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04/05/2023 | FRANCE | N°21/01296

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 04 mai 2023, 21/01296


MINUTE N° 232/2023

























Copie exécutoire à



- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY



- Me Noémie BRUNNER





Le 4 mai 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 04 MAI 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01296 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQXM



Décision d

éférée à la cour : 05 Janvier 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG





APPELANTS et INTIMÉS SUR APPEL INCIDENT :



Monsieur [D] [N]

demeurant [Adresse 2] à [Localité 4]



Madame [L] [V]

demeurant [Adresse 1] à [Localité 4]



représentés par Me...

MINUTE N° 232/2023

Copie exécutoire à

- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY

- Me Noémie BRUNNER

Le 4 mai 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 04 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01296 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQXM

Décision déférée à la cour : 05 Janvier 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTS et INTIMÉS SUR APPEL INCIDENT :

Monsieur [D] [N]

demeurant [Adresse 2] à [Localité 4]

Madame [L] [V]

demeurant [Adresse 1] à [Localité 4]

représentés par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, Avocat à la cour.

INTIMÉ et APPELANT SUR APPEL INCIDENT :

Monsieur [S] [Y]

demeurant [Adresse 3] à [Localité 4]

représenté par Me Noémie BRUNNER, Avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 modifié et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre, et Madame Nathalie HERY, Conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, Président, et Madame Sylvie SCHIRMANN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

2

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [D] [N] et Mme [L] [V] sont propriétaires d'une maison située au [Adresse 2] à [Localité 4].

En 2011, M. [S] [Y] a acquis le terrain adjacent à la propriété de M. [N] et de Mme [V], situé au [Adresse 3].

M. [Y] a obtenu un permis de construire selon arrêté du 27 juin 2011, suivi d'un permis de construire modificatif le 30 mars 2012.

Ces deux arrêtés ont été annulés par jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 septembre 2014, confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 11 juin 2015.

Par acte d'huissier délivré le 30 novembre 2015, M. [N] et Mme [V] ont assigné M. [Y] devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins d'indemnisation suite à l'édification d'une construction sans permis de construire en raison de l'annulation des deux arrêtés, alléguant une perte d'ensoleillement, un sentiment d'enfermement et des troubles anormaux du voisinage.

Par ordonnance du 27 mars 2019, le juge de la mise en état a débouté M. [Y] de sa demande d'organiser une vue des lieux et une médiation.

Par jugement contradictoire du 5 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Strasbourg remplaçant le tribunal de grande instance a :

- déclaré recevables les demandes de M. [N] et Mme [V] ;

- débouté M. [N] et Mme [V] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de M. [Y] ;

- condamné M. [N] et Mme [V] aux entiers dépens ;

- débouté les parties de leurs demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la décision ;

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes et prétentions.

Le tribunal a estimé, sur l'irrecevabilité invoquée au titre de l'article 56 ancien du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige et au visa de ce texte ainsi que des articles 58 et 127 du même code, que l'absence de mentions des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ne saurait entraîner l'irrecevabilité de la demande, cette sanction n'étant pas prévue par les textes susvisés.

Sur la prescription biennale de l'article L. 480-13, 2° du code de l'urbanisme, le tribunal a relevé que si M. [Y] versait au débat une lettre du maire d'[Localité 4] du 18 mai 2012 dans laquelle il était fait état d'une « déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux en date du 30 mars 2012 », cette lettre ne permettait pas d'établir que les travaux avaient bien pris fin le 30 mars 2012, puisque l'attestation d'achèvement des travaux à laquelle il était fait référence n'était pas versée aux débats et qu'en outre le maire y faisait également état de la poursuite de travaux de crépissage, enjoignant par la même occasion à M. [Y] de mettre lesdits travaux en conformité avec l'autorisation accordée.

Le tribunal concluait donc que M. [Y] n'apportait pas la preuve d'achèvement des travaux au 30 mars 2012, de sorte que la demande de M. [N] et Mme [V] n'était pas prescrite.

