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04/05/2023 | FRANCE | N°21/00917

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 04 mai 2023, 21/00917


MINUTE N° 228/2023

























Copie exécutoire à



- Me Thierry CAHN



- Me CHEVALLIER-GASCHY,



Le 4 mai 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 4 Mai 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00917 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HQD3



Décision déférée à la cour

: 12 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE



APPELANT et intimé sur incident :



Monsieur [L] [K]

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Thierry CAHN, avocat à la cour.



INTIMÉES et appelantes sur incident :



Madame [R] [F] [A]
...

MINUTE N° 228/2023

Copie exécutoire à

- Me Thierry CAHN

- Me CHEVALLIER-GASCHY,

Le 4 mai 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 4 Mai 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00917 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HQD3

Décision déférée à la cour : 12 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANT et intimé sur incident :

Monsieur [L] [K]

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Thierry CAHN, avocat à la cour.

INTIMÉES et appelantes sur incident :

Madame [R] [F] [A]

Madame [W] [S] [M]

demeurant toutes les deux [Adresse 1]

représentées par Me CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 modifié et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Franck WALGENWITZ, président de chambre, et Madame Myriam DENORT, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, président de chambre

Madame Myriam DENORT, conseiller

Madame Nathalie HERY, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Dominique DONATH faisant fonction.

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 2 mars 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS et PROCÉDURE

M. [L] [K] d'une part et Mme [W] [M] et Mme [R] [A] d'autre part, sont propriétaires de deux parcelles contiguës situées respectivement [Adresse 1] (68).

Le 12 janvier 2017, M. [K] et Mme [B], sa compagne, ont saisi le tribunal d'instance de Mulhouse d'une demande tendant à la suppression, par Mme [M] et Mme [A], du raccordement d'une canalisation d'évacuation des eaux usées, ainsi qu'à l'indemnisation de leur préjudice.

Par jugement du 22 mai 2018, le tribunal d'instance de Mulhouse s'est déclaré incompétent et a renvoyé l'affaire devant la première chambre civile du tribunal de grande instance du même siège.

Par ordonnance du 14 février 2019, le juge de la mise en état a donné acte du désistement partiel de Mme [B], celle-ci n'étant pas propriétaire du fonds.

La procédure s'étant poursuivie devant le tribunal de grande instance, celui-ci, devenu le tribunal judiciaire de Mulhouse, a, par jugement du 12 janvier 2021 et sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- débouté M. [K] de sa demande tendant à la suppression du raccordement des eaux usées effectué à partir du fonds de Mme [M] et de Mme [A] sur le regard existant dans sa propriété, au regard de la servitude d'évacuation des eaux usées dont celles-ci peuvent se prévaloir,

- dit n'y avoir lieu, dans ces conditions, au prononcé d'une quelconque astreinte,

- débouté M. [K] de sa demande de dommages-intérêts,

- condamné ce dernier aux entiers dépens ainsi qu'au paiement, à Mme [M] et à Mme [A], de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'ayant lui-même débouté de sa demande présentée sur le même fondement,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le tribunal a relevé qu'il était constant et établi par les pièces produites que la canalisation d'évacuation des eaux usées des défenderesses avait été raccordée au regard d'évacuation des eaux usées implanté sur la propriété de M. [K].

Rappelant que la servitude d'écoulement des eaux usées, qui était une servitude discontinue, ne pouvait s'établir que par titre, en application de l'article 691 du code civil, le tribunal a relevé que le titre de propriété des défenderesses concernant leur maison d'habitation acquise auprès des époux [H], à savoir l'acte de vente du 30 octobre 2009, mentionnait que, selon déclaration du vendeur, l'immeuble vendu était raccordé à l'assainissement communal.

