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11/05/2023 | FRANCE | N°21/01456

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 11 mai 2023, 21/01456


MINUTE N° 236/2023





























Copie exécutoire à



- Me Raphaël REINS



- la SELARL LEXAVOUE

COLMAR





Le 11 mai 2023



La Greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 11 MAI 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01456 -

N° Portalis DBVW-

V-B7F-HQ7L



Décision déférée à la cour : 30 Novembre 2020 par le tribunal judiciaire de COLMAR





APPELANTS et INTIMÉS SUR APPEL INCIDENT :



Monsieur [N] [Y] [O] [R]

Madame [A] [U] [D] [Z]

demeurant tous deux [Adresse 3]



représentés par Me Raphaël REINS, Avocat à ...

MINUTE N° 236/2023

Copie exécutoire à

- Me Raphaël REINS

- la SELARL LEXAVOUE

COLMAR

Le 11 mai 2023

La Greffière

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 11 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01456 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQ7L

Décision déférée à la cour : 30 Novembre 2020 par le tribunal judiciaire de COLMAR

APPELANTS et INTIMÉS SUR APPEL INCIDENT :

Monsieur [N] [Y] [O] [R]

Madame [A] [U] [D] [Z]

demeurant tous deux [Adresse 3]

représentés par Me Raphaël REINS, Avocat à la cour

INTIMÉE et APPELANTE SUR APPEL INCIDENT :

La S.A.R.L. L'ALSACIENNE, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par la SELARL LEXAVOUE COLMAR, Avocat à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Dominique DONATH faisant fonction

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, Président, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur et Madame [C], propriétaires d'une maison située [Adresse 1] à [Localité 4], souhaitant vendre leur bien ont mandaté à cette fin la Sarl l'alsacienne, gérée par Monsieur [M].

L'immeuble comportait une particularité en ce qu'il n'est pas conforme par rapport au permis de construire délivré le 11 mai 2005, les époux [C] ayant rajouté sans autorisation un étage habitable, et porté des modifications non autorisées aux façades et aux hauteurs.

Monsieur [N] [R] et Madame [A] [Z] se sont montrés intéressés par l'acquisition du bien dès le mois d'octobre 2014. Des négociations débutaient. Un compromis de vente a été rédigé par la Sarl l'Alsacienne exploitant sous l'enseigne « Agence immobilière du vignoble » et a été signé par les parties au mois d'avril 2015, prévoyant un prix de vente de 311 000 euros, mobilier compris.

L'acte de vente a été passé le 3 novembre 2015 et comportait notamment en pages 8 et 9 de longs développements informant les acquéreurs de la non-conformité de la construction par rapport au permis de construire.

Estimant que la Sarl l'alsacienne avait notamment manqué à son obligation de conseil à leur égard et que la valeur de l'immeuble serait en réalité moindre, les consorts [R]-[Z] ont saisi le tribunal judiciaire de Colmar d'une demande tendant à la condamnation de la Sarl l'alsacienne à leur verser la somme de 45 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 30 novembre 2020, le tribunal a considéré que la Sarl l'alsacienne avait commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité, mais que les demandeurs ne démontraient pas l'existence d'un préjudice en lien avec la faute de l'agence, leur préjudice n'étant lié qu'à la poursuite de leur projet d'achat. Il rejetait par conséquent la demande de M. [N] [R] et Mme [A] [Z], tout en les condamnant aux dépens et à régler une somme de 1 500 euros à la Sarl l'alsacienne au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour retenir que la Sarl l'alsacienne avait commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité, le premier juge a d'abord considéré ' après avoir rappelé que l'agence immobilière ne pouvait voir sa responsabilité recherchée que sur le fondement de la responsabilité délictuelle, et non contractuelle ' qu'elle lui appartenait, dès lors qu'elle était informée des non-conformités de l'immeuble, de veiller à en informer Monsieur [R] et Madame [Z] et de mentionner dans le compromis de vente une clause particulière ou bien d'y insérer une condition suspensive afin de permettre aux acquéreurs de se rétracter éventuellement en cas de non-obtention d'un permis rectificatif.

Il a considéré qu'aucun élément produit aux débats ne permettait de démontrer que les acquéreurs étaient avisés au moment du compromis de vente de l'existence de toutes les non-conformités et notamment de la plus grave, à savoir l'ajout irrégulier d'un étage.

