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31/05/2024 | FRANCE | N°20/00159

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 31 mai 2024, 20/00159


MINUTE N° 221/2024































Copie exécutoire

aux avocats



Le 31 mai 2024



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 31 Mai 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/00159 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HINT



Décision déférée à la cour : 08 Juillet 2019 par le tribu

nal de grande instance de STRASBOURG



APPELANTE :



Madame [Z] [A] épouse [U]

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Guillaume HARTER de la SELARL LX AVOCATS, avocat à la cour.





INTIMÉ et appelant en garantie :



Monsieur [S] [V]

demeuran...

MINUTE N° 221/2024

Copie exécutoire

aux avocats

Le 31 mai 2024

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 31 Mai 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/00159 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HINT

Décision déférée à la cour : 08 Juillet 2019 par le tribunal de grande instance de STRASBOURG

APPELANTE :

Madame [Z] [A] épouse [U]

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Guillaume HARTER de la SELARL LX AVOCATS, avocat à la cour.

INTIMÉ et appelant en garantie :

Monsieur [S] [V]

demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Thierry CAHN de la SCP CAHN et Associés, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me Thibaud MAI, avocat à Colmar.

INTIMÉ et appelé en garantie :

2/ Le Groupement [...] venant aux droits de [...] représenté par son représentant légal

ayant siège social [Adresse 2]

représenté par Me Dominique HARNIST, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me LUTZ-SORG, avocat à [Localité 8].

INTIMÉE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU [Localité 6] prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 3]

assignée le 8 avril 2020 par remise de l'acte en l'étude de l'huissier de justice instrumentaire, n'ayant pas constitué avocat.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre, et madame Nathalie HERY, conseiller, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre,

Madame Myriam DENORT, conseiller

Madame Nathalie HERY, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT rendu par défaut

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS et PROCÉDURE

M. [W] [U], qui souffrait de la hanche droite et de la région lombaire, a subi une intervention chirurgicale pratiquée par le docteur [S] [V], le 21 mai 2010, au sein de [...] à [Localité 8].

Suite à une persistance des douleurs, il a été hospitalisé à nouveau et a subi une nouvelle intervention pratiquée par le même chirurgien le 30 juillet 2010, avant d'être admis en urgence le 17 août 2010, et de subir une troisième intervention, le 20 août 2010, pratiquée par le docteur [G].

Il a par la suite saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) qui a ordonné, le 25 octobre 2012, une expertise confiée aux docteurs [R], chirurgien orthopédiste, et [H], infectiologue.

Suite au dépôt du rapport d'expertise daté du 24 décembre 2012, la CRCI a, le 5 février 2013, émis un avis selon lequel la réparation des préjudices subis par M. [U] incombait à l'association [...] au titre d'une affection nosocomiale et au docteur [V] au titre d'un retard de diagnostic, énumérant les préjudices qu'il convenait à leurs assureurs respectifs d'indemniser et précisant qu'il appartenait à ces assureurs d'adresser une offre d'indemnisation dans le délai de quatre mois suivant la réception de cet avis. En l'absence d'offre ou en cas de refus d'une telle offre par les assureurs, le demandeur pourrait saisir l'ONIAM afin d'être indemnisé.

Le 28 octobre 2013, l'ONIAM, saisi par M. [U] suite au silence de l'association [...] et du docteur [V] ainsi que de leurs assureurs respectifs, a indiqué ne pas être en mesure de lui présenter une offre d'indemnisation, au regard des dispositions de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. Il a indiqué ne pas pouvoir se substituer aux assureurs défaillants en raison de la non-conformité du taux de déficit fonctionnel permanent retenu par l'expert et la commission au barème annexé au code de la santé publique, et du fait que n'étaient pas atteints les seuils fondant la compétence de la commission au titre de l'infection nosocomiale mise à la charge de l'association [...].

M. [U] étant décédé le [Date décès 5] 2014, son épouse, en sa qualité d'ayant droit, a saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg d'une demande d'indemnisation dirigée contre l'association [...] et contre le docteur [V], lesquels ont soulevé l'irrecevabilité de la demande au visa de l'article L.1142-1-1 du code de la santé publique, soutenant que l'action devait être dirigée contre l'ONIAM.

Par jugement du 8 juillet 2019 déclaré commun et opposable à la CPAM du [Localité 7], le tribunal a constaté que le taux d'AIPP (atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique) de M. [U] était de 50 % et, en conséquence, a déclaré l'action de Mme [A], veuve [U], et de la CPAM du [Localité 7] dirigée contre l'association [...] et contre le docteur [V] irrecevable au regard des dispositions de l'article L.1142-1-1 du code de la santé publique, condamnant Mme [A], veuve [U], aux entiers frais et dépens.

Le tribunal, après avoir rappelé les dispositions de l'article L 1142-1-1 du code de la santé publique, a notamment relevé que, selon l'expertise médicale du 24 décembre 2012, M. [U] avait présenté une infection nosocomiale du site opératoire, la confirmation bactériologique de l'affection ayant été obtenue grâce au prélèvement bactériologique per-opératoire réalisé par le docteur [G] le 20 août 2010 ; que l'origine de l'infection était endogène et son acquisition s'était faite lors de l'intervention initiale réalisée par le docteur [V] le 21 mai 2010, malgré le respect de toutes les règles de prévention des infections du site opératoire ; qu'il n'y avait pas eu de dysfonctionnement dans l'organisation et le fonctionnement du service, toutes les précautions d'usage ayant été prises et les moyens en personnel et en matériel mis en 'uvre lors de la réalisation de l'acte en cause correspondant aux obligations prescrites en matière de sécurité ; que cependant, le diagnostic de cette affection avait été retardé par l'absence de réalisation de prélèvements bactériologiques qui s'imposaient lors de l'intervention pratiquée par le docteur [V], le 30 juillet 2010 ; que l'état de M. [U] était en relation avec l'évolution de l'infection post-opératoire, alors que la chirurgie du 21 mai 2010 devait conduire à un état fonctionnel permettant la déambulation, l'autonomie et la reprise du travail.