Il a rappelé également les termes d'un courrier du maire de la commune du 21 octobre 2009 précisant que l'installation de raccordement de cette liaison au réseau d'assainissement n'était pas conforme, le regard de branchement de cette construction étant implanté sur la parcelle voisine appartenant à M. [K]. Il précisait que cette non-conformité avait fait l'objet d'un accord amiable entre les deux parties, finalisé par un acte sous-seing privé du 13 mai 2003, qu'il y aurait lieu de confirmer à l'occasion de cette vente par l'insertion d'une servitude en bonne et due forme.

L'acte précisait que l'acquéreur déclarait avoir parfaite connaissance de cette non-conformité et vouloir en faire son affaire personnelle, sans recours contre quiconque.

L'acte sous-seing privé du 10 mai 2003 était un écrit de M. [H] et de M. [K], par lequel ces derniers précisaient avoir acquis leurs terrains respectifs viabilisés auprès de M. [J], et indiquaient que, suite à la réfection de la rue, M. [K] avait adapté le niveau de son regard et remarqué que la conduite des eaux usées s'écoulait dans le même puits au lieu de la voie publique. Tous deux demandaient si la situation actuelle pouvait « rester comme ça » et ajoutaient « afin de ne pas avoir à ouvrir la route, nous serions prêts à établir une servitude ».

Le tribunal a considéré que ce document tendait à démontrer la disposition de M. [K] à établir une servitude au profit du fonds appartenant désormais aux défenderesses et à laisser perdurer la situation en place.

Même à considérer qu'il n'était pas suffisamment précis quant à l'accord de volonté donné, il valait en tout état de cause commencement de preuve par écrit et était complété par des présomptions de fait tenant au comportement adopté par le demandeur, qui ne démontrait pas avoir contesté les termes du courrier du maire de la commune du 14 janvier 2005 et n'avait jamais contesté le branchement opéré pendant près de 13 ans, entre 2003 et 2016, l'existence de ce branchement étant démontrée dès 2003.

Le tribunal en a conclu que les défenderesses étaient bien fondées à se prévaloir d'une servitude d'écoulement des eaux usées au préjudice du fonds du demandeur.

Dès lors, la demande de dommages-intérêts de M. [K] n'était pas fondée, faute de justifier d'une faute des défenderesses mais aussi des préjudices matériel et moral allégués.

M. [K] a interjeté appel de ce jugement le 11 février 2021.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 09 novembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 30 septembre 2022, M. [K] sollicite que la cour reçoive son appel, qu'elle rejette l'appel incident, quelle réforme en totalité le jugement entrepris et qu'elle :

- condamne Mme [M] et Mme [A], solidairement et ensemble, à supprimer le raccordement de leur propriété des eaux usées sur le regard existant dans sa propriété avec raccordement au réseau public, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de deux mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

- dise que, faute pour Mme [M] et Mme [A] d'effectuer les travaux dans un délai de six mois à compter de la décision à intervenir, il sera autorisé à les faire effectuer aux entiers frais des intimées, par une entreprise, sans nécessiter de présentation préalable de devis,

- condamne en tout état de cause solidairement Mme [M] et Mme [A] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral et matériel,

- condamne solidairement Mme [M] et Mme [A] aux entiers dépens des deux instances ainsi qu'au versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour chacune des deux instances, soit 3 000 euros au total,

- rejette toute prétention de Mme [M] et Mme [A].

M. [K] soutient en premier lieu qu'en application des dispositions de l'article 42 de la loi du 1er juin 1924, tout acte entre vifs portant constitution ou transmission d'une servitude foncière souscrite sous une autre forme doit être suivi, à peine de caducité, d'un acte authentique et, en cas de refus de l'une des parties, d'une demande en justice dans les six mois qui suivent la passation de l'acte.

