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11/05/2023 | FRANCE | N°21/02010

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 11 mai 2023, 21/02010


MINUTE N° 237/2023





























Copie exécutoire à



- Me Mathilde SEILLE



- la SELARL ACVF ASSOCIES





Le 11 mai 2023



La Greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 11 MAI 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/02010 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HR7

M



Décision déférée à la cour : 12 Mars 2021 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE





APPELANTS et INTIMÉS SUR APPEL INCIDENT :



Madame [G] [C] [P] épouse [Z]

Monsieur [M] [Z]

demeurant tous deux [Adresse 1]



représentés par Me Mathilde SEILLE, Avocat à la ...

MINUTE N° 237/2023

Copie exécutoire à

- Me Mathilde SEILLE

- la SELARL ACVF ASSOCIES

Le 11 mai 2023

La Greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 11 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/02010 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HR7M

Décision déférée à la cour : 12 Mars 2021 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANTS et INTIMÉS SUR APPEL INCIDENT :

Madame [G] [C] [P] épouse [Z]

Monsieur [M] [Z]

demeurant tous deux [Adresse 1]

représentés par Me Mathilde SEILLE, Avocat à la cour

INTIMÉS et APPELANTS SUR APPEL INCIDENT :

Maître [Y] [H], notaire,

exerçant son activité [Adresse 2]

La S.C.P. CLAUDE BAUER ET [Y] [H] prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

représentés par la SELARL ACVF ASSOCIES, Avocats à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Dominique DONATH faisant fonction.

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, Président, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [M] [Z] et Madame [G] [P] épouse [Z] ont envisagé de se porter acquéreurs en viager de plusieurs biens immobiliers appartenant à Monsieur [E] [U] [T], à savoir deux locaux commerciaux loués situés à [Localité 4], un appartement de type studio avec une cave dans l'ensemble immobilier situé [Adresse 7], un autre studio et un appartement comportant deux pièces principales dans un immeuble situé [Adresse 3].

Ce projet s'inscrivait dans un contexte personnel particulier ; en effet les parties étaient liées depuis plus de 35 ans par des liens étroits, M. [E] [U] [T] entretenant une relation de concubinage avec la mère de Mme [Z], de sorte que cette opération avait également vocation à permettre de préparer la succession du vendeur.

À cette fin, les consorts [Z] et Monsieur [T] se sont rendus en l'étude de Me [Y] [H], notaire à Wittenheim exerçant dans la SCP Claude Bauer et [Y] [H], en juin 2016.

Une seconde réunion a été fixée à l'étude de Maître [H] en novembre 2016.

Estimant que maître [H] n'était pas diligent dans le traitement de cette vente en viager projetée, les époux [Z] ont saisi la chambre des notaires d'Alsace le 26 juin 2017.

Un projet d'acte de vente leur a été adressé le 27 juin 2017, peu avant que ne survienne le décès de Monsieur [E] [U] [T] le 7 juillet suivant, sans que l'acte de vente n'ait pu être signé.

Les époux [Z] ont saisi par acte d'huissier du 2 octobre 2018 le tribunal de grande instance de Mulhouse, en faisant assigner Me [H] et la SCP professionnelle Claude Bauer et [Y] [H], notaires associés. Aux termes de leurs dernières écritures, ils sollicitaient la condamnation de Maître [H] à leur payer des sommes de 415 000 euros au titre de leur préjudice et de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tout en demandant à ce que la SCP garantisse solidairement maître [H].

Par jugement en date du 12 mars 2021, tribunal judiciaire de Mulhouse a condamné solidairement maître [Y] [H] et la SCP Claude Bauer et [Y] [H] à payer aux consorts [Z] une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2021, ainsi que de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a estimé que le notaire n'avait pas été diligent, ayant pris du retard dans la réalisation de sa mission. Le juge notait qu'après la réunion de novembre 2016 lors de laquelle Monsieur [T] a confirmé son intention de procéder à la vente en viager litigieuse et transmis un certain nombre de documents, le projet d'acte de vente n'a été transmis aux parties que le 27 juin 2017 malgré plusieurs courriels de relance émanant des époux [Z] qui l'alertaient sur l'urgence de la conclusion de la vente litigieuse.

Le juge notait que l'étude des pièces produites démontrait que le notaire n'avait sollicité des différents syndics les documents nécessaires à la rédaction de l'acte que plusieurs mois après la réunion de novembre 2016, soit à partir de février et mars 2017, et que les retards accumulés ont nécessité une mise à jour de certaines pièces préalablement communiquées, ce qui avait retardé d'autant plus la concrétisation de la rédaction du projet d'acte de vente.

