La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/05/2023 | FRANCE | N°21/01842

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 25 mai 2023, 21/01842


MINUTE N° 277/2023





























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER-DECHRISTÉ



- Me Noémie BRUNNER





Le 25 mai 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 25 MAI 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01842 -

N° Portalis DBVW-V-B

7F-HRWC



Décision déférée à la cour : 18 Mars 2021 par le tribunal judiciaire de COLMAR





APPELANTE :



La S.A.R.L. CABINET BERNARD LEIBENGUTH,

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2] à [Localité 5]



représentée par M...

MINUTE N° 277/2023

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER-DECHRISTÉ

- Me Noémie BRUNNER

Le 25 mai 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 25 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01842 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HRWC

Décision déférée à la cour : 18 Mars 2021 par le tribunal judiciaire de COLMAR

APPELANTE :

La S.A.R.L. CABINET BERNARD LEIBENGUTH,

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2] à [Localité 5]

représentée par Me Valérie SPIESER-DECHRISTÉ, Avocat à la cour

INTIMÉS :

1/ Monsieur [S] [Z]

demeurant [Adresse 4] à [Localité 5]

2/ La S.A.R.L. COPRAL

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège socia [Adresse 1] à [Localité 5]

3/ La S.A.R.L. T2P

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 4] à [Localité 5]

représentés par Me Noémie BRUNNER, Avocat à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Décembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement, après prorogation du 16 mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président, et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

2

FAITS et PROCÉDURE

La SARL Copral et la SARL T2P ont constitué ensemble la SCCV Résidence Cybèle, aux fins d'acquérir une parcelle située [Adresse 3] à [Localité 5] (68) et d'y construire l'ensemble immobilier « la Cybèle ».

Le 6 janvier 2016, la SCCV Résidence Cybèle a conclu un contrat de maîtrise d''uvre d'exécution avec la SARL Cabinet Bernard Leibenguth, pour un montant d'honoraires de 60 000 euros HT, en vue de l'édification d'un bâtiment sur cette parcelle.

La SCCV a réglé au maître d''uvre un montant d'honoraires de 42 390 euros. Des différends sont survenus entre eux concernant le paiement du solde de ces honoraires et l'exécution des travaux.

La SCCV Résidence Cybèle a fait l'objet d'une liquidation amiable ouverte le 30 juin 2017, les opérations de liquidation ayant été clôturées le 4 mai 2018.

En mars 2019, la société Cabinet Bernard Leibenguth a fait assigner M. [S] [Z], liquidateur amiable de la SCCV Résidence Cybèle, ainsi que les associés de cette dernière, la société Copral et la société T2P, devant le tribunal de grande instance de Colmar, sollicitant la condamnation du premier à des dommages-intérêts et celle des deux sociétés au paiement d'une partie chacune des honoraires impayés par la SCCV, proportionnellement à leurs participations respectives dans cette société.

Par jugement du 18 mars 2021, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Colmar, a déclaré recevables les demandes formées par la société Cabinet Bernard Leibenguth à l'encontre de chacun des défendeurs et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, y compris de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il a condamné la demanderesse à payer aux défendeurs la somme de 1 000 euros sur ce même fondement ainsi qu'aux dépens de l'instance, rejetant toutes autres prétentions et disant n'y avoir lieu à assortir la décision de l'exécution provisoire.

Sur la recevabilité des demandes formées à l'égard de chacun des défendeurs par la société Cabinet Bernard Leibenguth, le tribunal a relevé l'absence de contestation sérieuse expressément opposée par ces derniers à la recevabilité de chacune de ses demandes.

Sur le fond, s'agissant des demandes formées à l'encontre du liquidateur amiable, le tribunal a rappelé que celui-ci était responsable, vis-à-vis des créanciers sociaux, du préjudice résultant de la clôture anticipée de la société, lorsqu'il s'était abstenu d'inclure dans les comptes de liquidation les créances dont il ne pouvait ignorer l'existence, ajoutant que seules les créances litigieuses faisant l'objet d'une procédure en cours devaient être ainsi provisionnées.

