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16/05/2024 | FRANCE | N°21/03245

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 16 mai 2024, 21/03245


MINUTE N° 192/2024

















































Copie exécutoire aux

avocats





Le 16 mai 2024



La Greffière,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 16 MAI 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/03245 -

° Portalis DBVW-V-B7F-HUFV



Décision déférée à la Cour : 17 Juin 2021 par le tribunal judiciaire

de Strasbourg





APPELANTE et INTIMÉE SUR APPEL INCIDENT :



La S.A.R.L. LES PINSONS

prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 5] à [Localité 7]



Représentée par Me Nadine HEICHE...

MINUTE N° 192/2024

Copie exécutoire aux

avocats

Le 16 mai 2024

La Greffière,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 16 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/03245 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HUFV

Décision déférée à la Cour : 17 Juin 2021 par le tribunal judiciaire

de Strasbourg

APPELANTE et INTIMÉE SUR APPEL INCIDENT :

La S.A.R.L. LES PINSONS

prise en la personne de son représentant légal

ayant siège [Adresse 5] à [Localité 7]

Représentée par Me Nadine HEICHELBECH, Avocat à la cour

plaidant : Me Julien SCHAEFFER, Avocat au barreau de Strasbourg

INTIMÉE et APPELANTE SUR APPEL INCIDENT :

La S.C.I. VERTE

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant siège [Adresse 2] à [Localité 6]

Représentée par Me Julie HOHMATTER, Avocat à la cour

plaidant : Me Aurélia BOEGLIN, Avocat au barreau de Colmar

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 modifié et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Septembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mesdames DENORT et HERY, Conseillères, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame DENORT, Conseillère

Madame HERY, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Madame ARMSPACH-SENGLE

ARRÊT contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, après prorogation le 11 janvier 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La SCI Verte est propriétaire d'un appartement au 1er étage de l'immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 7] (67). Elle l'a acquis en 1995 auprès des époux [T], qui étaient propriétaires de l'immeuble entier depuis 1972.

L'immeuble voisin, situé [Adresse 4], constitué initialement de garages, a été apporté par les époux [M] à la SARL Les Pinsons. Celle-ci a fait démolir les garages pour édifier à leur place un immeuble d'habitation.

La SCI Verte a saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg afin de faire constater une servitude de vue et d'obtenir sous astreinte la démolition de l'ouvrage, avec interdiction de reconstruire à moins de 1,90 m. de la fenêtre, mais aussi aux fins de condamnation de la société Les Pinsons à des dommages et intérêts.

Par jugement du 17 juin 2021, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

- dit que l'immeuble propriété de la SCI Verte au [Adresse 1] à [Localité 7] (67), bénéficiait d'une servitude de vue sur l'immeuble [Adresse 4] à [Localité 7] (67),

- ordonné la démolition de l'ouvrage [Adresse 4] à [Localité 7] jusqu'à rétablir la servitude de vue bénéficiant d'un recul de 1,90 m., sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé trois mois après que le jugement soit devenu définitif,

- interdit à la société Les Pinsons et à tout propriétaire de son chef d'occulter la vue qui bénéficiait d'un recul de 1,90 m de la façade,

- débouté les parties de leurs demandes de dommages et intérêts,

- condamné la société Les Pinsons aux dépens ainsi qu'à payer à la SCI Verte la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a dit que le jugement n'était pas exécutoire par provision.

Le tribunal a retenu que l'attestation de témoin de M. [T], ancien propriétaire de l'immeuble, révélait qu'il y avait effectué des travaux de rénovation entre 1972 et 1980, au cours desquels il avait pratiqué l'ouverture litigieuse.

Si la société Les Pinsons contestait cette attestation, le tribunal, pour la déclarer recevable, a relevé qu'en perçant une fenêtre dans son mur, M. [T] ne pouvait s'approprier une partie commune, puisque l'immeuble n'était pas en copropriété, et que sa volonté n'était que de créer une vue.

Si la société Les Pinsons contestait que la possession eût été paisible, publique et à titre de propriétaire, le tribunal a relevé que le fait était que la vue avait été créée, avec ou sans autorisation. Il était indifférent qu'un permis de construire eût ou non été obtenu. De plus, sur la nécessité d'une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, l'immeuble n'était pas en copropriété lorsque la fenêtre avait été percée.

