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21/03/2024 | FRANCE | N°22/03521

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 21 mars 2024, 22/03521


MINUTE N° 116/2024











































Copie exécutoire

aux avocats



Le 21 mars 2024



La greffière

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 21 MARS 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03521 -

N° Portalis DBVW-V-B7G-H5PE
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Décision déférée à la cour : 26 Juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg





APPELANT :



Monsieur [F] [D]

demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Eulalie LEPINAY, Avocat à la cour





INTIMÉE :



Madame [Y] [W]

demeurant [Adresse 1]



représentée par Me Christine BO...

MINUTE N° 116/2024

Copie exécutoire

aux avocats

Le 21 mars 2024

La greffière

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 21 MARS 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03521 -

N° Portalis DBVW-V-B7G-H5PE

Décision déférée à la cour : 26 Juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg

APPELANT :

Monsieur [F] [D]

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Eulalie LEPINAY, Avocat à la cour

INTIMÉE :

Madame [Y] [W]

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Christine BOUDET, Avocat à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Février 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseillère

Madame Murielle ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 22 février 2020, Mme [W] et M. [D] ont signé un 'compromis de vente' concernant un bien immobilier sis à [Localité 3].

Par lettre recommandée du 11 mai 2020, Mme [W] a annoncé vouloir se rétracter.

Par acte d'huissier de justice signifié le 10 juin 2021, M. [D] a assigné Mme [W] en paiement de la somme de 12 700 euros au titre de la clause pénale prévue au contrat.

Par jugement du 26 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg :

- a déclaré M. [D] recevable en ses prétentions,

- l'en a débouté,

- l'a condamné aux dépens, et à payer à Mme [W] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu au visa des articles 1353 du code civil et L.271-1 du code de la construction et de l'habitation, que M. [D] ne produisait pas l'accusé de réception du courrier recommandé notifiant à Mme [W] le 'compromis de vente', que s'il pouvait être déduit du courrier de Mme [W] du 11 mai 2020 qu'il avait été notifié par lettre datée du 6 mars 2020, rien ne permettait de déterminer quelle avait été la date de présentation du courrier. En l'absence de justification de la date de la remise, il ne pouvait être jugé que le délai de rétractation était expiré lorsque Mme [W] avait fait usage de ce droit.

Le 16 septembre 2022, M. [D] a interjeté appel du jugement l'ayant débouté de ses prétentions et condamné aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'affaire a été prononcée.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions datées du 19 mai 2023, transmises par voie électronique le 22 mai 2023, M. [D] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

y faisant droit,

- infirmer le jugement entrepris,

statuant à nouveau :

- condamner Mme [W] au paiement des sommes de :

* 12 700 euros au titre de la clause pénale prévue au 'compromis de vente' signé entre les parties le 22 février 2020,

* 1 000 euros à titre d'indemnisation forfaitaire du préjudice moral qu'il a subi,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [W] aux entiers dépens de la procédure.

Il reproche au premier juge d'avoir dénaturé la lettre de Mme [W] du 11 mai 2020, qui mentionne un 'recommandé reçu le 7 mars 2020'. Il ajoute produire l'accusé de réception signé par cette dernière de la notification du compromis de vente, qui rappelle la faculté de rétractation, le délai et les modalités dans lesquelles elle peut s'exercer. Il en déduit que la rétractation est intervenue au-delà du délai de rétractation, de sorte que sa demande au titre de la clause pénale est bien fondée.

Il soutient que Mme [W] ne peut 'se prévaloir d'une condition suspensive', dans la mesure où la non-réalisation de cette condition lui incombe et qu'elle n'a effectué aucune démarche pour obtenir un financement. Il ajoute que l'ordonnance 2020-427 du 15 avril 2020 invoquée par la partie adverse indique ne pas être applicable au délai de rétractation.

Il soutient que l'attitude de Mme [W] lui a causé un préjudice matériel, mais également un préjudice moral distinct, dans la mesure où il n'a eu d'autre choix que de reporter ses projets, suite à la vente tardive de son bien immobilier, où il n'a pu solder l'emprunt immobilier qui était en cours et où il a dû faire face au paiement de taxes et factures supplémentaires. Il ajoute que Mme [W] a finalement reconnu la tardiveté de sa rétractation et qu'elle entend s'opposer à ses demandes, de sorte qu'elle est de mauvaise foi.