Il a retenu que M. [S] [Z], qui ne contestait pas sérieusement avoir eu connaissance, avant la clôture de la liquidation amiable de la SCCV Résidence Cybèle, de la « prétendue créance d'honoraires » dont la société Cabinet Bernard Leibenguth avait pu faire état, n'était pas tenu de constituer de provision pour garantir cette « supposée créance », dont le bien-fondé avait été antérieurement contesté par la SCCV, et ce en l'absence de procédure tendant à voir reconnaître le principe de sa créance, introduite par la demanderesse à l'encontre de cette société au moment des opérations de dissolution anticipée et de liquidation amiable dont l'ouverture, décidée par l'assemblée générale du 30 juin 2017, avait été régulièrement publiée dans un journal d'annonces légales le 27 août 2017, et la clôture votée par l'assemblée générale du 4 mai 2018.

3

De plus, la demanderesse ne démontrait pas que M. [S] [Z] ait eu connaissance, en tant que liquidateur amiable de la SCCV et avant la clôture de la liquidation amiable, de la mise en 'uvre, par elle, d'une procédure de conciliation devant l'Ordre des Architectes Grand Est, en tant que préalable obligatoire à l'introduction d'une éventuelle action en justice.

En outre, le caractère certain et liquide de la créance d'honoraires, dont le paiement était revendiqué par la société Cabinet Bernard Leibenguth, n'était nullement acquis à l'issue de la réunion de conciliation du 1er juin 2018, au vu des observations du rapporteur quant au constat que « des torts peuvent sembler être partagés ».

S'agissant des demandes en paiement d'honoraires dirigées contre la société Copral et la société T2P, le tribunal a relevé que, si la mise en 'uvre de la responsabilité des associés d'une SCCV, fondée sur l'article L211-2 du code de la construction et de l'habitation, pouvait avoir lieu après une simple mise en demeure restée infructueuse, l'obtention préalable d'un titre exécutoire à l'encontre de la société elle-même était cependant nécessaire, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

Enfin, le tribunal a rejeté la demande d'indemnité au titre du trouble de trésorerie subi par la société Cabinet Bernard Leibenguth au motif que ses demandes principales à l'encontre de chacun des défendeurs étaient rejetées.

La société Cabinet Bernard Leibenguth a interjeté appel de ce jugement le 1er avril 2021, cet appel portant sur les dispositions du jugement rejetant ses demandes et la condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement de sommes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 04 octobre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 1er juillet 2021, la société Cabinet Bernard Leibenguth sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation :

- de M. [S] [Z] à lui payer la somme de 15 648 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts légaux à compter du 7 août 2018, date de la mise en demeure,

- de la société Copral à lui payer la somme de 11 736 euros au titre des honoraires dus, avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 7 août 2018,

- de la société T2P à lui payer la somme de 3922 euros au titre des honoraires dus, avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 7 août 2018,

- de M. [S] [Z], de la société Copral et de la société T2P à lui payer, solidairement, la somme de 5 000 euros à titre de dommages, au titre du préjudice subi pour résistance abusive et trouble de trésorerie,

- des trois intimés, solidairement, aux dépens des deux instances ainsi qu'à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la somme de 3 000 euros au titre de l'article sur le même fondement pour la procédure d'appel.

4

La société Cabinet Bernard Leibenguth rappelle que la SCCV Résidence Cybèle avait deux cogérants, MM. [S] et [F] [Z], également cogérants de la société Copral, M. [S] [Z] étant par ailleurs gérant de la société T2P et par la suite également liquidateur de la SCCV. Ce dernier avait donc une parfaite connaissance de l'étendue des engagements de cette société vis-à-vis d'elle.

