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09/06/2023 | FRANCE | N°21/02788

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 09 juin 2023, 21/02788


MINUTE N° 297/2023





























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER-

DECHRISTÉ



- Me Patricia CHEVALLIER-

GASCHY





Le 9 juin 2023



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 09 JUIN 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/02788 - NÂ

° Portalis DBVW-V-B7F-HTK6



Décision déférée à la cour : 11 Mai 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG





APPELANTE :



Madame [G] [U]

demeurant [Adresse 2] à [Localité 5]



représentée par Me Valérie SPIESER-DECHRISTÉ, Avocat à la cour





INTIMÉ :



Monsieu...

MINUTE N° 297/2023

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER-

DECHRISTÉ

- Me Patricia CHEVALLIER-

GASCHY

Le 9 juin 2023

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 09 JUIN 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/02788 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HTK6

Décision déférée à la cour : 11 Mai 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

Madame [G] [U]

demeurant [Adresse 2] à [Localité 5]

représentée par Me Valérie SPIESER-DECHRISTÉ, Avocat à la cour

INTIMÉ :

Monsieur [C] [L]

demeurant [Adresse 3] à [Localité 4]

représenté par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, Avocat à la cour.

plaidant : Me PIETRI, Avocat au barreau de Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH, faisant fonction

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 30 avril 2006, une reconnaissance de dette portant sur un montant de 99 065,98 euros mentionné en chiffres et de 90 065,98 euros mentionné en lettres, a été signée au nom de « M. [Y] [R] » et de « Mme [U] [R] » en qualité de débiteurs, au profit de M. [C] [L], alors que ce dernier entretenait une relation amoureuse avec Mme [G] [U].

M. [L] et Mme [U] se sont mariés le [Date mariage 1] 2008. Leur divorce a été prononcé par jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 26 mars 2013.

Par assignation délivrée à Mme [U] le 10 décembre 2013, M. [L] a saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 99 065,98 euros au titre de la reconnaissance de dette.

Par ordonnance du 7 octobre 2016, le juge de la mise en état a ordonné une expertise en comparaison d'écriture. L'expert a déposé son rapport le 11 juin 2019.

Par jugement du 11 mai 2021, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- déclaré M. [L] irrecevable en sa demande de condamnation de Mme [U] au paiement d'une amende civile,

- déclaré M. [L] recevable en ses prétentions pour le surplus,

- condamné Mme [U] à payer à M. [L] la somme de 90 065,98 euros avec intérêts au double de l'intérêt légal à compter du 12 septembre 2013,

- débouté Mme [U] de ses prétentions et l'a condamnée à payer à M. [L] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la procédure, qui comprendraient notamment le timbre fiscal, les frais de l'expertise et les frais afférents à la signification de l'assignation.

Sur la prescription de l'action de M. [L] soulevée par Mme [U], le tribunal, après avoir rappelé les dispositions du nouvel article 2224 du code civil ainsi que de l'article 26 II de la loi du 17 juin 2008, relatif aux dispositions transitoires de celle-ci, a relevé qu'aux termes de la reconnaissance de dette litigieuse, le débiteur s'était obligé à rembourser la totalité de sa dette au créancier au plus tard le 1er septembre 2006, point de départ du délai de prescription. En conséquence, l'action en paiement était prescrite depuis le 20 juin 2013, sauf à démontrer l'existence d'une cause d'interruption ou de suspension de la prescription.

Le tribunal a rappelé que, selon l'article 2236 du code civil, la prescription étant suspendue entre les époux, elle l'avait donc été du [Date mariage 1] 2008, date du mariage des parties, jusqu'au 1er octobre 2010, date de l'ordonnance de non-conciliation, soit une période de 30 mois et 16 jours, si bien que, l'assignation en paiement ayant été délivrée le 10 décembre 2013, l'action en paiement de M. [L] n'était pas prescrite.

Sur la nullité de la reconnaissance de dette invoquée par la défenderesse, le tribunal a relevé qu'au vu du rapport d'expertise, les mentions manuscrites, dont le montant de celle-ci, en chiffres et en lettres, et la signature, à l'emplacement du débiteur, émanaient de la main d'un unique souscripteur identifié comme étant Mme [U]. De plus, le fait que M. [R] n'ait pas signé la reconnaissance de dette n'avait pas pour conséquence de décharger sa signataire de l'engagement qu'elle avait pris.

