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16/05/2023 | FRANCE | N°21/02513

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 16 mai 2023, 21/02513


CKD/KG





MINUTE N° 23/475





















































Copie exécutoire

aux avocats



Copie à Pôle emploi

Grand Est



le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 16 MAI 2023



Numéro d'insc

ription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02513

N° Portalis DBVW-V-B7F-HS23



Décision déférée à la Cour : 17 Mai 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG



APPELANTE :



S.A.S. BM ALSACE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Philippe GA...

CKD/KG

MINUTE N° 23/475

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 16 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02513

N° Portalis DBVW-V-B7F-HS23

Décision déférée à la Cour : 17 Mai 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG

APPELANTE :

S.A.S. BM ALSACE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Philippe GAUTIER, avocat au barreau de LYON

INTIME :

Monsieur [C] [F]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Audrey ZAHM FORMERY, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [C] [F], né le 7 février 1960, a été embauché par la société Schuhler et Nestra, aux droits de laquelle vient la SAS Bourgey Montreuil Alsace (ci-après la société «'BM Alsace'») appartenant au groupe Géodis, selon contrat de travail à durée indéterminée entré en vigueur le 21 novembre 1994, au poste de responsable d'entrepôt.

Le salarié occupait en dernier lieu le poste de responsable logistique, coefficient 165 M, groupe 3 de la classification de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport. Il percevait une rémunération brute mensuelle de 3.088,71 euros.

Monsieur [C] [F] a connu d'importantes difficultés de santé et a subi une opération cardiaque entraînant un arrêt maladie à compter du 20 février 2014.

A son retour, il a été affecté auprès du client Difac, lequel a été perdu par la société BM Alsace en début d'année 2017.

Par avis du 31 janvier 2018, le médecin du travail a déclaré Monsieur [C] [F] apte à son poste de travail avec propositions de mesures individuelles d'aménagement du poste. Plusieurs propositions de postes ont été formulées par l'employeur au salarié.

Par courriel du 29 mars 2018, Monsieur [C] [F] a fait part de son incompréhension quant au déclin de ses responsabilités auprès de la direction.

Il a été placé en arrêt maladie à compter du 10 avril 2018.

Par courrier du 12 avril 2018, le conseil du salarié a dénoncé auprès de l'employeur une situation de harcèlement moral constituée par le défaut de fourniture de travail.

A l'issue d'une visite de pré-reprise du 08 août 2018, le médecin du travail a informé l'employeur que l'état de santé de Monsieur [C] [F] nécessitait les adaptations suivantes': travailler dans un milieu serin avec un autre supérieur hiérarchique, avoir des tâches précises, ne pas avoir d'impératifs de délais, avoir des priorités claires, et éviter les situations génératrices de stress.

Le 15 octobre 2018, le médecin du travail a déclaré Monsieur [C] [F] inapte à son poste de responsable logistique, avec des indications relatives au reclassement identiques à celles formulées le 08 août 2018, et ajoutant que le salarié pourrait occuper un poste similaire dans une autre entreprise, et qu'il peut bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

Par lettre en date du 20 novembre 2018, l'employeur a formulé trois propositions de reclassement qui ont été refusées par le salarié.

Par courrier du 04 décembre 2018, Monsieur [C] [F] a été convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement fixé au 18 décembre 2018.

Par courrier recommandé du 21 décembre 2018, la SAS BM Alsace a notifié à Monsieur [C] [F] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 19 mars 2019, Monsieur [C] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg aux fins de prononcer la nullité de son licenciement en raison du harcèlement moral, et d'obtenir diverses sommes à titre de dommages et intérêts, et de nature indemnitaire, afférentes à l'exécution, et à la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 17 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Strasbourg a':

- dit et jugé que Monsieur [C] [F] a été victime de harcèlement moral,

- dit et jugé que l'inaptitude a pour origine ce harcèlement moral,

- dit et jugé que le licenciement est nul,

- condamné la société Géodis à payer à Monsieur [C] [F] les sommes de :

* 37.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 22.840,41 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement,

* 6.177,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 617,74 euros au titre de l'indemnité de congés sur préavis,

* 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les deux parties de leurs autres demandes,

- condamné la société Géodis aux entiers frais et dépens.