Ayant été destinataire de sa note d'honoraires mais aussi de sa mise en demeure du 18 janvier 2018, puis de celle adressée par son conseil le 20 mars 2018, et alors que l'ordre des architectes avait été saisi en vue d'une conciliation et avait contacté les différents protagonistes dès avril 2018, M. [S] [Z] était parfaitement informé de l'existence de la créance et de la volonté de la société Cabinet Bernard Leibenguth d'en poursuivre le recouvrement après la demande de conciliation préalable obligatoire auprès de l'ordre des architectes.

L'appelante fait valoir que, de la sorte, il existait bien une procédure en cours par la saisine préalable de l'ordre des architectes, dont M. [S] [Z] était parfaitement informé lorsqu'il a clôturé les opérations de liquidation amiable de la SCCV Résidence Cybèle. Il a donc commis une faute en clôturant en l'état ces opérations et, dans la mesure où les comptes de la SCCV permettaient largement de provisionner la créance, cette faute a causé à la société Cabinet Bernard Leibenguth un préjudice constitué par l'absence de provision de la totalité de la créance.

Sur la demande présentée à l'encontre des associés, la société Cabinet Bernard Leibenguth fait valoir qu'il est justifié du respect de l'article L211-2 du code de la construction et de l'habitation, dès lors qu'une mise en demeure préalable, restée vaine, a été adressée aux associés de la SCCV. L'appelante conteste la nécessité, retenue par le premier juge, de l'obtention préalable d'un titre exécutoire à l'encontre de la société. S'agissant de sa créance, elle affirme que les logements ont tous étés livrés les 10 et 17 mai 2017, que les entreprises ont établi leur décompte général définitif le 13 juin 2017 et que les réserves ont été levées le 13 juillet 2017, comme cela avait été prévu.

Cependant, elle évoque une demande de M. [S] [Z] à son gérant de provoquer à nouveau une réception, suite à un dégât des eaux survenu le 20 mai 2017, alors que la copropriété n'était pas encore assurée, et ce afin que les dégâts causés soient réservés et supportés par les entreprises, en prétextant que l'ouvrage était demeuré sous leur garde. Or, si les entreprises ont ainsi été reconvoquées à la demande du maître de l'ouvrage, M. [S] [Z] ne s'est pas présenté, contrairement à ces dernières, et la SCCV a résilié les marchés de maîtrise d''uvre.

La société Cabinet Bernard Leibenguth précise que les SCCV sont dissoutes lorsque les opérations sont réalisées, ce qui confirme qu'elle avait bien achevé sa mission et que ses honoraires devaient être réglés.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 29 septembre 2021, M. [S] [Z], la société Copral et la société T2P sollicitent le rejet de l'appel de la société Cabinet Bernard Leibenguth ainsi que de l'intégralité de ses conclusions et, en conséquence, la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et la condamnation de l'appelante aux entiers frais et dépens d'appel ainsi qu'à leur payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la mise en cause de la responsabilité du liquidateur amiable de la SCCV Résidence Cybèle, les intimés contestent tout manquement de la part de ce dernier, soulignant que les opérations de liquidation amiable de cette société ont duré près d'un an, délai pendant lequel, alors que sa créance était contestée, la société Cabinet Bernard Leibenguth n'a pas tenté de la faire valider par le juge compétent, n'ayant introduit l'instance qu'en mars 2019, après sa radiation du tableau de l'ordre des architectes. Or la dissolution amiable de la SCCV Résidence Cybèle avait été publiée le 27 août 2017.