Par ses dernières conclusions datées du 11 mars 2023, transmises par voie électronique le même jour, Mme [W] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

y ajoutant :

- condamner M. [D] au paiement de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel,

Très subsidiairement :

- réduire le montant de la clause pénale à de plus justes proportions,

- débouter l'appelant pour le surplus,

- condamner M. [D] au paiement de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.

Expliquant s'être rétractée en raison de l'effondrement du cours de bourse de ses actions en raison de la crise du Covid 19, elle soutient avoir exercé son droit de rétractation de parfaite bonne foi, même si, au vu des pièces produites à hauteur de cour, elle ne l'a pas exercé dans les délais. Elle ajoute qu'il conviendra d'apprécier la demande au regard de la situation pandémique de mars à mai 2020 et de confinement de la population française qui ont rendus impossible un tel exercice.

Elle ajoute que le montant de la clause pénale est manifestement excessif, en invoquant, d'une part, le contexte dans lequel la rétractation est intervenue, le 'compromis de vente' étant signé le 22 février 2020 et la loi pour faire face à l'épidémie de Covid 19 étant promulguée le 23 mars 2020, de sorte qu'il apparaissait particulièrement ardu d'obtenir un financement bancaire en plein confinement pour acquérir un appartement, et que cette difficulté, associée à la chute de ses valeurs boursières, a entraîné l'impossibilité pour elle d'acquérir le bien, et, d'autre part, le fait que M. [D] a vendu le bien très rapidement, soit le 24 juillet 2020, et qu'il apparaît évident que des négociations se sont tenues avec d'autres candidats en parallèle, de sorte qu'il est mal fondé à demander la constatation d'un quelconque préjudice ou l'application de la clause pénale.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, aucune clause pénale ne peut lui être opposée en application des articles 4 et 1er de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020.

S'agissant de la demande de dommages-intérêts, elle soutient qu'aucune pièce ne démontre un préjudice moral ou financier.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la clause pénale :

L'acte sous seing privé intitulé 'vente de biens et droits immobiliers sous conditions suspensives' signé par les parties le 22 février 2020, qui indique que l'acquéreur déclare que son acquisition sera financée à concurrence de 40 000 euros à l'aide de ses deniers personnels et assimilés et pour un montant de 102 160 euros à l'aide d'un prêt bancaire, est conclu sous des conditions suspensives, notamment de l'obtention du prêt avant le 7 mai 2020. La date de signature de l'acte authentique était prévue au plus tard le 30 mai 2020.

Il contient une clause pénale libellée comme suit : 'en application de la rubrique 'réalisation' et après levée de toutes les conditions suspensives, il est convenu, au cas où l'une des parties viendrait à refuser de régulariser par acte authentique la présente vente dans le délai imparti, qu'elle pourra y être contrainte par tous les moyens et voies de droit, en supportant les frais de poursuites et de recours à justice et sans préjudice de tous dommages et intérêts. Toutefois, la partie qui n'est pas en défaut pourra, à son choix, prendre acte du refus de son co-contractant et invoquer la résolution du contrat. Dans l'un et l'autre cas, il est expressément convenu que la partie qui n'est pas en défaut percevra de l'autre partie, à titre d'indemnisation forfaitaire de son préjudice, la somme de 12 700 euros.'

Les parties conviennent de ce que Mme [W] s'est rétractée le 11 mai 2020, après avoir reçu le 7 mars 2020 la lettre recommandée avec accusé lui notifiant l'acte, comme elle l'indiquait dans sa lettre du 11 mai 2020, et comme M. [D] en justifie à hauteur d'appel en produisant ledit accusé de réception.

Par lettre expédiée le 12 juin 2020 et remise le 15 juin 2020, M. [D] a pris acte de cette rétractation, indiquant que celle-ci avait été effectuée hors délai, constaté que Mme [W] ne justifiait pas de son 'retrait sans être en défaut', de sorte qu'il lui demandait de lui payer la somme de 12 700 euros.

