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30/06/2023 | FRANCE | N°22/03052

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 30 juin 2023, 22/03052


MINUTE N° 349/2023





























Copie exécutoire à



- Me Thierry CAHN



- la SELARL LEXAVOUE COLMAR



- Me Nadine HEICHELBECH





Le 30 juin 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 30 JUIN 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03052

-

N° Portalis DBVW-V-B7G-H4V7



Décision déférée à la cour : 24 Juin 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saverne





APPELANTE et INTIMÉE SUR APPEL INCIDENT :



La S.A. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE

ayant son siège social [Adr...

MINUTE N° 349/2023

Copie exécutoire à

- Me Thierry CAHN

- la SELARL LEXAVOUE COLMAR

- Me Nadine HEICHELBECH

Le 30 juin 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 30 JUIN 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/03052 -

N° Portalis DBVW-V-B7G-H4V7

Décision déférée à la cour : 24 Juin 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saverne

APPELANTE et INTIMÉE SUR APPEL INCIDENT :

La S.A. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE

ayant son siège social [Adresse 3] à [Localité 4]

représentée par Me Thierry CAHN, avocat à la cour.

INTIMÉS et APPELANTS SUR APPEL INCIDENT :

1/ Monsieur [N] [Z]

demeurant [Adresse 6]

1/ représenté par la SELARL LEXAVOUE COLMAR, avocat à la cour.

2/ Maître [X] [Y]

demeurant [Adresse 1] à [Localité 7]

3/ La S.A.R.L. THIERRY BOILLOD ET [X] [Y], notaires associés, prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 7]

2 & 3/ représentés par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la cour.

INTIMÉE :

4/ La S.C.I. [Adresse 9] représentée par son gérant

ayant son siège social [Adresse 2] à [Localité 5]

assignée le 2 septembre 2022 par acte déposé en l'étude de l'huissier instrumentaire.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, conseiller

Madame Nathalie HERY, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT rendu par défaut

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS et PROCÉDURE

Par acte notarié du 2 octobre 2015 dressé par Me [X] [Y], notaire, M. [N] [Z] a acquis en l'état futur d'achèvement un appartement, un garage et une cave (respectivement les lots n° 102, 109 et 113) dans la résidence « [Adresse 9] », [Adresse 10], auprès de la SCI [Adresse 9], au prix de 155 000 euros, avec un versement d'une fraction exigible de 70 % correspondant à la mise hors d'eau de l'immeuble, soit 108 500 euros. Cet acte a fixé au 4ème trimestre de l'année 2015 en cours la date de livraison des biens vendus.

Pour financer cette acquisition, M. [Z] a souscrit un prêt auprès de la SA Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (BPALC) d'un montant de 80 000 euros, en date du 30 mai 2015.

Faute de livraison du bien immobilier et se prévalant de l'état d'abandon du chantier, M. [Z] a, par acte du 20 mai 2020, assigné la SCI [Adresse 9] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Saverne aux fins d'obtenir la désignation d'un expert chargé de déterminer l'état d'avancement du chantier.

Par ordonnance du 29 juin 2020, le juge des référés a fait droit à cette demande, désignant M. [U] [J]. L'expert judiciaire a signé son rapport le 25 janvier 2021.

Celui-ci a constaté un état d'abandon du chantier depuis deux ans, une mise hors d'eau de l'immeuble inachevée (64% réalisés), l'absence de raccordement de l'immeuble à l'eau et l'électricité, une date de livraison de l'immeuble annoncée dans les actes de vente irréalisable et incohérente, et l'impossibilité de mener l'avancée des travaux au coût annoncé pour les propriétaires, le chantier ayant été exposé aux intempéries et inondations.

