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30/06/2023 | FRANCE | N°22/02891

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 30 juin 2023, 22/02891


MINUTE N° 344/2023





























Copie exécutoire à



- Me Marion BORGHI



- Me Claus WIESEL



- Me LAISSUE-STRAVOPODIS





Le 30 juin 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 30 JUIN 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/02891 -
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Décision déférée à la cour : 12 Mai 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de COLMAR





APPELANTE et INTIMÉE SUR APPELS INCIDENTS :



La S.C.P. CABINET B. LEIBENGUTH

ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 2]



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MINUTE N° 344/2023

Copie exécutoire à

- Me Marion BORGHI

- Me Claus WIESEL

- Me LAISSUE-STRAVOPODIS

Le 30 juin 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 30 JUIN 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/02891 -

N° Portalis DBVW-V-B7G-H4OB

Décision déférée à la cour : 12 Mai 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de COLMAR

APPELANTE et INTIMÉE SUR APPELS INCIDENTS :

La S.C.P. CABINET B. LEIBENGUTH

ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 2]

représentée par Me Marion BORGHI, avocat à la cour.

INTIMÉES et APPELANTES SUR APPEL INCIDENT :

La S.A.R.L. KLEYLING prise en la personne de son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 6] à [Localité 4]

représentée par Me Claus WIESEL, avocat à la cour.

La S.A.S. STIHLE FRERES

ayant son siège social [Adresse 5] à [Localité 3]

représentée par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS, avocat à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, conseiller

Madame Nathalie HERY, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente, et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Transports internationaux Kleyling a confié à la SAS Stihle Frères, en 2009, des travaux de fourniture et de pose d'un réseau incendie en tube galvanisé au sein des locaux de son entreprise, ayant confié à la SCP Cabinet B. Leibenguth une mission de maîtrise d''uvre complète, jusqu'à la réception des travaux.

Ces travaux ont fait l'objet d'une réception avec réserves, selon procès-verbal du 23 février 2010.

Au mois de juin 2016, la société Kleyling a fait intervenir la société Stihle Frères suite à l'apparition de nombreuses fuites sur le réseau. Par acte d'huissier du 29 septembre 2016, elle l'a fait assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Colmar afin de voir ordonner une mesure d'expertise.

Il a été fait droit à sa demande par ordonnance du 24 octobre 2016, cette expertise ayant été confiée à M. [P]. Par ordonnance du 3 décembre 2018, cette expertise a été étendue à la SCP Leibenguth. Le rapport d'expertise a été signé le 14 octobre 2019.

En l'absence d'accord entre les parties, la société Kleyling a, par actes d'huissier respectifs du 29 avril 2020 et du 7 mai 2020, fait assigner la société Stihle Frères et la SCP Leibenguth devant le tribunal judiciaire de Colmar aux fins de les voir condamner in solidum à lui payer la somme de 135 600 euros TTC correspondant au coût des travaux de reprise.

Par requête du 15 janvier 2021, la SCP Leibenguth a saisi le juge de la mise en état afin d'obtenir la nullité de l'assignation qui lui avait été délivrée, faute pour la société Kleyling d'indiquer le fondement juridique de ses demandes. Par la suite, elle a demandé au même juge de donner acte à la société Kleying de ses précisions apportées sur le fondement de sa demande, mais aussi de constater « l'expiration » des garanties biennale et pour vice caché.

La société Stihle Frères a demandé au juge de la mise en état de « statuer ce que de droit » quant à la demande de nullité et elle a également soulevé la prescription des demandes de la société Kleyling.

Par ordonnance contradictoire du 12 mai 2022, le juge de la mise en état a :

- rejeté la demande de nullité de l'assignation formée par la société Stihle Frères ;

- dit que l'action de la société Kleyling fondée sur la garantie décennale de l'article 1792 du code civil, sur la responsabilité de droit commun de la théorie des désordres intermédiaires, sur la responsabilité de droit commun de l'ancien article 1147 du code civil, et enfin sur la garantie des vices cachés, formée à l'encontre de la SAS Stihle Frères n'était pas prescrite et était donc recevable sur ces fondements ;

- dit que l'action de la société Kleyling fondée sur la responsabilité de droit commun de l'ancien article 1147 du code civil et sur la garantie des vices cachés, formée à l'encontre de la SCP Leibenguth n'était pas prescrite et était donc recevable sur ces fondements ;