5

Soulignant que la responsabilité personnelle d'un liquidateur amiable ne peut être recherchée que pour une perte de chance d'obtenir le paiement de sa créance par la société liquidée, les intimés contestent la créance invoquée par l'appelante, au motif que :

- au vu des seules prestations non réalisées et des préjudices causés au maître de l'ouvrage par les manquements imputables au maître d''uvre, les honoraires de ce dernier étaient soldés ; en effet, la réception des travaux a été constamment reportée en raison de la défaillance du maître d''uvre et de nombreux travaux réalisés ne respectaient pas les règles d'accessibilité applicables, d'après les nombreux avis défavorables émis concernant les différents marchés de travaux par le bureau d'études techniques,

- les travaux n'ont pas été réceptionnés le 26 avril 2017 et les réserves n'ont pas été levées au plus tard le 13 juillet 2017, le maître de l'ouvrage n'ayant jamais été convoqué aux opérations de réception, ni pour le 26 avril, ni pour le 12 décembre 2017, la SCCV ayant dû elle-même mettre en demeure les entrepreneurs d'achever l'ouvrage et résilier le contrat de maîtrise d''uvre d'exécution aux torts exclusifs de la société Cabinet Bernard Leibenguth, qui a abandonné le chantier,

- l'appelante se prévaut de mises en demeure pour le paiement d'honoraires qui n'ont été facturés que postérieurement à ces dernières, le 18 juillet 2018,

- la société Cabinet Bernard Leibenguth était en réalité redevable à l'égard du maître de l'ouvrage au regard des prestations non exécutées et le principe même de sa créance n'est toujours pas établi,

- les allégations de l'appelante relatives à une demande de la SCCV ayant fait suite à un dégât des eaux du 20 mai 2017 ne visent qu'à jeter le discrédit sur le liquidateur amiable de cette dernière.

Sur la demande dirigée contre les associés de la SCCV, les intimés reprennent les motifs du jugement déféré quant à la nécessité de disposer d'un titre contre cette dernière afin de poursuivre le paiement des dettes sociales contre les associés.

Au surplus, ils soutiennent que la créance supposée de l'appelante est injustifiée en son principe.

Enfin, sur les dommages-intérêts sollicités par la société Cabinet Bernard Leibenguth, les intimés font valoir que cette dernière ne développe aucun moyen à l'appui de cette demande, invoquant tout au plus une résistance abusive et, s'agissant du trouble de trésorerie, ne démontrant nullement que soient remplies les conditions de mise en 'uvre de leur responsabilité civile.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

Il convient d'observer que la société Cabinet Bernard Leibenguth présente ses demandes à la fois contre M. [S] [Z] et contre les sociétés associées de la SCCV Résidence Cybèle, sans que l'une d'elles soit présentée à titre principal ou subsidiaire, alors que toutes tendent au recouvrement du solde de ses honoraires qu'il soutient lui être dû. Il sera statué en premier lieu sur sa demande présentée à l'encontre des associées, puis sur celle dirigée contre le liquidateur amiable de la SCCV.

I ' Sur les demandes de la société Cabinet Bernard Leibenguth dirigée contre les associées de la SCCV Résidence Cybèle

En application de l'article L. 211-2 du code de la construction et de l'habitation, les associés des sociétés civiles de construction constituées en vue de la vente d'immeubles sont tenus du passif social sur tous leurs biens à proportion de leurs droits sociaux.

6

Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après mise en demeure adressée à la société et restée infructueuse.

Cependant, ces dispositions n'enlèvent rien au caractère subsidiaire de la responsabilité des associés à celle de la société elle-même et n'ont donc pas pour effet de dispenser les créanciers de la société de l'obtention préalable d'un titre à l'égard de cette dernière, afin de pouvoir poursuivre valablement les associés.

Il en résulte que, la société Cabinet Bernard Leibenguth n'ayant pas régulièrement obtenu de titre à l'encontre de la SCCV, préalablement à son action à l'encontre des associées de cette dernière, en paiement de la créance dont elle se prévaut à l'égard de cette société civile, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de cette créance dirigée contre la société Copral et la société T2P.

II ' Sur la demande de dommages et intérêts à l'encontre du liquidateur amiable de la SCCV

En application des dispositions de l'article L.237-12 du code de commerce, le liquidateur est responsable à l'égard, tant de la société que des tiers des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l'exercice de ses fonctions.