Sur l'exercice du droit de rétractation :

Mme [W] admet ne pas avoir exercé son droit de rétractation dans le délai prévu par l'article L.271-1 du code de la construction et de l'habitation.

Elle soutient cependant que son exercice a été rendu impossible au regard de la situation pandémique de mars à mai 2020 et de confinement de la population française.

Cependant, elle ne démontre pas s'être trouvée, pendant cette période, et à tout le moins dans le délai de rétractation prévu par le texte précité, dans l'impossibilité d'envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception ou d'acquérir le bien selon les modalités prévues entre les parties.

Sur l'application de la clause pénale :

Mme [W] soutient aussi qu'aucune clause pénale ne peut lui être opposée en invoquant les articles 4 et 1er de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020.

A l'exception des moyens de défense précités, elle ne conteste pas que les conditions d'application de ladite clause pénale ont vocation à s'appliquer.

Il convient, d'une part, de constater que, selon l'article 2 de cette ordonnance, 'Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

(...)

Le présent article n'est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argent en cas d'exercice de ces droits.'

(...)

Cet alinéa a été inséré dans l'article précité par l'article 2 de l'ordonnance 2020-427 du 15 avril 2020, invoquée par M. [D], ce dernier article précisant que 'cette modification de l'article 2 a un caractère interprétatif'.

Il s'en déduit que la période de crise sanitaire n'a pas eu d'impact sur le délai de rétractation prévu par l'article L.271-1 du code de la construction et de l'habitation.

D'autre part, selon l'article 1 I de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 : ' Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.'

Selon son article 4, '(...) les clauses pénales (...), lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er.'

En l'espèce, la clause pénale prévoit le paiement d'une somme par la partie qui refuse de régulariser l'acte authentique dans le délai imparti, que son co-contractant agisse en justice pour la contraindre à régulariser un acte authentique ou que celui-ci prenne acte du refus et invoque la résolution du contrat.

La date de signature de l'acte authentique était prévue au plus tard le 30 mai 2020.

Par lettre du 12 juin 2020, M. [D] a pris acte du refus de Mme [W] de réitérer l'acte et l'a mise en demeure de payer le montant de la clause pénale.

Dès lors, la présente clause pénale a pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, à savoir au plus tard le 30 mai 2020, ce délai étant situé dans la période précitée. Elle est ainsi réputée n'avoir pas produit effet.

En conséquence, la demande d'application de la clause pénale sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

2. Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral :

En l'espèce, 'le compromis de vente' prévoyait que l'acte authentique de vente devait être signé entre les parties au plus tard le 30 mai 2020. Mme [W] justifie que M. [D] a vendu le bien immobilier à une autre personne par acte authentique du 24 juillet 2020.

La rétractation tardive de Mme [W] a ainsi retardé le projet de vente de M. [D] de moins de deux mois.

En raison du retard résultant de ce refus de réitération, M. [D] a subi un préjudice moral dans la mesure où il a dû faire face à une telle rétractation et effectuer de nouvelles démarches pour trouver un autre acquéreur, étant précisé qu'il n'est pas démontré qu'il avait effectué des démarches antérieures ou parallèles pour trouver un autre acquéreur.

Ce préjudice moral sera évalué à la somme de 500 euros, que Mme [W] sera condamnée à payer à M. [D], le jugement étant infirmé de ce chef.

3. Sur les frais et dépens :

En considération des circonstances de la cause et de la solution du litige, il convient de condamner chaque partie à conserver la charge de ses propres dépens de première instance, le jugement étant infirmé de ce chef, et d'appel.

A hauteur d'appel, l'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que les demandes seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe de la cour,

Statuant dans les limites de l'appel ;

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 26 juillet 2022, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral et a condamné Mme [W] aux entiers dépens de première instance ;

L'infirme de ces chefs ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne Mme [Y] [W] à payer à M. [F] [D] la somme de 500 euros (cinq cents euros) à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

Condamne chaque partie à conserver la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel ;

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 22/03521
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;22.03521 ?
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