S'agissant de la cause de l'engagement de Mme [U], le tribunal a considéré qu'elle était constituée par le prêt octroyé par M. [L], selon les termes de la reconnaissance de dette. Dès lors, la preuve de l'absence de remise de fonds incombait à Mme [U] qui ne la rapportait pas, si bien que la demande de nullité pour absence de cause était infondée.

Sur le vice du consentement invoqué par la défenderesse, qui affirmait avoir été victime de violences morales lors de la signature de la reconnaissance de dette, alors qu'elle entretenait une relation avec le demandeur, qu'elle était enceinte de ses 'uvres, et soutenait avoir été sous sa coupe et perturbée, le tribunal a rappelé qu'à cette époque, Mme [U] entretenait une relation amoureuse avec M. [L], duquel elle était enceinte et avec qui elle s'est par la suite mariée le [Date mariage 1] 2008.

Ainsi, cette chronologie ne permettait pas de déduire l'existence d'une violence morale au moment de la reconnaissance de dette. La rédaction de celle-ci, et notamment l'absence du prénom de Mme [U], ainsi que la discordance entre la mention manuscrite et celle en lettres de la somme en cause, ne la démontraient pas davantage.

De plus, le tribunal a relevé qu'il résultait du jugement de divorce que la relation du couple s'était dégradée au moment de la rupture, mais que rien n'établissait que, lors de la signature de la reconnaissance de dette, antérieure à leur mariage, Mme [U] avait été victime de violence morale de M. [L], précisant que le fait d'être enceinte de ce dernier ne permettait pas d'en tirer une telle conclusion.

Le tribunal, face à la discordance entre les montants indiqués en chiffres et en lettres, a retenu que la reconnaissance de dette valait pour la somme écrite en toutes lettres, qui était la moins élevée, soit 90 065,98 euros. Il a retenu le taux d'intérêt mentionné sur la reconnaissance de dette et comme point de départ, la date de réception de la mise en demeure.

Au regard de la solution du litige, le tribunal a rejeté la demande de dommages-intérêts de Mme [U].

Mme [U] a interjeté appel de ce jugement le 25 mai 2021.

Par ordonnance de référé du 28 octobre 2021, la présidente de chambre déléguée par la première présidente de la cour a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du dit jugement, retenant, en cas d'infirmation, l'existence d'un risque de non-restitution des montants versés en exécution de celui-ci.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 4 octobre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 11 avril 2022, Mme [U] sollicite l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celle par laquelle il a déclaré M. [L] irrecevable en sa demande de condamnation au paiement d'une amende civile. Elle sollicite que la cour, statuant à nouveau :

- déclare la demande de M. [L] irrecevable car prescrite, subsidiairement mal fondée,

- déclare nulle la reconnaissance de dette,

- constate l'absence de contrepartie de la reconnaissance de dette,

En conséquence de ce qui précède :

- déboute M. [L] de l'intégralité de ses conclusions,

- le condamne aux entiers dépens des deux instances et à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

S'agissant de la prescription de l'action de M. [L], Mme [U] fait valoir que celle-ci a commencé à courir à compter du 30 avril 2006, date de la signature de la reconnaissance de dette, jusqu'à la date du mariage, le [Date mariage 1] 2008, soit pendant deux ans et 15 jours. Puis elle a recommencé à courir à compter du 1er octobre 2010, date des effets du divorce entre les époux, jusqu'au 10 décembre 2013, soit durant trois ans, deux mois et 10 jours, si bien que la prescription était acquise au jour de l'assignation.

Sur le point de départ de la prescription, l'appelante soutient en effet que la date du 1er septembre 2006 retenue par le tribunal n'était pas la date d'exigibilité de la créance, mais celle convenue entre les parties, à compter de laquelle la créance devait porter intérêt au double du taux d'intérêt légal. À compter de la signature de la reconnaissance de dette, M. [L] savait que le débiteur était engagé. Il connaissait donc les faits lui permettant d'exercer son droit, conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil.

Elle ajoute que :

- l'acte ne comportait pas de différé de remboursement,

- il ne peut être fait application de l'article 2241 du code civil, dès lors que l'interruption est regardée comme non avenue si la demande est rejetée,

- elle n'a pas reconnu la dette dans la procédure de référé, dans le cadre de laquelle elle a été défaillante.

À l'appui de sa demande tendant à la nullité de la reconnaissance de dette, Mme [U] invoque en premier lieu l'absence de cause de son obligation.

