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28/03/2024 | FRANCE | N°23/01083

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 28 mars 2024, 23/01083


MINUTE N° 139/2024





























































Copie exécutoire

aux avocats



Le 28 mars 2024



La greffière

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 28 MARS 2024



Numéro d'inscription au répertoire général

: 2 A N° RG 23/01083 -

N° Portalis DBVW-V-B7H-IA7T



Décision déférée à la cour : 08 Février 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar





APPELANTE et INTIMÉ SUR APPEL INCIDENT :



La S.A.M.C.V. MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège soc...

MINUTE N° 139/2024

Copie exécutoire

aux avocats

Le 28 mars 2024

La greffière

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 28 MARS 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 23/01083 -

N° Portalis DBVW-V-B7H-IA7T

Décision déférée à la cour : 08 Février 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar

APPELANTE et INTIMÉ SUR APPEL INCIDENT :

La S.A.M.C.V. MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 4]

représentée par Me Laetitia RUMMLER, Avocat à la cour

INTIMÉS et APPELANTS SUR APPEL INCIDENT :

Monsieur [H] [T]

demeurant [Adresse 5] à [Localité 3]

La S.N.C. DE L'ORANGERIE prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2] à [Localité 3]

La S.A.S. UNIVERS PHARMACIE prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2] à [Localité 3]

représentés par la SCP CAHN ET ASSOCIES, Avocats à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre, et Madame Nathalie HERY, Conseillère, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre,

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, Conseillère,

Madame Nathalie HERY, Conseilleère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

 

M. [H] [T] est le gérant de la SNC de l'Orangerie, propriétaire de deux immeubles à [Localité 3] (68), l'un donné à bail à la SAS Univers Pharmacie dont il est le président, situé [Adresse 2], et l'autre, dans lequel il exploite une officine de pharmacie sous l'enseigne Pharmacie du Centre, étant situé [Adresse 5].

En février 2013, la société de l'Orangerie a confié à l'architecte M. [L] [M], la maîtrise d''uvre complète, d'une part, de travaux d'aménagement du premier étage de l'immeuble situé [Adresse 2] et, d'autre part, de travaux d'extension de l'immeuble situé [Adresse 5].

 

Le 11 février 2014, une étude géotechnique réalisée sur l'immeuble situé au [Adresse 2] par le bureau Geotec a conclu à l'existence d'incertitudes relatives à la capacité des fondations et du sol d'assise de l'immeuble à supporter les charges nouvelles créées par le projet d'aménagement du premier étage.

Le 20 février 2014, la société DMI Structure a préconisé la réalisation de sondages et de forages sur ce même immeuble afin de déterminer la stabilité de chaque semelle sous les poteaux et murs au regard des charges existantes et de l'augmentation projetée.

 

Le 21 février 2014, M. [M] a effectué une déclaration de sinistre auprès de son assureur la SAMCV Mutuelle des Architectes Français (MAF) concernant le projet d'aménagement d'une aire de stockage dans l'immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 3].

 

Après suspension dans l'attente des résultats des sondages du bureau Geotec, les travaux ont repris sur une partie limitée de l'immeuble.

 

Un permis de construire modificatif concernant l'immeuble situé au [Adresse 2] à [Localité 3] demandé le 8 février 2016 a été accordé le 7 juin 2016.

 

Le 23 octobre 2014 et le 27 mai 2016, un ensemble de procès-verbaux de réception ont été signés.

 

Considérant que M. [L] [M] avait commis une erreur dans la conception du projet de réhabilitation de l'immeuble sis [Adresse 2] ayant entraîné un retard de livraison de l'ouvrage et divers préjudices, la société de l'Orangerie, la société Univers Pharmacie et M. [H] [T], les 5 et 6 novembre 2020, ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Colmar respectivement la SAMVC MAF et M. [L] [M] afin d'obtenir, notamment, leur condamnation in solidum au paiement de dommages et intérêts.

 

M. [M] et la société MAF ont saisi le juge de la mise en état d'un incident se prévalant d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de M. [T], des sociétés de l'Orangerie et Univers Pharmacie.