Il résulte d'une jurisprudence constante en application de ce texte légal que la liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif, les créances litigieuses devant, jusqu'au terme des procédures en cours, être garanties par une provision, et qu'en l'absence d'actif social suffisant pour répondre du montant des condamnations éventuellement prononcées à l'encontre de la société, il lui appartient de différer la clôture de la liquidation et de solliciter, le cas échéant, l'ouverture d'une procédure collective contre la société.

Cette jurisprudence n'exclut pas toutefois une faute du liquidateur amiable préalablement à la saisine de la juridiction elle-même par le créancier, dès lors que ce liquidateur amiable a connaissance de l'existence d'une créance à l'égard de la société en liquidation, dont le paiement lui a été réclamé, son titulaire ayant déjà accompli les démarches préalables à la saisine de la juridiction s'imposant à lui, afin d'en obtenir le recouvrement.

Tel était le cas, précisément, lors de la saisine du conseil régional de l'ordre des architectes par la société Cabinet Bernard Leibenguth en vue d'une conciliation, préalable imposé à la saisine du tribunal en vue d'obtenir la condamnation de la SCCV Résidence Cybèle au règlement de ses honoraires impayés, qu'elle lui avait réclamés à plusieurs reprises, y compris par l'intermédiaire de son conseil. Cette créance doit donc être considérée comme étant une créance litigieuse.

De plus, il doit être souligné que la liquidation amiable de la SCCV avait été ouverte avant même la réception des travaux réalisés pour la construction de l'ensemble immobilier, de façon particulièrement hâtive, et qu'elle a été clôturée le 4 mai 2018, dans les jours qui ont suivi la réception de la convocation pour la tentative de conciliation envoyée le 25 avril 2018 par le conseil régional de l'ordre des architectes saisi par la société Cabinet Bernard Leibenguth.

De plus, alors que la liquidation avait été ouverte le 30 juin 2017, différents courriels adressés par la SCCV à la société Cabinet Bernard Leibenguth en août 2017, notamment dans le cadre de leurs échanges relatifs à l'achèvement et à la réception des travaux, ont été signés par M. [S] [Z] sous la dénomination « pour les cogérants, l'un d'eux », alors qu'il n'avait plus cette qualité, mais celle de liquidateur amiable de la société, qu'il n'a jamais fait apparaître.

7

En effet, il a signé d'autres courriels « le maître de l'ouvrage » et c'est en cette seule qualité qu'il a signé la lettre recommandée avec avis de réception du 16 janvier 2018, par laquelle il a résilié le contrat de maîtrise d''uvre conclu entre la SCCV et la société Cabinet Bernard Leibenguth. En revanche, c'est en invoquant à nouveau la qualité de co-gérant de la SCCV qu'il a signé la lettre à la société Cabinet Bernard Leibenguth du 14 mars 2018 contenant les explications et reprenant divers reproches adressés successivement au maître d''uvre, concernant les difficultés à procéder à une réception des travaux à la date initialement prévue, du fait d'un trop grand nombre de non-conformités et malfaçons.

Si M. [S] [Z] a signé les procès-verbaux de réception des 25 lots, le 5 février 2018, en sa qualité d'architecte « en substitution du maître d'oeuvre d'exécution défaillant, Cabinet Bernard Leibenguth », ces procès-verbaux de réception ont été signés par le maître de l'ouvrage, la SCCV Résidence Cybèle, représentée par « l'un de ses co-gérants », dont la signature est distincte de celle de M. [S] [Z], et non pas par lui-même, son liquidateur amiable, qui seul avait qualité pour la représenter à cette date.

Ainsi, alors que M. [S] [Z] savait parfaitement qu'il ne pouvait plus se prévaloir de la qualité de cogérant de la SCCV, mais uniquement de celle de liquidateur amiable de cette société, il a sciemment, en dissimulant qu'il agissait en cette dernière qualité, dissimulé par là-même la liquidation en cours au représentant de la société Cabinet Bernard Leibenguth.