S'agissant de la détermination du préjudice, le juge a estimé que la faute de Maître [H] a privé les consorts [Z] d'une chance d'acquérir à moindre coût, moyennant une vente viagère, les immeubles litigieux et généré une perte de chance de bénéficier, dans une certaine mesure, des fruits de ces immeubles. Les demandeurs ne pouvaient alors solliciter une indemnisation de leur préjudice à hauteur du montant de la valeur vénale des immeubles ou du montant de la perte des loyers escomptés.

Après avoir rappelé les termes de l'article 1975 du code civil et le fait que, pour des motifs tirés du droit commun des contrats, il était possible que l'acte de vente en viager envisagé fasse l'objet d'une nullité car les acquéreurs avaient, au jour de la conclusion de la vente, connaissance de la gravité de l'état de santé du vendeur, ce qui ôte toute caractère aléatoire au contrat, le juge constatait que le décès était survenu seulement huit mois après la seconde réunion tenue chez Maître [H] et que les époux [Z] savaient la gravité de l'état de santé du vendeur, sans quoi ils n'auraient pas relancé à de nombreuses reprises le notaire pour accélérer le processus.

Le tribunal en a déduit que si la vente litigieuse avait été conclue, il existe une forte probabilité qu'elle ait pu être frappée de nullité sur recours de tout tiers y ayant intérêt, en ce compris l'administration fiscale. Toutefois, le tribunal estime que la perspective d'une action en nullité n'était qu'hypothétique de sorte que les requérants subissaient une perte de chance évaluée à 20 000 euros.

Après avoir rappelé les termes de l'article 16 de la loi du 29 novembre 1966 relative aux SCP, selon lesquels la SCP est de droit solidairement responsable, avec son associé, des conséquences dommageables des actes de ce dernier, la juridiction a condamné la SCP solidairement avec Me [H].

Les époux [Z] ont interjeté appel de ce jugement le 12 avril 2021.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 janvier 2022, Monsieur [M] [Z] et Madame [G] [C] [P] épouse [Z] demandent à la cour de :

Sur l'appel principal :

- les déclarer réguliers et bien fondés en leur appel,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse prononcé le 12 mars 2021 sous le numéro RG 18/00569 en ce qu'il limite leur indemnisation à la somme de 20 000 euros et l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 1 000 euros,

Statuant à nouveau,

- condamner solidairement Me [Y] [H] et la SCP Claude Bauer et [Y] [H] à payer aux appelants en réparation du préjudice subi les sommes suivantes :

- perte de chance d'acquérir les biens à hauteur de 235 000 euros,

- perte de chance de percevoir les revenus locatifs générés par les dits biens sur une période de 10 ans, 180 000 euros,

- confirmer le jugement querellé pour le surplus,

Sur l'appel incident

- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes,

En toutes hypotheses,

- condamner solidairement Me [Y] [H] et la SCP [H], outre aux entiers frais et dépens d'appel, à payer aux demandeurs la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les appelants soutiennent que contrairement à ce qui a été retenu par le juge de première instance, la première réunion de juin 2016 n'aurait pas constitué une simple « consultation » ; les appelants estiment que bien au contraire, dès le moment de cette première rencontre Me [H] se serait vu confier la mission de rédiger l'acte.

Les missions aux fins d'établir les diagnostics ont par ailleurs été confiées à la société CLEXPERIMO dès le 12 juillet 2016, les rapports ayant été déposés le 19 juillet 2016, ce qui démontrerait sans conteste que la réunion de juin 2016 n'était pas une simple consultation.

Les époux [Z] soulignent que cette réunion aurait été l'occasion d'évoquer la question du testament de feu [E] [T] aux termes desquels ce dernier a cédé à sa compagne, la mère de l'appelante, l'usufruit de leur appartement mulhousien qu'ils occupaient depuis de nombreuses années.

Les appelants font valoir que dès le mois de novembre 2016 et contrairement à ce qui est soutenu par les intimés, Me [H] disposait de l'ensemble des pièces qu'il avait sollicitées auprès de Mme [Z] et feu [E] [T] en juin 2016. Face à l'inertie du notaire les parties appelantes ont été contraintes de le relancer à plusieurs reprises entre janvier 2017 et juin 2017, soit pendant près de 6 mois, afin de connaître l'état d'avancement du dossier et de le sensibiliser sur la nécessité que la vente puisse se faire dans les plus brefs délais.