 

Par ordonnance du 8 février 2023, le juge a :

 

- déclaré recevables les demandes de la SNC de l'Orangerie, de la SAS Univers Pharmacie et de M. [H] [T] à l'encontre de M. [L] [M] et de la SAMCV Mutuelle des Architectes Français ;

- dit que la demande en paiement de dommages et intérêts pour attitude dilatoire et résistance abusive excédait les pouvoirs du juge de la mise en état et relevait de la compétence du tribunal ;

- condamné in solidum M. [L] [M] et la SAMCV Mutuelle des Architectes Français à payer à la SNC de l'Orangerie, la SAS Univers Pharmacie et M. [H] [T] chacun la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'incident ;

- rejeté les demandes de M. [M] et de la SAMCV Mutuelle des Architectes Français au titre dudit article 700 du code de procédure civile.

 

Sur la recevabilité des prétentions de la société de l'Orangerie, le juge de la mise en état a constaté qu'il ressortait de l'assignation délivrée par cette dernière à M. [M] et son assureur qu'elle entendait rechercher la responsabilité décennale de l'architecte sur le fondement de l'article 1792 du code civil qui se prescrit par dix ans à compter de la réception des travaux ayant eu lieu pour la quasi-totalité des corps de métiers le 27 mai 2016 et le 7 septembre 2016 pour le lot peinture, de sorte qu'à la date d'introduction de l'instance, la prescription de l'action en responsabilité décennale contre l'architecte n'était pas acquise.

 

Sur la recevabilité des prétentions de M. [T] et de la société Univers Pharmacie, le juge a considéré que ces derniers ne pouvaient se prévaloir du délai décennal prévu à l'article 1792-4-3 du code civil alors qu'ils étaient des tiers au contrat conclu entre la société de l'Orangerie et M. [M], de sorte que leur action de nature quasi-délictuelle, se prescrivait selon le délai quinquennal de l'article 2224 du code civil.

 

Il a indiqué que le point de départ de leur action ne pouvait courir qu'à compter de la date à laquelle ils avaient eu connaissance du fait générateur de responsabilité de M. [M], de l'étendue de leurs préjudices et du lien de causalité entre les deux, qu'en l'espèce, ce point de départ ne pouvait remonter au 26 mai 2014 tel que le soutenaient les demandeurs à l'incident dès lors que s'il existait des soupçons d'erreur commise par l'architecte à cette date, les conséquences de celles-ci n'étaient pas encore certaines en raison, d'une part, de l'emploi du conditionnel dans un courrier daté du 10 juin 2014 émanant de M. [M] et, d'autre part, de ce qu'une expertise amiable avait été diligentée par la société MAF selon un courrier en date du 17 février 2014 et convocation à une réunion d'expertise adressée le 16 avril 2019.

 

Il en a conclu que M. [T] et la société Univers Pharmacie étaient alors fondés à attendre les conclusions de ce rapport d'expertise avant d'engager une action en responsabilité et qu'à défaut de remise d'un quelconque rapport aux défendeurs à l'incident, le délai de prescription n'avait pas commencé à courir à leur encontre à la date d'introduction d'instance les 5 et 6 novembre 2020, de sorte que les demandes de M. [T] et de la société Univers Pharmacie étaient recevables.

 

La société MAF a interjeté appel de cette ordonnance par voie électronique le 13 mars 2023, en toutes ses dispositions.

 

Selon ordonnance du 28 mars 2023, la présidente de la chambre, en application de l'article 905 du code de procédure civile, a fixé d'office l'affaire à l'audience du 24 novembre 2023.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

 Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 27 juin 2023, la société MAF demande à la cour de :  

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

y faisant droit,

- infirmer l'ordonnance entreprise ;

statuant à nouveau :

- juger les demandes de M. [H] [T] et de la société Univers Pharmacie prescrites, subsidiairement forcloses ;

- conséquemment, déclarer les demandes irrecevables ;

- condamner M. [H] [T] et la société Univers Pharmacie à lui payer la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens ;

- juger que la société de l'Orangerie est prescrite, subsidiairement forclose, en sa demande sur le fondement de la responsabilité de droit commun de l'architecte ;

- débouter les intimés en leur appel incident ;

- les débouter de leur demande au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

 

La société MAF fait valoir que le juge de la mise en état n'a pas répondu à la question qui lui était posée, dès lors qu'elle ne conteste pas que la société de l'Orangerie est recevable à agir sur le fondement de la garantie décennale, mais elle affirme qu'elle n'est plus recevable à agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.