3

Sur le fond, à propos de l'action exercée contre M. [Y] en sa qualité de constructeur, au titre de l'article L. 480-13, 2° du code l'urbanisme, le tribunal relevait, au visa de cet article, de l'article 1382 du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile, que les arrêtés litigieux délivrant permis de construire ont été annulés en raison de leur illégalité au motif qu'ils méconnaissaient les dispositions des articles 7 UC et 9UC du règlement du plan d'occupation des sols de la commune d'[Localité 4], imposant une distance de 1,75 mètre entre la construction et la limite séparative et une emprise maximale de 200 m².

Le tribunal poursuivait en soulignant que l'erreur d'appréciation de la commune, à l'origine de la délivrance initiale des permis, n'était pas exclusive de l'existence d'une faute commise par M. [Y], d'ailleurs expressément consacrée par l'article L. 480-13, 2°, dès lors que la violation des règles trouvait son origine dans son projet de construction.

La juridiction indiquait que l'édiction d'un nouvel arrêté de permis de construire du 31 août 2017 modifiant le permis de construire accordé le 30 janvier 2015, dont le dossier n'était pas versé aux débats, ne remettait aucunement en cause l'annulation des permis de construire litigieux, de sorte que M. [Y] ne pouvait soutenir que la situation de son immeuble était régularisée.

Toutefois, pour débouter les demandeurs de leur demande d'indemnisation au titre des préjudices allégués, le tribunal relevait qu'ils n'avaient pas fait constater leur préjudice, que ce soit par un constat d'huissier de justice, par témoignage ou par des photographies permettant d'identifier l'emplacement exact des préjudices allégués ou leur intensité.

Le tribunal estimait que l'appentis ne pouvait avoir causé une perte d'ensoleillement et un sentiment d'enfermement et que l'annexe / garage construite par M. [Y] ne causait aucune gêne aux demandeurs de sorte que les demandes fondées sur l'article 1382 du code civil et sur les troubles anormaux de voisinage étaient toutes écartées.

* * *

M. [N] et Mme [V] ont interjeté appel de ce jugement, le 1er mars 2021, en ce qu'il les a déboutés de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de M. [Y], les a condamnés aux entiers dépens, les a déboutés de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de toutes conclusions plus amples ou contraires.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 juin 2022, les appelants demandent à la cour

- de déclarer leur appel recevable et bien fondé, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les préjudices allégués n'étaient pas démontrés et en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que leur condamnation aux dépens de la procédure de première instance ;

- de rejeter l'appel incident ;

- de rejeter l'ensemble des demandes de M. [Y] ;

- statuant à nouveau, de condamner l'intimé à leur payer la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des troubles de jouissance, et du préjudice d'agrément, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- de condamner l'intimé à leur payer 5 000 euros au titre de la procédure de première instance, et 5 000 euros au titre de la procédure d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; outre les dépens de première instance et d'appel.

4

Au soutien de leur appel ils font valoir que leur action est fondée sur l'article L. 480-13, 2°, dont les conditions sont en l'espèce réunies :

- les permis de construire ont été annulés par la juridiction administrative pour manquement au respect des règles du plan d'occupation des sols de la commune ;

- l'action a été engagée dans le délai de deux ans à compter de la fin des travaux, dès lors que la partie adverse ne rapporte pas la preuve de la date d'achèvement des travaux, et que la lettre du maire en date du 18 mai 2012 atteste que les travaux n'étaient pas achevés.

Les appelants, sur la faute de M. [Y], indiquent que ce dernier aurait dû présenter une demande conforme aux règles d'urbanisme posées par le plan d'occupation de la commune, et qu'il ne peut s'exonérer de sa responsabilité en rejetant celle-ci en l'attribuant au service instructeur de la commune.

Ils soulignent que l'arrêté du 31 août 2017 ne visait en rien à régulariser la situation litigieuse, mais portait uniquement sur la suppression d'un espace de deux centimètres prévu initialement entre deux bâtiments de la propriété de M. [Y]. Du reste, ils estiment que la délivrance du permis de construire selon arrêté du 31 août 2017 est sans emport sur la situation juridique.

