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30/06/2023 | FRANCE | N°19/02127

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 30 juin 2023, 19/02127


MINUTE N° 338/2023

























Copie exécutoire à



- Me Katja MAKOWSKI



- Me Dominique HARNIST





Le 30 juin 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 30 JUIN 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 19/02127 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HCOI



Décision déféré

e à la cour : 08 Février 2019 par le tribunal de grande instance de MULHOUSE





APPELANTE :



La SCI [I] prise en la personne de ses représentants légaux,

ayant son siège social [Adresse 2]



représentée par Me Katja MAKOWSKI, avocat à la cour.





IN...

MINUTE N° 338/2023

Copie exécutoire à

- Me Katja MAKOWSKI

- Me Dominique HARNIST

Le 30 juin 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 30 JUIN 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 19/02127 - N° Portalis DBVW-V-B7D-HCOI

Décision déférée à la cour : 08 Février 2019 par le tribunal de grande instance de MULHOUSE

APPELANTE :

La SCI [I] prise en la personne de ses représentants légaux,

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Katja MAKOWSKI, avocat à la cour.

INTIMÉEE :

La SA GROUPAMA GRAND EST, prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 1]

représentée par Me Dominique HARNIST, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 modifié et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DIEPENBROEK présidente de chambre, et Madame Myriam DENORT, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Dominique DONATH faisant fonction

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 16 juin 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Après étude personnalisée, la SCI [I], gérée par M. [I], a signé le 25 décembre 2013 avec la SA Groupama Grand Est un contrat d'assurance multirisque propriétaire non occupant, avec effet au 25 octobre 2013, pour un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 3]. Figurait en page 4/13 du contrat la mention imprimée suivante : « le risque assuré n'a pas fait l'objet de plus d'un sinistre au cours des deux dernières années ».

La SCI [I] a déclaré deux sinistres incendie en date des 15 et 18 avril 2014, à la suite desquels Groupama a confié une expertise au cabinet Polyexpert.

Par courrier du 25 septembre 2014, Groupama a indiqué à la SCI [I] qu'elle résiliait le contrat, en usant de la faculté accordée par l'article R.113-10 du code des assurances et par les conditions générales et particulières de son contrat, de sorte que les garanties cesseraient de lui être acquises « dans un délai d'un mois à compter de la présente notification, soit le 25 octobre 2014 à 24 heures ».

Finalement, par courriers des 6 et 20 novembre 2014, Groupama a indiqué ne pas prendre en charge les sinistres, en raison de la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle, compte tenu de cinq sinistres déclarés au précédent assureur au cours des deux années précédant la demande d'assurance de la SCI [I], contrairement à sa déclaration lors de la souscription du contrat.

Par acte d'huissier délivré le 15 octobre 2015, la SCI [I] a assigné la société Groupama Grand Est devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, aux fins de voir dire non avenues la résiliation et la nullité du contrat prononcées par l'assureur et d'obtenir sa condamnation à couvrir les sinistres des 15 et 18 avril 2014.

Par jugement du 8 février 2019, le tribunal a dit la nullité justifiée et régulière, au visa de l'article L. 113-8 du code des assurances, estimant qu'il n'y avait pas lieu, dès lors, d'examiner la résiliation prononcée, devenue sans objet. Il a en conséquence rejeté la demande de la SCI [I] de prise en charge des sinistres et l'a condamnée à payer à l'assureur la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le tribunal a estimé que la mauvaise foi de M. [I] était suffisamment démontrée par la dissimulation de la résiliation de son précédent contrat d'assurance et des cinq sinistres survenus au cours des deux années précédant sa demande d'assurance auprès de Groupama et que, si les questions posées ne figuraient pas sur le document contractuel, elles lui avaient nécessairement été posées, au vu de la réponse y figurant.

La SCI [I] a interjeté appel de ce jugement le 29 avril 2019 en toutes ses dispositions.