La SAS BM Alsace a le 26 mai 2021 interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Dans ses conclusions d'appel transmises au greffe par voie électronique le 20 août 2021, la SAS BM Alsace demande à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement,

- constater que Monsieur [C] [F] n'a subi aucun agissement de harcèlement moral,

- constater que la société BM Alsace a satisfait à ses obligations de prévention et de reclassement,

- constater que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter Monsieur [C] [F] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2021, Monsieur [C] [F] demande à la cour de':

Sur l'appel principal,

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Géodis à lui payer la somme de 37.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Sur l'appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il a limité les dommages et intérêts à la somme de 37.000 euros,

- condamner la société BM Alsace à lui verser la somme de 46.330,65 euros au titre de dommages et intérêts,

A titre subsidiaire, si la nullité du jugement n'était pas retenue,

- dire et juger que son inaptitude est due aux manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat,

- dire et juger que la société BM Alsace n'a pas satisfait à son obligation de reclassement,

- dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société BM Alsace à lui verser la somme de 46.330,65 euros au titre de dommages et intérêts,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour ne devait pas requalifier son licenciement en licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse :

- dire et juger que les agissements de la société BM Alsace sont constitutifs de harcèlement moral, à tout le moins de manquements à son obligation de sécurité de résultat,

- la condamner à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de dommages et intérêts,

- dire et juger que la société BM Alsace avait connaissance, ou ne pouvait raisonnablement ignorer l'origine professionnelle de son inaptitude,

- condamner la société BM Alsace à lui verser les sommes de :

* 22.840.41 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement,

* 6.177,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 617,74 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

En tout état de cause,

- condamner la société BM Alsace à lui payer une indemnité de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre la condamnation aux frais de procédure de première instance, ainsi qu'en tous les frais et dépens de la procédure, y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution forcée par voie d'huissier.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 05 janvier 2022.

Il est, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties, renvoyé aux conclusions ci-dessus visées.

MOTIFS

I. Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient à la cour d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits.

Les faits invoqués par la salariée étant postérieurs à la loi du 08 août 2016, il lui appartient de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Dans l'affirmative, il revient à la cour d'apprécier si l'employeur prouve que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Monsieur [C] [F] explique qu'il a été victime d'un harcèlement moral en subissant une «'mise au placard'» depuis l'année 2017.

L'intimé précise que, suite à un nouvel appel d'offres émis par le client Difac qui a été perdu par la société BM Alsace en janvier 2017, il a bénéficié d'un bureau dans l'entrepôt réservé pour ce client sans pour autant qu'un autre projet ne lui ait été confié, qu'il a été amené à travailler uniquement 15 minutes par jour jusqu'au mois de janvier 2018, période à partir de laquelle plus aucune tâche ne lui aurait été attribuée.

De plus, il indique que ses prérogatives lui ont été progressivement retirées'; à cet égard, il fait valoir qu'il a été écarté des échanges de mails avec les clients, qu'il a été privé d'accès aux fichiers internes de l'entreprise, et qu'il a été prié de libérer son bureau en décembre 2017 avant son départ en congé.

Pour caractériser l'existence d'un harcèlement moral, il fait encore état des éléments suivants :

- l'employeur ne lui fournissait aucun travail et se contentait de lui suggérer de récupérer ses 250 heures supplémentaires,

l- a société n'a pas répondu à ses courriers et e-mails d'alerte,

- sa santé physique a décliné au point d'être placé en arrêt de travail à compter du 10 avril 2018 en raison d'un état dépressif réactionnel sans rapport avec ses faiblesses cardiovasculaires.

Le salarié produit un courriel envoyé le 14 novembre 2016 par Madame [J] [D], manager général de Géodis [Localité 5], au directeur administratif et financier de la société Difac. Dans sa correspondance, Madame [D] indiquait notamment attendre les conditions de reprise des moyens humains alloués à la réalisation des prestations pour la société Difac.

Monsieur [C] [F] verse également aux débats le témoignage de Monsieur [L] [P], conducteur routier travaillant sur le site de [Localité 5], qui atteste de l'enlèvement du bureau de Monsieur [C] [F], ainsi que de son matériel informatique, fait qui est au demeurant accrédité par des photographies montrant du matériel de bureau inutilisé, filmé et stocké sur une palette dans un entrepôt (pièce n°30 de l'intimé).

D'autres attestations font ressortir, de manière concordante, que le salarié a été installé en salle de pause à la machine à café depuis le mois de janvier 2018 (pièces n°16 à 18 de l'intimé).

Il est, par ailleurs, établi que le salarié avait alerté sa hiérarchie sur la souffrance au travail dont il s'estimait victime.

En effet, Monsieur [C] [F] avait adressé à ses supérieurs hiérarchiques un courriel en date du 29 mars 2018 (pièce n°3 de l'intimé) dans les termes suivants': «'Nous avons perdu le client DIFAC après un appel d'offre en janvier 2017. Depuis le départ de de client je me rends compte que c'est le déclin par rapport à mes responsabilités. En effet aujourd'hui on me fait comprendre qu'il n'y a plus de travail pour moi' Pourquoi'' Je ne comprends pas pourquoi je ne suis plus convié aux réunions clients et aux réunions mangement ces derniers mois alors que cela était toujours le cas auparavant. (') Je passe aujourd'hui mes journées de travail au réfectoire assis devant la machine à café et personne ne s'en inquiète même pas les responsables'Je n'existe plus'!'(') Je suis arrivé à un stade où je ne tiens plus le coup et j'arrive au bout du rouleau. Je ne comprends pas pourquoi la direction continuer à m'ignorer et me met au placard'je n'en peux plus'».