Il soutient également que :

- il n'y a jamais eu le moindre accord entre les parties et aucun engagement précis et détaillé justifiant l'existence d'un titre, qu'il n'a signé aucun acte sous-seing privé ou acte authentique et que l'absence de rédaction d'un titre depuis 2003 démontre l'absence d'accord définitif,

- la lettre au maire n'était destinée qu'à l'autorité administrative et non pas au propriétaire de l'autre fonds,

- lui seul a fait le nécessaire pour se raccorder directement, conformément à la réglementation, et il n'avait écrit la lettre de 2003 qu'en raison de l'engagement de la mairie à effectuer des opérations de curetage qui n'ont jamais eu lieu, alors que le diamètre du tuyau est insuffisant pour les deux propriétés et source de difficultés futures, créant également une moins-value pour son terrain, et que le raccordement sollicité à la charge des intimées n'est guère coûteux,

- le raccordement des immeubles au réseau public de collecte destiné aux eaux usées domestiques est obligatoire dans le délai de deux ans à compter de la mise en service de ce réseau, en application de l'article L.1331-1 du code de la santé publique, et, quand bien même il aurait donné son accord, il pourrait le remettre en cause au regard des circonstances et de la réglementation,

- la servitude prétendue n'a ni cause, ni contrepartie, les intimées n'ayant proposé aucune indemnité, alors qu'il s'agit d'une charge selon l'article 637 du code civil,

- il ne s'agit pas d'un lotissement,

- les travaux de viabilisation n'ont pas été réalisés par M. [J] mais par lui-même en septembre 1996, et tout démontre que les branchements des deux maisons n'ont pas été effectués ensemble.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 5 septembre 2022, Mme [M] et Mme [A] sollicitent le rejet de l'appel de M. [K] et la confirmation de la décision déférée, au besoin par substitution de motifs, sous réserve du complément de jugement ou de leur appel incident.

Subsidiairement, si la cour devait faire droit dans son principe à la demande de suppression de raccordement formulée par M. [K], elles sollicitent le rejet de ses demandes de condamnation sous peine d'astreinte.

Encore plus subsidiairement, elles sollicitent qu'il soit dit et jugé qu'une astreinte ne saurait courir avant autorisation et réalisation éventuelle des travaux préalables à la charge du SIVOM et avant un délai de six mois à compter desdites autorisations et desdits travaux éventuels, et que soient rejetées, en tout état de cause, les demandes adverses au titre des dommages intérêts, de l'article 700 et des frais.

Formant demande de complément de jugement, les intimées sollicitent que le jugement déféré soit complété en ce qu'il a omis de statuer sur leur demande reconventionnelle et que la cour, statuant à nouveau, complète ce jugement en y ajoutant : dire et juger que le fonds, propriété de Mme [M] et de Mme [A], section [Cadastre 2], sur le ban de la commune de [Localité 4], bénéficie d'une servitude de passage de canalisation des eaux usées sur le fonds de M. [K], section [Cadastre 3].

Subsidiairement, sur appel incident, elles sollicitent que le jugement soit infirmé en tant qu'il les déboute de leur demande reconventionnelle et que la cour, statuant à nouveau, dise et juge que le fonds, propriété de Mme [M] et de Mme [A], section [Cadastre 2], sur le ban de la commune de [Localité 4], bénéficie d'une servitude de passage de canalisations des eaux usées sur le fonds de M. [K], section [Cadastre 3].

Elles sollicitent le rejet de toute conclusion plus ample ou contraire de M. [K] ainsi que la condamnation de ce dernier aux entiers frais et dépens de la procédure ainsi qu'au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre extrêmement subsidiaire, si la cour devait faire droit à la demande de suppression de raccordement présentée par la partie adverse, elles demandent qu'elle dise et juge que la condamnation du raccordement, du côté de leur propriété, le cas échéant doublée d'une condamnation du côté de la propriété adverse, constituera une mesure suffisante, sans qu'il y ait lieu de supprimer le tuyau et le dispositif de raccordement existant, et qu'elle leur impartisse un délai suffisant de saisine du SIVOM pour obtenir l'autorisation de réalisation des travaux sans qu'il y ait lieu d'enfermer celle-ci dans un délai, au regard des suggestions évoquées ci-dessus.