Le tribunal a retenu que les experts avaient précisé que le retard intervenu dans le diagnostic de cette infection était à l'origine de la majorité des séquelles dont souffrait M. [U] et qu'il avait conduit à une perte de chance d'obtenir une guérison sans séquelles, les données actuelles de la littérature soulignant qu'un traitement chirurgical précoce associé à une antibiothérapie conforme permettait la guérison dans 93 % des cas.

Le tribunal a rappelé que, dans le cadre de la mission qui leur avait été confiée par la CRCI, les experts devaient, dans le cas où le barème applicable (article D. 1142-3 du code de la santé publique) ne comportait pas de référence, informer, par avis motivé, la commission des références à l'aide desquelles l'évaluation avait été réalisée ; qu'en l'espèce pour justifier le taux de 50 % d'AIPP contesté par l'ONIAM et ayant motivé son refus d'intervention, les experts commis avaient expressément expliqué que l'utilisation du barème annexé au code de la santé publique ne rendait pas compte du handicap fonctionnel de M. [U], raison pour laquelle ils avaient décidé de se référer à un autre barème, le MELENNEC, dont ils avaient annexé le chapitre relatif au rachis.

Il a estimé qu'en se contentant, pour refuser d'intervenir, de relever que le taux d'AIPP fixé n'était pas conforme au barème du code de la santé publique qui s'imposait aux experts, et qu'en conséquence, le taux d'AIPP était de 15 %, donc inférieur au seuil de gravité requis pour justifier son intervention, l'ONIAM avait méconnu les dispositions de l'article D. 1142-3 du code de la santé publique.

De plus, aucun élément technique n'était opposé aux conclusions de l'expertise pour remettre en cause le taux d'AIPP fixé conformément à l'avis motivé des docteurs [R] et [H]. Enfin, tout en ayant décidé d'agir contre l'association [...] et le docteur [V] et en admettant ainsi implicitement que le taux d'AIPP était de 15 %, Mme [A], veuve [U], chiffrait le préjudice sur la base d'un taux d'AIPP de 50 % et elle acquiesçait donc aux conclusions de l'expertise.

Mme [A], veuve [U], a interjeté appel de ce jugement par déclaration datée du 3 janvier 2020.

Par ordonnance du 2 février 2021, le conseiller chargé de la mise en état a déclaré irrecevable la requête de l'association [...] tendant à ce que la demande de Mme [A], veuve [U], dirigée contre elle soit déclarée irrecevable.

Par arrêt avant dire droit du 29 septembre 2022, la cour a sursis à statuer et ordonné la réouverture des débats, invitant les parties à s'expliquer sur l'absence de mise en cause de l'ONIAM devant le tribunal, préalablement à sa décision d'irrecevabilité des actions de Mme [Z] [A], veuve [U], et de la CPAM fondées sur l'existence d'un taux d'AIPP de la victime de l'infection nosocomiale rendant ses conséquences dommageables indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, mais aussi sur l'existence d'une procédure distincte qui serait en cours à l'encontre de cet office devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, ainsi que sur la recevabilité de la demande de Mme [Z] [A], veuve [U], au vu du fondement de son action, à l'encontre du docteur [V], qui est celui de la responsabilité pour faute, et ce quel que soit le taux d'AIPP retenu.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 6 juin 2023.

MOYENS et PRÉTENTIONS des PARTIES

Par ses conclusions d'appel transmises par voie électronique le 30 décembre 2022, Mme [A], veuve [U], demande que son appel soit déclaré recevable et bien fondé et, en conséquence, sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a constaté que le taux d'AIPP de M. [U] était de 50 % et en ce qu'il a déclaré son action et celle de la CPAM du [Localité 7] irrecevables et que la cour, statuant à nouveau :

- déclare sa demande recevable et bien fondée et, en conséquence :

- condamne in solidum l'association [...] et le docteur [V] à lui payer la somme de 234 772,50 euros à titre de dommages intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- ordonne la capitalisation des intérêts,

- condamne in solidum l'association [...] et le docteur [V] en tous les frais et dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclare l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CPAM du [Localité 7],

- déboute [...] et le docteur [V] de l'intégralité de leurs demandes à son égard, notamment au titre d'un appel incident.

A titre liminaire, Mme [U] indique que, dans le cadre de l'instance dirigée contre l'ONIAM pendante devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, les parties ont sollicité un sursis à statuer et que l'affaire a été retirée du rôle le 13 décembre 2021.

Sur la recevabilité de sa demande, elle fait valoir qu'au regard du barème annexé au code de la santé publique, qui s'imposait aux experts, le taux d'AIPP de M. [U] devait être fixé à 15% ainsi que l'exposait l'ONIAM dans son courrier du 28 octobre 2013, que c'est pour cette raison qu'elle n'a pas mis en cause cet office devant le tribunal, et qu'elle ne pouvait que contester l'analyse du tribunal quant au taux retenu alors que l'article L.1142-1 du code de la santé publique prévoit expressément que le taux d'AIPP est déterminé par référence à un barème publié par décret (article D.1142-2 du même code). Elle souligne que la position de l'ONIAM n'a pas été sérieusement discutée, s'agissant notamment de l'absence de déficit fonctionnel permanent imputable à la clinique, alors que les seuils de gravité légaux fondant la compétence de la commission au titre de l'infection nosocomiale n'étaient par ailleurs pas atteints.