L'état dépressif de Monsieur [C] [F] a été médicalement constaté le 10 avril 2018 et confirmé par le docteur [X], spécialiste en psychiatrie, durant l'année 2018.

Monsieur [C] [F] se réfère en outre à l'expertise réalisée par le Professeur [E], et le docteur [V] dans le cadre de l'instruction de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle du 7 septembre 2018. Il s'évince de ce document, d'une part qu'un lien peut être établi entre la survenue de sa pathologie et les conditions de travail décrites par le salarié et, d'autre part, qu'il n'existe pas d'autre facteur extra-professionnel ayant pu participer à la survenue de son état anxio-dépressif.

Il résulte des développements qui précèdent que les éléments présentés par le salarié, à l'exception de la mise à l'écart par l'un de ses collaborateurs dont les circonstances sont insuffisamment précises, apparaissent matériellement établis.

Pris dans leur ensemble, ils font présumer l'existence d'un harcèlement moral au préjudice de Monsieur [C] [F].

***

La société BM Alsace ne fait état d'aucun élément objectif pour expliquer la situation du salarié à compter du mois de janvier 2017.

La cour constate en effet que la société appelante ne conteste pas le maintien de Monsieur [C] [F] sur le site consacré à l'exécution des prestations pour le compte de la société Difac jusqu'à la fin de l'année 2017, celle-ci se bornant à indiquer que divers travaux ont été confiés au salarié sans toutefois les détailler, ni en justifier.

De plus, si la SAS BM Alsace considère que la perte de contrat avec la société Difac, l'absence de reprise du salarié et le défaut de poste vacant pour satisfaire les attentes professionnelles de Monsieur [C] [F] constituent des paramètres qu'elle ne maitrisait pas, et qui selon elle ne sauraient revêtir la qualification d'agissement de harcèlement moral, elle ne contredit pas le salarié en ce qu'il indique avoir été affecté dans la salle de pause à compter du mois de janvier 2018.

Quand bien même l'employeur a soumis plusieurs propositions de postes conformes à l'avis d'aptitude émis par le médecin du travail le 31 janvier 2018, la direction n'a répondu à aucun des trois courriers rédigés par le conseil du salarié en date des 12 avril, 23 août et 16 novembre 2018.

En outre, bien que l'employeur considère, sur la base de l'avis d'inaptitude rendu le 15 octobre 2018, que la fragilité médicale de Monsieur [C] [F] ne résulte pas d'un manque d'activité mais de sa pathologie cardiaque, le médecin traitant de l'intimé atteste que son patient n'a jamais présenté de syndrome dépressif avant l'épisode actuel depuis sa prise en charge en 1990.

Il ressort par ailleurs des éléments du litige que suite à son triple pontage, le salarié a uniquement été placé en arrêt de travail durant une période de 4 mois à l'issue de laquelle il a été déclaré apte à la reprise de son poste de travail.

Enfin, si l'employeur considère que les conclusions d'expertise dont se prévaut Monsieur [C] [F] sont dénuées d'objectivité en ce qu'elle aurait été effectuée par un praticien choisi par le psychiatre de l'intimé, force est de constater que cette expertise a été réalisée dans le cadre de la demande d'admission du caractère professionnel de la pathologie déclarée à la CPAM par le salarié, mais encore que les conclusions relatives à l'absence d'un autre facteur extra-professionnel ayant pu participer à la survenue de son état anxio-dépressif ont été confirmées par le CRRMP de la région de [Localité 5] dans son avis du 10 septembre 2019 (pièces n°26 et 31 de l'intimé).

Du tout, il appert que la société BM Alsace se contente de contester en vain les éléments versés aux débats sans parvenir à justifier que les agissements dénoncés par Monsieur [C] [F] sont étrangers à une situation de harcèlement moral.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a dit et jugé que Monsieur [C] [F] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur.

I. Sur les conséquences du harcèlement moral sur la rupture du contrat de travail

a. Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude

Il résulte de l'article L.1226-10 du code du travail que les règles applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Ces deux conditions sont cumulatives.

Il appartient donc au juge de vérifier si l'inaptitude du salarié à son poste a, au moins partiellement, une origine professionnelle, c'est-à-dire qu'il y a un lien de causalité entre l'accident du travail, ou la maladie professionnelle et l'inaptitude, lequel ne peut se limiter aux décisions des organismes sociaux, ni aux mentions de l'avis du médecin du travail, ou à celles de l'employeur.