Puis, s'agissant de la question du lien de causalité et du préjudice, le premier juge a retenu qu'indépendamment de l'information lacunaire donnée par l'agence immobilière, les consorts [R]-[Z] avaient été parfaitement informés notamment par les mentions figurant dans l'acte authentique de vente, des non-conformités et de leurs conséquences, et qu'ils avaient en toute connaissance de cause mené à son terme leur projet d'acquisition, et ce indépendamment de la faute de l'agence lors de la signature du compromis.

Ainsi, la juridiction considérait-elle que les demandeurs ne démontraient pas de lien de causalité entre la faute de l'agence immobilière et leur préjudice allégué, ce dernier n'étant lié qu'à la poursuite de leur projet d'achat, estimant en outre que Monsieur [N] [R] et Madame [A] [Z] ne rapportaient pas la preuve de l'existence d'un préjudice.

M. [N] [R] et Mme [A] [Z] ont interjeté appel de ce jugement le 4 mars 2021 en toutes ses dispositions.

PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 novembre 2011, M. [N] [R] et Mme [A] [Z] demandent à la cour de :

- déclarer leur appel recevable et bien fondé,

- faire droit à l'ensemble des leurs demandes, moyens, fins et prétentions,

- déclarer les demandes de l'intimée irrecevables, en tous cas mal fondées, les rejeter intégralement,

- débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions, y compris s'agissant de son appel incident.

Corrélativement,

- infirmer le jugement entrepris,

Et, statuant à nouveau,

- dire et juger que l'intimée a commis une faute au regard de la vente du bien litigieux aux concluants, sur un fondement délictuel,

- dire et juger que cette faute engage sa responsabilité civile à leur égard, que les concluants font la démonstration effective d'une faute de l'intimée, du préjudice subi par eux et du lien de causalité entre ladite faute et le préjudice considéré,

Sur l'appel incident :

- déclarer l'appel incident irrecevable, en tous cas mal fondé,

- le rejeter,

- dire que l'intimée a commis une faute engageant sa responsabilité au regard du concluant,

En tout état de cause :

- condamner l'intimée à leur payer en réparation du préjudice subi une somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts légaux à compter de la demande,

- condamner l'intimée à leur payer une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'intimée aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

Les appelants estiment qu'il résulte clairement des éléments du dossier que l'agent immobilier a mis en vente un bien en leur faisant croire que le dossier du permis de construire allait faire l'objet d'une régularisation, et que l'intimée aurait usé de man'uvres actives et par réticence pour les inciter à tout prix à acheter le bien immobilier.

Ces man'uvres auraient eu lieu courant l'été 2015 avec notamment l'intervention du conseil de l'intimée qui écrivait le 5 août 2015 à Monsieur [R]. Pour s'en convaincre il suffirait d'analyser avec attention le compromis de vente préparé par l'agence immobilière pour constater que la situation réelle du bien au regard des règles de l'urbanisme n'a pas été précisée. L'agence immobilière aurait fait croire aux acquéreurs que le dossier de régularisation allait être déposé, et nourri artificiellement leur espoir de voir la situation régularisée jusqu'à la signature de l'acte authentique. Elle savait qu'il s'agissait d'un élément essentiel pour les acheteurs et que si ces derniers avaient eu connaissance de la réalité de la situation du bien et de l'irrégularité, ils n'auraient pas procédé à l'achat dudit bien, du moins pas à un prix aussi élevé.

La signature devant le notaire Me [I] le 3 novembre 2015 de l'acte authentique de vente par les consorts [R] - [Z] s'expliquerait, selon eux, car ils avaient été rassurés par les informations données selon lesquelles, suite au dépôt le 28 septembre 2015 par Monsieur [C] d'une nouvelle demande de régularisation de son permis, il serait très probable que la situation administrative trouverait une solution.

Ils insistent sur le fait que durant les négociations, s'ils ont été mis au courant du non-respect de la construction au regard de la règlementation portant sur les fenêtres, en revanche ils n'auraient pas été informés du problème de non conformité lié à la surélévation de l'immeuble. L'intimée tenterait de tromper la religion de la cour en affirmant le contraire en se référant à des échanges de mails.

Si Monsieur [M] s'était rapproché des services d'urbanisme de la commune, ce n'était pas au sujet de la non-conformité de l'immeuble, mais pour se renseigner quant à la possibilité pour les acquéreurs d'installer des « tonneaux finlandais » sur la propriété, car M. [N] [R] et Mme [A] [Z] avaient pour dessein d'exercer une activité de loueurs de gites.