Elle estime que l'utilisation d'un autre barème que celui annexé à ce code n'était en effet pas possible en l'espèce, puisque s'y trouvaient des références à des dorso-lombalgies enraidissantes accompagnées de douleurs justifiant des traitements continus, entraînant un taux d'AIPP de 15 %. Par voie de conséquence, elle considère que son action est recevable.

Mme [A], veuve [U], indique fonder sa demande dirigée contre l'association [...] sur l'article L. 1142-1 I, alinéa 2 du code de la santé publique établissant une présomption de responsabilité des établissements de santé, en matière d'infection nosocomiale, sauf preuve d'une cause étrangère, qui n'est pas rapportée en l'espèce.

Par ailleurs, sur la responsabilité du docteur [V], Mme [A], veuve [U], invoque les dispositions des articles L 1142-1, I, alinéa 1er et L.1142-22 du code de la santé publique qui lui permettent d'agir contre le praticien en cas de faute, même si le dommage relève de la solidarité nationale.

Elle reprend les conclusions des experts selon lesquelles le diagnostic de l'infection nosocomiale a été retardé par l'absence de réalisation de prélèvements bactériologiques qui s'imposaient lors de l'intervention pratiquée le 30 juillet 2010, ce qui constitue de la part du praticien un manquement ayant conduit à une perte de chance, pour M. [U], d'obtenir une guérison sans séquelles, alors que les données actuelles de la littérature médicale soulignent qu'un traitement chirurgical précoce associé à une antibiothérapie conforme permet la guérison dans 93 % des cas, les critiques opposées par le docteur [V] n'étant étayées par aucun élément.

Pour s'opposer à la demande de nouvelle expertise formulée par le docteur [V], Mme [A], veuve [U], fait valoir qu'une telle mesure ne peut être ordonnée, compte tenu de l'absence de preuve des allégations de ce dernier, et que rien ne justifie une nouvelle expertise au regard de la compétence notoire des deux experts désignés par la CRCI.

De plus, tous les éléments soulevés par le docteur [V] ont été pris en compte dans le rapport d'expertise, à savoir la situation de M. [U], le 30 juillet 2010, ainsi que les raisons pour lesquelles les experts n'ont pas appliqué le barème de l'article D.1142-3 du code de la santé publique, ayant souligné que celui-ci ne rendait pas compte du handicap fonctionnel de M. [U], qui présentait un déficit semblable à celui d'un amputé d'un membre.

Par ailleurs, elle souligne que les deux experts ont été très clairs, de même que la CRCI dans sa décision du 5 février 2013, sur la responsabilité incombant tant à l'association [...] qu'au docteur [V], l'établissement étant responsable sans faute, et le docteur [V] se voyant reprocher ses manquements lors de l'intervention du 30 juillet 2010.

Enfin, s'agissant de son préjudice, Mme [A], veuve [U], détaille ses demandes poste par poste, précise qu'elle se réfère aux conclusions du rapport d'expertise, et retient un taux de déficit fonctionnel permanent de 50 %.

*

Par ses conclusions transmises par voie électronique le 28 février 2023, la [...] venant aux droits de l'association [...], pris en son établissement [...] sollicite le rejet de l'appel de Mme [A], veuve [U], et de la totalité de ses conclusions, ainsi que de l'appel incident du docteur [V] et de l'intégralité de ses conclusions.

Elle sollicite, à titre principal la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, et la condamnation de l'appelante aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à lui payer un montant de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre infiniment subsidiaire, en cas de condamnation, elle sollicite que la cour :

- dise n'y avoir lieu à condamnation in solidum,

- dise n'y avoir lieu à garantie, par elle, d'une quelconque condamnation prononcée à l'encontre du docteur [V] et que toute conclusion soit rejetée à ce propos,

- réduise très fortement les montants mis en cause,

- statue ce que de droit sur les frais et dépens.

La [...] venant aux droits de l'association [...] souligne tout d'abord l'incohérence des positions soutenues par Mme [A], veuve [U], dont elle estime la réclamation à son encontre et à l'encontre du docteur [V] doublement irrecevable, en ce qu'elle agit, dans le cadre d'un sinistre ayant pour origine une infection nosocomiale, à la fois contre l'ONIAM qui l'a appelée en garantie, ce qui nécessite une AIPP de la victime supérieure à 25 % et contre les prétendus responsables, ce qui nécessite une AIPP de la victime inférieure ou égale à 25 %, alors qu'au surplus, Mme [A], veuve [U], chiffre son préjudice, dans le cadre de la procédure à l'encontre des prétendus responsables, sur la base d'un taux d'AIPP de 50 %.

Elle soutient que :

- les experts ayant très clairement retenu un taux d'AIPP de 50 %, la réparation du préjudice de M. [U] devra être prise en charge par l'ONIAM, en application de l'article L.1142-1-1 du code de la santé publique, dont les conditions sont remplies,

- les médecins experts ont légitimement eu recours à un autre barème que celui de l'annexe 11-2 du code de la santé publique, compte tenu des constatations médicales effectuées, l'article D.1142-3 le leur permettant, dès lors que celui de l'annexe 11-2 ne permet pas l'évaluation des taux d'atteinte subis par le patient, ce qui était le cas dans la situation de M. [U], conformément à ce qu'a retenu le tribunal.