Les intimées soutiennent tout d'abord que, si l'article 42 de la loi de 1924 impose la réalisation d'un acte authentique, qui seul est de nature à être transcrit au livre foncier et à permettre la publicité foncière, la publication au livre foncier de la constitution de droits réels et en particulier d'une servitude est exigée pour être opposable aux tiers mais n'a aucune incidence dans les rapports entre les parties.

Elles se prévalent d'un courrier du 10 janvier 2005 adressé à la commune, signé par M. [K] et par M. [H], faisant état d'un accord pour le passage, sur le terrain du premier, du réseau d'évacuation des eaux usées provenant de la propriété du second, dans lequel l'accord de volonté est clairement exprimé. Ce courrier était annexé à l'acte par lequel elles ont acquis leur bien et qui constitue le titre confirmé par le comportement de M. [K], comme le retient le tribunal.

Les intimées précisent que ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elles invoquent l'application de l'article 693 du code civil visant la reconnaissance des servitudes par destination du père de famille.

À ce titre, elles rappellent que les fonds de chacune des parties résultent de la division de celui de M. [J], qui les avaient viabilisés. Elles soutiennent que le titre est matérialisé par le plan cadastral portant division, établi par un géomètre expert, joint au certificat d'urbanisme en projet, lequel a été mis en 'uvre le 17 mars 1995, ce document ne comportant aucune stipulation contraire.

De plus, il existe des signes apparents de servitude résultant du branchement opéré sur le regard situé sur la parcelle de M. [K] après division du fonds, l'examen du regard permettant de constater ce branchement.

Elles ajoutent que :

- ce branchement a été fait dès l'origine par M. [J] avant division, ce que confirme l'acte de vente de ce dernier à M. [H] et l'écrit du 10 mai 2003 ; leur canalisation passant sous le regard et les réseaux d'eau potable de M. [K] (ce qui confirme encore son antériorité), une modification de la situation pourrait endommager les installations de ce dernier,

- l'article 1331-1 du code de la santé publique prévoit que le raccordement des immeubles au réseau public de collecte peut être établi par une servitude de passage, ce qui est le cas dans la situation présente, de telles conditions de raccordement ayant été considérées comme régulières par la commune et la collectivité territoriale ; de plus, toute contestation fondée sur ce texte relève des prérogatives de puissance publique des collectivités et serait prescrite,

- toute demande d'indemnité au titre de cette servitude serait prescrite.

A titre subsidiaire, les intimées exposent qu'elles seraient confrontées à de nombreuses difficultés, si elles devaient enlever la canalisation partant de leur regard jusqu'à celui de la propriété [K]. Elles invoquent un devis établi à la demande du maire qui ne prévoit que la condamnation de la canalisation, ce qui, au regard des difficultés matérielles, serait une mesure suffisante.

Sur la demande de dommages intérêts de M. [K], les intimées contestent tout préjudice matériel ou préjudice moral subi par l'appelant, ainsi que l'astreinte et le délai de réalisation des travaux de deux mois sollicités par ce dernier.

Elles précisent que le seul engagement qu'elles peuvent prendre est celui de s'adresser au SIVOM pour obtenir l'autorisation de réaliser les travaux, puis de réaliser ceux-ci dans un délai de six mois à compter de l'autorisation donnée.

Enfin, les intimées soutiennent que le premier juge a omis de statuer sur la demande reconventionnelle aux fins de reconnaissance de la servitude de passage de la canalisation des eaux usées mais que, si la cour devait considérer que la mention générale de débouté du dispositif vaut rejet de ladite demande, elles forment appel incident.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties constituées, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

I ' Sur les demandes réciproques de suppression du raccordement de l'écoulement des eaux usées et de reconnaissance de la servitude de passage des canalisations des eaux usées

Ainsi que l'a indiqué le premier juge, une servitude d'écoulement des eaux usées, servitude discontinue, ne peut s'établir que par titre, conformément aux dispositions de l'article 691 du code civil, étant souligné que la Cour de cassation rappelle de façon constante qu'aucun texte n'exige que l'acte constitutif d'une servitude soit dressé en la forme authentique ou publié. En effet, la publication n'a pour seule utilité que de permettre l'opposabilité aux tiers. Or, dans la situation présente, les seuls tiers à l'acte constitutif de servitude invoqué sont les intimées.