Dans ce contexte, M. [Z] a, par assignations des 4, 6 et 7 mai 2021, attrait la SARL Thierry Boillod et [X] [Y] Notaires associés (la SARL Boillod-[Y]), M. [X] [Y], la BPALC et la SCI [Adresse 9] aux fins notamment de voir prononcer :

- « d'une première part » la résolution judiciaire de la vente conclue le 2 octobre 2015 en raison de la défaillance du constructeur et de l'abandon du chantier par ce dernier,

- « d'une seconde part » sa nullité pour défaut de garantie intrinsèque,

- « d'une troisième part » sa nullité pour dol,

Subsidiairement,

- la nullité de l'acte de vente, invoquant à l'appui différentes fautes commises par le notaire,

- la résolution du contrat de prêt immobilier y afférent, invoquant à l'appui différentes fautes commises par la BPALC, en omettant de s'assurer de la validité du contrat principal financé et du respect des dispositions d'ordre public du régime juridique de la VEFA, en

libérant prématurément des fonds destinés au financement d'un bien immobilier en état futur d'achèvement financé par un crédit affecté, sans s'assurer de la justification de la réalité des travaux réalisés par le vendeur et de la cohérence du délai de livraison annoncé dans l'acte de vente, et enfin en manquant à son devoir d'information et de conseil dans une opération complexe présentant des risques financiers et de défaillance du promoteur (en omettant de l'informer de l'incohérence en raison de la proximité entre la date de livraison indiquée et les travaux restant à réaliser mentionnés dans l'acte de vente),

Il demande également au tribunal de :

- déchoir rétroactivement la BPALC de tout droit de créance en capital, intérêts et frais envers lui, au titre du crédit immobilier conclu le 30 mai 2015,

- condamner solidairement la SCI [Adresse 9] et les notaires à lui rembourser toutes les échéances du prêt qu'il a réglées au profit de la BPALC et à la banque le capital restant dû au titre du contrat de crédit souscrit par lui, en réparation du préjudice financier résultant de l'annulation de la vente, avec intérêts légaux,

- condamner la BPALC à lui payer la somme globale de 20 000 euros au titre du préjudice subi de fait du manquement de la banque à son devoir d'information et de mise en garde dans une opération risquée,

Subsidiairement, en cas de rejet de la demande de nullité de l'acte de vente et la résolution judiciaire du contrat de prêt immobilier,

- condamner solidairement la SCI [Adresse 9] et les notaires à lui payer la somme de 76 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas avoir pu renoncer au projet d'acquisition litigieux, afin de solder le crédit immobilier souscrit auprès de la BPALC,

Enfin ;

- condamner solidairement les notaires à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice financier du fait des fautes graves et répétées,

- condamner solidairement la SCI [Adresse 9] et les notaires à lui payer la somme de 750 euros au titre des frais d'expertise judiciaire,

- condamner solidairement la SCI [Adresse 9] et les notaires à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice moral et psychologique et de privation de jouissance de son logement.

Enfin, il sollicite la condamnation solidaire de la SCI [Adresse 9] et des notaires à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice financier du fait de leurs fautes graves et répétées, ainsi que la condamnation des défendeurs à lui payer des dommages et intérêts au titre d'une perte de chance.

Les défenderesses ont saisi le juge de la mise en état afin que soit déclarée irrecevables ces demandes, au motif qu'elles étaient prescrites d'une part et qu'elles n'avaient pas été publiées au Livre foncier en application des articles 28-4 et 30 du décret du 4 janvier 1955 d'autre part.

Par ordonnance réputée contradictoire du 24 juin 2022, le juge de la mise en état a :

- rejeté la demande incidente tendant à « l'irrecevabilité de l'assignation » ;

- réservé le sort des frais et dépens dans l'attente de la décision à intervenir sur le fond ;

- rappelé que la décision était exécutoire par provision.

Le juge de la mise en état a indiqué que, si les dispositions des articles 28-4 et 30 du décret du 4 janvier 1955 imposaient la publication obligatoire, au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles, des demandes tendant à faire prononcer la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision de droits résultant d'actes soumis à publicité, à peine d'irrecevabilité devant les tribunaux de ces mêmes demandes, il n'était pas contesté que l'assignation avait fait l'objet d'une publication auprès de ce service en cours d'instance, opérant ainsi régularisation.