Par un arrêt avant dire droit contradictoire du 10 décembre 2020, la présente cour a infirmé en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, statuant à nouveau, elle a :

- déclaré infondée la nullité du contrat opposée par l'assureur ;

- en conséquence, dit que la société Groupama Grand Est devait garantir les sinistres déclarés sur la base du contrat souscrit ;

- avant dire droit sur l'indemnisation de ces sinistres, ordonné une expertise ;

- commis pour y procéder M. [H] [U], afin notamment de rechercher la nature et l'importance des dommages à l'immeuble causés par chacun des sinistres incendie, survenus les 15 et 18 avril 2014, de décrire les travaux réalisés après sinistres, de donner son avis tant sur le coût des travaux strictement nécessaires à la réparation des dommages causés par ces sinistres que sur les autres chefs de préjudice invoqués par la SCI [I], à savoir la perte de loyers et la perte d'exploitation ;

- débouté la SCI [I] de sa demande tendant à voir juger infondée la résiliation du contrat, prononcée par la société Groupama Grand Est le 25 septembre 2014, à effet du 25 octobre 2014, et de sa demande en dommages et intérêts à ce titre ;

- débouté la SCI [I] de sa demande en remboursement d'une somme de 1 100,75 euros ;

- renvoyé le dossier à la mise en état et réservé les dépens.

Sur l'indemnisation des deux sinistres causés à l'immeuble, la cour a considéré que les deux devis produits par la SCI [I] étaient insuffisants à établir le montant de l'indemnisation à laquelle elle avait droit, d'où la désignation d'un expert pour éclairer la décision à intervenir sur ce point.

* * *

M. [H] [U], l'expert désigné, a déposé le 12 novembre 2021 son rapport signé le 8 novembre 2021.

Il en ressort que les dommages causés par les sinistres devant être pris en compte portent sur 6 fenêtres et 1 porte-fenêtre dégradées, l'expert relevant toutefois que les 11 menuiseries doivent être remplacées car les fenêtres anciennes étaient en bois et ne peuvent être reproduites à l'identique, le remplacement de radiateurs dans deux pièces, de la porte palière et de portes de communication intérieures, la réfection des sols et placards, des peintures et finitions dans tout l'appartement, de la zinguerie en toiture, la reprise du tableau électrique de l'appartement, des doublages et plafonds, de finitions au troisième étage et dans la cage d'escalier, le ravalement de la façade.

L'expert judiciaire a retenu un montant de 76 542,50 euros au titre du coût des travaux strictement nécessaires à la réparation des dommages causés par les sinistres.

Il n'a pas pris en compte le relogement de la famille et la perte d'exploitation stricto sensu, à défaut de lien de causalité démontré avec les sinistres en cause, et faute pour la SCI d'avoir transmis les documents complémentaires sollicités par l'expert.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 03 janvier 2023.

* * *

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 décembre 2022, la SCI [I] demande à la cour :

- de condamner la société Groupama Grand Est à lui payer la somme de 76 542,50 euros, au titre des travaux de réparation ;

- de condamner la société Groupama Grand Est à lui payer les sommes de 29 930 euros pour le 2ème étage et 8 450 euros pour le 3ème étage, au titre du manque à gagner pour les loyers impayés ;

- de condamner la société Groupama Grand Est à lui payer les sommes de 5 000 euros au titre du préjudice moral, 3 000 euros au titre des frais d'expertise, et 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil, outre les entiers dépens.

La SCI entend s'en remettre au chiffrage retenu par l'expert judiciaire et sollicite le rejet de toutes les demandes de la société Groupama tendant à minimiser les estimations de celui-ci. Elle conteste à ce titre l'application d'un coefficient de vétusté aux menuiseries et autres éléments du préjudice, alors qu'avant l'incendie les menuiseries n'avaient pas besoin d'être changées, l'électricité était aux normes et que, s'agissant des autres postes de préjudices, les éléments brûlés ont dû être remplacés à neuf.