En l'espèce, eu égard au courriel d'alerte adressé par Monsieur [C] [F] à sa hiérarchie le 29 mars 2018, aux courriers envoyés à la direction par son conseil en date des 12 avril, 23 août et 16 novembre 2018, aux recommandations formulées par le médecin du travail à l'issue de la visite de pré-reprise du 08 août 2018 conditionnant notamment la reprise à un changement de hiérarchie directe, et une précision des tâches, et à la déclaration de maladie professionnelle complétée par le salarié le 07 septembre 2018, les premiers juges ont exactement considéré que l'inaptitude de Monsieur [C] [F] à son poste de travail a, au moins partiellement, une origine professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Enfin selon l'article L.1226-14, alinéa premier, du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L.1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L.1234-9.

Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à verser à Monsieur [C] [F] les sommes de 22.840,41 euros à titre de reliquat d'indemnité de licenciement, 6.177,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 617,74 euros au titre de l'indemnité de congés sur préavis.

Il convient cependant de préciser que les condamnations prononcées par le conseil de prud'hommes à l'encontre de la société «'Géodis'» concernent en réalité la SAS BM Alsace, seule partie à l'instance.

b. Sur la nullité du licenciement

L'article L.1152-3 du code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Il résulte des dispositions de l'article L.1235-3-1 du même code que l'article L.1235-3 relatif au barème d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité afférente à des faits de harcèlement moral.

Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail, ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Il convient de relever que cette indemnité n'est pas fixée en considération d'un salaire moyen, mais selon un plancher égal aux salaires des six derniers mois.

Ainsi, au visa de l'article L.1235-3-1 du code du travail, et compte-tenu notamment de l'âge du salarié (58 ans), de son ancienneté (23 ans) au moment de la rupture, du suivi psychiatrique du salarié postérieurement à son licenciement, et de la perception d'allocation de retour à l'emploi en 2019 et en 2020, avant la liquidation de sa pension de retraite, il convient d'infirmer le jugement sur le montant fixé à titre de dommages et intérêts pour la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul, la somme de 42.000 euros réparant plus justement le préjudice subi.

La cour rappelle que les montants alloués à titre d'indemnité compensatrice de préavis, à titre de congés payés sur préavis, et à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul s'entendent en brut, et que la somme accordée à titre d'indemnité légale de licenciement est prononcée en net.

II. Sur le remboursement des indemnités Pôle Emploi

Aux termes de l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1132-4, L.1134-4, L.1144-3, L.1152-3, L.1152-4, L.1235-3, et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées, ce qui est le cas en l'espèce.

Il conviendra en conséquence d'ordonner le remboursement des indemnités éventuellement versées à Monsieur [C] [F] dans la limite de quatre mois.

III. Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris doit être confirmé s'agissant des frais et dépens de la première instance.

Compte tenu de l'issue du litige, la SAS BM Alsace, partie qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée réclame une condamnation aux éventuels dépens d'exécution de la décision, y compris les honoraires, et divers droits.

Or la charge des frais d'exécution forcée est régie par les dispositions d'ordre public de l'article L. 111-8 du code de procédure civile d'exécution et qu'il n'appartient pas au juge du fond de statuer par avance sur le sort de ces frais. La cour d'appel ne peut statuer que sur les dépens de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Strasbourg le 17 mai 2021 en toutes ses dispositions, SAUF en ce qu'il condamne la société Géodis à payer à Monsieur [C] [F] la somme de 37.000 euros à titre de dommages et intérêts,

INFIRME le jugement entrepris uniquement sur le chef de jugement non confirmé,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Bourgey Montreuil Alsace à payer à Monsieur [C] [F] la somme de 42.000 euros (quarante-deux mille) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

DIT que les montants alloués à titre d'indemnité compensatrice de préavis et à titre de congés payés sur préavis sont des montants bruts,

DIT que la somme accordée à titre d'indemnité légale de licenciement est une somme nette,

ORDONNE le remboursement par la SAS Bourgey Montreuil Alsace à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Monsieur [C] [F], dans la limite de quatre mois à compter de la rupture,

CONDAMNE la SAS Bourgey Montreuil Alsace à verser à Monsieur [C] [F] une somme de 2.000 euros (deux mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

REJETTE la demande de la SAS Bourgey Montreuil Alsace sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Bourgey Montreuil Alsace aux dépens d'appel';

RAPPELLE que le sort des frais d'exécution forcée est fixé par les dispositions de l'article L. 111-8 du code de procédure civile d'exécution.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre, et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 21/02513
Date de la décision : 16/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-16;21.02513 ?
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