La BPALC a interjeté appel de cette ordonnance, le 2 août 2022, en ce que celle-ci avait omis de statuer sur le moyen de défense invoqué, tiré de la prescription de l'action d'une part, et en ce qu'elle avait rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'assignation pour défaut de publication des demandes au Livre foncier.

Par ordonnance du 29 août 2022, la présidente de la chambre a fixé d'office l'affaire à bref délai en application de l'article 905 du code de procédure civile.

Bien que régulièrement assignée, par acte du 2 septembre 2022 déposé à l'étude de l'huissier de justice, la SCI [Adresse 9] n'a pas constitué avocat devant la cour. Il sera donc statué par un arrêt rendu par défaut.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 août 2022, la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne demande à la cour :

- de recevoir l'appel ;

- d'annuler l'ordonnance entreprise ;

- subsidiairement de la réformer ;

- en tout état de cause, de déclarer la demande introduite par M. [Z] prescrite en ce qu'elle la concerne ;

- de condamner M. [Z] à lui payer un montant de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Au soutien de son appel, elle fait valoir que, si la régularisation de l'inscription de la demande aux fins de résolution de la vente est bien intervenue au Livre foncier le 24 mars 2022, la cour décidera si la période de 10 mois entre l'assignation et la régularisation ne fait pas néanmoins encourir l'irrecevabilité.

L'appelante soutient, sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, sur laquelle il n'a pas été statué par le premier juge, au visa des articles 2224 du code civil et L110-4 du code de commerce, et s'agissant tant de la demande de résolution du contrat de prêt que des autres demandes, que plus de cinq ans se sont écoulés depuis la date du prêt d'une part et depuis que M. [Z] a pu prendre connaissance de l'inexécution des obligations du vendeur d'autre part, dès lors que, selon l'acte de vente, la livraison du bien immobilier aurait dû avoir lieu au 31 décembre 2015.

Elle fait valoir en conséquence que, dès fin 2015, le manquement et la défaillance de la SCI [Adresse 9] étaient manifestes, faute de livraison des biens immobiliers. M. [Z] lui-même avait admis dans ses conclusions sur incident de janvier 2022 que le point de départ du délai pour agir en nullité de l'acte de vente et du crédit affecté était le 31 décembre 2020.

En outre, dans l'hypothèse où la prescription aurait été interrompue par l'assignation en référé expertise, cette procédure ne la concernait pas, n'y ayant pas été partie et son objet ne portant que sur l'état d'avancement des travaux du chantier et leur conformité.

* * *

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2022, M. [Y] et la société Boillod-[Y] demandent à la cour :

- de statuer ce que de droit sur l'appel principal ;

- sur l'appel incident, à titre principal, d'annuler l'ordonnance entreprise, à titre subsidiaire, d'infirmer ladite ordonnance en toutes ses dispositions ;

- statuant à nouveau, de déclarer irrecevables comme prescrites les prétentions formées par M. [Z] à leur encontre ;

- de condamner M. [Z] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Ils font valoir, sur la prescription de l'action en responsabilité, au visa des articles 1240 et 2224 du code civil, que les faits permettant à M. [Z] d'agir en responsabilité contre le notaire correspondent à la date de survenance du dommage et qu'il lui incombait d'agir dès qu'il disposait de l'information lui permettant de mener une telle action.

Les intimés ajoutent que M. [Z] avait nécessairement connaissance, dès le dépassement du délai d'achèvement des travaux de construction de l'immeuble fixé au 31 décembre 2015, de la réalisation du dommage, élément lui permettant d'intenter une action en justice. Ainsi, son assignation délivrée le 4 mai 2021 est postérieure au délai quinquennal requis pour agir, de sorte que son action contre le notaire est prescrite.