À titre infiniment subsidiaire, la [...] fait valoir que l'infection dont a souffert M. [U] est associée aux soins, alors qu'elle a elle-même pris toutes les mesures de sécurité adéquates et n'a commis aucune faute, les fautes commises par le praticien constituant la cause étrangère exonératoire de toute responsabilité pour l'établissement de soins.

Elle invoque à ce titre la nécessité, pour le docteur [V], de procéder au prélèvement bactériologique, dès le 30 juillet 2010, ce qu'il n'a pas fait, alors que, si le diagnostic avait été posé plus tôt, les soins appropriés auraient pu être administrés à M. [U].

Sur la demande de nouvelle expertise présentée par le docteur [V], la [...] souligne qu'il pouvait s'expliquer et solliciter des précisions complémentaires lors de l'expertise à laquelle il a participé et qu'une nouvelle expertise ne peut être sollicitée pour suppléer sa carence dans l'administration de la preuve.

De plus, les fautes établies à l'encontre du Docteur [V] justifient le rejet de son appel en garantie.

Subsidiairement, elle soutient que les montants mis en compte par Mme [A], veuve [U], sont excessifs, au regard des conclusions des experts et de la jurisprudence habituelle, et considère que si la cour devait entrer en voie de condamnation, le taux de déficit fonctionnel permanent de 15 % devra seul être retenu.

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 12 avril 2023, M. [V] sollicite le rejet de l'appel de Mme [A], veuve [U], et de l'intégralité de ses conclusions.

A titre principal, il sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a constaté que le taux d'AIPP de M. [U] était de 50 % et a déclaré l'action de Mme [A], veuve [U], et de la CPAM irrecevable au regard des dispositions de l'article L.1142-1-1 du code de la santé publique, ainsi que la condamnation de Mme [A], veuve [U], aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à lui verser un montant de 5 000 euros au titre de l'article 700. Il sollicite également le rejet de l'intégralité des conclusions de l'association [...].

A titre subsidiaire, le docteur [V] sollicite :

- le rejet de l'intégralité des conclusions de Mme [A], veuve [U], et de l'association [...], ainsi que de la demande de Mme [A], veuve [U], tendant à sa condamnation in solidum avec l'association [...],

- qu'il soit jugé qu'il n'y a pas d'exonération totale de l'association [...] et, éventuellement, qu'il existe un partage de responsabilité entre eux,

- la condamnation de Mme [A], veuve [U], aux entiers frais et dépens de l'appel ainsi qu'à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre très subsidiaire, le docteur [V] sollicite, avant dire droit, la mise en 'uvre d'une mesure d'expertise, le rejet de la demande de provision de Mme [A], veuve [U], et de sa demande de prise en charge des frais d'expertise.

A titre infiniment subsidiaire, il demande qu'il soit dit n'y avoir lieu à condamnation in solidum et que les demandes soient réduites à de plus justes montants, ainsi que le partage des frais et dépens dans la limite de la succombance.

Le docteur [V] souligne tout d'abord que les experts ont conclu à un taux de déficit fonctionnel permanent de 50 % et que, conformément à l'article L.1142-1-1 du code de la santé publique, la demande de Mme [A], veuve [U], doit être prise en compte au titre de la solidarité nationale.

Il reprend les motifs du jugement déféré concernant la justification, par les experts, du choix d'un barème distinct de celui annexé au code de la santé publique ainsi que l'incohérence de la position de Mme [A], veuve [U], qui agit contre l'ONIAM pour un taux d'AIPP supérieur à 25 % et contre l'association [...] et lui-même pour un taux inférieur au seuil prévu.

A titre subsidiaire, le docteur [V] conteste toute faute de sa part et fait valoir, en s'appuyant sur un rapport établi par le docteur [T], que :

- les deux experts font abstraction de deux facteurs de risque, l'un en faveur de l'infection, à savoir un tabagisme actif à 25 paquets par an, et l'autre en faveur de complications mécaniques d'une arthrodèse du rachis lombaire, à savoir le gabarit du patient, 1,76 m pour 86 kg, et que le diagnostic d'infection, le 30 juillet 2010, n'était pas du tout évident, en l'absence de symptômes suggérant un processus infectieux évolutif, ce qui exclut toute faute de sa part,

- la publication à laquelle se réfèrent les experts, pour évoquer plus de 90 % de succès d'un traitement à bref délai, mentionne ce taux de réussite lorsque les patients ont été opérés dans les 30 jours suivant le geste chirurgical initial, avec nettoyage chirurgical et antibiothérapie pendant trois mois, ce qui n'a aucun rapport avec le cas de M. [U], puisque le 30 juillet 2010 se situait près de 70 jours après l'intervention initiale, étant observé que le diagnostic et la prise en charge de l'infection ont été réalisés trois semaines plus tard, le 20 août 2010,

- la seule alternative, dans le cas de M. [U], était de retirer le matériel lombaire, ce qui aurait entraîné de facto une cyphose lombaire invalidante,

- aucun manquement direct entre l'éventuel retard allégué et les doléances de M. [U] n'est démontré.

Rappelant que le contrat médical comporte, pour le médecin, une simple obligation de moyens, il soutient qu'aucune faute certaine n'est démontrée, celle-ci ne pouvant être déduite de l'apparition d'une complication. De plus, aucun lien de causalité certain n'est établi entre le manquement qui lui est reproché, à savoir le retard dans le prélèvement bactériologique, et le dommage subi par M. [U], de même qu'aucune perte de chance.