Cette dissimulation volontaire, associée à la hâte à clôturer les opérations de liquidation amiable dès la réception de la convocation du conseil régional de l'ordre des architectes pour la tentative de conciliation, constituent une faute de M. [S] [Z], alors qu'ayant connaissance de la créance réclamée par la société Cabinet Bernard Leibenguth, il devait différer la clôture de cette liquidation amiable et provisionner le montant de cette créance ou, à défaut des fonds nécessaires pour cela, provoquer l'ouverture d'une liquidation judiciaire de la SCCV.

Cette faute a fait perdre à la société Cabinet Bernard Leibenguth une chance de recouvrer sa créance de solde d'honoraires à l'égard de la SCCV et c'est cette perte de chance, ainsi que l'évoque M. [S] [Z], qui constitue le préjudice de l'appelante.

S'agissant de cette perte de chance, M. [S] [Z] ne soutient et ne démontre pas que la SCCV ne disposait pas des fonds nécessaires au paiement de cette créance.

Les échanges entre les parties ainsi que le compte rendu de la tentative de conciliation du conseiller rapporteur du conseil régional de l'ordre des architectes daté du 2 août 2018, ayant fait suite à la réunion du 1er juin 2018, font apparaître que la SCCV allait certainement se prévaloir d'une créance réciproque à l'encontre de la société Cabinet Bernard Leibenguth, à laquelle elle contestait devoir encore la moindre somme, et qu'elle allait solliciter à tout le moins une compensation entre les créances respectives des parties.

Par sa lettre recommandée avec avis de réception du 16 janvier 2018, elle avait en effet résilié unilatéralement le contrat de maîtrise d'oeuvre du 6 janvier 2016, se plaignant de malfaçons dans les travaux réalisés et de manquements du maître d'oeuvre dans l'accomplissement de sa mission.

Dans une lettre recommandée avec avis de réception du 20 août 2018, son conseil invoquait un trop perçu d'honoraires par la société Cabinet Bernard Leibenguth, d'un montant de 6 948 euros TTC, soutenant que les honoraires versés, de 53 190 euros HT, étaient supérieurs aux prestations accomplies. Cependant, au vu des pièces produites, il n'est pas démontré que les paiements effectués aient excédé la somme de 42 390 euros HT.

8

En résiliant unilatéralement le contrat de maître d'oeuvre le 16 janvier 2018, la SCCV en avait retiré, selon ses termes, les prestations relatives à la réception des travaux des entreprises (AOR), à la levée des réserves après réception (LR) et à la fin de l'année de parfait achèvement. Elle a procédé elle-même, le 5 février 2018, sans l'assistance de la société Cabinet Bernard Leibenguth, à la réception des travaux des différents lots, celle-ci ayant été prononcée sans réserve, à l'exception de 3 lots (n°6, 11 et 21).

L'appelante soutient que la livraison a eu lieu en mai 2017 et aucun des échanges entre les parties ne fait apparaître un quelconque retard à ce titre. Les seules difficultés entre les parties ont porté sur la réception des travaux, réalisée plusieurs mois après la livraison des appartements.

A ce titre, la société Cabinet Bernard Leibenguth produit les procès-verbaux de réception des 25 lots préparés pour être signés en mars 2017 pour certains, en avril 2017 pour d'autres, avec ou sans réserve. Tous sont signés par elle, certains également par l'entrepreneur titulaire du lot, aucun d'eux n'ayant été signé par le maître de l'ouvrage.

La société Cabinet Bernard Leibenguth et la SCCV se sont reprochées réciproquement l'impossibilité de procéder à la réception des travaux, la première ayant notamment reproché à la seconde de lui avoir fait convoquer à deux reprises les entrepreneurs pour la réunion de réception des travaux sans se présenter finalement à aucune d'entre elles, et la seconde ayant reproché au maître d'oeuvre un report constant de la réception en raison de sa défaillance. M. [S] [Z] conteste toute convocation pour la réception d'avril 2017, étant observé que la société Cabinet Bernard Leibenguth ne justifie pas de cette convocation. Les procès-verbaux de réception que cette dernière avait alors préparés, à l'exception de ceux des lots 14 et 15, non complétés, mentionnaient des réserves pour 14 lots sur les 23 autres, ce qui tend à démontrer que, comme le maître de l'ouvrage le soutenait dans leurs échanges, les travaux n'étaient pas prêts à être réceptionnés à cette période.