Les intimés poursuivent en soulignant que la « suspension » du délai de prescription au titre de la procédure de référé expertise, engagée par assignation du 20 mai 2020, ne s'applique pas à l'action dirigée à leur encontre, n'ayant pas été assignés dans le cadre de cette procédure.

Ils considèrent qu'à défaut d'avoir statué sur ce moyen, l'ordonnance entreprise encourt l'annulation.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de justification de la publication de l'exploit introductif d'instance au Livre foncier, les intimés s'associent aux observations de la BPALC et ajoutent que, lorsque la partie à qui l'on reproche de ne pas avoir justifié de cette publication ne produit ce justificatif qu'après que l'incident a été soulevé, cet incident de mise en état doit être considéré comme lui étant imputable, ce qui est important quant à la décision à intervenir sur les demandes autonomes.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 septembre 2022, M. [Z] demande à la cour :

- sur l'appel principal de la BPALC et l'appel provoqué de M. [Y] et de la SARL Boillod-[Y], de débouter chacun d'eux de l'intégralité de leurs demandes et notamment de leur « exception » de prescription et de leur fin de non-recevoir tirée de la non-publication de l'assignation au Livre foncier ;

- en conséquence, de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande incidente tendant à l'irrecevabilité de l'assignation ;

- en tout état de cause, de juger qu'il justifie de la publication de l'assignation au Centre foncier de [Localité 11] le 7 juin 2021 et, en conséquence, de débouter la Banque populaire, Me [Y] et la SARL Boillod-[Y] de leur fin de non-recevoir tirée de non-publication de l'assignation au Livre foncier ;

- de déclarer valable et régulière l'assignation délivrée à sa demande à Me [Y] et la société Boillod-[Y], à la BPALC et à la SCI [Adresse 9],

- de débouter la BPALC, M. [Y] et la SARL Boillod-[Y] de leur « exception de prescription et d'irrecevabilité » de l'action qu'il a diligentée et de juger recevables l'action en nullité de l'acte de vente passé le 2 octobre 2015 avec la SCI, et l'action en résolution du contrat de prêt,

- de juger son action recevable ;

- de condamner solidairement la Banque populaire, M. [Y] et la SARL Boillod-[Y], à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel, outre les entiers dépens.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'assignation, M. [Z] affirme justifier avoir procédé au dépôt, par l'intermédiaire de l'huissier de justice d'[Localité 8], d'une requête en inscription des assignations par acte du 7 juin 2021, soit avant la clôture de l'instance pendante, de sorte qu'elle est régulière. Il souligne que c'est le greffe du service foncier qui a tardé à retourner les documents attestant de l'enregistrement et que la publication doit seulement être régularisée avant la fin de l'instance.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la banque concernant le crédit affecté, M. [Z] souligne qu'il a interjeté appel de l'ordonnance déférée en raison de l'omission de statuer sur cette « exception de prescription » soulevée. Il soutient que le point de départ du délai d'action en résolution du crédit immobilier affecté n'est pas la date de conclusion du contrat de prêt, mais celle de la livraison du bien prévue à l'acte de vente, l'acquéreur ne disposant pas du droit d'agir contre quiconque avant celle-ci.

L'intimé ajoute sur ce point que, s'agissant d'une opération indivisible dans laquelle le crédit est dit « affecté », le déblocage des fonds intervenant au fur et à mesure de l'avancement des travaux, il s'agit d'un contrat réel dans le cadre duquel la naissance de la dette est liée au déblocage des fonds et, au vu de l'article L.311-31 ancien du code de la consommation, devenu l'article L312-48 relatif à la notion d'opération commerciale unique entre le contrat de fourniture de bien ou de service et le crédit le finançant, l'obligation du prêt naît au jour de l'exécution du contrat principal.