Les appelants ajoutent que l'action est également fondée sur l'article 1240 du code civil et sur le trouble anormal du voisinage. Pour le premier de ces fondements, ils estiment leur action justifiée en ce que la faute réside dans l'édification d'une construction dont le permis de construire a été annulé, et leur préjudice dans le trouble anormal du voisinage qu'ils ont subi. Pour le second fondement, ils s'estiment fondés au vu du principe général selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage » (Civ 2ème, 19 novembre 1986, n°84-16.379), et en ce que la perte d'une vue ou d'un ensoleillement est de nature à permettre une action en réparation des troubles anormaux du voisinage.

Les appelants considèrent que le tribunal a fait une erreur d'appréciation en jugeant le préjudice inexistant, alors que M. [N] et Mme [V] arguent subir un préjudice direct et personnel du fait de la violation de la règle d'urbanisme constatée par les juges administratifs.

A ce titre, les appelants font valoir, en visant les photographies qu'ils produisent, que

M. [Y] a érigé des bâtiments en limite de propriété et ce au mépris des règles d'urbanisme posées par le plan d'occupation des sols qui limite la surface des constructions (violation article 9 UC sur la limitation d'une construction d'un tenant à une surface de 200m²).

Ils allèguent que cette construction serait à l'origine de leur sentiment d'enfermement et de la perte d'ensoleillement, qui entraîne leur préjudice. Ces constructions constituant un ensemble immobilier très imposant dans un quartier composé d'habitations résidentielles de taille raisonnable.

En outre, selon les appelants, la taille de l'appentis en fond de parcelle a été augmentée, alors que le plan d'occupation des sols n'autorise que des reconstructions à l'identique, ce qu'ont relevé les juges administratifs pour fonder l'annulation du permis.

Les appelants sollicitent donc l'infirmation du jugement en ce qu'il a estimé que le préjudice n'était pas établi.

* * *

5

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 mai 2022, M. [Y] conclut au rejet de l'appel principal et forme appel incident. Il demande à la cour :

- sur l'appel principal, de le déclarer mal fondé, par conséquent le rejeter ;

- de débouter M. [N] et Mme [V] de toutes demandes formées à ce titre ;

- sur l'appel incident, de le déclarer recevable et bien fondé ;

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les demandes des appelants d'une part et débouté M. [Y] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'autre part ;

- statuant à nouveau, déclarer les demandes des appelants irrecevables comme prescrites et les condamner in solidum à payer à M. [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance ;

- de confirmer le jugement entrepris pour le surplus, en tant que besoin par substitution de motifs ;

- en tout état de cause, de débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes ;

- de les condamner in solidum à payer à M. [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel. 

L'intimé, sur la prescription de l'action fondée sur les dispositions de l'article

L. 480-13, 2°, indique qu'en application de celles-ci, l'action aux fins d'indemnisation doit être introduite dans un délai de deux ans après l'achèvement des travaux, alors qu'en l'espèce la finalisation des travaux serait intervenue le 30 mars 2012 selon le courrier de la ville d'[Localité 4] en date du 18 mai 2012, de sorte que l'action, issue de l'assignation délivrée le 30 novembre 2015, serait forclose, aucune cause n'étant à son sens venue interrompre ou suspendre l'écoulement de ce délai.

Il sollicite donc l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré l'action des appelants recevable.

Concernant la responsabilité, l'intimé estime qu'il n'a commis aucune faute, que les appelants ne subissent aucun préjudice, et qu'il n'y a aucun lien de causalité entre le comportement reproché et les constructions litigieuses.

M. [Y] fait valoir qu'il n'a pas commis de faute en ce qu'il a réalisé les travaux conformément aux permis de construire qui lui ont été délivrés, et que l'erreur d'appréciation incombe aux services instructeurs de la mairie, excluant tout comportement fautif de sa part.

L'intimé allègue avoir déposé une demande modificative de permis de construire le 14 juin 2017 auprès des services de la mairie, qui a été acceptée selon arrêté portant modification en date du 31 août 2017. Il soutient que ce dernier permis, ainsi que le permis délivré le 30 janvier 2015, auraient régularisé les constructions. Ainsi, aucune faute ne lui serait imputable.