Par ailleurs, ils rappellent que par ordonnance du 13 mars 2018, le juge de la mise en état a rejeté leur demande d'instruction concernant l'audition de Madame [S] [X], fonctionnaire territorial responsable du service d'urbanisme de la ville de [Localité 4]. Ils estiment que l'attestation fournie par elle est contraire à son obligation de secret professionnel imposée aux fonctionnaires, et devrait être écartée. En tout état de cause, les appelants contestent la teneur de cette attestation qualifiée de « pure complaisance » qui aurait été rédigée uniquement pour les besoins de la cause, affirmant n'avoir jamais eu d'entretien avec cette responsable avant que la réalité de toutes les non-conformités affectant l'immeuble ne leur soit révélée durant l'été 2015.

Il y aurait dès lors lieu de constater que l'agence immobilière l'alsacienne, qui est un professionnel de l'immobilier, a manqué et failli à son obligation de conseil vis-à-vis des acquéreurs concernant la situation réelle du bien objet de la vente litigieuse, et de tenir compte du fait qu'à ce jour la situation juridique de la maison objet de la vente n'est pas régularisable.

Contrairement à l'analyse du premier juge, les appelants soutiennent qu'ils n'ont pas signé l'acte de vente en toute connaissance de cause, ayant été insuffisamment informés des conséquences liées aux non conformités. Ils exposent avoir en outre été sous pression par le fait qu'eux-mêmes avaient trouvé acquéreur pour leur ancienne maison, de sorte que l'absence d'information adéquate dès la signature du compromis de vente leur a été préjudiciable.

Le préjudice, directement causé par la faute, résulterait du fait que ce bien immobilier serait dès lors difficilement vendable en l'état compte tenu de cette situation puisque, si jamais il devait y avoir un quelconque sinistre l'affectant, la compagnie d'assurances ne pourrait prendre en charge la reconstruction à l'identique de l'ouvrage. En cas de revente du bien, le prix de cession serait aussi forcément inférieur car les non conformités et irrégularités devraient être prises en compte.

En outre, les consorts [R]-[Z] affirment que la baisse du prix de l'immeuble de 380 000 à 311 000 euros ne trouverait pas sa cause dans la prise en compte de la situation administrative du bien, mais serait simplement le fruit de négociations classiques.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 31 août 2021, la Sarl l'alsacienne demande à la cour de :

- débouter M. [N] [R] et Mme [A] [Z] de l'intégralité de leurs conclusions,

- infirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle l'a déclarée à l'origine d'une faute susceptible d'engager sa responsabilité,

Et statuant à nouveau

- dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute,

- confirmer la décision entreprise pour le surplus, au besoin par substitution de motifs,

En tout état de cause,

- condamner les appelants aux entiers dépens des deux instances et au paiement d'une indemnité de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La Sarl l'alsacienne indique à titre liminaire, que M. [N] [R] et Mme [A] [Z] n'auraient jamais mandaté l'agence immobilière, de sorte qu'à défaut de lien contractuel entre eux, l'agence ne pourrait répondre que des conséquences d'un comportement fautif quasi délictuel sans rapport avec une prétendue obligation de conseil. L'agence s'étonne en outre que les consorts [R] - [Z] n'aient jamais entendu rechercher la responsabilité des vendeurs.

Au sujet de la faute qui lui est reprochée, la société estime que le tribunal aurait fait une interprétation trop large des obligations incombant à l'agent immobilier et ce d'autant plus qu'elle n'aurait pas été la cocontractante des consorts [R]- [Z], aucun mandat ne lui ayant été confié par eux.

Il n'appartiendrait pas à l'intermédiaire de pousser ses investigations, et ce d'autant plus que l'agence aurait donné toutes les informations nécessaires aux acquéreurs sur la situation administrative du bien en ayant notamment transmis à ces derniers les plans de la maison qui ne faisaient pas apparaître l'étage.

Il conviendrait de se référer au mail du 28 octobre 2014 émis par Monsieur [R] dans lequel il faisait une proposition à 335 000 euros en prenant en compte des travaux importants concernant le chalet en indiquant « sous-entendu d'une solution pour le problème de conformité », remarque qui démontrerait sa parfaite connaissance du problème. Ce mail serait venu en réponse à un message de Monsieur [M] auquel était joint les plans de la maison qui ne feraient pas apparaître l'étage litigieux. La baisse du prix finalement retenu de 311 000 euros s'expliquerait par la prise en compte de cette difficulté administrative.