Il en déduit que la demande de Mme [U] est irrecevable en l'absence de faute de sa part.

Enfin, sur les demandes de la [...], le docteur [V] fait valoir que, dans l'hypothèse d'une infection nosocomiale, la responsabilité de l'établissement hospitalier est une responsabilité sans faute, dont il ne peut s'exonérer que par la démonstration d'une cause étrangère dont la jurisprudence adopte une conception stricte, et dont la preuve n'est pas rapportée. Subsidiairement, il y aurait lieu de procéder à un partage de responsabilité.

A titre très subsidiaire, il sollicite une nouvelle expertise et, s'agissant des frais de celle-ci, il souligne que Mme [A], veuve [U], qui met en question le taux d'AIPP retenu par l'expertise, a également intérêt à la tenue de cette expertise et devra contribuer à ses frais.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

La CPAM du [Localité 6], régulièrement assignée le 8 avril 2020, par acte déposé à l'étude de l'huissier de justice, n'a pas constitué avocat en appel. Le présent arrêt sera donc rendu par défaut.

MOTIFS

Selon l'article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Selon l'alinéa 2 de ce même article, ces établissements, services et organismes sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.

Toutefois, selon l'article L. 1142-1-1, 1°, issu de la loi n°2002-1577 du 30 décembre 2002, sans préjudice des dispositions de l'article L. 1142-17, alinéa 7, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 1142-1, I, correspondant à un taux d'AIPP supérieur à 25 %, déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales.

Enfin, en vertu de l'article L. 1142-22, la réparation au titre de la solidarité nationale prévue par ces dernières dispositions incombe à l'ONIAM.

I - Sur la recevabilité des demandes de Mme [U] dirigées contre la [...] venant aux droits de [...]

Il s'évince des dispositions ci-dessus rappelées qu'en dehors des cas où leur responsabilité peut être recherchée pour faute, les établissements de soins sont responsables de plein droit des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère, et que lorsque les dommages résultant d'infections nosocomiales correspondent à un taux d'AIPP supérieur à 25 %, déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ils ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale.

En l'espèce, il n'est pas discuté que le dommage subi par M. [U] trouve son origine dans une infection nosocomiale d'origine endogène, sans qu'aucune faute imputable à la clinique ne soit démontrée, les experts ayant en effet retenu que toutes les précautions d'usage avaient été prises et qu'aucun dysfonctionnement n'avait été constaté.

Il convient toutefois de relever que les experts et la CRCI ont retenu un taux d'AIPP de 50 %, après avoir estimé que l'utilisation du barème annexé au code de la santé publique ne rendait pas compte du handicap fonctionnel de M. [U], ce qui légitimait le recours à un autre barème. Or comme l'a retenu le tribunal, et le relève l'intimée, Mme [A], veuve [U] ne peut, sans se contredire, à la fois, pour conclure à la recevabilité de sa demande, faire sienne l'appréciation de l'ONIAM, qui a retenu, qu'aucun déficit fonctionnel permanent n'était imputable à [...], et que les seuils de gravité légaux fondant la compétence de la commission n'étaient pas atteints, et demander, au fond, réparation du préjudice subi par son défunt mari au titre d'un déficit permanent sur la base du taux d'AIPP de 50% retenu par les experts.

Dès lors, que l'appelante, demande indemnisation d'un dommage correspondant à une AIPP excédant le seuil de 25 % précité, sa demande relève nécessairement d'une prise en charge par l'ONIAM comme le soutient la [...], et le jugement entrepris doit donc être confirmé en tant qu'il a déclaré irrecevable la demande dirigée contre [...], aux droits de laquelle vient la [...].

À cet égard, il sera observé que l'ONIAM, qui n'a pas été appelé en cause en première instance, nonobstant les dispositions de l'article L.1142-21, I, alinéa premier du code de la santé publique, ne pouvait être appelé en intervention forcée devant la cour, en l'absence d'évolution du litige, et ce d'autant moins que Mme [A], veuve [U] avait, parallèlement, introduit une action contre cet organisme devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, laquelle a fait l'objet d'une décision de retrait du rôle, sans que soit soulevée la connexité.

II - Sur la recevabilité des demandes de Mme [A], veuve [U] dirigées contre le docteur [V]

Il s'évince des dispositions rappelées ci-dessus que, même lorsque les dommages résultant d'une infection nosocomiale ouvrent droit, en raison de leur gravité, à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, sur le fondement de l'article L. 1142-1-1, 1°, la responsabilité de l'établissement où a été contractée cette infection comme celle du professionnel de santé ayant pris en charge la victime, demeurent engagées en cas de faute.

Mme [A], veuve [U] fondant son action contre le docteur [V] sur des fautes qu'elle reproche à ce praticien, consistant en un retard de diagnostic et de prise en charge, son action est dès lors recevable, en vertu des dispositions qui précédent, quel que soit le taux d'AIPP retenu, le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

III - Sur la responsabilité du docteur [V]

Il ressort du rapport d'expertise des docteurs [R] et [H] que l'absence de prélèvements bactériologiques lors de la réintervention réalisée par le docteur [V], le 30 juillet 2010, constitue un manquement qui a conduit à un retard de diagnostic et à une perte de chance d'obtenir une guérison sans séquelles. Les experts considèrent que cette infection, vraisemblablement acquise lors de l'intervention du 21 mai 2010 malgré le respect de toutes les règles de prévention des infections du site opératoire, était déjà présente lors de la première réintervention réalisée le 30 juillet 2010 par le docteur [V], et que, bien que le patient ne présente pas d'hyperthermie ni d'élévation franche de la CRP, les douleurs lombaires persistantes, les données radiologiques du scanner du 21 juillet 2010 (chambre de mobilité au niveau des vis sacrées), l'hyperleucocytose et les constatations per-opératoires (3 vis mobiles sur 6 et os mou) auraient dû alerter le praticien et le conduire à réaliser des prélèvements bactériologiques peropératoires qui, selon eux, s'imposaient.