Le tribunal a donc retenu l'existence d'une vue depuis plus de 30 ans lorsqu'elle avait été obturée en toute connaissance de cause par la construction de la société Les Pinsons.

La sanction d'une telle voie de fait était la démolition de la partie de l'immeuble jusqu'à rétablir la vue, qui devait bénéficier d'un recul de 1,90 m. De plus, la vue ayant déjà été supprimée, les conclusions tendant à interdire toute nouvelle construction en violation des règles étaient bien fondées.

La procédure n'ayant rien d'abusif, la société Les Pinsons devait être déboutée de sa demande de dommages-intérêts. Si la demande d'indemnisation de la SCI se fondait sur la mauvaise foi de cette dernière, la demanderesse n'indiquait pas la nature de son préjudice et son importance, si bien que le tribunal l'a jugée mal fondée.

La société Les Pinsons a interjeté appel de ce jugement le 15 juillet 2021.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 04 avril 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 13 décembre 2022, la société Les Pinsons sollicite que la cour déclare son appel principal recevable et bien fondé, qu'elle infirme le jugement du 17 juin 2021 en chacune de ses dispositions qu'elle énumère, à l'exception de celle par laquelle le tribunal a dit que le jugement n'était pas exécutoire par provision.

Elle sollicite que la cour, statuant à nouveau, déclare le témoignage de M. [T] irrecevable, et qu'elle déclare la SCI Verte irrecevable, subsidiairement mal fondée en ses demandes et la déboute de l'ensemble de ses prétentions et conclusions.

Elle demande également que la SCI Verte soit déclarée recevable mais mal fondée en son appel incident et qu'elle en soit déboutée.

En toute hypothèse, elle sollicite :

- la condamnation de la SCI Verte à lui payer la somme de 10 000 euros pour procédure abusive ainsi qu'une indemnité de procédure de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de première instance et d'appel,

- le rejet de toutes conclusions plus amples ou contraires.

La société Les Pinsons reproche au tribunal d'avoir admis le témoignage de l'ancien propriétaire de l'immeuble, invoquant, pour le voir déclarer irrecevable, l'adage « nul ne peut se constituer un titre à soi-même ». Elle souligne que M. [T], en évoquant la fenêtre créée entre 1972 et 1980, ne se comporte pas en tiers vis-à-vis de la SCI Verte, mais comme son auteur dont cette dernière recueille les droits. Il ne se contente pas de rapporter un simple fait, mais il cherche à produire des effets de droit, précisément établir une servitude de vue par prescription acquisitive. S'il y a titre chaque fois que l'intention de son ou de ses auteurs est de réaliser des effets de droit, fut-ce sous couvert de rapporter de simples faits, un écrit signé uniquement par le créancier n'est pas un titre.

La société Les Pinsons ajoute que la période de possession alléguée par M. [T] est insuffisante pour lui avoir permis à lui seul d'acquérir par prescription la prétendue servitude, contraignant la SCI Verte à se prévaloir de la règle posée à l'article 2265 du code civil et de devoir dès lors « témoigner » pour elle-même. À supposer que le témoignage de M. [T] soit recevable, cela n'autorise pas la SCI à témoigner pour elle-même.

De plus, conformément aux exigences posées par l'article 1380 du code civil, les juges doivent évaluer la volonté manifestée dans le témoignage servant d'unique fondement à leur décision au regard de sa sincérité, de sa concordance avec d'autres éléments de

preuve et de sa précision. Or, la sincérité du créancier lui-même ne peut être appréciée et aucune concordance n'existe puisqu'aucun élément de preuve ne corrobore le témoignage de M. [T] qui manque aussi totalement de précision, puisque l'ouverture est censée avoir été créée entre 1972 et 1980.

Par ailleurs, l'appelante soutient que l'ouverture créée ne constitue pas une vue mais un jour de souffrance prévu à l'article 677 du code civil, sa fonction étant uniquement d'assurer l'éclairage et l'aération de la salle de bain, ce dont il résulte qu'elle ne fait pas naître de servitude à la charge du fonds voisin.

De plus, l'ouverture donnant sur le toit des garages ne peut être considérée comme créant une vue sur le fonds voisin, aucun risque d'indiscrétion n'existant sur celui-ci, ce dont il résulte qu'elle échappe au jeu de la prescription acquisitive.