Elle se prévaut à ce titre des motifs d'un arrêt de la cour rendu sur appel d'une ordonnance de référé l'ayant opposée, avec M. [R], à M. [L], et dont il résulte d'après elle, d'une part l'absence de preuve de la remise des fonds par M. [L] ou de paiement des dettes listées à la reconnaissance de dette, que ce dernier a alors affirmé avoir réglées directement, et d'autre part des doutes certains sur la sincérité de l'engagement qu'elle avait alors souscrit, dans la mesure où elle était, depuis sa séparation de son époux, la compagne de M. [L].

En second lieu, l'appelante invoque une cause illicite ou immorale de la reconnaissance de dette, rédigée dans son intérêt, dans le cadre de la liquidation de son régime matrimonial, par M. [L], avec qui elle vivait et duquel elle attendait un enfant, tout en étant en instance de divorce avec M. [R].

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 7 juin 2022, M. [L] sollicite que la cour l'accueille en l'ensemble de ses demandes et prétentions, qu'elle confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, en conséquence, le déclare recevable en son action et bien fondé en sa demande et qu'elle :

- déboute Mme [U] de sa prétention liée à la prescription,

- la déboute de sa demande de nullité de la reconnaissance de dette, du fait du prétendu défaut de cause, ainsi que du fait de la prétendue illicéité/immoralité de la reconnaissance de dette, et la déboute de l'intégralité de ses conclusions,

- la condamne à lui payer la somme de 90 065,98 euros au titre de la reconnaissance de dette signée par elle en vertu du prêt qu'il a consenti le 30 avril 2006, augmentée des intérêts au double de l'intérêt légal à compter du 12 septembre 2013,

En tout état de cause :

- condamne Mme [U] à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens de la présente instance ainsi qu'à ceux de première instance, en ce compris le timbre fiscal, les frais de l'expertise qu'il a avancés, les frais afférents à la signification de l'assignation, du jugement et de l'arrêt à intervenir.

Sur la prescription de son action soulevée par Mme [U], M. [L] soutient que celle-ci a été suspendue pendant toute la durée du mariage, soit du [Date mariage 1] 2008 au 26 mars 2013, en application de l'article 2236 du code civil. Or, deux années s'étaient écoulées depuis le 30 avril 2006, date de la reconnaissance de dette. De plus, la prescription ayant recommencé à courir le 26 mars 2013, l'action ayant été introduite le 10 décembre 2013, aucune prescription n'était alors écoulée.

Il conteste que la date des effets du divorce à prendre en compte soit le 1er octobre 2010, conformément à l'article 262-1 du code civil, et non le 26  mars 2013, alors que la reconnaissance de dette ne peut pas être qualifiée de créance entre époux et n'entre pas dans la catégorie des biens des époux au sens de cet article.

M. [L] ajoute, pour s'opposer à la prescription invoquée par Mme [U], que :

- le délai de prescription n'a commencé à courir que le 1er septembre 2006, date d'exigibilité de la créance, conformément à l'article 2233 du code civil, et non pas dès le 30 avril 2006,

- le délai de prescription a été interrompu par l'assignation de Mme [U] et de M. [R] en référé, le 10 avril 2007, un nouveau délai de cinq ans ayant recommencé à courir à compter du 9 janvier 2009, dans la mesure où un appel avait été interjeté contre l'ordonnance de référé du 9 juillet 2007 et avait conduit à un arrêt du 8 janvier 2009,

- la prescription a aussi été interrompue par la reconnaissance, par Mme [U], devant la chambre des référés de la cour, de ce qu'il était son créancier, conformément aux termes de l'ancien article 2248 du code civil, devenu l'article 2240 depuis la loi du 17 juin 2008,

- de plus, la prescription a été suspendue du jour du mariage des parties jusqu'à l'ordonnance de non conciliation, soit du [Date mariage 1] 2008 au 1er octobre 2010.

Dès lors, le délai de prescription n'était pas expiré lors de l'assignation de Mme [U] devant le tribunal.

Au fond, relevant que Mme [U] ne conteste plus l'authenticité de sa signature, il souligne que l'acte litigieux comporte la mention manuscrite en chiffres et en lettres du montant sollicité, ainsi que la signature de Mme [U], qui ne la conteste plus, le résultat de l'expertise judiciaire l'établissant incontestablement.

L'intimé soutient que, faute pour l'appelante de démontrer qu'il ne lui a pas remis les fonds en cause, elle doit exécuter son engagement.