Pour contester toute faute de sa part, et soutenir que le diagnostic n'était absolument pas évident à la date du 30 juillet 2010, le docteur [V] se fonde sur un 'avis critique' établi le 28 février 2015 par le docteur [Y] [T], chirurgien orthopédique et traumatologique, qui reproche notamment aux experts commis, outre une interprétation erronée des signes cliniques, d'avoir omis deux facteurs de risque l'un en faveur de l'infection, l'autre en faveur des complications mécaniques d'une arthrodèse du rachis lombaire, à savoir un tabagisme actif important et un risque de démontage de l'ostéosynthèse du fait du gabarit du patient.

Ce rapport établi non contradictoirement, et qui n'est conforté par aucun autre élément de preuve, ne permet pas de contredire utilement les conclusions expertales, étant observé que le docteur [V], qui était assisté d'un médecin mandaté par son assureur lors des opérations d'expertise, n'a émis aucun dire, et n'a pas fait état de l'incidence des facteurs de risques qu'il invoque désormais, notamment du tabagisme allégué qui ne résulte au demeurant d'aucun autre élément du dossier, le gabarit du patient étant quant à lui connu des experts qui ont considéré que M. [U] ne présentait pas de facteurs de vulnérabilité particuliers. Ce rapport ne saurait non plus, pour les mêmes motifs, justifier que soit ordonnée une nouvelle expertise.

Le docteur [V] conteste par ailleurs le lien de causalité entre la faute reprochée qui est établie, et le dommage, et notamment l'affirmation des experts selon laquelle « le retard de diagnostic a fait perdre à M. [U] une chance d'obtenir une guérison sans séquelles, les données actuelles de la littérature soulignant qu'un traitement chirurgical précoce associé à une antibiothérapie conforme permet la guérison dans 93 % des cas ». Il considère que l'étude visée par les experts n'est pas applicable au cas d'espèce.

Il convient de relever que l'article auquel font référence les experts est rédigé en langue anglaise, et que seul son abstract est rédigé en langue française. Si cet abstract fait référence à un état d'infection profonde éprouvée du site chirurgical survenant dans les 30 jours d'une intervention rachidienne, il n'est toutefois pas démontré que les conclusions de cette étude, ne seraient pas applicables au cas de M. [U] au seul motif que la seconde intervention du docteur [V] a eu lieu 60 jours après la première, cette question n'ayant pas été soumise aux experts, ni débattue au cours des opérations d'expertise, alors que le docteur [V] avait parfaitement la possibilité de le faire.

Le lien de causalité entre le manquement reproché au docteur [V] consistant en un retard de diagnostic, et le dommage est suffisamment établi au vu des conclusions expertales selon lesquelles l'intervention du 21 mai 2010 devait conduire à un état fonctionnel permettant la déambulation, l'autonomie et la reprise du travail ; l'état actuel est en relation avec l'évolution de l'infection post opératoire ; le retard de diagnostic à conduit à une perte de chance d'obtenir une guérison sans séquelles, un traitement chirurgical précoce associé à une antibiothérapie conforme permettant la guérison dans 93 % des cas.

Le docteur [V] ne saurait enfin s'exonérer, même partiellement, de sa responsabilité en invoquant une faute de l'établissement de soins, laquelle n'est pas démontrée.

IV- Sur le préjudice

Conformément à leur mission, les experts ont procédé à l'évaluation des dommages, 'en faisant à chaque fois la part des choses entre ce qui revient à l'état antérieur, à l'évolution de la pathologie initiale et aux conséquences anormales décrites'.

Seul les préjudices en lien de causalité direct avec la faute reprochée au praticien seront pris en compte, la date de consolidation ayant été fixée au 4 septembre 2011.

1- sur les préjudices avant consolidation

1-1 les préjudices extra-patrimoniaux

1-1-1 déficit fonctionnel temporaire

Les experts ont retenu exclusivement les périodes et taux suivants comme étant imputables au retard de diagnostic :

- 8 au 17 août 2010 : classe 3

- 17 août 2010 au 3 septembre 2010 : 100 %

- 4 septembre 2010 au 4 septembre 2011 : 66 %

Mme [A], veuve [U] sera déboutée de sa demande au titre des périodes du 20 mai au 28 juillet 2010 qui est en lien avec l'infection, et du 29 juillet au 7 août 2010, correspondant à l'hospitalisation pour reprise chirurgicale, dès lors qu'il n'est ni démontré, ni même soutenu que le docteur [V] aurait pu diagnostiquer l'infection avant sa réintervention le 30 juillet 2010.

Mme [A], veuve [U] met en compte un taux journalier de 25 euros, qui est contesté par le docteur [V] qui propose 15 euros.

Il convient de retenir un taux journalier de 20 euros, soit un montant total de 5 278 euros se décomposant comme suit :

- 8 au 16 août 2010 : 9 x 20 x 50% = 100 euros

- 17 août 2010 au 3 septembre 2010 : 18 x 20 = 360 euros

- 4 septembre 2010 au 4 septembre 2011 : 365 x 20 x 66 % = 4 818 euros.