 

Elle affirme que l'article 1792-4-3 du code civil est inapplicable aux désordres survenus avant réception et soutient que la société de l'Orangerie connaissait au plus tard au moment du redémarrage du chantier le 26 mai 2014 le prétendu fait générateur engageant la responsabilité de l'architecte. A cet égard, elle précise que ladite société savait dès ce moment que l'entrée de son locataire dans ses locaux serait différée de quatre mois, que les locataires médecins ne pourraient entrer dans les locaux, que le chantier durerait quatre mois supplémentaires prorogeant la durée de paiement de sa propre assurance emprunteur et enfin que le local de stockage initialement prévu ne pourrait pas être constitué.

 

Elle conclut que la prescription quinquennale en responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle a commencé à courir le 26 mai 2014, date à laquelle M. [M] a écrit à M. [T], tout à la fois gérant de la SNC de l'Orangerie, pharmacien exerçant à titre libéral et gérant de la société Univers Pharmacie, pour l'informer du redémarrage du chantier, de sorte que l'assignation en date du 6 novembre 2020 a été délivrée hors délai.

 

En réponse à l'argumentation de la société l'Orangerie, elle ne conteste pas la recevabilité d'une action fondée sur la responsabilité décennale mais précise qu'elle est insusceptible de s'appliquer dès lors qu'il n'existe pas de désordre non apparent à la réception rendant l'ouvrage impropre à sa destination ou portant atteinte à sa structure.

 

Elle indique, à nouveau, que la demande fondée sur la responsabilité contractuelle de l'architecte est nécessairement prescrite, à tout le moins forclose en faisant valoir que pour des désordres survenus avant réception l'article 1792-4-3 du code civil est inapplicable et que s'applique le délai de droit commun de cinq ans à compter du moment où la société de l'Orangerie disposait de tous les éléments d'information lui permettant d'agir, soit au 26 mai 2014.

 

Sur la demande de M. [T] et la société Univers Pharmacie, se prévalant des dispositions de l'article 2224 du code civil, elle expose qu'ils avaient connaissance du retard et des conséquences de la découverte des problèmes de sol et de fondations en février 2014 et, au plus tard, en mai 2014, date à laquelle le chantier a redémarré.

 

Elle en déduit qu'ils auraient dû agir à l'encontre de l'architecte avant le 26 mai 2019.

 

Elle reproche au juge de la mise en état d'avoir considéré que lesdites parties étaient fondées à attendre les conclusions du rapport amiable avant d'engager une action en responsabilité, alors que l'organisation d'une telle expertise n'est pas une cause

d'interruption ou de suspension du délai de prescription et que ni M. [T], ni la société Univers Pharmacie n'avaient besoin de l'avis de l'expert de la société MAF pour chiffrer leurs prétentions financières relativement aux faits imputés qu'ils connaissaient déjà.

 

Elle ajoute encore que ces deux parties ne peuvent se prévaloir du délai décennal prévu à l'article 1792-4-3 du code civil, qui est réservé aux actions qui naissent du contrat d'entreprise et qu'il n'est nullement applicable aux actions quasi-délictuelles.

 

Aux termes de leurs conclusions transmises par voie électronique le 2 juin 2023, M. [T], les sociétés de l'Orangerie et Univers Pharmacie demandent à la cour de : 

- confirmer, au besoin par substitution de motifs, l'ordonnance entreprise, sauf du chef du montant des frais irrépétibles ;

statuant à nouveau sur le montant des frais irrépétibles alloués par le juge de la mise en état :

- condamner la société MAF à leur payer, à chacun, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure de première instance, soit 6 000 euros au total ;

- condamner la société MAF à leur payer, à chacun, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel, soit 6 000 euros au total ainsi qu'aux entiers dépens ;

- débouter la société MAF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

 

Les intimés indiquent qu'ils partagent l'analyse du juge de la mise en état quant à la recevabilité des prétentions de la société de l'Orangerie et critiquent l'appelante en ce qu'elle prétend qu'il n'aurait pas été répondu à la question qui lui était posée.

 

Ils considèrent qu'il ressort de l'assignation qu'ils ont bien agi sur le fondement de la garantie décennale prévue à l'article 1792 du code civil et qu'il est ainsi inopportun de développer des arguments quant à l'applicabilité ou non de l'article 1792-4-3 du code civil, voire de la responsabilité de droit commun de l'architecte. Ils précisent que si la cour devait examiner tout autre fondement que le premier de ces textes aux fins de se prononcer sur la recevabilité de leur action, celle-ci ne serait pour autant pas prescrite en vertu du second dès lors qu'il porte à dix ans le délai pour agir à compter de la réception des travaux.