De plus, le tribunal a justement rappelé que le titre établissant la servitude est l'acte juridique constitutif de celle-ci, s'agissant d'un écrit, quelle qu'en soit la forme, constatant l'accord de volonté entre les propriétaires originels des fonds concernés. En outre, le juge peut se fonder sur un commencement de preuve par écrit et le compléter par des indices concordants, la seule exigence étant que l'écrit constate l'accord de volonté, indépendamment de sa forme.

Dans la situation présente, il résulte des pièces produites que les intimées ont acquis leur bien immobilier des époux [H], par acte notarié du 30 octobre 2009, et que ces derniers avaient eux-mêmes acquis ce bien de M. [J] en 1996, M. [K] ayant lui-même acquis le sien du même vendeur, au cours de la même année, au cours de laquelle M. [J] avait procédé à une division de la parcelle incluant ces deux terrains, le certificat d'urbanisme délivré à l'occasion de ce projet de division ainsi que les actes de vente constituant les titres de propriété respectifs des parties mentionnant l'existence d'un réseau d'assainissement.

Par un courrier commun adressé au maire de la commune le 10 mai 2003, M. [K] et M. [H], expliquant qu'ils avaient acheté leurs terrains respectifs viabilisés à M. [J], en 1996, ont expliqué, ainsi que l'a rappelé le premier juge, que, suite à la réfection de la rue du 5e RSM, M. [K] avait adapté le niveau de son regard et remarqué que la conduite des eaux usées de M. [H] s'écoulait « dans le même puits, au lieu de la voie publique ».

Interrogeant le maire sur la possibilité que la situation reste telle qu'elle était, ils ont ajouté : « Afin de ne pas avoir à rouvrir la route, nous serions prêts à établir une servitude ».

Il est à noter que cet écrit a été annexé à l'acte notarié par lequel les intimées ont acquis leur bien immobilier des époux [H].

Par cet écrit signé conjointement en 2003, les propriétaires des deux fonds à cette période, M. [K] et les époux [H], ont donc exprimé leur accord pour établir une servitude d'évacuation des eaux usées au profit du fonds des époux [H] sur celui de M. [K], sollicitant cependant l'aval du maire, dans la mesure où la constitution d'une telle servitude supposait le maintien de la situation existante.

Précisément, cette lettre a été rédigée alors que les propriétaires de l'époque venaient de découvrir la situation existante concernant le raccordement de l'évacuation des eaux usées du fonds acquis par les époux [H] au réseau du fonds de M. [K].

Si M. [K] a semblé remettre en cause cet accord par une lettre recommandée adressée le 6 juillet 2004 à M. [H], menaçant de faire condamner à ses frais le raccordement, à défaut de solution dans un délai de 30 jours, il doit être souligné que, non seulement il n'en a rien fait, mais il a au contraire adressé au maire, le 10 janvier 2005, une lettre l'informant de la confirmation de son accord. Si celle-ci n'est pas produite, les parties versent aux débats la réponse du maire du 14 janvier 2005, lequel a écrit :

« J'ai bien reçu votre courrier du 10 janvier 2005.

Vous y faites part de votre accord pour le passage sur votre terrain du réseau d'évacuation des eaux usées provenant de la propriété de M. [H] [E].