En outre, l'intimée fait référence à l'attestation de Madame [X], responsable du service de l'urbanisme de la commune de [Localité 4], qui affirme avoir rencontré en janvier 2015 les consorts [R] - [Z] et que ces derniers étaient parfaitement informés du caractère non conforme de l'immeuble au permis de construire, précisant même qu'elle les avait rassurés.

Dans ces conditions, l'intimée estime que le premier juge ne pouvait retenir une faute à son encontre, de sorte qu'il y aurait lieu d'infirmer le jugement sur ce point.

S'agissant du lien de causalité du préjudice, l'intimée soutient qu'il ressort des propres pièces produites par les appelants, et de l'acte de vente, que ces derniers auraient été parfaitement informés, à tout le moins par le notaire, des particularités et non-conformités de l'immeuble et qu'ils ont néanmoins entendu poursuivre leur projet d'acquisition.

Il conviendrait de se référer notamment aux développements de l'acte notarié, particulièrement détaillés quant aux non-conformités du bien, l'acte précisant en outre quelles étaient les sanctions pénales et civiles possibles même si l'infraction pénale était prescrite et que le délai de prescription de 10 ans pour les sanctions civiles était écoulé.

L'acte authentique précisait aussi qu'en cas de sinistre de l'immeuble il serait difficile de le reconstruire de plein droit à l'identique. C'est donc en toute connaissance de cause que les appelants auraient signé l'acte de vente de sorte qu'ils ne pourraient prétendre subir le moindre préjudice.

* * *

Par ordonnance du 6 décembre 2022, la présidente de chambre, chargée de la mise en état, a ordonné la clôture de la procédure et renvoyé l'affaire à l'audience du 2 mars 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions transmises aux dates susvisées.

MOTIVATION

1) Sur la faute de l'agence immobilière

L'article 1240 du code civil prévoit que « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

C'est sur ce fondement, que M. [N] [R] et Mme [A] [Z] recherchent la responsabilité de la Sarl l'alsacienne, se prévalant d'un défaut d'information et de conseil de la part de cette dernière portant sur les non conformités du bien immobilier appartenant aux consorts [C] qui ont procédé à certains travaux sans autorisation d'urbanisme, à savoir le rajout d'un étage habitable et la modification des façades et des hauteurs. Les appelants se prévalent également du comportement de l'agence immobilière qui leur aurait fait croire qu'une régularisation du permis de construire serait possible.

L'agence immobilière affirme que dès le mois d'octobre 2014 les consorts [R] - [Z] savaient que le chalet qu'ils souhaitaient acquérir avait été transformé sans autorisation, et en dépit d'un arrêté aux fins d'arrêt des travaux.

L'intimée fait référence notamment à un mail du 28 octobre 2014 émanant de M. [R] dans lequel celui-ci indiquait « je serais disposé à proposer une offre de 335 000 euros. Prenant en compte, les travaux importants concernant le chalet, le maintien du bioscope, de la construction d'une cave'garage sous-entendu d'une solution pour le problème de non conformité » (annexe 3 des appelants).

Si la teneur de ce mail démontre qu'effectivement les consorts [R] - [Z] savaient que l'immeuble était affecté d'un problème de non-conformité, elle ne permet pas de démontrer que ces derniers connaissaient l'intégralité des non-conformités, sachant que les appelants ont pu avoir été mis au courant de la non-conformité la moins grave touchant la façade et les hauteurs, mais pas forcément de celle de l'étage supplémentaire construit hors permis de construire.

Seule une mention écrite dans le compromis de vente du 11 avril 2015 - précisant la nature de tous les problèmes de conformité - aurait été de nature à assurer une information complète des candidats acquéreurs et l'efficacité juridique de la convention à l'égard de toutes les parties et ce d'autant plus qu'à l'époque il était déjà acquis que la situation ne pourrait être régularisée. En effet, par mail du 27 octobre 2014, Madame [X] responsable de l'urbanisme de la ville de [Localité 4], a indiqué à Monsieur [C] « Votre permis initial vous autorisait une construction sur limite sur hauteur de 3 m. Vous avez cependant construit sur une hauteur de 7,30 m sans autorisation et non conformément au règlement du POS qui limite la hauteur à 3 m. De ce fait, votre situation ne pourra jamais être régularisée » (annexe 9 des appelants).