Sur la validité de cette reconnaissance de dette, M. [L] fait valoir que la cause de celle-ci n'est pas le paiement, par lui, des dettes de l'appelante, mais un prêt consenti à cette dernière afin qu'elle règle elle-même ses propres dettes, ainsi que le précise la reconnaissance de dette. Il précise qu'il a prêté cette somme sur les déclarations de Mme [U], sans vérifier l'existence de ces dettes, que la liste qu'elle en a faite est détaillée et qu'elle a admis la réalité de la remise des fonds et des dettes en cause dans des courriers adressés au juge des référés en 2007.

Il soutient que le moyen tiré de l'illicéité et de l'immoralité de la cause de l'engagement de l'appelante, irrecevable en appel comme étant nouveau, n'est pas non plus fondé. Outre que Mme [U] ne précise pas si cet engagement est immoral ou illicite, l'intimé fait valoir qu'il a souhaité qu'elle signe une reconnaissance de dette en raison de l'importance de la somme prêtée, et que, si elle a eu l'intention de frauder les droits de M. [R] ou de spolier la communauté qui a existé avec ce dernier, il n'en est pas responsable.

Enfin, soulignant que, Mme [U] n'ayant pas remboursé sa dette, il y a lieu de l'y contraindre, il admet que la mention manuscrite doit prévaloir, du fait de la différence avec le montant de la créance en chiffres.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

I ' Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de M. [L]

La reconnaissance de dette ayant été signée le 30 avril 2006, l'obligation qui en est née s'est donc trouvée soumise à la règle de la prescription de l'article 2262 du code civil tel qu'en vigueur à cette date, lequel prévoyait une prescription trentenaire pour toutes les actions, tant réelles que personnelles.

Ladite reconnaissance de dette ayant prévu que le débiteur s'obligeait à rembourser la totalité de sa dette au créancier au plus tard le 1er septembre 2006, précisant que, passé ce délai, la dette porterait intérêt au double du taux d'intérêt légal, cette date est bien la date d'exigibilité de la créance. C'est donc à compter du 1er septembre 2006 que la prescription a commencé à courir, ainsi que l'a fort justement retenu le premier juge.

Dans la mesure où le délai de prescription trentenaire n'était pas expiré à la date de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription, ses dispositions transitoires trouvent à s'appliquer. En effet, selon l'article 26 de cette loi, les dispositions de celle-ci qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Or, en application de l'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Cependant, selon les dispositions de l'article 2253 du code civil en vigueur avant la publication de la loi du 17 juin 2008, reprises à l'article 2236 du code civil issu de cette loi, la prescription ne court pas entre époux. Or, la dette en cause est antérieure au mariage, il ne s'agit pas d'une créance entre époux et cette suspension de la prescription n'a aucun lien avec la date de prise d'effets du divorce entre les époux, s'agissant de leurs biens, prévue par les dispositions de l'article 262-1 du code civil. Elle est liée uniquement à leur état d'époux. Elle s'applique donc jusqu'au prononcé du divorce devenu définitif.

C'est pourquoi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la prescription de l'action en paiement de M. [L] née de la reconnaissance de dette litigieuse a été suspendue à compter du [Date mariage 1] 2008, date de la célébration du mariage, jusqu'au 26 mars 2013, date du prononcé du divorce.

Dès lors, la prescription a couru du 1er septembre 2006 au [Date mariage 1] 2008, soit pendant 1 an, 6 mois et 14 jours, puis du 26 mars 2013 au 10 décembre 2013, date de l'assignation de Mme [U] devant le tribunal, soit pendant un peu moins de 9 mois. Il en résulte, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les effets interruptifs de la prescription de l'assignation de Mme [U] et de M. [R] en référé par M. [L], le 10 avril 2007, que le délai de prescription était loin d'être écoulé lors de l'introduction de l'instance au fond et que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action en paiement du demandeur dirigée contre Mme [U].

II ' Sur le fond du litige

A) - Sur la demande en nullité de la reconnaissance de dette

Le premier juge a rappelé les dispositions de l'article 1326 du code civil dans sa version applicable au présent litige, selon lesquelles « l'acte juridique par lequel une partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous-seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres. »

Mme [U] ne conteste plus avoir signé cette reconnaissance de dette et y avoir écrit de sa main la somme en chiffres et en toutes lettres. Si une différence existe entre la somme inscrite en chiffres et celle écrite en lettres, cet acte vaut pour la somme écrite en toutes lettres, comme le précisent ces dispositions légales, étant observé que l'appelante ne se prévaut plus d'un moyen de nullité de ladite reconnaissance de dette à ce titre.