L'appelante soutient que la réception prévue le 27 juin 2017 n'a pu avoir lieu du fait de la carence du maître de l'ouvrage alors que, dans sa lettre recommandée du 14 mars 2018, la SCCV lui a reproché l'impossibilité d'avoir pu procéder à la réception à cette date en raison du trop grand nombre de non-conformités et malfaçons. Par un courriel du 19 juin 2017, le maître de l'ouvrage réclamait à la société Cabinet Bernard Leibenguth différents documents, dont il précisait qu'ils avaient déjà été demandés depuis avril, l'informant que, dans le cas où le dossier ne serait pas complet, il refuserait la réception à cette date.

En outre, l'appelante ne prouve pas que toutes les réserves ont été levées au plus tard le 13 juillet 2017, comme elle l'allègue, alors que M. [S] [Z] justifie d'une réception du 5 février 2018 assortie de réserves concernant trois lots. En revanche, il n'est nullement démontré que les travaux aient été assortis de malfaçons.

De plus, il est exact qu'après avoir mentionné divers avis défavorables dans une attestation de vérification de l'accessibilité aux personnes handicapées du 6 juin 2017, la société Qualiconsult, organisme de contrôle technique, a, dans son rapport final du 26 juin 2017, repris un certain nombre de ces avis défavorables, concernant notamment des poignées et serrures de portes, des nez de marche et des contremarches, et sollicité de nombreux documents concernant la sécurité incendie, le contrôle de la charpente, des chapes, les conduits et gaines, l'électricité, l'étanchéité... Il n'est pas précisé par les parties si tous les documents réclamés ont été transmis par le maître d''uvre et dans quel délai.

Par un courriel du 11 septembre 2017, la SCCV a réclamé à la société Cabinet Bernard Leibenguth un projet d'intervention concernant les travaux à réaliser, lui reprochant de ne pas être intervenue sur le chantier depuis deux mois. Le 2 octobre 2017, elle lui a réclamé divers documents, évoquant les réserves émises par la société Qualiconsult. Le maître d'oeuvre ne fournit aucune explication sur ce point.

9

Il apparaît que la SCCV a résilié le contrat la liant à la société Cabinet Bernard Leibenguth en janvier 2018 alors qu'un différend avait eu lieu concernant la réunion de réception du 12 décembre 2017, pour laquelle le maître d''uvre affirme avoir convoqué en vain les entreprises, et qu'elle-même avait sollicité le report, à nouveau, de cette réception en janvier. Il est exact que la SCCV paraît, début décembre 2017, s'être adressée à certaines entreprises pour réclamer la réalisation de travaux « palliatifs » avant la réunion de réception du 12 décembre 2017, la société Cabinet Bernard Leibenguth semblant avoir, pour sa part, adressé elle aussi des demandes à certaines entreprises aux fins d'effectuer les travaux correspondant aux remarques précédemment faites.

Si certains griefs de la SCCV concernant des manques de diligences du maître d'oeuvre étaient susceptibles d'être caractérisés, il lui restait à justifier du préjudice qui en était résulté, en l'absence de retard de livraison, et le bienfondé de sa résiliation unilatérale du contrat n'allait pas être nécessairement reconnu.

Cependant, même en l'absence d'une telle reconnaissance, il n'apparaît pas que l'appelante pouvait prétendre au paiement des prestations non effectuées, au vu des termes du contrat de maîtrise d'oeuvre. Or, le solde d'honoraires réclamé inclut l'ensemble des prestations prévues au contrat, à l'exception de la prestation « parfait achèvement ».