L'intimé soutient que le point de départ d'une action en résolution du crédit immobilier affecté est soumis à deux conditions suspensives : la première suppose que le banquier se soit assuré de la validité du contrat principal, mettant à sa charge le devoir de vérifier que l'opération de VEFA financée est conforme aux règles d'ordre public de protection du consommateur et à toutes celles sanctionnées par la nullité du contrat principal.

La seconde impose à la banque de s'assurer que le déblocage des fonds n'intervienne qu'après l'exécution de la prestation due au titre du contrat principal, afin d'éviter une remise prématurée, au constructeur, des sommes dues au titre de l'opération financée.

Il ajoute que, si le délai pour agir en nullité de l'acte de vente et du crédit immobilier affecté était situé au plus tard au 31 décembre 2020, ce délai a fait l'objet d'un acte interruptif de prescription par l'assignation en référé-expertise du 20 mai 2020, aux termes des articles 2231 et 2241 du code civil. Cette action a été interrompue pour recommencer à courir à compter du dépôt du rapport d'expertise du 25 janvier 2021 et pour un délai de 8 mois, de sorte que l'action devait être introduite avant le 31 août 2021.

Ce délai de prescription serait le même pour les deux actes car l'action principale porte sur la nullité de l'acte de vente qui a pour effet d'emporter de plein droit celle du contrat de crédit immobilier. Il ajoute que la procédure d'expertise a eu un « effet suspensif », tant sur l'acte de vente que sur le contrat de crédit et dans la relation entre M. [Z] et sa banque. Enfin, cette procédure était indispensable pour justifier de l'action en nullité contre la banque.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par le notaire, l'intimé affirme que l'action en responsabilité contre ce dernier a été interrompue par la procédure en référé-expertise et que, conformément à la théorie de l'action liée, en raison d'un lien de connexité entre deux actions, la Cour de cassation étend le bénéfice de l'interruption d'une action à une autre action qui lui est liée, celui-ci valant à l'égard de toutes les parties à l'instance.

L'intimé ajoute qu'en matière de responsabilité civile contractuelle, le point de départ de la prescription est la date de la réalisation du dommage ou la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance. Il ajoute que ce délai est suspendu en cas de procédure de référé-expertise, ce qui a été le cas en l'espèce. En outre, le seul retard dans la livraison du bien vendu dans le cadre d'une VEFA ne suffit pas pour constater la défaillance du promoteur en charge du chantier, ni son abandon avant 2018. Enfin, il n'avait pas accès au chantier pour constater une telle défaillance et il ignorait la situation avant la réunion d'expertise du 14 octobre 2021, sans compter que M. [Y] n'a cessé de le rassurer sur l'avancement des travaux, ce qui est attesté par la vente de deux derniers lots à un autre propriétaire, qu'il a reçue en 2018.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties constituées en appel, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

I ' Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication des assignations au Livre foncier

En application de l'article 38-4 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, sont inscrites au Livre Foncier, à peine d'irrecevabilité, les demandes en justice tendant à obtenir la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision d'une convention (').

La preuve de la publication au Livre foncier peut être apportée au moyen d'un certificat d'inscription délivré par le bureau foncier.

Si le défaut de publication de la demande en justice est sanctionné par son irrecevabilité, cependant, cette situation est susceptible de régularisation et, conformément aux dispositions de l'article 126 du code de procédure civile, l'irrecevabilité doit être écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, aucune distinction n'étant faite entre la procédure de première instance et celle de l'appel.

Il en résulte que, M. [Z] justifiant, par un certificat du greffier du Livre Foncier du tribunal judiciaire de Saverne du 29 novembre 2021, antérieur à la décision du juge de la mise en état entreprise, de la publication des demandes en résolution et en nullité de la vente litigieuse formées par les assignations délivrées respectivement les 4 et 7 mai 2021 à chacun des défendeurs en première instance, c'est à bon droit que le premier juge a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de cette publication. L'ordonnance déférée sera donc confirmée sur ce chef.