L'intimé indique que les appelants ne rapportent pas la preuve de ce qu'ils auraient subi un préjudice, notamment en une perte d'ensoleillement et un sentiment d'enferment.

Il indique ne pas avoir manqué de respecter la règle de prospect exigeant une distance minimale d'implantation entre deux immeubles, et que dans tous les cas, le non-respect des règles d'urbanisme n'entraîne pas automatiquement la responsabilité du constructeur dès lors qu'il n'est pas démontré l'existence d'un préjudice.

Il estime sur ce point que les appelants ne produisent aux débats aucune pièce établissant la réalité de ce préjudice.

6

Concernant le préjudice, l'intimé rappelle qu'il incombe aux appelants de prouver le lien de causalité, qui doit résider en la violation de la règle d'urbanisme causant directement le préjudice allégué. M. [Y] indique que ce préjudice invoqué doit correspondre à l'intérêt protégé par la règle d'urbanisme non respectée.

Or, il remarque qu'en l'espèce, l'article 9 UC du plan d'occupation des sols sur la règle d'emprise du sol n'a pas de lien avec la perte d'ensoleillement et le sentiment d'enfermement allégués, de sorte que les préjudices évoqués ne seraient nullement en lien avec l'intérêt protégé par la règle d'urbanisme.

L'intimé ajoute que le non-respect de la règle de prospect doit être apprécié par le caractère identique ou non de la construction et que, force serait de constater que l'appentis était déjà implanté à 60 cm de la limite séparative. Dès lors, la nouvelle construction ne saurait causer un sentiment d'enfermement ou une perte d'ensoleillement qui existait déjà.

Concernant l'action au titre des troubles anormaux du voisinage, l'intimé estime que les appelants ne subissent pas de trouble qui excéderait les inconvénients normaux du voisinage.

Au titre du trouble, l'intimé critique les photographies produites qui ne démontreraient pas la perte d'ensoleillement alléguée et rappelle que le sentiment d'enfermement est subjectif.

Au titre du caractère anormal des troubles, l'intimé affirme qu'aucune anormalité n'est démontrée, et qu'en milieu urbain il n'existerait pas de droit à la conservation d'un ensoleillement donné dès lors que le trouble n'est pas excessif.

Enfin, concernant le montant de l'indemnisation réclamée, l'intimé fait sienne l'analyse du tribunal sur l'absence de justification du quantum réclamé au titre des préjudices allégués et rappelle ses moyens concernant l'absence de préjudice pour les transposer à l'absence de justification du quantum. Il indique par ailleurs qu'aucune pièce, ni témoignage, ni photographie, ne justifieraient les prétentions des appelants.

* * *

Par ordonnance du 6 septembre 2022, la Présidente de chambre, chargée de la mise en état, a ordonné la clôture de la procédure et renvoyé l'affaire à l'audience du 16 février 2023, date reportée au 23 février 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions transmises aux dates susvisées.

MOTIVATION

1) Sur l'irrecevabilité de l'action des appelants

L 'article L. 480-13, 2° du code de l'urbanisme - invoqué par les appelants - édicte que « lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire : (') 2° Le constructeur ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à des dommages et intérêts que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou si son illégalité a été constatée par la juridiction administrative. L'action en responsabilité civile doit être engagée au plus tard deux ans après l'achèvement des travaux ».

7

Le premier juge a fait une parfaite application de ces dispositions en estimant que l'action en dédommagement initiée par M. [D] [N] et Mme [L] [V] n'était pas prescrite au motif que M. [Y] ne rapporte pas la preuve de ce qu'il allègue, à savoir que les travaux litigieux auraient été achevés au 30 mars 2012, soit plus de deux années avant l'acte d'assignation.

Tout comme l'a mis en exergue le premier juge, la cour note que dans le courrier du 18 mai 2012 adressé à M. [S] [Y] , la ville d'[Localité 4] lui indiquait que les travaux de crépissage côté nord n'étaient pas achevés.

L'intimé ne produisant en outre aucune nouvelle pièce de nature à démontrer la date à laquelle les travaux - et notamment la pose du crépi - ont été effectivement achevés, l'exception d'irrecevabilité pour cause de prescription qu'il soulève ne peut être accueillie.

