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14/05/2024 | FRANCE | N°22/01609

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 14 mai 2024, 22/01609


MINUTE N° 24/371





















































Copie exécutoire

aux avocats



Copie à Pôle emploi

Grand Est



le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 14 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire génér

al : 4 A N° RG 22/01609 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2IH



Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE





APPELANTE :



S.A.S. ORTEC INDUSTRIE

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE





INTIME :



Mon...

MINUTE N° 24/371

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 14 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 22/01609 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2IH

Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2022 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANTE :

S.A.S. ORTEC INDUSTRIE

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Pascale MAZEL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME :

Monsieur [N] [I]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Alexandre TABAK, avocat au barreau de MULHOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. ROBIN, Président de chambre (chargé du rapport)

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées,

- signé par M. ROBIN, Président de chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 18 août 2010, la société Ortec industrie a embauché M. [N] [I] en qualité de monteur-mécanicien. Elle l'a licencié pour faute grave par lettre du 9 avril 2020 en lui reprochant, d'une part, des propos sexistes tenus le 21 février 2020 à l'égard d'une collègue de travail et, d'autre part, une altercation verbale avec une autre salariée de l'entreprise.

Le 6 juillet 2020, M. [N] [I] a contesté ce licenciement.

Par jugement du 15 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Mulhouse, après avoir dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, a condamné la société Ortec industrie à payer à M. [N] [I] les sommes de 6 600 et 660 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, celle de 7 697,25 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, et celle de 29 700 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ; il a également ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées à M. [N] [I], dans la limite de trois mois.

Pour l'essentiel, le conseil de prud'hommes a considéré, s'agissant des faits du 21 février 2020, que l'existence de propos choquants et inconvenants prononcés par M. [N] [I] était vraisemblable mais que ces propos étaient restés limités et qu'ils n'étaient pas dirigés contre une collègue de travail, et, s'agissant des autres faits, qu'ils n'étaient pas suffisamment établis.

Le 20 avril 2022, la société Ortec industrie a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a fait droit aux demandes de M. [N] [I].

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 9 janvier 2024, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 12 mars 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu'à ce jour.

*

* *

Par conclusions déposées le 24 novembre 2022, la société Ortec industrie demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter M. [N] [I] de toutes ses demandes et de le condamner au paiement de deux indemnités de 1 000 et 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Ortec industrie soutient que la réalité des faits reprochés à M. [N] [I] est suffisamment démontrée par les documents qu'elle produit. Le salarié aurait reconnu l'existence de propos sexistes prononcés le 21 février 2020 et s'en serait d'ailleurs excusé auprès de la collègue concernée, laquelle en avait été profondément perturbée ; la société Ortec industrie ajoute qu'elle ne peut tolérer dans l'entreprise des faits de harcèlement sexuel, que le comportement de M. [N] [I] était intrinsèquement grave et qu'il faisait suite à l'agression verbale d'une salariée du restaurant de l'entreprise ayant donné lieu à une procédure disciplinaire en novembre 2019. L'agression verbale d'une autre collègue de travail en avril 2020, à la suite du refus de cette collègue d'imprimer un bulletin de paie, serait également démontrée.

Par conclusions déposées le 24 août 2022, M. [N] [I] demande à la cour de rejeter l'appel principal et, interjetant appel incident, d'infirmer le jugement déféré en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués et de porter ceux-ci à la somme de 33 000 euros ; il sollicite une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [N] [I] affirme qu'il existe une discordance totale entre les faits qu'il reconnaît avoir commis le 21 février 2020 et leur relation par la lettre de licenciement ; ses propos ne pourraient être qualifiés de harcèlement sexuel, faute de répétition et faute d'atteinte à la dignité de la personne humaine ou d'offense ; en particulier les propos grivois qu'il a tenus n'auraient pas été dirigés contre une collègue de travail et ne pourraient être considérés comme dégradants ou sexistes. S'agissant du second incident, aucune agression ne serait caractérisée et aucun propos sexiste ou dégradant n'aurait été tenu à l'égard de la salariée concernée.

Pour solliciter une revalorisation des dommages et intérêts qui lui ont été alloués, M. [N] [I] fait valoir qu'il comptait une ancienneté supérieure à neuf années auprès d'une entreprise employant plus de onze salariés.

SUR QUOI

Sur la cause du licenciement

Par lettre du 9 avril 2020, la société Ortec industrie a licencié M. [N] [I] pour faute grave en lui reprochant, d'une part, une agression sexuelle verbale commise à l'égard d'une salariée de l'entreprise le vendredi 21 février 2020 et, d'autre part, une agression violente à l'égard d'une autre collègue, membre du comité social et économique, qui avait dénoncé les faits du 21 février 2020.

En ce qui concerne l'agression sexuelle verbale du 21 février 2020, la lettre de licenciement reproche à M. [N] [I] d'avoir déclaré, alors qu'il se trouvait en compagnie d'une vingtaine de collègues derrière Mme [U] [V], qui ce jour-là avait été chargée d'ouvrir la porte des vestiaires : « dépêche toi d'ouvrir, le plan cul est là, on va pouvoir faire un viol collectif ».