 

Se prévalant de ce que la réception est intervenue les 27 mai 2016 et 7 septembre 2016 et de ce que leurs assignations ont été délivrées les 5 et 6 novembre 2020, leurs demandes n'encourent pas l'irrecevabilité. Ils soulignent qu'ils n'ont pas été destinataires du rapport amiable de l'expert de la société MAF alors qu'une réunion s'est déroulée le 6 mai 2019 dans les locaux de la société de l'Orangerie et partagent ainsi l'analyse du juge de la mise en état qui a considéré que le délai de prescription n'a pu commencer à courir contre M. [T] et la société Univers Pharmacie. Ils concluent donc à la confirmation de l'ordonnance, soit par substitution de motifs, soit par adoption des motifs de l'ordonnance. 

Sur la substitution de motifs, ils indiquent que le terme « actions » utilisé dans l'article 1792-4-3 du code civil vise toute action, de quelque nature que ce soit, y compris quasi-délictuelle, de sorte qu'une action délictuelle ou quasi-délictuelle peut profiter dudit délai décennal.

 

Sur l'adoption des motifs, ils partagent l'analyse du juge de la mise en état qui a considéré que la connaissance de leur préjudice par M. [T] et la société Univers Pharmacie n'avait pu être acquise dès lors qu'ils n'avaient pas disposé d'un quelconque rapport établissant les causes, l'étendue et les montants d'un éventuel préjudice confirmant leurs soupçons quant à une possible recherche de responsabilité de l'architecte.

Ils s'opposent au moyen adverse tendant à placer à la date du 26 mai 2014 le point de départ de la prescription fondé sur l'envoi d'un courriel par l'architecte à la société de l'Orangerie, selon lequel : « Les travaux momentanément interrompus pour cause de sondages sous les poteaux fonte de rez-de-chaussée ont repris à compter du 24/04/2014. Cette reprise concerne exclusivement les bureaux situés en façade Ouest du bâtiment qui devront être opérationnels pour mi-juillet 2014 » lequel n'est pas de nature à permettre une quelconque action en responsabilité. Selon eux, il n'est pas concevable qu'ils aient pu agir à cette date alors que l'expertise d'assurance venait juste de débuter..

 

Ils ajoutent qu'il est de jurisprudence constante que le locataire ne peut prendre connaissance de la faute du constructeur, point de départ du délai de prescription, au sens de l'article 1792-1 du code civil, qu'après remise d'un rapport d'expertise, soit d'assurance, soit judiciaire, l'établissant.

 

Ils en concluent que le délai n'a jamais pu commencer à courir faute de transmission d'un tel rapport par la société MAF, qui ne peut exciper d'aucune fin de non-recevoir, de sorte que l'action de tiers, en l'occurrence M. [T] et la société Univers Pharmacie, subséquente à la mise en 'uvre de la responsabilité décennale de l'architecte envers le maître de l'ouvrage permet au tiers d'agir dans le délai quinquennal à compter du moment où la responsabilité décennale de l'architecte est établie, ce qui exige que le désordre décennal soit établi, par expertise amiable ou judiciaire ou par décision.

 

Subsidiairement, les intimés considèrent, qu'en tout état de cause, l'attitude dilatoire et déloyale de la société MAF, consistant à laisser inachevée l'expertise pour ensuite leur opposer la prescription, la prive du droit de s'en prévaloir.

Selon eux, la société MAF aurait fait « traîner » l'instruction de l'expertise afin qu'elle n'aboutisse pas, ce qui aurait permis ensuite à l'appelant d'opposer aux intimés la prescription, alors que ces derniers attendaient sa transmission pour engager leur action.

 

Enfin, ils précisent, plus subsidiairement encore, que le contrat conclu entre l'architecte et la société de l'Orangerie institue une obligation de conciliation avant toute procédure judiciaire auprès du Conseil de l'ordre des architectes qu'ils ont saisi

par lettre du 24 août 2020, cette saisine ayant suspendu les délais pour agir jusqu'à l'achèvement de la conciliation par lettre du 6 octobre 2020 faisant courir un délai minimum de six mois pour saisir le tribunal, conformément aux dispositions de l'article 2238 du code civil, de sorte que l'assignation délivrée un mois plus tard le 5 novembre 2020 est régulière.