Ils ajoutent que le choix de cette étude leur était apparu opportun, car Me [I], auquel les intimés ont succédé, avait été chargé en son temps de la rédaction des actes d'acquisition des biens objets de la vente envisagée, de sorte que l'étude disposait en ses minutes de tous les éléments d'identification des biens objets de la vente.

Le retard pris dans le dossier parait aux appelants d'autant plus incompréhensible que selon les informations obtenues auprès des différents syndics - et comme en attesterait la date portée sur les états datés de NEXITY - l'ensemble des documents sollicités par l'étude notariale lui auraient été adressés dès le mois de mars 2017.

Or, ce n'est qu'en date du 27 juin 2017 soit plus d'un an après s'être vu chargé de sa mission, que Me [H] a adressé le projet d'acte de vente aux époux [Z].

S'agissant du préjudice subi, les appelants critiquent la solution retenue en première instance ; l'appréciation du premier juge serait erronée en ce qu'elle ne tiendrait pas compte de l'ampleur du préjudice réellement subi, soit une perte de chance d'acquérir des biens d'une valeur de 235 000 euros et une perte de chance de percevoir au décès du vendeur les revenus locatifs générés par lesdits biens, lesquels sont estimés sur une période de 10 ans à hauteur de 180 000 euros.

Ils contestent l'argument de l'appauvrissement du vendeur, qui ne résisterait pas à l'analyse du projet d'acte de vente, qui stipulait en page 8 que le vendeur bénéficiait d'une réserve d'usufruit sur l'intégralité du patrimoine cédé. Cette réserve d'usufruit aurait impliqué pour le vendeur la perception de l'intégralité des fruits, donc les loyers.

D'autre part, sur la question de l'existence de l'aléa et le caractère parfait de la vente, les appelants soulignent que les termes du projet auraient été arrêtés sur les conseils « avisés » du notaire ; tant la valorisation des biens que le montant de la rente annuelle ont été définis à partir de ses conseils. Le notaire ne saurait maintenant soutenir que l'acte qu'il a rédigé serait susceptible d'être annulé alors qu'il n'aurait pas même pris la peine d'avertir les parties sur ce risque.

Les intimés ne sauraient davantage soutenir l'argument ' retenu par le tribunal ' selon lequel la sécurité juridique de l'acte aurait pu être remise en cause en raison de la certitude de la mort prochaine du crédit rentier. Les intimés dénatureraient les propos des appelants. Le décès de feu [E] [U] [T] ne trouverait pas sa cause dans une maladie qui préexistait à sa volonté de céder ses biens en viager ; il aurait souffert d'une mauvaise circulation sanguine donnant lieu à des varices et à des difficultés pour se déplacer, les hospitalisations n'étant que les conséquences de ces difficultés de mobilité et des chutes successives.

Aussi, le caractère aléatoire du contrat viager aurait été préservé lorsque les parties ont convenu de procéder de la sorte et se sont rapprochées du notaire pour rédiger l'acte, sauf à supposer qu'une personne âgée de 77 ans ne puisse consentir une vente viagère dès lors que son état de santé lié à son âge se dégrade.

* * *

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 octobre 2021 Me [H] et la SCP Claude [P] et [Y] [H] demandent à la cour de :

' rejeter l'appel principal,

' recevoir l'appel incident et statuant à nouveau infirmer le jugement et débouter les consorts [Z] de l'ensemble de leurs demandes

' condamner les consorts [Z] aux dépens des deux instances et au paiement d'une somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Après avoir rappelé que la responsabilité d'un notaire ne peut être recherchée qu'en application de l'article 1240 du code civil, nécessitant la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité directe, les intimés soutiennent au cas d'espèce qu'il n'y aurait ni faute, ni préjudice.

S'agissant de la faute reprochée au notaire, il ne serait pas possible de retenir une durée anormale dans le traitement du dossier de vente qui n'avait pu aboutir avant le décès de Monsieur [T]. Ce n'est qu'à partir du mois de novembre 2016 que Monsieur [T] aurait confirmé son souhait de procéder à la vente de son patrimoine immobilier en viager au profit des consorts [Z]. Les biens immobiliers étant constitués de lots de copropriétés dans trois résidences, de nombreuses diligences étaient nécessaires auprès des syndics de sorte que du temps était nécessaire pour monter le dossier. Les documents auraient été transférés au fur et à mesure à Me [H] entre le 14 février 2017 et le 16 mars 2017, certains décomptes, devant être actualisés ce qui avait été fait en juin 2017.

Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, cette vente en viager de lots de copropriétés devrait être considérée comme une opération complexe nécessitant la réunion de nombreux documents dont certains n'auraient été fournis qu'au mois de juin 2017. Il y aurait lieu de constater qu'il n'y a pas eu de négligence de la part du notaire, qui devait constituer le dossier avec « la prudence nécessaire » qui ne pourrait aller de pair avec une « précipitation » qui aurait pu apparaître suspecte et lui être reprochée par les héritiers légaux de Monsieur [T].

Aussi conviendrait-il d'infirmer le jugement pour écarter l'existence d'une faute.

En ce qui concerne le préjudice et le lien de causalité, les intimés soutiennent l'absence de préjudice et de lien de cause à effet. Ils expliquent que les appelants n'auraient jamais contesté que l'état de santé de Monsieur [T] s'était dégradé brusquement à la fin de l'année 2016. Or le contrat de viager est un contrat aléatoire qui peut être frappé de nullité dès lors qu'il est établi une absence d'aléa résultant de la certitude de la mort prochaine du crédirentier. En outre, les parties ayant opté pour une absence de bouquet, la faiblesse du nombre de mensualités de rente viagère acquises aurait pu conduire à l'annulation de la vente ou à sa requalification en donation.

Les intimés font référence aux échanges de mails dont la teneur démontrerait que les consorts [Z] avaient connaissance de l'état de santé défaillant de M. [T] et que l'aléa ne pouvait être considéré comme effectif.

En tout état de cause, les notaires soutiennent que plus le décès du crédirentier est rapide plus le contrat est susceptible d'être annulé ou requalifié ; les consorts [Z] ne pourraient alors mettre en compte un préjudice de 415 000 euros correspondant à la perte de valeur du bien et des revenus locatifs générés sur une dizaine d'années.

Enfin les notaires exposent qu'il conviendrait au minimum de déduire de ces montants l'ensemble des frais notariés, droits à payer aux services fiscaux qu'il appartiendrait aux appelants de calculer.

* * *

Par ordonnance du 6 décembre 2022, la présidente de chambre, chargée de la mise en état, a ordonné la clôture de la procédure et renvoyé l'affaire à l'audience du 2 mars 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions transmises aux dates susvisées.

MOTIVATION

1) sur la faute du notaire

La responsabilité d'un notaire peut être recherchée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, qui exige pour sa mise en 'uvre la preuve d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre cette faute et le préjudice. Le notaire peut se voir reprocher une faute s'il n'a pas veillé à l'efficacité de ses actes ou assuré aux parties une information suffisante sur l'opportunité et les conséquences de l'acte instrumenté.

Lorsque les époux [Z] ont envisagé de se porter acquéreurs en viager de plusieurs biens immobiliers appartenant à Monsieur [U] [T], eux-mêmes et ce dernier se sont rapprochés de Maître [Y] [H], notaire à [Localité 8], en juin 2016, l'ayant choisi car l'étude était en possession des anciens actes d'acquisition des biens concernés par ce projet.

En novembre 2016, une seconde réunion avait lieu lors de laquelle Monsieur [T] a confirmé son souhait de vendre en viager ses biens immobiliers au profit des consorts [Z].

Il n'est pas contesté par le notaire que Monsieur [T] lui a transmis au plus tard à cette date l'ensemble des diagnostics portant sur tous ses biens immobiliers.

Le premier juge a estimé à juste titre que ce n'est qu'à la date de ce deuxième entretien en novembre 2016 que l'on peut fixer le point de départ du mandat confié au notaire.

Les appelants estiment que cette date devrait être avancée à celle de la première réunion du mois de juin 2016.

Cependant, à partir du moment où aucun n'écrit n'a été rédigé en juin 2016, il n'est pas démontré qu'à cette première date un mandat a été confié au notaire, et ce d'autant plus que le notaire a pu légitimement laisser un délai de réflexion à M. [T].

En dépit de nombreux courriers de relance émanant des époux [Z] les 11 janvier, 8 mars, 19 avril, 6 et 23 juin 2017, alertant Me [H] de l'urgence de la conclusion de la vente souhaitée, le notaire n'a établi son projet de vente qu'au mois de juin 2017, ce dernier étant daté du 26 juin et étant transmis aux parties le lendemain.

