de Mme [L] [U], soeur d'[Y] [M], que celle-ci lui avait déclaré que son fils [V] lui réglait régulièrement le loyer qu'il lui devait pour la partie professionnelle et la partie privée, et que ce loyer lui permettait de subvenir à ses besoins, ajoutant que du lundi au samedi [Y] [M] prenait ses petits-déjeuners et déjeuners à la boulangerie. En l'état de ces éléments de preuve et de l'existence d'un doute sérieux quant à la fiabilité des déclarations fiscales établies par M. [F] [M], dont il est soutenu de manière crédible qu'elles auraient été minorées, il existe un faisceau d'indices en faveur de la poursuite du règlement d'un loyer par M. [V] [M] pour le logement, postérieurement à 1998.

Il s'évince de la comparaison des chiffres ci-dessus indiqués, à titre d'exemple, que les loyers réglés, même inférieurs à la valeur locative, n'apparaissent pas pour autant manifestement dérisoires.

En outre, les intimés font valoir, à bon droit, que les valeurs locatives déterminées par l'expert ne tiennent pas compte du droit d'usage et d'habitation consenti à Mme [R] [M], lequel doit nécessairement s'imputer sur ces valeurs, quand bien même la bénéficiaire du droit ne l'exerce pas. Ils produisent à cet égard, en annexe 95, un tableau dressé par Me [O], notaire, qui précise les modalités de valorisation de ce droit pour chaque année, en fonction de l'âge de la bénéficiaire, lequel n'est pas discuté.

Or, il ressort des tableaux figurant en pages 50 et 51 des conclusions de M. [V] [M] et de Mme [T] [M], dont les indications sont, pour l'essentiel, corroborées par les pièces produites, que les montants versés sont équivalents, voire supérieurs, à la valeur locative déterminée après imputation de la valorisation du droit d'usage et d'habitation réservé à Mme [R] [M], calculée sur la base de la valeur locative déterminée par l'expert selon les modalités précisées par Me [O], notaire.

Cette valeur locative peut en effet être estimée à 139 636,30 euros pour la période de 1980 (prise d'effet du bail) à [Date décès 3] 2009 (décès d'[Y] [M]), alors que les loyers réglés pendant cette période totalisent 161 154,50 euros selon les intimés, ce qui est conforté par les pièces versées aux débats ci-dessus évoquées et listées dans ces tableaux, l'absence de preuve de l'un ou l'autre des versements allégués sur la période considérée n'étant pas de nature à établir une minoration significative et excessive des loyers versés par rapport à la valeur locative des biens mis à disposition.

Enfin, s'il existe une discussion quant à l'usage des dépendances, autres que celles nécessaires à l'exploitation du fonds de commerce, pour lesquelles M. [V] [M] admet ne pas avoir réglé de loyer, il n'est toutefois pas sérieusement contesté que cet usage, qui est établi, plusieurs témoins indiquant qu'il y avait un atelier de menuiserie, n'était, en tout état de cause pas exclusif, puisque les parents des parties, qui vivaient dans l'immeuble voisin, les utilisaient également comme lieu de stockage.

Par voie de conséquence, en l'état de ces constatations, la preuve n'est pas rapportée d'un appauvrissement des époux [Z] et [Y] [M] ou de cette dernière, qui étaient usufruitiers desdits biens, au profit de M. [V] [M].

Le jugement doit donc être infirmé en tant qu'il a retenu l'existence d'avantages indirects dont celui-ci devait rapport, M. [F] [M] étant débouté de ses demandes à ce titre.

3 - Sur les dépens et les frais exclus des dépens

le tribunal ayant réservé à statuer sur certaines demande, il n'y pas lieu de statuer sur les dépens de première instance.

Les dépens d'appel seront supportés par M. [F] [M] qui succombe en son appel. Il sera débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera en revanche alloué à M. [V] [M] et à Mme [T] [M], épouse [A], qui ont assuré une défense commune, une somme totale de 10 000 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

Statuant dans les limites de l'appel,

CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 5 octobre 2015 ;

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 18 octobre 2021 en ce qu'il déclaré prescrite toute demande afférente aux taxes foncières, de droit au bail et de CSG ;

INFIRME ledit jugement en tant qu'il a :

- constaté ne pas être saisi des conséquences chiffrées concernant la valeur du fonds de commerce,

- fixé le loyer annuel de l'appartement à 2 849,92 euros

- fixé le loyer annuel des annexes à 5 107,20 euros

Statuant à nouveau et ajoutant à ce jugement,

DÉCLARE irrecevable comme prescrite la demande de 'rapport' concernant la valeur du fonds de commerce ;

REJETTE les demandes de M. [F] [M] tendant à voir dire que M. [V] [M] a bénéficié d'avantages indirects au titre de l'occupation gratuite du logement d'habitation, des dépendances du 'fonds de commerce' et d'un bail commercial fictif, et condamner ce dernier à rapporter à la succession [E]-[M] le montant de ces avantages indirects ;

REJETTE la demande formée en cause d'appel par M. [F] [M] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [F] [M] à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [V] [M] et à Mme [T] [M], épouse [A], une somme totale de 10 000 € (dix mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile aux titres des frais exclus des dépens qu'ils ont exposé en cause d'appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/04893
Date de la décision : 21/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-21;21.04893 ?
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