- dit que l'action de la société Kleyling fondée sur la garantie décennale de l'article 1792 du code civil ainsi que sur la responsabilité de droit commun de la théorie des désordres intermédiaires formée à l'encontre de la SCP Leibenguth était prescrite et donc irrecevable sur ces fondements ;

- dit que l'action de la société Kleyling fondée sur la garantie biennale de l'article 1792-3 du code civil était prescrite, tant à l'égard de la SAS Stihle Frères que de la SCP Leibenguth ;

- dit que le juge de la mise en état était incompétent pour statuer sur le fond du litige ;

- rejeté les demandes de la société Kleyling, de la SAS Stihle Frères et de la SCP Leibenguth au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les dépens de l'incident suivraient le sort de ceux de l'instance au fond ;

- rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire ;

- renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état du 21 juin 2022.

Sur l'exception de nullité de l'assignation délivrée à son encontre par la société Kleyling, soulevée par la société Stihle Frères pour défaut de fondement juridique, le juge de la mise en état a relevé, que, dans cette assignation du 29 avril 2020, la demanderesse développait des arguments en fait et des prétentions, mais aucun moyen en droit à l'encontre des sociétés Stihle et Leibenguth.

Cette assignation ne répondait donc pas aux prescriptions de l'article 56 du code de procédure civile. Cependant, une régularisation était intervenue dans les dernières conclusions de la société demanderesse notifiées par la voie électronique le 21 mai 2021 et ainsi, la société Stihle savait désormais à quel titre elle était assignée, elle ne démontrait aucun grief subsistant et aucune forclusion n'était du reste invoquée.

Sur la prescription ou la forclusion des actions de la société Kleyling contre la société Stihle Frères et la société Leibenguth, le juge de la mise en état a reconnu sa compétence pour statuer sur les fins de non-recevoir aux termes de « l'article 790, 6° » (en réalité l'article 789 6°) du code de procédure civile.

Il a relevé que la société Kleyling indiquait fonder son action sur la garantie décennale, mais aussi sur la responsabilité contractuelle. Elle n'invoquait pas expressément la garantie des vices cachés, mais l'un de ses paragraphes intitulé « sur l'action estimatoire » laissait à penser qu'elle se fondait sur cette dernière. La société Stihle soulevait la prescription des actions dirigées contre elle sur chacun de ces trois fondements ; la société Leibenguth soulevait quant à elle la prescription de l'action fondée sur la garantie des vices cachés et sur la garantie biennale.

Sur la prescription de la garantie décennale, le juge de la mise en état a rappelé que le point de départ de celle-ci correspondait au procès-verbal de réception, qui, s'il n'était pas versé aux débats, avait été remis à l'expert judiciaire, étant daté du 23 février 2010. Ainsi, l'assignation devant le juge des référés délivrée à la société Stihle le 29 septembre 2016 avait interrompu ce délai, faisant courir un nouveau délai décennal à partir de l'ordonnance du 24 octobre 2016 ordonnant l'expertise judiciaire.

En assignant au fond la société Stihle le 29 avril 2020, la société Kleyling avait donc bien agi dans le délai de dix ans depuis la réception.

En revanche, à l'égard de la société Leibenguth, le premier juge relevait l'absence d'élément démontrant l'interruption de ce délai par la demanderesse, de sorte que l'assignation de cette société le 7 mai 2020 était intervenue plus de dix ans à compter du procès-verbal de réception, rendant l'action prescrite à son égard.

Sur la prescription de l'action en responsabilité contractuelle, le juge de la mise en état a relevé que la société Kleyling ne précisait pas si elle se fondait sur la théorie des dommages intermédiaires de l'article 1792-4-3 du code civil, dont le délai de prescription était de dix ans à compter de la réception, ou sur la responsabilité contractuelle de droit commun.

Concernant la première, le premier juge a repris le même raisonnement que pour la garantie décennale, concluant que l'action était irrecevable car prescrite à l'égard de la société Leibenguth, mais recevable à l'égard de la société Stihle.

Estimant que la seconde se prescrivait par cinq ans, selon l'article L. 110-4 du code commerce applicable en l'espèce en raison du caractère commercial de la demanderesse, le juge de la mise en état a indiqué que le point de départ se situait, aux termes de l'article 2224 du code civil, à la date à laquelle le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, soit la date à laquelle les désordres étaient apparus, le 30 juin 2016.