L'appelante fait valoir qu'elle a dû effectuer des travaux elle-même, faute d'indemnisation reçue de son assureur, que l'immeuble avait été rénové correctement et qu'il était occupé par des locataires. Elle affirme, concernant les travaux de reprises effectués sur les fenêtres et la façade, qu'ils ont été réalisés en conformité avec le plan d'urbanisme de [Localité 3], c'est-à-dire « en harmonie avec la typologie historique et l'architecture de l'édifice », de sorte qu'il ne peut y avoir, sur la même façade, des fenêtres de typologies différentes. Elle ajoute, à ce sujet, que les travaux n'ont pas permis de l'enrichir au détriment de l'assureur, les fenêtres ayant été remplacées par les moins chères disponibles sur le marché.

Concernant la façade, aucune réfection n'était envisagée avant l'incendie et les règles d'urbanisme ne permettraient pas une réfection partielle.

Sur l'application du taux de vétusté réclamé par l'intimée, la SCI [I] fait valoir que celui-ci n'est pas applicable, soulignant que l'équité commandait une estimation des travaux juste après l'incendie, qui n'a pu avoir lieu en raison de la position de Groupama.

L'appelante sollicite deux allocations supplémentaires concernant le manque à gagner pour les loyers, d'une part pour les 2ème et 3ème étages, inoccupés respectivement jusqu'au 1er octobre 2017 et au 1er juin 2015, indiquant produire les contrats de bail, et d'autre part pour le local commercial du rez-de-chaussée, indiquant que, situé à 50 m. du centre-ville, il ne pouvait rester libre.

A l'appui de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, la SCI [I] invoque l'inquiétude que la famille a vécu pour son avenir, devant le refus de l'intimée de remplir ses obligations, (perte d'un enfant, soucis pour le financement des travaux et pour le remboursement du crédit alors qu'il existait une perte de loyer). Elle rappelle en outre qu'elle a dû avancer les frais de l'expertise.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 décembre 2022, la société Groupama Grand Est demande à la cour de fixer à la somme de 35 457,89 euros, subsidiairement 39 347,73 euros, l'indemnité à revenir à la SCI [I] à la suite des incendies des 15 et 18 avril 2014 qu'a subi l'immeuble assuré auprès d'elle, et de statuer ce que de droit quant aux frais et dépens.

Elle fait valoir tout d'abord qu'en matière d'assurance de dommages, la réparation qu'elle doit indemniser se limite aux dommages contractuellement garantis et que le principe de réparation intégrale, consistant à replacer la victime d'un dommage dans la situation antérieure à la survenance de celui-ci, n'est applicable qu'en matière de responsabilité civile.

Sur le préjudice matériel, l'intimée fait valoir que la SCI [I] a uniquement produit des justificatifs d'engagement de travaux limités à des travaux d'entretien et que l'évaluation reprise dans le rapport d'expertise judiciaire excède le coût des travaux justifiés et strictement nécessaires à la réparation des dommages, certains ne résultant pas des sinistres en cause.

Elle affirme, concernant les menuiseries extérieures endommagées, que sa prise en charge du remplacement des 11 menuiseries extérieures mis en compte apporterait à l'appelante un enrichissement sans cause relevant d'autres causes (vétusté, améliorations thermiques et esthétiques) non couvertes par la police incendie applicable, alors que seules deux d'entre elles ont été endommagées par ces incendies. Les règles d'urbanisme n'imposent que de conserver l'aspect des façades, à savoir une couleur bois.

Elle sollicite, à la vue des photographies de l'incendie produites, de limiter sa prise en charge aux deux seules fenêtres qu'elle estime endommagées pour un montant de 1 979,16 euros. Subsidiairement, si la cour retenait les conclusions de l'expert, elle sollicite la réduction de la prise en charge de ce poste à hauteur de 7 536 euros, soit le remplacement de 6 fenêtres et d'une porte-fenêtre.