1-1-2 les souffrances endurées

Les experts ont pris en compte l'importance des douleurs, les deux reprises chirurgicales, les soins de plaie et souffrances psychologiques qu'ils ont quantifiées à 4/7.

Mme [A], veuve [U] demande 15 000 euros, tandis que le docteur [V] propose 8 000 euros, montant qui apparaît adapté au vu des éléments ci-dessus et du fait que, selon les experts, ces souffrances sont pour moitié en lien avec l'infection elle-même dont la survenance n'est pas imputable à un manquement du docteur [V].

1-1-3 le préjudice esthétique temporaire

Il a été quantifié par les experts à 3/7, et résulte de l'utilisation d'un fauteuil, d'un déambulateur, et d'une marche en antéflexion.

Mme [A], veuve [U] demande 6 000 euros. Le docteur [V] propose 1 000 euros soulignant que ce préjudice n'a que très peu duré, seize mois.

Le taux retenu et la durée relativement importante de ce préjudice justifie l'allocation d'une somme de 3 000 euros.

1- 2- les préjudice patrimoniaux avant consolidation

1-2-1 assistance tierce personne

Mme [A], veuve [U] met en compte une somme de 5 000 euros pour l'aide qu'elle a apportée ainsi que sa fille à son mari. Le docteur [V] conclut à la réduction des montants.

Les experts ont retenu 2 heures par jour pour les soins du corps, 2 heures par jour pour les tâches ménagères (préparation des repas, ménage, tâches administratives), et 3 heures par semaine pour les courses, ainsi qu'une présence passive pour la surveillance et l'aide aux déplacements, et a retenu cette aide comme imputable au défaut de diagnostic à partir du 7 août 2010.

Compte tenu de la durée et de la nature de l'aide nécessaire, le montant sollicité sera alloué.

2 - préjudices permanents postérieurs à la consolidation

2-1 préjudices extra-patrimoniaux permanents

2-1-1déficit fonctionnel permanent

Mme [A], veuve [U] rappelle que ce déficit a été fixé à 50 % par les experts qui ont estimé que les troubles statiques du rachis, la raideur et les douleurs neuropathiques, en tenant compte du résultat normalement attendu de ce type de chirurgie, à savoir une certaine raideur et une consommation occasionnelle d'antalgiques, justifiait un taux d'AIPP de 50 %, le patient présentant un déficit semblable à celui d'un amputé de membre. Ils ont considéré que ce taux était imputable au retard de diagnostic et de prise en charge.

En considération de ce taux, de l'âge de son défunt époux à la date de consolidation, 57 ans, et d'une valeur du point de 2 600 euros, Mme [A], veuve [U] sollicite un montant de 130 000 euros.

Le docteur [V] oppose que Mme [A], veuve [U] ne peut demander indemnisation pour un déficit fonctionnel permanent de 50 %, alors que pour voir juger sa demande recevable elle se prévaut d'un taux de 15% qui seul devra être retenu, outre que l'indemnisation de ce poste devra se faire qu'au prorata temporis, M. [U] étant décédé 3 ans après la date de consolidation.

Ainsi que cela a été relevé ci-dessus, l'action de Mme [A], veuve [U] dirigée contre le docteur [V], qui est fondée sur la faute de ce praticien, est recevable, quel que soit le taux d'AIPP retenu.

Le taux de 50 % n'étant pas remis en cause par l'intimé au regard des séquelles évoquées par les experts, il sera retenu, de même que la valeur du point prise en compte par Mme [A], veuve [U] qui n'est pas contestée.

Toutefois, le juge doit évaluer le préjudice au jour où il statue. Dès lors que le décès de la victime éteint l'incapacité permanente partielle dont elle était atteinte, ses héritiers ne sont fondés à réclamer l'indemnisation de ce préjudice que pour la période écoulée jusqu'au décès. C'est donc à bon droit que le docteur [V] fait valoir que l'indemnisation ne peut intervenir qu'au prorata temporis.

Selon les tables de mortalité publiées par l'INSEE pour la période 2012-2016, l'espérance de vie pour un homme âgé de 57 ans était de 25,2. Il sera donc alloué à Mme [A], veuve [U] un montant de (130 000 : 25,2) x 3 = 15 476 euros.

2-1-2 préjudice esthétique permanent

Il a été quantifié à 3/7 par les experts, et résulte d'une marche en antéflexion et du port d'un corset.

Mme [A], veuve [U] sollicite une somme de 6 000 euros. Le docteur [V] propose un montant de 3 000 euros qui sera retenu.

2-1-3 préjudice sexuel

Les experts ont retenu l'existence d'un tel préjudice retenant un retentissement sur la vie sexuelle du patient d'origine médicamenteuse et fonctionnelle.

Mme [A], veuve [U] sollicite un montant de 5 000 euros. Le docteur [V] conclut au rejet de cette demande, et oppose que l'appelante ne caractérise pas ce préjudice au regard de la définition qu'en donne la Cour de cassation.

La cour constate que si les experts ont retenu l'existence d'un retentissement sur la vie sexuelle du patient, ils n'en ont précisé ni la nature, ni les circonstances. Dans ces conditions, il sera alloué à Mme [A], veuve [U] une somme de 1 500 euros.