L'assignation ayant été délivrée le 29 avril 2020 à la société Stihle et le 7 mai 2020 à la société Leibenguth, l'action de la société Kleyling fondée sur la responsabilité contractuelle était donc recevable à l'égard des deux sociétés.

Sur la prescription de l'action biennale, le juge de la mise en état a souligné qu'elle se prescrivait dans un délai de deux ans à compter du procès-verbal de réception. En l'espèce, les désordres étant intervenus le 30 juin 2016, soit plus de deux ans après, l'action était dès lors prescrite.

Sur la prescription de la garantie des vices cachés, le tribunal a précisé qu'elle était enfermée dans un double délai qui était d'une part celui de droit commun prévu à l'article L. 110-4 du code de commerce, de cinq ans, dont le point de départ était la date d'apparition du désordre, et d'autre part celui de l'article 1648 du code civil, de deux ans, dont le point de départ était le rapport d'expertise du 14 octobre 2019, celui-ci révélant l'existence du vice. Ainsi, la société Kleyling avait agi avant l'expiration de ces délais, soit dans le délai biennal requis.

Enfin, le juge de la mise en état s'est dit incompétent pour statuer sur le fond du litige.

* * *

La société Cabinet B. Leibenguth a interjeté appel de cette ordonnance le 22 juillet 2022, en ce qu'elle avait dit recevable, car non prescrite, l'action de la société Kleyling formée à son encontre, fondée sur la responsabilité de droit commun de l'ancien article 1147 du code civil ainsi que sur la garantie des vices cachés.

Par ordonnance du 29 août 2022, la présidente de la chambre a d'office fixé l'affaire à bref délai, en application de l'article 905 du code de procédure civile.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 décembre 2022, la société Cabinet B. Leibenguth demande à la cour de juger son appel recevable et bien fondé, d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 12 mai 2022 et, statuant à nouveau :

- de juger que la demande de la société Kleyling fondée sur la responsabilité de droit commun et sur la « garantie décennale de l'article 1792 du code civil » est prescrite et irrecevable ;

- en conséquence, de débouter la société Kleyling de sa demande à l'encontre de la SCP Cabinet B. Leibenguth et de tout appel incident dirigé à son encontre ;

- en tout état de cause, de rejeter tout appel incident adverse en ce qu'il est dirigé contre la SCP Leibenguth ;

- de condamner la société Kleyling aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, la société Cabinet B. Leibenguth soutient que le tribunal a fait une mauvaise application de la loi lorsqu'il a dit l'action en responsabilité de droit commun à l'égard de l'architecte recevable, retenant ainsi un délai quinquennal avec pour point de départ la date d'apparition des désordres, alors que depuis le 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l'article 1792-4-3 du code civil prévoit que les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.

Rappelant que l'assignation qui lui a été délivrée à l'initiative de la société Kleyling est datée du 7 mai 2020, l'appelante conclut que l'action intentée par cette dernière sur ce fondement est prescrite, car elle était enfermée dans un délai décennal qui expirait le 23 février 2020.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 octobre 2022, la société Stihle Frères conclut au rejet de l'appel principal et forme appel incident. Elle demande à la cour de statuer ce que de droit sur l'appel principal, de recevoir son appel incident, d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :

- de déclarer nulle l'assignation de la société Kleying en date du 29 avril 2021 ;

- subsidiairement, de renvoyer la question des irrecevabilités fondées sur la prescription et la forclusion au juge du fond ;

- à défaut, de déclarer irrecevable comme étant prescrite la demande de la société Kleyling fondée sur les vices cachés ;

- condamner la société Kleyling aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la nullité de l'assignation, elle fait valoir que, dans son acte introductif d'instance, la société Kleyling a indiqué agir sur le fondement de l'action estimatoire, donc de l'article 1644 du code civil, sans mention de ce texte et sans invoquer d'autres fondements juridiques. Ce n'est que par des conclusions déposées devant le juge de la mise en état, pour l'audience du 25 mai 2021, et non pas devant le juge du fond, que la société Transports internationaux Kleyling a mentionné les fondements de la garantie décennale et de la responsabilité contractuelle de droit commun, ce qui ne lui a pas permis de se défendre utilement. De plus, invoquer des fondements cumulatifs ou alternatifs sans aucune motivation juridique est déloyal.

La société Transports internationaux Kleyling n'ayant encore déposé aucune conclusion au fond permettant aux défenderesses de préparer utilement leur défense lorsque le juge de la mise en état a statué, il doit être considéré qu'aucune régularisation n'est intervenue.