La possession n'est pas non plus continue, dans la mesure où la fermeture par la pose de matériaux occultants fait naître une cause d'interruption de la prescription.

Enfin, l'obstruction de l'ouverture ne diminue pas l'exercice d'une vue pleine et entière, si bien que la démolition ainsi ordonnée porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect du domicile.

Sur l'appel incident de la SCI Verte, l'appelante souligne que celle-ci ne caractérise pas son préjudice quant à sa nature et à son importance.

En revanche, elle estime « incommensurables » les conséquences de la procédure engagée, qui n'a selon elle qu'un objectif vénal, alors que l'ouverture est à tout égard irrégulière et n'a bénéficié d'aucune autorisation d'urbanisme, ce qui justifie la condamnation de la SCI Verte à l'indemniser de son préjudice moral.

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 25 octobre 2022, la SCI Verte sollicite le rejet de l'ensemble des fins, moyens et conclusions de la société Les Pinsons et la confirmation du jugement déféré en chacune de ses dispositions, qu'elle énumère, sauf celles par lesquelles il a débouté les parties de leur demande de dommages-intérêts et dit que le jugement n'était pas exécutoire par provision.

Formant appel incident, elle sollicite que la cour :

- déclare celui-ci recevable et bien fondé,

- réforme le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 17 juin 2021 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages intérêts,

- condamne la société Les Pinsons à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts,

En tout état de cause :

- déboute la société Les Pinsons de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions,

- condamne la société Les Pinsons à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

La SCI Verte soutient qu'elle dispose d'une servitude de vue, dans la mesure où l'ouverture située sur le mur pignon Sud existe en l'état depuis plus de 30 ans, se référant à l'attestation de M. [T], ancien propriétaire de l'immeuble d'un seul tenant, selon laquelle la fenêtre existante a été mise en place entre 1972 et 1980, ce dont il résulte que la prescription trentenaire est acquise.

Elle affirme que ce témoignage est parfaitement recevable et valable, comme l'a retenu le Premier juge. Elle fait valoir à ce titre que :

- M . [T] a une personnalité juridique distincte d'elle-même, il lui est totalement étranger et n'a jamais été son associé ;

- il n'a aucun lien avec elle, lui ayant simplement vendu l'appartement le 17 octobre 1995, lequel comportait une fenêtre à châssis ouvrant et à verre transparent dans la salle de bain, donnant sur le fonds voisin,

- l'adage cité par la partie adverse est inapplicable pour la preuve des faits juridiques,

- en matière de servitude de vue, la preuve par attestations, notamment de l'auteur de l'ouverture, est parfaitement recevable.

La SCI Verte invoque la mauvaise foi des époux [M], représentants de la société Les Pinsons, invoquant un courrier de leur architecte à l'occasion d'un précédent projet comparable en 2004, ainsi que leur décision de faire échec à la mesure d'expertise qu'ils avaient eux-mêmes sollicitée en saisissant le juge des référés, en avril 2017, dans le cadre d'un référé préventif. A titre reconventionnel, elle avait, ainsi que d'autres co-propriétaires concernés, sollicité qu'il soit interdit à la société Les Pinsons de procéder à tous travaux de nature à obstruer la servitude de vue existante sous astreinte et que l'expert confirme le caractère trentenaire des vues. Si cette demande avait été rejetée, la mission de l'expert avait été complétée afin, notamment, de décrire l'ouverture de son appartement donnant sur la propriété des requérants, de fournir des éléments afin de permettre de déterminer la date d'installation des fenêtres et de dire si le projet de construction aurait nécessairement un impact sur ces ouvertures. Or, les époux [M] n'ont pas versé la consignation relative à l'avance sur frais d'expertise.

Par ailleurs, la SCI Verte fait valoir que l'absence de permis de construire, l'absence d'autorisation d'urbanisme, n'ont aucune incidence sur la présente procédure, la cour n'ayant à statuer que sur le respect des dispositions du code civil et l'attestation confirmant la création de l'ouverture entre 1972 et 1980 étant suffisamment précise pour confirmer l'existence de cette ouverture depuis plus de 30 ans.

L'intimée précise que l'ouverture en cause est bien une fenêtre à châssis ouvrant, à verre transparent, permettant d'exercer une vue sur le fonds voisin et sur les immeubles environnants, étant de plus à hauteur d'homme.