II ' Sur la demande d'annulation de l'ordonnance déférée

Les notaires intimés soulevant la nullité de l'ordonnance déférée en ce que le premier juge n'a pas statué sur les deux fins de non-recevoir tirées de la prescription des demandes de M. [Z] dirigées d'une part contre la BPALC et d'autre part à leur encontre, il convient de souligner qu'une omission de statuer, même multiple comme c'est le cas en l'espèce, ne constitue pas un motif d'annulation d'une décision de justice prévu par l'article 458 du code de procédure civile ou par un autre texte légal ou réglementaire.

En revanche, l'omission de statuer peut être réparée, selon la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, par le juge qui a rendu la décision ou par la juridiction d'appel, lorsqu'elle concerne la décision de première instance qui lui est déférée.

C'est pourquoi la demande en nullité de l'ordonnance entreprise doit être rejetée.

III ' Sur les fins de non-recevoir tirées de la prescription des demandes dirigées contre la BPALC et contre M. [Y] et la société Boillod-[Y]

En préalable, il convient de souligner que, la BPALC d'une part, et M. [Y] et la société Boillod-[Y] d'autre part soulèvent uniquement la prescription des demandes de M. [Z] dirigées à leur encontre.

Il en résulte qu'aucune prescription n'est soulevée, s'agissant des demandes dirigées contre la SCI [Adresse 9], qui n'a constitué avocat ni en première instance, ni en appel. Dès lors, si M. [Z] sollicite que la cour déclare recevable sa demande en nullité de la vente et de l'acte de vente, auquel seule la SCI [Adresse 9] était partie et qui a seule qualité pour défendre à une telle demande, il ne peut qu'être constaté qu'aucune fin de non-recevoir n'est soulevée, s'agissant de cette demande en nullité.

Les demandes dirigées contre la BPALC d'une part, et contre M. [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], notaires associés, d'autre part sont, selon le dispositif des assignations délivrées devant le tribunal judiciaire de Saverne, une demande en résolution du contrat de prêt immobilier dirigée contre la BPALC et des demandes de dommages et intérêts dirigées contre la banque et contre les notaires.

En effet, si, dans les motifs de ses conclusions déposées dans le cadre du présent appel, M. [Z] invoque tour à tour la nullité et la résolution du contrat de prêt, c'est bien uniquement cette résolution qu'il a sollicitée dans les assignations de mai 2021.

La nullité d'un contrat ne peut être prononcée que pour des irrégularités affectant les conditions de formation du contrat, alors que sa résolution ne peut l'être que pour l'inexécution de ses obligations par la partie contre laquelle cette demande est dirigée.

Il peut être observé à ce titre que les manquements invoqués par M. [Z] à l'appui de sa demande en résolution du contrat de prêt semblent davantage relever d'une action en responsabilité pour manquement de l'organisme prêteur à ses obligations d'information et de mise en garde. Cependant, dans le cas d'une telle action en résolution du contrat de prêt comme dans le cas des actions en responsabilité contre la banque et contre les notaires intervenus à la vente en l'état futur d'achèvement, s'agissant de la prescription, le régime applicable est celui de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il peut être précisé que le point de départ de la prescription quinquennale de l'article L110-4 du code de commerce, applicable aux obligations nées à l'occasion de leurs actes de commerce entre commerçants ou entre commerçant et non commerçant, est également, s'agissant des actions en cause, celui de l'article 2224 du code civil.

Dans la situation présente, il s'agit de la date de la connaissance, acquise par M. [Z], acquéreur en l'état futur d'achèvement, d'une défaillance du constructeur telle qu'elle empêchait l'achèvement du bien immobilier acquis et, en conséquence, sa livraison, à tout le moins dans un délai raisonnable, ce défaut de livraison caractérisant son dommage.

Cette connaissance ne pouvait être acquise que postérieurement à la date de la livraison prévue à l'acte de vente, soit le 31 décembre 2015 au plus tard, celle-ci ayant été fixée « dans le courant du 4ème trimestre 2015 », et il n'est pas démontré qu'elle l'ait été, pour M. [Z], avant la fin du premier semestre de 2016, des retards de livraison n'étant pas rares dans le cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement et aucun élément ne démontrant que le chantier ait été abandonné dès cette période.