L'intimée soutient par ailleurs que l'action fondée sur la garantie des vices cachés n'est pas applicable en l'espèce, impliquant un contrat de vente et non de louage d'ouvrage. Dès lors, le juge de la mise en état devait renvoyer la question des prescriptions à la juridiction du fond, dès lors que celles-ci diffèrent selon que le contrat est qualifié de contrat de louage d'ouvrage ou de vente.

Elle affirme qu'en tout état de cause, l'action fondée sur la garantie des vices cachés est prescrite car, si elle doit intervenir dans un délai de deux ans à partir de la révélation du vice, elle doit également être introduite dans le délai de cinq années prévu à l'article L. 110-4 du code de commerce, qui commence à courir à compter à la vente.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 novembre 2022, la société Transports internationaux Kleyling demande à la cour de rejeter l'appel principal de la SCP Leibenguth et l'appel incident de la SAS Stihle Frères comme étant mal fondés, mais aussi de recevoir son appel incident et, statuant à nouveau :

- de rejeter les demandes de la SCP Leibenguth en ce qu'elles tendent à voir déclarer prescrite la procédure fondée sur la garantie décennale et sur la responsabilité de droit commun ;

- confirmer l'ordonnance pour le surplus ;

- condamner la SCP Leibenguth et la SAS Stihle Frères solidairement en tous les frais et dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'appel incident de la société Stihle Frères relatif à la nullité de l'assignation qui lui a été délivrée, la société Transports internationaux Kleyling soutient tout d'abord que l'assignation délivrée n'est pas nulle en ce qu'elle fait état de fondements juridiques (notion de non-conformité et d'action estimatoire). Elle ajoute que ses conclusions postérieures ont apporté des précisions sur le fondement juridique de la responsabilité, à savoir les articles 1793 et suivants du code civil et la garantie contractuelle de droit commun, sur lesquels le juge de la mise en état s'est prononcé.

L'intimée soutient par ailleurs que l'action fondée sur la garantie décennale, ainsi que sur celle de droit commun ne sont pas prescrites. Par l'assignation en référé expertise, elle a bien interrompu le délai de dix ans de la prescription de la garantie décennale, mais aussi le délai de cinq ans de la prescription de la garantie contractuelle de droit commun, qui court à compter de l'apparition des désordres. Un nouveau délai de prescription a commencé à courir compte tenu de l'interruption de la prescription intervenue, l'ordonnance de référé étant intervenue le 24 octobre 2016 et le rapport d'expertise déposé le 14 octobre 2019.

Elle ajoute, sur l'appel incident de la société Stihle qui soulève également l'irrecevabilité de l'action en vice caché, que l'interruption de la prescription a eu lieu, quel que soit le fondement de l'action.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

I ' Sur la nullité de l'assignation délivrée à la société Stihle Frères

L'assignation délivrée à la société Stihle Frères le 29 avril 2020 devant le tribunal judiciaire de Colmar contenait des moyens de fait à l'appui des demandes de la société Kleyling en remboursement des travaux de reprise de désordres affectant le réseau incendie fourni et posé par la défenderesse, et d'indemnisation, mais comme l'a justement souligné le premier juge, aucun moyen de droit. Elle ne mentionnait pas le fondement juridiques des demandes, citant tout au plus l'expert en ce qu'il avait précisé que ces désordres relevaient « de non-conformités dont certaines sont normatives », et titrant un paragraphe « Sur l'action estimatoire », ce qui était largement insuffisant pour satisfaire aux exigences de l'article 56 du code de procédure civile.

Cependant, une telle nullité de forme étant susceptible de régularisation dans les conditions de l'article 115 du code de procédure civile, c'est à bon droit que le premier juge a relevé qu'une telle régularisation était intervenue par les dernières conclusions de la société demanderesse notifiées par la voie électronique le 21 mai 2021, sans que la société Stihle Frères n'invoque une forclusion intervenue entre temps et sans qu'elle ne démontre un quelconque grief subsistant.

En effet, si elle approuve le juge de la mise en état d'avoir considéré que son action n'était pas prescrite sur le fondement de la garantie des vices cachés, outre celui de l'ancien article 1147 du code civil, et si elle présente sa demande portant sur le coût des travaux de réfection dans un paragraphe intitulé « Sur l'action estimatoire », sollicitant également la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré recevable l'action en garantie des vices cachés, la société Kleyling précise clairement que ses demandes sont fondées sur la garantie décennale des constructeurs et, à titre subsidiaire, sur la responsabilité contractuelle de droit commun.