Les moyens de nullité qu'elle soulève tiennent à l'absence de cause ainsi qu'à l'existence d'une cause illicite ou immorale. Si ce dernier moyen est soulevé pour la première fois à hauteur de cour, il est parfaitement recevable, seules les demandes nouvelles en appel étant susceptibles d'être irrecevables en application de l'article 564 du code civil.

La cause d'une reconnaissance de dette est la remise des fonds à son auteur, laquelle se trouve présumée du fait de la signature d'un tel acte. Il appartient donc à son signataire, comme l'a justement relevé le tribunal, de prouver que la somme qu'elle mentionne ne lui a pas été remise. Or, les motifs d'un arrêt rendu par la présente cour dans le cadre d'une procédure de référé ayant opposé l'intimé à l'appelante et à son ex-époux, M. [R], ne peuvent constituer un tel moyen de preuve. Que M. [L] ait, dans le cadre de cette procédure de référé, affirmé avoir réglé directement les dettes listées dans cette reconnaissance de dette, alors qu'il affirme désormais avoir remis les fonds à Mme [U] afin qu'elle rembourse elle-même ses dettes, n'est pas susceptible de relever de l'estoppel, dans la mesure où il ne s'agit pas de la même procédure.

Cela ne constitue pas davantage une preuve de l'absence de remise des fonds, quelles qu'aient été les modalités de celle-ci. Il en est de même des contestations sérieuses émises par la cour dans cet arrêt sur l'obligation ayant alors motivé la demande de provision de M. [L], étant rappelé que Mme [U] n'avait pas comparu dans le cadre de cette procédure.

Par ailleurs, le fait que l'appelante ait été, lors de la signature de cette reconnaissance de dette, la compagne de l'intimé ne peut non plus constituer la moindre preuve de l'absence de remise de ces fonds.

Force est donc de constater que Mme [U] échoue à démontrer l'absence de remise, par M. [L], de la somme de 90 065,98 euros énoncée en lettres dans la reconnaissance de dette litigieuse. Ainsi que l'a retenu le tribunal, aucune nullité n'est encourue par cette reconnaissance de dette pour absence de cause.

Par ailleurs, sur la cause illicite ou immorale invoquée par l'appelante, cette dernière se contente de souligner que la reconnaissance de dette litigieuse a été émise à une époque où elle était en instance de divorce avec M. [R], tout en vivant en concubinage avec M. [L], dont elle attendait un enfant, et que cette reconnaissance de dette a été rédigée par ce dernier dans son intérêt dans le cadre de la liquidation de son régime matrimonial. Or, de telles circonstances ne peuvent constituer une quelconque preuve du caractère illicite ou immoral de ladite reconnaissance de dette, dont Mme [U], sans le démontrer, laisse supposer qu'il s'agirait d'un faux émis en fraude des droits de M. [R].

Au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, aucun motif de nullité de la reconnaissance de dette litigieuse invoqué par Mme [U] ne peut être retenu et, dès lors, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

B) - Sur le montant de la dette

La validité de la reconnaissance de dette litigieuse étant admise, celle-ci est de nature à fonder l'obligation de l'appelante au paiement de la dette en cause. Ainsi qu'il a été observé plus haut, le montant de la dette à retenir est celui indiqué en toutes lettres dans la reconnaissance de dette signée par Mme [U], lequel s'élève à 90 065,98 euros, et cette dernière ne conteste pas le taux d'intérêt mentionné dans cet acte. Il en résulte que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il l'a condamnée au paiement de cette somme assortie des intérêts au double du taux d'intérêt légal à compter du 12 septembre 2013, date de la réception de la mise en demeure.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions principales, il le sera également en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens de première instance.

Pour les mêmes motifs, l'appelante assumera les dépens de l'appel ainsi que ses frais non compris dans les dépens engagés en appel.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé les frais exclus des dépens qu'il a dû engager en appel et Mme [U] devra donc lui régler à ce titre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 11 mai 2021,

Ajoutant au dit jugement,

CONDAMNE Mme [G] [U] aux dépens d'appel,

CONDAMNE Mme [G] [U] à payer à M. [C] [L] la somme de 1 500,00 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'il a engagés en appel,

REJETTE la demande de Mme [G] [U] présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en appel.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/02788
Date de la décision : 09/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-09;21.02788 ?
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