En sa qualité de professionnel de l'immobilier, la Sarl l'alsacienne aurait donc dû assurer une parfaite information des appelants par une mention écrite, dès le compromis de vente, portant sur le caractère irrégulier de la construction, sans quoi les acquéreurs peuvent à juste titre affirmer avoir été mal informés où avoir perdu une chance de ne pas s'engager dans ce projet, voire de retarder la mise en vente de leur propre maison.

Le premier juge a fort logiquement déduit de la situation de fait et de droit, que la Sarl l'alsacienne a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle à l'égard des acquéreurs.

Il y a lieu de confirmer son raisonnement.

2) sur le préjudice de causalité

La cour doit déterminer si la légèreté prise dans le devoir d'information par l'agent immobilier a généré un préjudice pour les époux [R] - [Z], qui résiderait dans le fait qu'ils ont acquis une maison bâtie en partie sans permis de construire. Pour ce faire, il faut vérifier que cette absence d'information claire a eu des conséquences.

Dans un premier temps, il y a lieu de s'attarder sur l'attestation particulièrement univoque établie par Madame [X], responsable du service d'urbanisme de la commune de [Localité 4].

Le témoin explique qu'au début de l'année 2015 elle a reçu les consorts [R] - [Z] qui souhaitaient obtenir un renseignement au sujet du bien qu'ils souhaitaient acquérir. Sachant que la maison avait été construite irrégulièrement, ils souhaitaient être informés quant aux conséquences découlant du refus de délivrance du certificat de conformité.

Le témoin explique les avoir rassurés, en ce que n'étant pas responsables de cette situation, ils ne pourraient se voir refuser d'éventuelles modifications, tout en leur précisant que selon le code de l'urbanisme il y avait prescription.

Madame [X] termine son attestation en expliquant que « ils m'informent donc que dans ces conditions rien ne s'oppose à l'acquisition de ce bien pour lequel ils ont eu un coup de c'ur et pour lequel ils ne vont pas tarder à signer un compromis. Ils ont quitté mon bureau rassurés et satisfaits », cette précision finale permettant de situer ce rendez-vous avant la date du compromis d'avril 2015.

Les appelants ne sauraient obtenir de la cour qu'elle écartât ladite attestation en ce sens que Madame [X] aurait méconnu son obligation de confidentialité ; en tant que chargée de mission de service public, un fonctionnaire territorial peut être appelé à témoigner, aucune confidentialité ne couvrant les entretiens tenus dans le cadre de son exercice avec des particuliers.

Contrairement à ce qu'ils soutiennent, aucune pièce, ou explication, ne vient démontrer le parti pris de Madame [X]. La cour note que cette dernière avait été l'interlocutrice de Monsieur [C] en 2014, de sorte que sa connaissance précise du contexte fait que son témoignage est d'autant plus crédible.

Il ressort en conséquence de ce témoignage que même avant la signature du compromis de vente en avril 2015, les consorts [R]-[Z] avaient pris la décision d'acheter la maison en sachant parfaitement quelle était sa situation administrative d'un point de vue des règles d'urbanisme.

Dans ces conditions, l'absence fautive d'information suffisante dans le compromis d'avril 2015 n'a pas eu d'incidence sur la suite des évènements. Les acquéreurs ne sauraient alors soutenir sérieusement qu'ayant signé de leur côté le compromis de vente avec les consorts [G] ' [V] pour leur maison située à [Localité 5] le 11 juin 2015, ils auraient été contraints de se porter acquéreur de la maison [C].

Deuxièmement, le 17 juillet 2015, le notaire en charge de la rédaction de l'acte authentique de vente entre les époux [C] et M. [N] [R] et Mme [A] [Z], a avisé les acquéreurs des non-conformités et de leur ampleur, en insistant sur les risques juridiques encourus, écrivant même que « la vente ne peut être régularisée sans risque pour l'ensemble des parties » (annexe 7 de l'intimée).

S'agissant de la possibilité de régulariser la situation, le 5 août 2015 Monsieur [C] a transféré aux acquéreurs des courriels échangés avec la mairie desquels il ressort que la situation ne pouvait être régularisée.