Le premier jugement sera dès lors confirmé sur ce point.

2) Sur le bien-fondé de la demande en indemnisation

2-1) Sur la faute de M. [Y]

Les arrêtés du 27 juin 2011 délivrant permis de construire à M. [Y] et du 30 mars 2012 portant délivrance d'un permis modificatif à son profit, ont été annulés par jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 septembre 2014 confirmé par la cour administrative d'appel de Nancy le 21 mai 2015.

Ces décisions ont prononcé l'illégalité des arrêtés au motif qu'ils méconnaissaient les dispositions des articles UC 7 et UC 9 du règlement du POS de la commune d'[Localité 4], l'article 7 UC imposant une distance de 1,75 m entre la construction et la limite séparative, l'article 9 UC limitant l'emprise de tout bâtiment à 200 m².

Les appelants peuvent à juste titre rechercher la responsabilité de M. [Y] sur le fondement de l'article L 480'13 2° du code de l'urbanisme cité précédemment.

Comme l'a fait remarquer à juste titre le premier juge, cet article ne subordonne pas son application à l'existence d'une erreur ou d'une faute caractérisée de l'administré ; le fait que le permis de construire ait pu être accordé du fait d'une erreur d'appréciation ou d'une négligence des services d'urbanisme de la commune, n'est pas de nature à permettre à M. [S] [Y] d'échapper à l'action fondée sur l'article L480'13 2° du code de l'urbanisme.

En outre, il y a lieu de rappeler que c'est M. [Y] qui a déposé une demande de permis de construire qui ne respectait pas les dispositions des articles UC 7 et UC 9.

En conséquence, il y a lieu de constater que ce dernier a commis une faute directement à l'origine de l'irrégularité du permis de construire qui lui a été accordé.

Il ne saurait soutenir utilement que la situation aurait été régularisée par la délivrance de l'arrêté du 31 août 2017, en ce que l'annulation initiale des permis de construire n'a pas été remise en cause.

8

2-2) Sur le préjudice

Pour déterminer l'existence d'un préjudice, il est nécessaire de replacer le litige dans son contexte et plus particulièrement de rappeler quelle était la situation des lieux avant les travaux, puis celle découlant de la survenue des réalisations de M. [Y].

La maison des appelants se trouve au fond d'une parcelle (à l'ouest de celle-ci). Son accès se fait par la [Adresse 3] (à l'est de la parcelle). Il est important de tenir compte de la configuration particulière de la limite parcellaire entre les fonds des parties ; elle n'est pas rectiligne et fait une boucle à l'ouest de sorte que la partie du terrain des appelants sur laquelle est bâtie leur maison se trouve légèrement « enveloppée » par la parcelle de l'intimé.

Avant les travaux, ils bénéficiaient d'un jardin aéré ' placé entre l'entrée de la maison et la rue, donc à l'est de la parcelle - avec une vue dégagée sur leur sud où se trouve la parcelle bâtie appartenant à M. [Y]. La maison de ce dernier se trouve en bordure de la rue - côté est de la parcelle, et est décalée par rapport à la maison des appelants- de sorte que la maison de ces derniers et une bonne partie de leur jardin n'ont pas de vis-à-vis bâti sur le sud de leur parcelle, mis à part une remise d'élévation peu élevée au sud-ouest. Ils pouvaient en outre profiter de la vue sur les arbres de M. [Y] se trouvant entre la maison de ce dernier et sa remise.

M. [Y] a alors entrepris des travaux d'envergure ; outre les travaux réalisés sur la maison principale à l'est de sa parcelle, il a fait bâtir sur toute la limite parcellaire un ensemble bâti constitué :

* d'une extension de sa maison, réalisée à l'ouest de sa maison, à savoir un rez-de-jardin surmonté d'une toiture en pente (au niveau du jardin des appelants),

* dans le prolongement de cette extension, la réalisation d'un appentis à toit terrasse venant rejoindre l'ancien appentis lui-même rebâti, qui se trouvent au niveau de la maison des appelants ; les juges administratifs ont estimé à ce sujet que cette extension devait être considérée comme faisant corps à part entière avec celle de la maison et ne pouvait être envisagée comme un élément de construction séparé, ce qui les a menés à considérer la réalisation comme ne respectant pas l'interdiction de bâtir un ensemble de plus de 200 m².