De plus, il ressort des écritures de M. [Z] que ce dernier n'avait aucune expérience en matière immobilière, mais aussi qu'aucun événement particulier ne lui a permis d'être alerté, dès les premiers mois qui ont suivi la date prévue pour la livraison du bien, sur les risques de ce que le projet de construction n'aboutisse pas. Au contraire, il ressort des éléments du dossier que des ventes d'appartements en l'état futur d'achèvement situés dans le même immeuble ont encore eu lieu jusqu'en mai 2017, ce qui était de nature à le rassurer sur la poursuite du chantier. Ce n'est que postérieurement à juillet 2017, où devait être livré un appartement acquis deux mois plus tôt, qu'un article de presse a dénoncé le comportement indélicat du promoteur immobilier et qu'alors, M. [Z] ne pouvait plus ignorer la défaillance de la SCI [Adresse 9] et ses conséquences concernant la livraison du bien qu'il avait acquis auprès d'elle.

Dès lors, le délai de prescription des actions en résolution du contrat de prêt immobilier et en responsabilité du banquier prêteur et des notaires n'était pas écoulé lorsque celles-ci ont été introduites par les assignations délivrées respectivement les 4 mai et 7 mai 2021.

Il en résulte que les fins de non-recevoir tirées de la prescription de ces actions soulevées par la BPALC et par M. [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], notaires associés, doivent être écartées et que celles-ci doivent être déclarées recevables.

IV - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

L'ordonnance déférée, qui est confirmée en ses dispositions principales et complétée sur des demandes auxquelles il n'est fait droit que partiellement, sera également confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens, étant souligné que l'instance se poursuit au fond.

Cependant, les fins de non-recevoir soulevées par la BPALC et par M. [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], étant rejetées, de même que leur demande en annulation de la décision déférée, ces derniers assumeront conjointement les dépens de l'appel et verseront chacun à M. [Z] la somme de 1 000 euros au titre des frais exclus des dépens que ce dernier a engagés en appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche, leurs demandes présentées au même titre et sur le même fondement seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt rendu par défaut, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

REJETTE la demande présentée par M. [X] [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], notaires associés, et par la SA Banque populaire Alsace Lorraine Champagne tendant au prononcé de la nullité de l'ordonnance rendue entre les parties par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saverne le 24 juin 2022,

CONFIRME en toutes ses dispositions ladite ordonnance et, y ajoutant,

CONSTATE qu'aucune fin de non-recevoir n'est soulevée, s'agissant de la demande en nullité de la vente, respectivement de l'acte de vente en l'état futur d'achèvement établi le 2 octobre 2015 entre la SCI [Adresse 9] et M. [N] [Z],

REJETTE les fins de non-recevoir tirées de la prescription des demandes de M. [N] [Z] dirigées à leur encontre, soulevées par la SA Banque populaire Alsace Lorraine Champagne d'une part et par M. [X] [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], notaires associés, d'autre part, et DECLARE ces demandes recevables,

CONDAMNE la SA Banque populaire Alsace Lorraine Champagne et M. [X] [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], notaires associés, aux dépens d'appel,

REJETTE les demandes de la SA Banque populaire Alsace Lorraine Champagne et de M. [X] [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], notaires associés, présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont engagés en appel,

CONDAMNE la SA Banque populaire Alsace Lorraine Champagne à verser à M. [N] [Z] la somme de 1 000,00 (mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que ce dernier a engagés en appel,

CONDAMNE M. [X] [Y] et la SARL Thierry Boillod et [X] [Y], notaires associés, à verser à M. [N] [Z] la somme de 1 000,00 (mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que ce dernier a engagés en appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 22/03052
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-30;22.03052 ?
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