De plus, si cette régularisation est intervenue dans les écritures déposées dans le cadre de l'incident de mise en état, les défenderesses ont cependant été mises en mesure de connaître le fondement juridique des demandes et d'assurer ainsi leur défense au fond, comme l'a d'ailleurs admis la société Cabinet B. Leibenguth, alors que l'assignation qui lui avait été délivrée encourait la même nullité que celle dont a été destinataire la société Stihle Frères.

Dès lors, l'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a rejeté cette exception de nullité, du fait de la régularisation intervenue.

II - Sur les pouvoirs du juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir fondées sur la prescription ou la forclusion des demandes

L'article 789 du code de procédure civile dispose que « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

(...)

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.(...) ».

Dans la situation présente, la société Kleyling, qui, comme il vient d'être rappelé, précise désormais fonder son action sur la garantie décennale des constructeurs et, à titre subsidiaire, sur la responsabilité contractuelle de droit commun, « rappelle qu'un contrat de louage d'ouvrage a été confié à la société Stihle Frères portant sur la mise en place d'un réseau incendie dans l'ensemble de ces halls », évoquant la réception avec réserve intervenue le 23 février 2010.

Ainsi, quand bien même, ainsi qu'il a été observé plus haut, elle approuve le juge de la mise en état d'avoir considéré que son action n'était pas prescrite sur le fondement de la garantie des vices cachés et si elle présente sa demande portant sur le coût des travaux de réfection dans un paragraphe intitulé « Sur l'action estimatoire », il n'existe aucune ambiguïté sur la nature du contrat l'ayant liée à la société Stihle Frères.

Dès lors, aucun renvoi devant le juge du fond ne doit être ordonné, faute de question de fond à trancher préalablement à la décision portant sur les fins de non-recevoir. En conséquence, il y a lieu de rejeter cette demande.

III - Sur les fins de non-recevoir tirées de la prescription des demandes de la société de Transports internationaux Kleyling

- Sur la demande fondée sur la garantie décennale dirigée contre la société Cabinet B. Leibenguth

Si la société Cabinet B. Leibenguth sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée, elle demande que l'action de la société Kleyling fondée sur la garantie décennale dirigée contre elle soit déclarée prescrite, alors que le premier juge a précisément statué en ce sens.

En tout état de cause, la société de Transports internationaux Kleyling s'oppose à cette prescription et il y a donc lieu de statuer sur son appel incident.

Cependant, ainsi que l'a relevé le premier juge, le point de départ de la garantie décennale des constructeurs prévue par l'article 1792 du code civil étant la date du procès-verbal de réception, il est établi que celui-ci a été signé le 23 février 2010, ce dont il résulte que cette garantie devait expirer le 23 février 2020, étant rappelé que les assignations devant le juge du fond ont été délivrées postérieurement, soit le 29 avril 2020 et le 7 mai 2020. Or, la seule cause d'interruption de ce délai invoquée par la société Kleyling est l'assignation en référé « régularisée en 2016 » qui a donné lieu à une ordonnance du 24 octobre 2016.

Cependant, la seule assignation délivrée par le maître de l'ouvrage dans le cadre de cette procédure de référé l'a été à la société Stihle Frères et il ne conteste pas que c'est cette dernière qui, seule, a fait assigner à son tour la société Cabinet B. Leibenguth le 16 octobre 2018, afin que lui soit étendue l'expertise ordonnée le 24 octobre 2016. Aucune assignation n'a été signifiée à la société Cabinet B. Leibenguth par la société Kleyling elle-même.

Or, selon une jurisprudence désormais constante, ainsi que l'a justement rappelé le premier juge, pour interrompre le délai de prescription ou de forclusion, la demande en justice doit émaner de celui dont le droit est menacé de prescription et être adressée à la personne en faveur de laquelle court cette prescription. En conséquence, l'assignation délivrée par la société Stihle Frères à la société Cabinet B. Leibenguth n'a pas pu interrompre le délai de la garantie décennale au profit de la société Kleyling, mais seulement au profit de l'entrepreneur à l'initiative de cette assignation.

Il en résulte que le délai de garantie décennale n'a pas été interrompu à l'égard de la société Cabinet B. Leibenguth et que l'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a déclaré prescrite l'action du maître de l'ouvrage dirigée sur ce fondement contre cette société.