Par ailleurs, elle sollicite la seule prise en charge de la partie de la façade endommagée, et conteste la préconisation de l'expert qui retient la réfection de l'intégralité de celle-ci, en l'absence de réponse de la SCI à sa demande portant sur la nécessité de pouvoir identifier la surface concernée par les désordres. Elle retient un montant de 6 009,30 euros, au vu des photographies produites par l'appelante montrant l'étendue des dommages à la façade.

L'intimée sollicite également l'application d'un coefficient de vétusté, qui n'était pas prévu dans la mission de l'expert, mais qui prendrait en compte l'état de l'immeuble lors des incendies, considérant la façade comme étant défraîchie et les menuiseries usées. Elle souligne également que l'appelante se borne à préciser que l'installation électrique était aux normes, sans toutefois produire le diagnostic électrique établi lors de la vente, en l'absence duquel doit nécessairement être appliqué un tel coefficient de vétusté.

Elle invoque aussi, à ce titre, les stipulations du contrat relatives à l'indemnisation de la vétusté jusqu'à 25 %, sous condition de présentation des factures de remise en état dans les deux ans suivant le sinistre. La notion de frais engagés ou de coûts nécessités figurant dans la mission de l'expert excède le préjudice avancé par la SCI [I].

Sur le manque à gagner pour les loyers impayés, l'intimée invoque l'absence de production de justificatif, pourtant demandée par l'expert judiciaire, qui n'a donc pu fournir aucun élément d'appréciation sur la question à la cour. Elle soutient que l'appelante sollicite un montant de 38 380 euros à ce titre, sans démonter qu'il découle directement des sinistres en cause.

S'agissant du préjudice moral, elle soutient qu'une société civile immobilière ne peut alléguer de la perte d'enfant ou de la difficulté de financement de loisirs.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

I ' Sur la réparation du préjudice matériel

A) Sur le préjudice relatif aux travaux de réfection

Le contrat d'assurance souscrit par la SCI [I] auprès de la société Groupama Grand Est couvre notamment les dommages matériels subis par les biens de l'assuré et causés par un incendie.

- Sur les menuiseries extérieures :

Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, l'expert a retenu, au titre du remplacement des menuiseries, un montant de 11 494,40 euros HT, évoquant le remplacement nécessaire de 6 fenêtres et d'une porte-fenêtre dans les pièces sinistrées, mais soulignant qu'il ne paraît pas possible de limiter le remplacement, sur une même façade, à six fenêtres sur les dix que compte l'immeuble et que les onze doivent être remplacées, dans la mesure où les fenêtres anciennes étaient en bois et ne peuvent être reproduites à l'identique.

Si la société Groupama Grand Est soutient que seules deux menuiseries ont été endommagées, elle indique se fonder sur les photographies issues des réseaux sociaux produites par la SCI [I] après l'expertise.

L'expert judiciaire a observé que, dans la mesure où les opérations d'expertise se déroulaient plus de 7 ans après les faits et que les travaux de remise en état avaient été effectués, il semblait difficile de dresser un état précis des dommages de l'époque, mais qu'il prenait en référence les devis de la société KMS du 29 juin 2014 et de la société ADEAL du 9 janvier 2015.

Les photographies issues des réseaux sociaux incluses dans les conclusions récapitulatives de la SCI [I] ne permettent pas, contrairement aux allégations de l'assureur, de démontrer que seules deux fenêtres de l'immeuble ont été dégradées par les sinistres en cause, étant par ailleurs observé qu'elles concernent visiblement un seul des deux incendies, sans que la date n'en soit précisée.

En revanche, elles confirment les indications de l'expert selon lesquelles les menuiseries étaient en bois lors des incendies d'avril 2014.

Au demeurant, il peut être observé que, quel que soit le nombre de fenêtres endommagées par les sinistres en cause, qu'il soit de deux ou de six, s'agissant de fenêtres de façade, leur remplacement partiel n'apparaît pas envisageable pour maintenir l'harmonie de l'immeuble, notamment au vu des règles d'urbanisme, dont le contenu n'est pas contesté par l'intimée. Dès lors, le remplacement de l'ensemble des menuiseries de la façade fait partie des dépenses strictement nécessaires et doit être admis dans le cadre du présent litige.