Sans tenir compte de la largeur de la maison de M. [S] [Y], les ajouts et rénovations des bâtiments ont été réalisés sur les 25 mètres de limite séparative des deux fonds (soit la distance entre l'arrête ouest de la maison principale de M. [Y] et l'arrête ouest de l'appentis rénové).

Ces aménagements se sont traduits par la création d'un mur long de près de 25 mètres qui encadre la propriété de M [D] [N] et Mme [L] [V] (qui est « empochée » en partie dans le terrain de M. [S] [Y]) et donne une nette impression d'enfermement, particulièrement au niveau de la maison des appelants sur le côté sud.

D'un point de vue visuel, l'examen des 2ème, 3ème, 4ème et 5ème photographies présentes en annexe 10 des appelants confirme le caractère oppressant de ce mur - surmonté soit d'une toiture à pan, soit d'un toit terrasse -, impression confirmée par l'étude du plan de masse produit dans les conclusions des appelants, qui résulte notamment du fait que cette réalisation a été faite d'un seul tenant le long de toute la limite parcellaire.

9

Les appelants démontrent, ce faisant, subir un préjudice découlant de cette impression d'emmurement, accompagnée nécessairement d'une perte de soleil, découlant directement du fait que M. [Y] a créé au sud de leur propriété une construction massive, sans discontinuité (plus de 200 m² au sol ; mur de près de 25 mètres de long) qui ne respecte pas le POS qui interdit justement l'édification de bâtiments aussi massifs pour éviter la création d'une impression oppressante pour le voisinage.

Il est également vain pour l'intimé de soutenir que les règles d'urbanisme non respectées protégeraient des intérêts distincts de ceux méconnus à l'origine du préjudice subi par ses voisins ; ces derniers souffrent d'une surdensification du terrain de M. [Y], voisin, et de la présence d'un mur en limite de propriété, phénomènes justement combattus par les deux articles du POS (interdiction de construire en toute limite de propriété ; plancher maximal de 200 m²).

Dans ces conditions il y aura lieu d'infirmer le jugement de première instance et d'indemniser le préjudice subi par les appelants.

Tenant compte du milieu urbain dans lequel s'inscrit le présent litige, de la densité des bâtis voisins (notamment la présence d'un bâtiment comprenant des logements collectifs à l'ouest des propriétés en litige) il y a lieu d'accorder une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts à M. [D] [N] et Mme [L] [V].

3) Sur les demandes accessoires

Le jugement de première instance, statuant sur la question des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, sera également infirmé sur ces points.

M. [S] [Y], partie succombante au sens de l'article 696 code de procédure civile, sera condamné aux dépens de première instance et en lien avec la procédure d'appel, et à verser à M. [D] [N] et Mme [L] [V] deux sommes de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés, respectivement au titre de la procédure de première instance et dans le cadre de la procédure d'appel, ces condamnations emportant nécessairement rejet de la propre demande de M. [S] [Y] tendant à être indemnisé de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile :

INFIRME le jugement rendu le 5 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Strasbourg, sauf en ce qu'il a déclaré recevable les demandes de Monsieur [D] [N] et Madame [L] [V],

10

Et statuant à nouveau et y ajoutant

CONDAMNE Monsieur [S] [Y] à payer à Monsieur [D] [N] et Madame [L] [V] la somme de 10 000 euros (dix mille euros) à titre de dommages-intérêts,

CONDAMNE Monsieur [S] [Y] aux dépens des procédures de première instance et d'appel,

CONDAMNE Monsieur [S] [Y] à verser à Monsieur [D] [N] et Madame [L] [V] une somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles qu'ils ont engagés en première instance,

CONDAMNE Monsieur [S] [Y] à verser à Monsieur [D] [N] et Madame [L] [V] une somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles qu'ils ont engagés à hauteur d'appel,

REJETTE la demande de Monsieur [S] [Y] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/01296
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;21.01296 ?
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