L'examen des documents annexés audit projet du 26 juin 2017, démontre que le notaire a tardé à adresser aux administrations et aux syndics en charge des copropriétés dans lesquelles sont situés les appartements de monsieur [T], les demandes de production des pièces nécessaires en ce sens qu'elles n'ont été formulées qu'au mois de février et mars 2017 (voir même le 23 juin pour un des syndics). En outre il est démontré qu'en dépit des retours rapides, le notaire a attendu fin juin pour établir le projet.

Ainsi concernant :

- les locaux commerciaux de [Localité 4], le certificat d'urbanisme de la Mairie de [Localité 4] daté du 14 février 2017 porte mention d'une demande présentée en date du 13 février 2017 (cf. annexe 18 ), le descriptif GEORISQUES a été édité sur le site du Ministère en date du 15 mars 2017 (annexe 19), l'état de situation des deux lots 44 et 48 demandé en date du 9 février 2017 a été délivré en date du 15 mars 2017 et mis à jour le 22 juin 2017 (annexes 20 et 21), les diagnostics énergétiques ont été établis le 19 juillet 2016 ( annexe 22) ;

- le studio situé [Adresse 7], le certificat d'urbanisme de la Mairie de [Localité 5] daté du 23 février 2017 porte mention d'une demande présentée en date du 16 février 2017 par Me [H] (annexe 24), le descriptif GEORISQUES a été édité sur le site du Ministère en date du 15 mars 2017 (annexe 25), l'état de situation du syndic de copropriété a été demandé le 9 février 2017 et délivré en date du 15 mars puis à nouveau demandé le 23 juin 2017 pour une mise à jour le 23 juin 2017 soit le même jour (annexe 26 et 27), les diagnostics énergétiques ayant été établis le 19 juillet 2016 (annexe 28),

- le studio et l'appartement situés [Adresse 6], le certificat d'urbanisme de la Mairie de [Localité 5] daté du 13 mars 2017 lequel porte mention d'une demande présentée en date du 16 février 2017 par Me [H] (annexe 30), le descriptif GEORISQUES a été édité sur le site du Ministère en date du 15 mars 2017 (annexe 31), l'état de situation du syndic de copropriété demandé en date du 21 juin 2017 a été délivré le même jour (annexe 32 ), les diagnostics énergétiques datant du 19 juillet 2016 (annexe 33).

L'absence de diligences du notaire entre le jour de la seconde rencontre en novembre 2016 et le mois de février 2017 ne peut s'expliquer, et n'est justifiée, par aucun élément de l'affaire ou du contexte.

L'argumentation du notaire selon laquelle des pièces portant sur les biens situés à [Localité 4] auraient dû être réactualisées, sont sans emport car il est établi que l'office notarial disposait antérieurement de ces états qui avaient été adressés le 15 mars 2017, et le besoin de réactualisation trouve sa cause dans le retard pris dans le traitement du dossier, donc dans la faute du notaire.

Il est à noter que le notaire a en outre omis de demander au syndic du bien sis [Adresse 7] les pièces nécessaires, en ce sens que la demande n'a été formulée qu'en date du 21 juin 2017, avant d'être satisfaite le même jour par le syndic (annexe 32).

Il apparait dès lors très clairement que Me [H] n'a pas traité le dossier de cette opération ' qui ne présentait aucunement un caractère complexe car l'ensemble des biens objets de la vente étaient parfaitement identifiés tout comme l'étaient les interlocuteurs qu'il convenait d'interroger ' avant le mois de février 2017 pour ensuite constater en juin 2017 que les états datés en sa possession étaient périmés, et ce alors même que les parties se sont rencontrées en novembre 2016.

Ce délai est d'autant plus anormalement long que le notaire a fait l'objet de nombreuses relances, de sorte que le premier juge a très logiquement estimé qu'un manque de diligence fautif pouvait être reproché à Me [H].

2) sur le préjudice

Le premier juge a estimé que la faute du notaire a privé les consorts [Z] d'une chance de pouvoir acquérir à coût intéressant, moyennant une vente viagère sans bouquet, les biens immobiliers litigieux de Monsieur [T] mais également de bénéficier dans une certaine mesure des fruits de ces immeubles.

Il n'est pas contesté que l'estimation des biens avait été faite à hauteur de 235 000 euros, avec une détermination de la valeur de la rente annuelle à 10 440 euros et de l'impact fiscal à 11 000 euros.