En conséquence, il y a lieu de retenir, au titre de ce poste de préjudice, le montant de 11 494,40 euros, avant tout examen de l'éventuelle vétusté à prendre en compte.

- Sur la réfection de la façade :

Il est exact qu'au cours des opérations d'expertise, l'expert a indiqué qu'il serait nécessaire de pouvoir identifier la surface concernée par les désordres, avant de retenir finalement le montant du devis de la société ADEAL, soit 24 037,20 euros HT, au titre de ce poste de préjudice. S'il a, dans la synthèse des opérations d'expertise, indiqué qu'il ne disposait pas d'élément suffisant pour apprécier l'état de dégradation de la façade à la suite du sinistre, il a cependant souligné que, dans la mesure où il n'était pas contesté qu'elle était endommagée, sa réfection complète était inévitable.

Effectivement, les photographies jointes aux conclusions récapitulatives de la SCI [I], concomitantes à l'intervention des sapeurs-pompiers ou immédiatement postérieures à celle-ci, suite à un incendie, permettent de distinguer des traces de fumée noirâtre, plus ou moins denses, au-dessus de chacune des fenêtres du 2ème étage. Quelle que soit la surface atteinte par ces fumées, la réparation du dommage matériel ne peut consister en une réfection partielle, limitée au 2ème étage de la façade, dont l'unité doit impérativement être préservée, sans que cela excède les réparations des seules dégradations causées par les deux sinistres à l'immeuble concerné. C'est pourquoi l'interrogation de l'expert, au cours des opérations d'expertise, sur l'étendue de la surface, n'avait en réalité aucune portée et c'est à juste titre qu'il y a renoncé, sans que puisse lui être fait le reproche d'avoir adopté une solution de facilité, comme le soutient l'intimée.

Il en résulte qu'il y a lieu de retenir, avant tout débat sur l'éventuelle vétusté du bien, le montant de 24 037,20 euros correspondant à la réfection de la surface totale de la façade, et non pas le coût de la réparation d'un quart de celle-ci, comme le soutient la société Groupama Grand Est.

- Sur la vétusté :

Le contrat souscrit par la SCI [I] auprès de la société Groupama Grand Est prévoit, dans les conditions particulières, des « Indemnités maximum » pour les bâtiments, représentant le montant des dommages et en valeur à neuf, et, dans les conditions générales, il stipule : « si l'assuré reconstruit le bâtiment dans un délai maximum de 2 ans sur l'emplacement du bâtiment sinistré (') l'assureur l'indemnise en déduisant de l'évaluation en valeur à neuf, la part de vétusté excédant 25 %.

Si l'assuré est dans l'impossibilité de reconstruire suite à un cas de force majeure ou à une modification des règles d'urbanisme ('), l'assureur l'indemnise en déduisant de l'évaluation en valeur à neuf, la part de vétusté excédant 12,5 %.

Si l'assuré ne reconstruit pas suite à une impossibilité qu'il connaissait lors de la souscription du contrat ou suite à une décision personnelle, l'indemnité est limitée à sa valeur vénale des bâtiments au jour du sinistre (calculée en fonction du marché de l'immobilier), déduction faite éventuellement de la valeur de sauvetage.

L'expert a précisé, dans sa réponse à un dire de l'intimée, qu'il n'entrait pas dans sa mission de définir un coefficient de vétusté, tout en ajoutant qu'il lui serait d'ailleurs impossible de le faire, n'ayant pas vu l'état des éléments litigieux au moment des sinistres.

La société Groupama Grand Est demande que la vétusté soit déduite de l'indemnisation qui sera allouée à la SCI [I], au motif que celle-ci ne produisant pas de factures de travaux ou de fournitures et matériaux, l'indemnisation doit se limiter à la valeur des bâtiments au jour des sinistres, vétusté déduite.