- Sur la demande fondée sur la responsabilité contractuelle dirigée contre la société Cabinet B. Leibenguth

L'article 1792-4-3 du code civil énonce qu'en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1, 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception.

Ces dispositions spéciales s'appliquent, par dérogation aux dispositions de droit commun sur le délai de prescription, pour toute action en responsabilité contractuelle contre un entrepreneur constructeur, dès lors qu'une réception est intervenue, ce qui est le cas en

l'espèce. Il n'y a donc pas lieu, contrairement à ce qu'a fait le premier juge, de distinguer une action fondée sur la théorie des désordres intermédiaires et une action en responsabilité civile contractuelle de droit commun, puisque le délai de prescription applicable est commun à toute action en responsabilité civile contractuelle relative à des désordres constatés postérieurement à la réception.

Il en résulte que, pour les mêmes motifs que précédemment, la saisine du tribunal de grande instance de Colmar par la société Kleyling ayant eu lieu plus de 10 ans après la réception des travaux en cause et aucune cause d'interruption de cette prescription n'existant à l'égard de la société Cabinet B. Leibenguth, l'ordonnance déférée doit être infirmée en ce qu'elle a déclaré l'action en responsabilité contractuelle de droit commun recevable car non prescrite à l'encontre de la société Cabinet B. Leibenguth et cette action doit être déclarée irrecevable comme étant prescrite.

- Sur la demande fondée sur la garantie des vices cachés dirigée contre la société Stihle Frères

Ainsi qu'il a été relevé plus haut, la société Kleyling admet elle-même que le contrat qui l'a liée avec la société Stihle Frères était un contrat de louage d'ouvrage et elle n'invoque nullement un contrat de vente.

Cependant, dans le cadre du présent incident, il n'y a pas lieu de vérifier si la garantie des vices cachés est applicable ou non à l'action de la société Kleyling dirigée contre la société Stihle Frères.

En conséquence, comme l'a fort justement rappelé le premier juge, il sera rappelé que la mise en 'uvre de cette garantie doit avoir lieu à la fois dans le délai de deux ans de la découverte du vice énoncé par l'article 1648 du code civil et à la fois dans le délai de cinq ans prévu par l'article L110-4 du code de commerce, applicable aux obligations nées à l'occasion de leurs actes de commerce entre commerçants.

Le point de départ de la prescription de ce dernier texte légal est, comme l'a exactement indiqué le premier juge, celui de l'article 2224 du code civil, soit la date à laquelle le titulaire du droit en cause a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, dans les deux cas, le point de départ de la prescription est la date du rapport d'expertise judiciaire qui a révélé au maître de l'ouvrage l'ampleur et la cause des désordres, soit le 14 octobre 2019, si bien que l'action engagée par la société Kleyling contre chacun des deux intervenants aux travaux le 29 avril 2020 sur le fondement de la garantie des vices cachés n'est pas prescrite.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a statué en ce sens.

IV - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

L'ordonnance déférée, qui n'est que très partiellement infirmée, sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens, étant souligné que l'instance se poursuit au fond.

Pour les mêmes motifs, les demandes de la société Kleyling contre les sociétés Stihle Frères et Cabinet B. Leibenguth n'étant que partiellement prescrites, chaque partie conservera la charge de ses dépens de l'appel et des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en appel. Les demandes de chaque partie fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME, dans les limites de l'appel, l'ordonnance rendue entre les parties par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar le 12 mai 2022, à l'exception des dispositions par lesquelles elle a dit que l'action de la SAS Transports internationaux Kleyling fondée sur la responsabilité de droit commun de l'ancien article 1147 du code civil formée à l'encontre de la SCP Leibenguth n'était pas prescrite et était donc recevable sur ce fondement ; l'INFIRME sur ce chef,

Statuant à nouveau sur ce seul chef infirmé et ajoutant à ladite ordonnance,

DIT que l'action de la SAS Transports internationaux Kleyling fondée sur la responsabilité de droit commun de l'ancien article 1147 du code civil formée à l'encontre de la SCP Leibenguth est prescrite et qu'elle est donc irrecevable sur ce fondement,

CONDAMNE chaque partie à conserver la charge de ses dépens d'appel,

REJETTE les demandes de chacune des parties présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés en appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 22/02891
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-30;22.02891 ?
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