L'exercice continu de la servitude apparente a toujours été public, paisible, non interrompu et dépourvu d'équivoque. Cette fenêtre, parfaitement visible, offrait une vue dégagée au-delà du toit plat du fonds voisin et la société Les Pinsons ne rapporte aucune preuve d'une fermeture par la pose de matériaux occultants, qui aurait constitué une cause d'interruption de la prescription.

La sanction de cette obstruction ne peut qu'être la démolition de l'ouvrage édifié en deçà de la distance légale par rapport à la fenêtre, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Sur la demande de dommages intérêts de la société Les Pinsons, la SCI Verte soutient que le fait que les premiers juges aient accueilli sa demande prouve que son action était justifiée et nullement abusive. Elle estime en revanche parfaitement injustifiée la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de l'appelante.

À l'appui de son appel incident, la SCI Verte invoque la conscience de l'appelante de commettre une voie de fait en obstruant volontairement sa fenêtre, qui découle de la

chronologie des événements. Elle ajoute à ce titre qu'au vu de l'imminence de l'obstruction de sa fenêtre, elle a assigné les époux [M] en référé le 13 juillet 2018 pour l'audience du 24 juillet 2018, la fenêtre ayant cependant été obstruée le 18 juillet 2018 « en catimini ». L'intimée estime ce procédé inacceptable, notamment au regard des multiples mises en garde adressées à la société Les Pinsons.

S'agissant du préjudice causé par l'obstruction de la fenêtre, la SCI Verte invoque un préjudice personnel, constitué par la perte de visibilité, d'ensoleillement et d'aération depuis plus de trois ans, ainsi qu'une dépréciation de son bien, alors que celui-ci bénéficiait auparavant d'une salle de bains bénéficiant de clarté et de l'horizon dégagé par la vue procurée par cette fenêtre.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

I ' Sur les demandes de la SCI Verte

A) Sur leur recevabilité

Si la société Les Pinsons soulève l'irrecevabilité des demandes de la SCI Verte, elle n'invoque aucun motif à l'appui de cette fin de non-recevoir, si bien que les demandes de la SCI doivent être déclarées recevables.

B) Sur la recevabilité de l'attestation de M. [T]

A l'appui de sa demande, la SCI Verte produit une attestation de M. [P] [T] indiquant que « la fenêtre de l'appartement du 1er étage situé sur la façade intérieure donnant sur le toit des garages sis [Adresse 3] (') a été créée entre 1972 et 1980 », période où il explique qu'il a procédé à des travaux de rénovation en sa qualité de propriétaire.

Contrairement aux allégations de l'appelante, il ne peut être considéré qu'en produisant cette attestation, l'intimée se constitue un titre à elle-même. En effet, M. [T], qui lui a vendu l'appartement où est située l'ouverture en cause, est bien un tiers à son égard et il n'a aucun intérêt au litige opposant les parties, étant observé au surplus qu'il a revendu cet appartement bien avant l'expiration d'un délai de 30 ans à compter de la réalisation des travaux de rénovation évoqués dans son attestation et qu'en tout état de cause, il ne s'est pas trouvé lui-même dans la situation de revendiquer une quelconque prescription acquisitive concernant cette fenêtre.

Indiquant qu'il a lui-même créé cette fenêtre à une période qu'il définit de façon relativement approximative, il se contente, en sa qualité de tiers au présent litige, de rapporter un simple fait et son témoignage doit donc être admis aux débats, la demande de l'appelante tendant à ce que cette attestation soit déclarée irrecevable devant être rejetée.

C) Sur la demande en démolition et la demande d'interdiction d'occultation de la vue

Il convient de rappeler que, contrairement aux vues, les jours de souffrance créés dans la façade d'un immeuble, en limite de propriété avec le fonds voisin, ne peuvent pas faire naître de servitude à la charge de celui-ci.

La qualification de vue, s'agissant de l'ouverture litigieuse, étant contestée, la SCI Verte produit, pour démontrer son bien fondé, outre des photographies dont il n'est pas contesté qu'elles représentent bien cette ouverture, l'attestation de M. [T], l'ancien propriétaire de son appartement, dont les termes ont été rappelés plus haut.