Il résulte de son rapport que l'expert judiciaire a évalué les travaux de réparation des dégradations causées par les deux incendies sur la base de devis produits par la SCI [I] pour certains postes et de sa propre estimation pour d'autres. S'il a sollicité de l'assurée la production de factures relatives aux travaux effectués et à la fourniture de matériels, il a observé, dans sa note de synthèse qui a suivi, que les tickets de caisse de fournitures n'étaient pas exploitables sans être listés par poste de travaux et qu'il serait nécessaire de présenter une telle liste pour qu'ils puissent être pris en compte, puisqu'ils étaient beaucoup trop généraux pour être identifiés.

Il a cependant relevé qu'avaient été effectuées une réfection complète de l'appartement sinistré, situé au 2ème étage ainsi que des façades extérieures, mais aussi le revêtement mural et la peinture entre les 2ème et 3ème étages et un nettoyage du limon d'escalier entre ces deux étages.

La SCI [I] produit notamment des factures relatives à l'achat de matériaux de construction (ciment, mortier), peinture, de matériel électrique,... datant de l'année 2015, mais aussi, notamment de janvier, mars 2016, et des 12 et 14 avril 2016 (portes et châssis). Si d'autres factures sont postérieures, celles de 2015 à avril 2016 démontrent que les travaux de remise en état de l'immeuble ont été au moins en partie réalisés dans les deux ans qui ont suivi le sinistre.

En outre, la SCI [I] invoque des difficultés à financer les travaux de réparation, du fait du refus de la société Groupama Grand Est de lui verser la moindre indemnisation, qui ne permettent pas de considérer que l'absence d'achèvement des travaux de réparation des dégradations causées par les incendies d'avril 2014 dans les deux ans résulte d'une « décision personnelle » de sa part, au sens du contrat.

De plus et surtout, pour solliciter la prise en compte de la vétusté de l'immeuble, l'assureur applique au coût des travaux évalué par l'expert judiciaire un taux variant par poste de travaux, indiquant qu'il s'agit des taux de vétusté « usuellement appliqués », sans plus d'explication. Il en résulte en tout état de cause que ces taux de vétusté n'ont pas été déterminés en fonction de la réalité de l'état de l'immeuble à la date des incendies d'avril 2014, mais qu'ils sont purement théoriques. Dès lors, l'assureur ne justifie pas de leur bien fondé et il n'y a pas lieu de les retenir.

En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande de la SCI [I] et de retenir, au titre de son préjudice matériel, l'évaluation faite par l'expert, soit le montant de 76 542,50 euros.

B) Sur les pertes de loyer

La SCI [I], qui invoque une perte de loyers faisant suite aux sinistres en cause, du fait de la détérioration des locaux par les incendies et du retard dans les travaux de réfection causé par le refus de l'assureur de l'indemniser, met ainsi en compte les sommes de 29 930 euros pour l'appartement du 2ème étage (730 x 41 mois) jusqu'au 1er octobre 2017, et de 8 450 euros pour le 3ème étage (650 euros x 13 mois, jusqu'au 1er juin 2015, même si elle évoque 25 mois).

A l'appui de sa demande, elle produit copie de trois baux relatifs à l'appartement du 2ème étage, l'un, d'une durée d'un an reconductible, ayant pris effet à compter du 1er juin 2012, un autre, d'une durée d'un an reconductible également, ayant pris effet à compter du 1er avril 2013, et le dernier ayant pris effet au 1er octobre 2017.

Il est à noter que l'expert a sollicité de la SCI [I] des précisions concernant la chronologie des travaux que cette dernière ne lui a pas transmises, si bien qu'il a estimé ne pas pouvoir apporter des éléments d'appréciation sur le préjudice relatif à la perte d'exploitation. Toutefois, les dates des factures produites par l'appelante, relatives aux travaux de réfection de l'immeuble, s'étendent de 2015 à août 2017, pour l'essentiel, ce qui permet de penser que la remise en location de l'appartement n'a pu intervenir avant le 1er octobre 2017.