Les circonstances de l'affaire, à savoir un état de santé de Monsieur [T] fragile, des conditions de la vente particulièrement favorables aux consorts [Z] (vente en viager sans bouquet) sont telles qu'une action en justice en vue d'obtenir son annulation était tout à fait envisageable, avec des chances de réussite qui peuvent être qualifiées d'importantes.

Cependant le premier juge a, à juste titre, noté que cette action en justice en nullité de la vente n'était pas une certitude, de sorte que les appelants avaient subi une perte de chance de bénéficier d'une vente avantageuse.

Il a aussi rappelé de manière pertinente, qu'en matière de perte de chance, la réparation du dommage est mesurée à la chance perdue mais ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré la chance si elle s'était réalisée ; le raisonnement des demandeurs tendant à se voir allouer le montant total de la valeur des biens qu'ils auraient souhaité acquérir (235 000 euros) et le montant de 10 ans de loyer (180 000 euros) ne pouvait, et ne peut encore, prospérer.

Si le raisonnement du juge est imparable en ce qui concerne la perte de chance d'acquérir à moindre coût les biens, en revanche il ne peut être repris s'agissant de la perte des fruits que les appelants espéraient pouvoir retirer des biens sur 10 années au titre des revenus locatifs.

D'une part, il convient de rappeler que le projet de vente viagère prévoyait que les fruits restaient acquis au vendeur.

D'autre part, même après le décès de monsieur [T], le montant des fruits avancés par les appelants ne saurait être retenu en l'état, en ce qu'il est purement hypothétique, les appelants n'ayant nullement tenu compte dans leur proposition des charges, frais et impôts. La cour n'est donc pas en situation de déterminer la valeur de cette assiette des pertes de loyers.

Par conséquent le périmètre de cette perte de chance ne peut qu'inclure la seule valeur d'acquisition des biens immobilier, soit 235 000 euros.

La perte de chance en elle-même sera fixée en tenant compte du risque élevé que la vente fasse l'objet d'une action en nullité en justice et qu'en ce cas la nullité avait de forte chance d'être admise du fait notamment que Monsieur [T] devait décéder dans l'année suivant la première rencontre avec Me [H] et de l'absence de bouquet.

Dans ces conditions la perte de chance d'obtenir l'acquisition des biens en question ne saurait dépasser 20% de leur valorisation, selon le projet d'acte, de sorte que le préjudice de monsieur [M] [Z] et de madame [G] [P] épouse [Z] sera fixé à la somme de 47 000 euros.

Le jugement sera dès lors infirmé sur ce point, Maître [Y] [H] et la société civile professionnelle Claude Bauer et [Y] [H] étant condamnés solidairement à verser à monsieur [M] [Z] et à madame [G] [P] épouse [Z] ladite somme de 47 000 euros.

3) sur les demandes accessoires

Le jugement de première instance, statuant sur la question des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, sera confirmé.

Maître [Y] [H] et la société civile professionnelle Claude Bauer et [Y] [H], parties succombantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, seront condamnés aux dépens de la procédure d'appel et à verser à monsieur [M] [Z] et à madame [G] [P] épouse [Z] une somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés dans le cadre de la procédure d'appel, ces condamnations emportant nécessairement rejet de la propre demande des intimés tendant à être indemnisés de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile :

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Mulhouse le 12 mars sauf en ce qu'il a condamné solidairement Maître [Y] [H] et la société civile professionnelle Claude Bauer et [Y] [H] à payer à monsieur [M] [Z] et à madame [G] [P] épouse [Z] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2021,

Et statuant à nouveau sur ce seul point :

CONDAMNE solidairement Maître [Y] [H] et la société civile professionnelle Claude Bauer et [Y] [H] à payer à monsieur [M] [Z] et à madame [G] [P] épouse [Z] la somme de 47 000 euros (quarante-sept mille euros) à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter de ce jour,

Et y ajoutant

CONDAMNE Maître [Y] [H] et la société civile professionnelle Claude Bauer et [Y] [H] aux dépens de la procédure d'appel,

CONDAMNE Maître [Y] [H] et la société civile professionnelle Claude Bauer et [Y] [H] à verser à monsieur [M] [Z] et à madame [G] [P] épouse [Z] une somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles qu'ils ont engagés à hauteur d'appel,

REJETTE la demande de Maître [Y] [H] et la société civile professionnelle Claude Bauer et [Y] [H] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/02010
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.02010 ?
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