2-2 - préjudices patrimoniaux permanents

2-2-1 l'incidence professionnelle 'extra-patrimoniale'

Bien que qualifiée par Mme [A], veuve [U] d'extra-patrimoniale, il s'agit en réalité d'un poste de préjudice patrimonial. Mme [A], veuve [U] sollicite un montant de 50 000 euros, en invoquant l'inaptitude de son défunt mari à reprendre son poste d'ouvrier sur machine-outil qui a conduit à son licenciement le 21 février 2012.

Ce poste de préjudice est contesté par le docteur [V] qui relève que le défunt présentait déjà une invalidité de 1ère catégorie avant l'intervention initiale, à la suite de laquelle il n'aurait probablement pas pu reprendre son activité antérieure.

Selon les experts, après l'intervention initiale, M. [U] aurait pu reprendre son poste de travail antérieur, s'il n'était pas conditionné par le port de charges, mais que suite à l'infection, il s'est trouvé inapte à toute activité professionnelle du fait d'une consommation d'antidouleurs majeure, d'une impossibilité de conserver une position et de troubles statiques du rachis se répercutant sur la marche.

Cependant, l'appelante ne produit pas le moindre élément de preuve quant à la situation professionnelle de son époux, et notamment quant à la nature exacte de son activité, et notamment sur le point de savoir si cette activité était ou non conditionnée au port de charges. Il n'est dès lors, pas établi que [W] [U] aurait effectivement été en mesure de reprendre son ancien poste de travail après l'intervention initiale.

La demande de ce chef ne peut donc qu'être rejetée.

2-2-2 l'assistance tierce personne

Les experts ont retenu un besoin en aide soignante de 2 heures par jour pour le soins du corps et l'habillage, et en aide ménagère de 2 heures par jour pour la préparation des repas, le ménage et la réalisation des tâches administratives, et de 3 heures par semaine pour la réalisation des courses, cette aide étant apportée par l'épouse et la fille de M. [U].

Mme [A], veuve [U] sollicite un montant de 10 000 euros.

Ce montant qui apparaît justifié au vu des conclusions expertales, de la durée pendant laquelle Mme [A], veuve [U] a été amenée à apporter cette aide à son époux, 3 ans, et qui n'est pas discuté par l'intimé sera alloué.

3 - Récapitulatif

Il sera alloué à Mme [A], veuve [U] les montants suivants :

- préjudice extra-patrimoniaux avant consolidation :

' déficit fonctionnel temporaire : 5 278 euros

' souffrances endurées : 8 000 euros

' préjudice esthétique : 3 000 euros

- préjudices patrimoniaux avant consolidation :

' tierce personne : 5 000 euros

- préjudices extra-patrimoniaux après consolidation :

' déficit fonctionnel permanent : 15 476 euros

' préjudice esthétique permanent : 3 000 euros

' préjudice sexuel : 1 500 euros

- préjudices patrimoniaux après consolidation :

' assistance par tierce personne : 10 000 euros

Total : 51 254 euros.

Il sera relevé que la créance de la caisse qui concerne des frais médicaux et d'hospitalisation, des indemnités journalières et arrérages échus de rente invalidité, n'est pas susceptible de s'imputer sur les montants ainsi alloués.

Le docteur [B] sera donc condamné au paiement de cette somme qui produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt qui fixe la créance, avec capitalisation dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Les demandes de Mme [A], veuve [U] seront rejetées pour le surplus.

V - les dépens et frais exclus des dépens

En considération de la solution du litige, le jugement sera infirmé en ce qui concerne les dépens.

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge du docteur [V], qui sera débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera alloué à Mme [A], veuve [U] une somme de 3 000 euros.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la [...] les frais irrépétibles qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt par défaut, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 8 juillet 2019 en ce qu'il a déclaré l'action de Mme [A], veuve [U] contre le docteur [V] irrecevable et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

DECLARE la demande Mme [A], veuve [U] dirigée contre M. [S] [V] recevable ;

CONDAMNE M. [S] [V] aux dépens de première instance ;

CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris, dans les limites de l'appel ;

Ajoutant au dit jugement,

REJETTE la demande d'expertise ;

DECLARE M. [S] [V] responsable du préjudice subi par [W] [U] ;

FIXE ainsi qu'il suit le préjudice subi par [W] [U] :

- préjudice extra-patrimoniaux avant consolidation :

' déficit fonctionnel temporaire : 5 278 euros

' souffrances endurées : 8 000 euros

' préjudice esthétique : 3 000 euros

- préjudices patrimoniaux avant consolidation :

' tierce personne : 5 000 euros

- préjudices extra-patrimoniaux après consolidation :

' déficit fonctionnel permanent : 15 476 euros

' préjudice esthétique permanent : 3 000 euros

' préjudice sexuel : 1 500 euros

- préjudices patrimoniaux après consolidation

' assistance par tierce personne : 10 000 euros

CONDAMNE M. [S] [V] à payer à Mme [Z] [A], veuve [U], en sa qualité d'ayant-droit de [W] [U], la somme totale de 51 254 € (cinquante et mille deux cent cinquante-quatre euros) avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;

DEBOUTE Mme [Z] [A], veuve [U] de sa demande au titre de l'incidence professionnelle, et du surplus de ses demandes au titre des autres chefs de préjudice ;

CONDAMNE M. [S] [V] aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à Mme [Z] [A], veuve [U] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les demandes de M. [S] [V] et de la [...], venant aux droits de l'association Etablissement des diaconesses sur ce fondement ;

DECLARE le présent arrêt commun à la CPAM du [Localité 7].

La greffière, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/00159
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;20.00159 ?
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