Pour justifier de la réalité de ces propos, la société Ortec industrie se réfère, d'une part, à un courriel de Mme [U] [V] daté du 6 avril 2020, par lequel celle-ci relate avoir entendu les phrases suivantes « c'est parti pour un viol collectif » et « le plan cul est arrivé », ne pas avoir identifié l'auteur de ces propos parmi la vingtaine

de salariés présents, avoir dit « bande de cons » et être « repartie dans le bureau pour en discuter avec [sa] collègue Mme [C] [G] », et, d'autre part à un courriel daté du même jour par lequel Mme [C] [G] confirme avoir rencontré Mme [U] [V] à son retour de l'ouverture des vestiaires, en précisant « je la vois pas très bien » et avoir alors été informée qu'un des salariés avait tenu les propos suivants « viol collectif » et « plan cul ».

Toutefois, le contenu de ces courriels, de surcroît rédigés plus d'un mois après les faits, n'est pas suffisant pour établir à lui seul la réalité des propos reprochés à M. [N] [I], alors que les attestations des salariés présents au moment des faits, comme les autres pièces versées aux débats par la société Ortec industrie, démentent que M. [N] [I] aurait évoqué « un viol collectif » ou même visé la collègue présente ce jour-là en parlant d'un « plan cul » .

Les témoignages confirment au contraire l'affirmation de M. [N] [I] selon laquelle il aurait dit « ouvre vite, j'ai un plan cul qui m'attend », ce qui ne permet pas de caractériser une quelconque agression verbale.

En ce qui concerne l'agression violente d'une salariée membre du comité social et économique, l'employeur se réfère à un courriel de Mme [C] [G] daté du 6 avril 2020 selon lequel, « quelques semaines après » les faits du 21 février 2020, M. [N] [I] est venu au bureau avec un collègue de travail afin de signer un ordre de mission et a demandé à une salariée présente d'imprimer leur bulletin de paie ; Mme [C] [G] serait alors intervenue pour lui demander ce qu'il voulait et, après l'avoir contraint à réitérer sa demande, aurait répondu que ce n'était pas possible en raison d'une note du chef d'agence à l'ensemble du personnel interdisant d'imprimer les fiches de paie à la demande et imposant d'attendre de les recevoir ou de mettre en place la dématérialisation ; s'en serait suivie une altercation lors de laquelle M. [N] [I] aurait critiqué le travail de Mme [C] [G], en lui disant « tu n'as qu'à cliquer sur un bouton pour la sortir », « et de toute façon tu as un problème avec certaines personnes », « en tant que syndicat tu ne dois pas défendre tes collègues », le ton serait monté si haut qu'un salarié du bureau en face serait venu pour calmer M. [N] [I], puis Mme [C] [G] serait sortie du bureau en pleurs.

La société Ortec industrie ne produit aucun élément permettant de corroborer les déclarations de Mme [C] [G] ; si la réalité de l'altercation n'est pas contestée, il résulte des propres explications de Mme [C] [G] que M. [N] [I] n'a nullement cherché à parler avec elle ce jour-là, qu'elle est elle-même intervenue pour empêcher la remise à M. [N] [I] et à un collègue de travail du bulletin de paie qu'ils sollicitaient, alors qu'aucun élément ne permet de justifier cette intervention, la société Ortec industrie ne démontrant pas l'existence d'une note informant les salariés que les bulletins de paie ne devaient plus être imprimés à leur demande. Par ailleurs les propos que rapportent Mme [C] [G] ne critiquent pas son travail pour la société Ortec industrie mais lui reprochent seulement d'avoir « un problème avec certaines personnes », ce qui était manifestement le cas au moins avec M. [N] [I], et son action « en tant que syndicat ».

Ainsi, il résulte de ce courriel lui-même que M. [N] [I] n'a pas agressé Mme [C] [G] parce qu'elle avait pris l'initiative de révéler les faits du 21 février 2020, mais qu'il a seulement réagi avec humeur lorsque celle-ci est intervenue pour empêcher la remise à sa demande de bulletins de paie, alors même que ce refus était imprévisible sinon injustifié.

Le conseil de prud'hommes a dès lors considéré à juste titre que les faits réels commis par M. [N] [I] n'étaient pas suffisamment sérieux pour justifier un licenciement.

Sur les conséquences du licenciement

La société Ortec industrie a licencié M. [N] [I] sans motif sérieux alors que le salarié, alors âgé de 34 ans, comptait une ancienneté de près de dix années dans l'entreprise.

M. [N] [I] ne fournit aucun élément permettant de connaître les conséquences exactes du licenciement sur sa situation personnelle ; notamment il ne précise pas quelle est sa situation familiale ni quelle a été la durée d'une éventuelle période de chômage à la suite de ce licenciement.

Il n'y a dès lors pas lieu d'augmenter la somme allouée par le conseil de prud'hommes, lequel apparaît avoir fait une juste évaluation de l'indemnisation due à M. [N] [I].

Sur les dépens et les autres frais de procédure

La société Ortec industrie, qui succombe, a été à juste titre condamnée aux dépens de première instance. Elle sera également condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions ; les circonstances de l'espèce justifient de condamner la société Ortec industrie à payer à M. [N] [I] une indemnité de 2 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré ;

CONDAMNE la société Ortec industrie aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [N] [I] une indemnité de 2 000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition le 14 mai 2024 signé par Monsieur Emmanuel ROBIN, Président de Chambre et Madame Martine THOMAS, greffier.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 22/01609
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-14;22.01609 ?
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