Au vu de ce qui précède, et conformément à mon accord verbal, je confirme que la commune prendra en charge toute intervention en cas d'obstruction du réseau assainissement, de la rue du 5e R.S.M. au regard de M. [H]. »

Si l'accord des époux [H] exprimé dans l'écrit du 10 mai 2003, concernant cette servitude, a été confirmé par leur utilisation de cette évacuation de leurs eaux usées raccordée à celle de leurs voisins, l'accord de M. [K] l'a été, quant à lui, par sa lettre au maire du 10 janvier 2005, dont la preuve est rapportée par la réponse de ce dernier qui en rappelle précisément le contenu, s'agissant de cet accord. Il s'agit bien là d'un élément corroborant précisément le commencement de preuve par écrit, peu importe qu'il ne soit pas adressé à M. [H], mais au maire de la commune.

Au surplus, ce commencement de preuve par écrit a également été corroboré par le comportement de M. [K] lui-même qui a laissé délibérément ses voisins continuer à utiliser ce raccordement sans le condamner durant les 12 années qui ont suivi, étant observé que son action aux fins de suppression de celui-ci, introduite en janvier 2017, s'inscrit en réalité dans une succession de différends et de litiges entre les parties qui ont fait suite à une très vive dégradation de leurs relations survenue courant 2015, d'après une audition de la compagne de M. [K] auprès des services de gendarmerie du 29 novembre 2016.

Enfin, s'agissant de l'absence de contrepartie ou d'indemnité, si la servitude constitue une charge imposée au fonds servant, selon l'article 637 du code civil, l'existence d'une contrepartie, indemnitaire ou autre, ne constitue pas un élément de preuve de l'existence de la servitude elle-même, n'ayant aucun caractère obligatoire. De plus, en l'espèce, au vu de la situation du raccordement d'évacuation des eaux usées du fonds voisin sur le terrain de M. [K], l'existence d'une telle contrepartie n'apparaît nullement s'imposer, la moins-value en résultant pour son bien immobilier n'étant d'ailleurs aucunement démontrée.

Au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, ainsi que le tribunal l'a retenu, l'existence de la servitude d'écoulement des eaux usées créée conventionnellement au profit du fonds des intimées sur le fonds de l'appelant est démontrée, ce dont il résulte que la demande de ce dernier aux fins de suppression de ce raccordement est infondée. Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande.

Il en est de même en ce que le jugement entrepris a rejeté sa demande de dommages et intérêts, dans la mesure où, sa demande principale n'étant pas fondée, M. [K] ne rapporte la preuve d'aucune faute des intimées lui ayant causé un préjudice, qu'il soit moral ou matériel.

Par ailleurs, dans la mesure où les développements qui précèdent confirment l'existence de la servitude d'écoulement des eaux usées du fonds des intimées sur celui de l'appelant, il convient d'infirmer le jugement en ce que, déboutant les parties du surplus de leurs demandes, il a débouté Mme [M] et Mme [A] de la demande portant sur cette servitude, et d'accueillir celle-ci.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions principales, il le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens de première instance.

De plus, l'appel de M. [K] étant rejeté, celui-ci assumera les dépens d'appel. Dans ces circonstances, sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'il a engagés en appel, sera rejetée. En revanche, l'équité commande de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros qu'il devra régler à Mme [W] [M] et Mme [R] [A], ensemble, au même titre et sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Mulhouse le 12 janvier 2021, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [M] et de Mme [A] tendant à ce qu'il soit dit que leur fonds bénéficie d'une servitude de passage de canalisations des eaux usées sur le fonds de M. [K],

Statuant à nouveau sur ce seul chef et y ajoutant,

DIT que le fonds appartenant à Mme [W] [M] et à Mme [R] [A], cadastré section [Cadastre 2], sur le ban de la commune de [Localité 4], bénéficie d'une servitude de passage de canalisation des eaux usées sur le fonds de M. [L] [K], cadastré section [Cadastre 3],

CONDAMNE M. [L] [K] aux dépens d'appel,

CONDAMNE M. [L] [K] à payer à Mme [W] [M] et Mme [R] [A], ensemble, la somme de 1 500,00 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que ces dernières ont engagés en appel,

REJETTE la demande de M. [L] [K] présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'il a engagés en appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/00917
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;21.00917 ?
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