Dès lors, le préjudice relatif à la perte de chance de recouvrer le montant des honoraires réclamé par la société Cabinet Bernard Leibenguth doit être évalué à 7 800 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit à compter du 12 mars 2019.

III ' Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et trouble de trésorerie

Le caractère abusif de la résistance au paiement des honoraires réclamés par la société Cabinet Bernard Leibenguth est constitué s'agissant de M. [S] [Z] seulement, au vu de la faute retenue à son encontre, qui a tendu explicitement à soustraire la SCCV dont il était liquidateur amiable après avoir été son co-gérant, à ce règlement. L'attitude qui a été la sienne n'a pas changé durant la procédure.

Le préjudice relatif au trouble de trésorerie qui en est résulté pour l'appelante, incontestable au vu du temps écoulé, est cependant largement inférieur au montant réclamé, dans la mesure où le solde d'honoraires auquel elle pouvait prétendre était lui-même moins élevé que ce qu'elle a soutenu. C'est pourquoi, s'il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté cette demande à l'encontre de M. [S] [Z], ce dernier sera condamné au paiement d'un montant de 1 000 euros à ce titre.

En revanche, la demande principale dirigée contre les associées de la SCCV Résidence Cybèle étant infondée, il en est de même de la demande d'indemnisation pour résistance abusive. Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il l'a rejetée.

IV - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant partiellement infirmé en ses dispositions relatives aux demandes dirigées contre M. [S] [Z], il le sera également en celles relatives aux dépens et, à son égard seulement, en celles relatives aux frais non compris dans les dépens engagés en première instance.

10

Dans la mesure où la demande de la société Cabinet Bernard Leibenguth à l'encontre de M. [S] [Z] est accueillie, même partiellement, ce dernier sera condamné aux dépens de l'instance principale, s'agissant de ceux de la première instance, et à ceux de l'appel, et il conservera la charge des frais non compris dans les dépens qu'il a engagés en première instance et en appel.

Pour les mêmes motifs, il sera fait droit à la demande de la société Cabinet Bernard Leibenguth dirigée contre lui, au titre des frais exclus des dépens, à hauteur de 1 500 euros pour ceux qu'elle a engagés en première instance, et du même montant pour ceux qu'elle a engagés en appel.

En revanche, les demandes principales de l'appelante dirigées contre les sociétés Copral et T2P étant rejetées, il en sera de même de celle fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Cependant, au vu des circonstances particulières de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés en appel et leur demande présentée à ce titre contre la société Cabinet Bernard Leibenguth sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera donc rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt rendu contradictoirement, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Colmar le 18 mars 2021 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Cabinet Bernard Leibenguth dirigées contre M. [S] [Z], y compris celle fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il a fait droit à la demande de ce dernier présentée sur le même fondement, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens, et CONFIRME le dit jugement en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et ajoutant au dit jugement :

CONDAMNE M. [S] [Z] à payer à la société Cabinet Bernard Leibenguth la somme de 7 800,00 euros (sept mille huit cents euros) avec intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2019,

CONDAMNE M. [S] [Z] à payer à la société Cabinet Bernard Leibenguth la somme de 1 000,00 euros (mille euros),

CONDAMNE M. [S] [Z] aux dépens de la première instance et aux dépens d'appel,

REJETTE la demande de M. [S] [Z] présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [S] [Z] à payer à la société Cabinet Bernard Leibenguth la somme de 1 500,00 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en première instance,

11

CONDAMNE M. [S] [Z] à payer à la société Cabinet Bernard Leibenguth la somme de 1 500,00 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en appel,

REJETTE les demandes présentées par la société Cabinet Bernard Leibenguth contre la SARL Copra et la SARL T2P sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en appel.

REJETTE la demande présentée par la SARL Copra et la SARL T2P sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elles ont engagés en appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/01842
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.01842 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award