C'est pourquoi, le logement ayant été loué durant la période antérieure au sinistre et remis en location à compter du 1er octobre 2017, doit être prise en compte une durée de perte de loyers d'une durée de 41 mois. Cependant, cette perte doit être calculée à partir du dernier loyer pratiqué avant le sinistre, soit 600 euros/m., s'agissant du bail du 28 mars 2013, ce qui porte cette perte à 24 600 euros.

En revanche, concernant l'appartement du 3ème étage, il résulte du rapport d'expertise que les conséquences de l'incendie ont été limitées et ont nécessité un simple nettoyage, une « neutralisation » et une éventuelle remise en peinture. De plus, concernant la cage d'escalier, les seules prestations nécessitées par l'incendie que l'expert a retenues sont le nettoyage de la cage d'escalier et le remplacement du papier mural. En outre, la SCI [I] ne produit aucun bail relatif à cet appartement et ne prouve donc pas qu'il ait été mis en location avant et après les incendies d'avril 2014. Aucune perte de loyer ne peut donc être retenue le concernant.

Il résulte donc de tous ces éléments que le préjudice subi par la SCI [I] au titre de la perte d'exploitation s'élève à 24 600 euros.

II ' Sur la demande au titre du préjudice moral

A l'appui de cette demande, la SCI [I] invoque la perte d'un enfant, des soucis pour le financement des travaux, qui ont nécessité de se priver de toute sortie, de vacances et de loisirs, et pour le remboursement du crédit alors qu'il existait une perte de loyer.

Cependant, si une personne morale peut effectivement subir un préjudice moral, les éléments invoqués par l'appelante, à savoir la perte d'un enfant et la privation de loisirs et de vacances pour financer les travaux, sont susceptibles de caractériser un préjudice moral subi par les associés de la SCI [I], mais pas la société elle-même. De plus, cette dernière ne démontre non plus aucun préjudice moral lié au remboursement du prêt immobilier concomitant avec la perte de loyer.

Dès lors, force est de constater que l'appelante ne satisfait pas à la charge de la preuve, qui lui incombe, de l'existence du préjudice moral dont elle sollicite réparation. Il en résulte que sa demande portant sur ce poste de préjudice doit être rejetée.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré ayant été infirmé en toutes ses dispositions par l'arrêt avant dire-droit du 10 décembre 2020 et les demandes de la SCI [I] étant au moins partiellement, accueillies, la société Groupama Grand Est assumera les dépens de première instance et d'appel, dans lesquels sont inclus les frais de l'expertise judiciaire.

Dans ce contexte, il apparaîtrait inéquitable de laisser à la SCI [I] les frais exclus des dépens qu'elle a dû engager en première instance et en appel et il convient donc de faire droit à sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, d'un montant de 2 000 euros.

En revanche, les mêmes motifs conduisent à rejeter la demande de la société Groupama Grand Est présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

Vu l'arrêt avant dire-droit du 10 décembre 2020 qui a notamment infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal de grande instance de Mulhouse du 08 février 2019,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SA Groupama Grand Est à payer à la SCI [I] la somme de 76 542,50 euros (soixante-seize mille cinq cent quarante-deux euros et cinquante centimes) au titre des travaux de réparation,

CONDAMNE la SA Groupama Grand Est à payer à la SCI [I] la somme de 24 600,00 euros (vingt-quatre mille six cents euros) au titre de la perte d'exploitation,

REJETTE la demande de la SCI [I] au titre de ce chef de préjudice pour le surplus ;

REJETTE la demande de la SCI [I] en réparation de son préjudice moral,

CONDAMNE la SA Groupama Grand Est aux dépens de première instance et d'appel, incluant les frais d'expertise judiciaire ;

CONDAMNE la SA Groupama Grand Est à payer à la SCI [I] la somme de 2 000,00 (deux mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de la SA Groupama Grand Est présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 19/02127
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-30;19.02127 ?
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