 

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties aux conclusions transmises aux dates susvisées. 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

Sur les fins de non-recevoir

 

La société MAF ayant seule fait appel de cette ordonnance, celle-ci n'est pas contestée en ce que les demandes de M. [H] [T], de la société Univers Pharmacie et de la société de l'Orangerie ont été déclarées recevables à l'encontre de M. [L] [M], étant précisé qu'il ressort des conclusions de l'appelante que ce dernier est décédé depuis l'ordonnance entreprise.

 

Sur la recevabilité des demandes de la société de l'Orangerie à l'égard de la société MAF

La société de l'Orangerie indique agir sur le fondement des dispositions de l'article 1792 du code civil qui organisent la garantie décennale du constructeur d'un ouvrage lequel est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

Ses demandes ne doivent donc être analysées que dans le cadre de ce fondement juridique, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société MAF tendant à voir déclarer prescrite, subsidiairement, forclose la demande de la société de l'Orangerie sur le fondement de la responsabilité de droit commun de l'architecte laquelle n'est pas invoquée.

Sur la recevabilité des demandes de M. [T] et de la société Univers Pharmacie à l'égard de la société MAF

M. [T] et la société Univers Pharmacie étant des tiers à l'opération de construction commandée par la société de l'Orangerie, ce sont les dispositions de l'article 2224 du code civil qui s'appliquent tel que le premier juge l'a retenu, les parties n'en contestant pas l'application mais le seul point de départ du délai de prescription prévu par cet article lequel dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il convient de rappeler que la société Univers Pharmacie a agi à l'encontre de la société MAF pour obtenir paiement d'une somme de 46 000 euros au titre des surcoûts de stockage et que M. [T] a agi à l'encontre de la même société pour obtenir paiement de la somme de 39 831 euros au titre des conséquences dommageables du retard d'installation au [Adresse 5] à [Localité 3] des professionnels de santé.

 

Les préjudices invoqués par M. [T] et la société Univers Pharmacie découlent donc du retard d'achèvement des travaux, or ils ne pouvaient connaître l'étendue de leur préjudice avant que les travaux soient réceptionnés dans leur totalité ce qui marquait leur achèvement, de sorte que le délai de prescription n'a pas pu courir avant la date du dernier procès-verbal de réception du 27 mai 2016. En outre, à cette date, les responsabilités éventuellement encourues n'étaient pas déterminées puisque si une expertise amiable avait été diligentée à l'initiative de la société MAF, cette dernière ne justifie pas de ce que le rapport dont l'existence n'est au demeurant pas établie a été communiqué à M. [T], respectivement à la société Univers Pharmacie dont il est le dirigeant.   

 

Il en résulte que les demandes de M. [T] et de la société Univers Pharmacie dirigées contre la société MAF ne sont pas prescrites et sont donc tout à fait recevables sur le fondement de l'article 2224 du code civil.

                                                            * 

L'ordonnance entreprise est donc confirmée sur la recevabilité des demandes de la société de l'Orangerie, de M. [T] et de la société Univers Pharmacie à l'encontre de la société MAF.

 

Sur les dépens et les frais de procédure non compris dans les dépens

 

L'ordonnance entreprise est confirmée de ces chefs.

 

A hauteur d'appel, la société MAF est condamnée aux dépens ainsi qu'à payer la somme totale de 1 500 euros indivisément à M. [T], et aux sociétés de l'Orangerie et Univers Pharmacie qui ont assuré une défense commune. 

 

La société MAF est déboutée de sa demande d'indemnité formulée sur ce même fondement à l'encontre de M. [T] et de la société Univers Pharmacie.

 

 PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

 

CONFIRME, dans les limites de l'appel, l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar du 8 février 2023 ;

 

Y ajoutant :

 

CONDAMNE la SAMCV MAF aux dépens de la procédure d'appel ;

 

CONDAMNE la SAMCV MAF à payer à M. [H] [T], la SNC de l'Orangerie et la SAS Univers Pharmacie, ensemble, la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais de procédure non compris dans les dépens exposés à hauteur d'appel ;

 

DÉBOUTE la SAMCV MAF de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais de procédure non compris dans les dépens exposés à hauteur d'appel.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 23/01083
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;23.01083 ?
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