L'ouverture que M. [T] affirme avoir créée est effectivement une fenêtre, de forme carrée, située à hauteur d'homme, petite puisque son châssis n'excède pas 27 cm par côté, sa vitre transparente étant encore largement réduite, soit environ 17 cm. Cette fenêtre, située dans le mur extérieur de la salle de bain de l'appartement acquis par la SCI Verte, s'ouvre en totalité et elle laissait donc passer la lumière et l'air, avant son obturation par les travaux de démolition et de construction de la société Les Pinsons.

Cependant, cette ouverture, ainsi que le démontrent les photographies produites, n'offrait de vue, avant les travaux de la société Les Pinsons l'obstruant, que sur le toit du garage du fonds voisin et sur les façades d'immeubles situés au-delà de ce toit et qui ne dépendaient pas du fonds contigu à l'appartement de la SCI Verte.

Or, selon une jurisprudence constante, une fenêtre ouvrant uniquement sur le toit plein, dépourvu d'ouverture, du fonds contigu et ne permettant aucune autre vue sur ce fonds, ne peut permettre l'acquisition d'une servitude de vue par la prescription. En effet, elle ne permet aucune indiscrétion sur ce fonds contigu et ne peut donc impliquer aucune possession utile pour prescrire. Ainsi en est-il de la fenêtre litigieuse vis-à-vis du fonds appartenant à la société Les Pinsons. Il en résulte qu'aucune servitude de vue n'a été acquise au profit de l'appartement de la SCI Verte sur ce fonds et que, dès lors, cette dernière ne dispose d'aucun droit à obtenir la démolition de l'ouvrage édifié par la société Les Pinsons sur son fonds et à faire interdire à cette dernière d'occulter la vue. Le jugement déféré sera donc infirmé en ses dispositions par lesquelles il a prononcé de telles mesures et les demandes de l'intimée présentées en ce sens seront rejetées.

D) Sur la demande de dommages et intérêts

La SCI Verte ne pouvant se prévaloir d'aucune servitude de vue et étant déboutée de ses demandes de démolition présentées à ce titre, elle ne justifie d'aucun comportement fautif de la société Les Pinsons et sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de cette dernière se trouve donc infondée.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a rejetée.

II ' Sur la demande de la société Les Pinsons

La société Les Pinsons, qui invoque des conséquences « incommensurables » de la procédure engagée par la SCI Verte, ne rapporte aucune preuve du préjudice moral qu'aurait causé cette procédure, étant souligné que l'exercice du droit d'agir en justice ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol, qui ne sont pas démontrées en l'espèce à l'encontre de la SCI Verte. En effet, celles-ci ne pouvaient résulter de l'illicéité de la création de l'ouverture pratiquée dans le mur de l'immeuble par le précédent propriétaire.

C'est pourquoi le jugement déféré doit également être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de la société Les Pinsons.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions principales les plus importantes, il le sera également en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens de première instance.

La SCI Verte, à l'initiative de la procédure de première instance et dont les demandes sont toutes rejetées, assumera les dépens de première instance et d'appel et réglera, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme totale de 3 000 euros à la société Les Pinsons au titre des frais exclus des dépens engagés par cette dernière en première instance et en appel. Pour les mêmes motifs, l'intimée sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

DÉCLARE recevables les demandes de la SCI Verte,

REJETTE la demande de la SARL Les Pinsons tendant à ce que l'attestation de M. [P] [T] produite par la SCI Verte soit déclarée « irrecevable »,

INFIRME le jugement rendu entre les parties le 17 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Strasbourg, à l'exception de la disposition par laquelle il a rejeté les demandes de dommages et intérêts des parties et le CONFIRME en cette disposition,

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant au dit jugement,

REJETTE les demandes de la SCI Verte tendant à ce qu'il soit dit que l'immeuble lui appartenant au [Adresse 1] à [Localité 7] (67), bénéficie d'une servitude de vue sur l'immeuble [Adresse 4] à [Localité 7] (67), tendant à ce que soit ordonnée la démolition de l'ouvrage [Adresse 4] à [Localité 7] et à ce qu'il soit interdit à la société Les Pinsons et à tout propriétaire de son chef d'occulter la vue,

CONDAMNE la SCI Verte aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la SCI Verte à payer à la SARL Les Pinsons la somme de 3 000,00 (trois mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens engagés par cette dernière en première instance et en appel,

REJETTE la demande présentée par la SCI Verte sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en première instance et en appel.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/03245
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;21.03245 ?
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