Pourtant, après avoir consulté un avocat, les appelants ont demandé à M. [C] trois jours plus tard, soit le 8 août 2015, avec copie au notaire, à ce que un nouveau compromis de vente soit rédigé pour début septembre 2015 intégrant une clause sur la conformité comportant un alinéa stipulant que dans l'attente de cette régularisation, ils seraient autorisés à prendre possession de la maison (annexe 14 de l'intimée). Faisant suite, le notaire interrogeait par mail du 23 septembre 2015 Monsieur [C] pour savoir s'il acceptait la demande de Monsieur [R] (annexe 16 de l'intimée).

Il s'en déduit que contrairement à ce que soutiennent les appelants, ils ont toujours souhaité acheter cette maison, en dépit de la teneur du mail du notaire du 5 août et du fait que M. [C] n'a pas donné suite à leur demande tendant à obtenir la rédaction d'un nouveau compromis de vente.

Enfin, et troisièmement, à défaut d'accord quant à la rédaction d'un nouveau compromis de vente, le notaire a remis le 23 octobre 2015 contre récépissé un projet de l'acte authentique de vente qui allait être signé le 3 novembre 2015 par les appelants après qu'ils aient bénéficié d'un délai de réflexion de 10 jours.

L'acte comportait les développements suivants :

« La construction de l'immeuble présentement vendu a été achevée depuis 10 ans ainsi que le vendeur le déclare et a fait l'objet :

- Dans le cadre de travaux d'extension, d'un permis de construire délivré le 11 mai 2015 sous le n° PC6702105A009

- D'un arrêté portant interruption des travaux : la copie de la lettre du 18 juillet 2005 de la ville de [Localité 4] demeure ci-annexée après mention.

Le vendeur déclare que malgré la demande d'interruption des travaux il les a poursuivis jusqu'à leur terme.

Une copie de chacun de ces documents demeure annexée aux présentes après mention.

Le vendeur informe l'acquéreur :

- De la non-conformité de la construction par rapport au permis de construire susvisé,

- Qu'il a effectué les travaux suivants sans l'autorisation de l'urbanisme :

Rajout d'un étage habitable

Modification des façades

Modification des hauteurs

Le vendeur informe l'acquéreur qu'il a préparé une demande de modification d'un permis délivré en cours de validité en date du 28 septembre 2015 (la copie de la demande demeure ci-après annexée) mais que cette demande n'a pas été déposée à la Mairie de [Localité 4] ainsi qu'il résulte des raisons invoquées dans un courrier de Monsieur [E] [H], de la société ARCHITECTURE (') »

Force est de constater que tous les défauts de construction, tous les risques et incidences, y sont évoqués de sorte que les acquéreurs ne peuvent prétendre avoir été mal informés, et ce d'autant plus qu'à aucun moment ces développements ne laissent entendre que la situation administrative était régularisée ou qu'il existait une certitude quant à la possibilité d'une telle régularisation.

Dans ces conditions, les appelants ne démontrent pas que le défaut d'information qu'ils ont subi de la part de l'agent immobilier au moment de la signature du compromis de vente en avril 2015 a eu une incidence sur leur décision d'acquérir la maison litigieuse.

Ils connaissaient, dès le début de l'année 2015, l'existence de ces difficultés d'ordre administratif, et malgré cette situation ont persévéré dans leur volonté d'acquérir l'immeuble.

À aucun moment, ni le propriétaire, ni l'agent immobilier, ni le notaire ne leur ont garanti que la demande de régularisation serait accueillie. Une lecture attentive des mails que Monsieur [C] leur a adressés en août 2015, était à même de leur permettre de comprendre qu'aucune régularisation n'était envisageable. En outre, il ressort des propos de Madame [X] en charge du dossier, qu'elle avait informé les consorts [R] - [Z] dès le début de l'année 2015 de ce que la situation ne pourrait être régularisée d'un point de vue administratif.

Dans ces conditions, les appelants ne démontrent pas l'existence d'un préjudice en lien avec la faute de l'agent immobilier. Le jugement sera corrélativement confirmé en toutes ses dispositions.

3) sur les demandes accessoires

Le jugement de première instance statuant sur la question des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, sera confirmé.

M. [N] [R] et Mme [A] [Z], parties succombantes principale au sens de l'article 696 du code de procédure civile, seront condamnés aux dépens de la procédure d'appel.

En revanche il est équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au cas d'espèce ; chaque partie conservera ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile :

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Colmar

Et y ajoutant

CONDAMNE M. [N] [R] et Mme [A] [Z] aux dépens de la procédure d'appel,

DIT n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/01456
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.01456 ?
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