MINUTE N° 23/212
Copie exécutoire à :
- Me Soline DEHAUDT
- Me Marie SOYER
Copie aux parties
par LRAR
Le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 03 Avril 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/02002 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H25N
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 26 avril 2022 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Guebwiller
APPELANTES :
Madame [I] [J]
[Adresse 7]
[Localité 16]
Comparante, assistée de Me Soline DEHAUDT, avocat au barreau de STRASBOURG
Madame [S] [Z]
[Adresse 8]
[Localité 17]
Comparante, assistée de Me Soline DEHAUDT, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMÉS :
Monsieur [T] [R]
[Adresse 6]
[Localité 20]
Comparant, assisté de Me Marie SOYER, avocat au barreau de PARIS
Madame [P] [O]
[Adresse 4]
[Localité 18]
Représentée par Me Marie SOYER, avocat au barreau de PARIS
E.A.R.L. [E] [R]
[Adresse 5]
[Localité 20]
Représentée par Me Marie SOYER, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme MARTINO, Présidente de chambre
Mme FABREGUETTES, Conseiller
M. LAETHIER, Vice-Président placé
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme HOUSER
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
Mesdames [I] [Z] épouse [J], [S] [Z] et [P] [Z] épouse [O] sont propriétaires, chacune pour un tiers indivis, d'une parcelle de vigne cadastrée commune de [Localité 20], section 12 n° [Cadastre 3] « [Adresse 21] », d'une contenance de 5 ares 26 centiares.
Cette parcelle, donnée à bail, est exploitée par l'Earl [E] [R], dont le gérant actuel est Monsieur [T] [R].
Le 16 avril 2019, Madame [I] [J] a délivré congé à l'Earl [E] [R] à effet au 11 novembre 2019, au visa de l'article 1775 du code civil, s'agissant d'une petite parcelle non soumise au statut du fermage.
Un second congé daté du 9 mai 2019 a été signifié par huissier le 10 mai 2019 à l'Earl [E] [R], à la demande de Madame [I] [J] et de Madame [S] [Z].
Monsieur [T] [R] a contesté les termes de ce congé, au motif que les dispositions du statut du fermage devaient s'appliquer, la parcelle se trouvant incluse dans un îlot et étant essentielle à son exploitation.
Par acte du 30 janvier 2020 et conclusions ultérieures, Monsieur [T] [R] et l'Earl [E] [R] ont assigné Madame [I] [J] aux fins de voir dire qu'ils sont et à tout le moins l'Earl [E] [R], titulaires d'un bail rural relevant du statut du fermage à compter du 1er décembre 2001, résultant d'une soumission volontaire des parties au statut de bail à ferme et d'autre part de ce que la parcelle concernée ainsi que l'îlot de parcelles contiguës de l'exploitant sont d'une superficie supérieure au seuil fixé par arrêté préfectoral pour l'application du statut de fermage. Ils ont sollicité l'annulation des congés délivrés le 16 avril 2019 et le 10 mai 2019 en raison des irrégularités dont ils sont affectés, en l'absence d'accord de tous les indivisaires, de délivrance au preneur et d'inobservation des formes et délais requis. Subsidiairement, ils ont sollicité la désignation d'un expert afin de fournir les éléments permettant de déterminer l'importance des améliorations en vue de la détermination d'une indemnité au preneur sortant et ont sollicité l'autorisation de se maintenir dans les lieux jusqu'au règlement d'une telle indemnité.
Ils ont demandé en tout état de cause qu'il soit fait interdiction, sous astreinte de 1 000 € par infraction constatée, à Mesdames [I] [J] et [S] [Z] de pénétrer sur la parcelle louée et ont sollicité condamnation de ces dernières aux dépens, ainsi qu'à leur payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [P] [O] est intervenue volontairement à l'instance au soutien des intérêts des demandeurs.
Mesdames [I] [J] et [S] [Z], qui est intervenue à la procédure, ont conclu au rejet des demandes, au motif que le bail n'est pas soumis au statut du fermage, ont demandé qu'il soit dit que la location est soumise au régime des baux de petite parcelle, qu'il soit dit que le congé du 10 mai 2019 est régulier. Elles ont demandé l'expulsion du preneur avec au besoin le recours à la force publique et sous astreinte de 100 € par jour de retard, ainsi que condamnation des demandeurs à payer à Madame [I] [J] la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement du 26 avril 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Guebwiller a :
-rejeté la demande de mesures d'instruction,
-dit n'y avoir lieu d'écarter certaines pièces des débats,
-débouté Monsieur [T] [R], l'Earl [E] [R] et Madame [P] [O] de leur demande avec astreinte portant interdiction de pénétrer sur la chose louée,
-déclaré nuls et sans effet les congés de bail rural concernant la parcelle de vigne cadastrée section 12 n° [Cadastre 3] située à [Localité 20], d'une contenance de 5 ares et 26 centiares, délivrés les 16 avril 2019 et 10 mai 2019 par Madame [I] [J] et/ou Madame [S] [Z] à l'encontre de l'Earl [E] [R],
-débouté Madame [I] [J], partie défenderesse et Madame [S] [Z], partie intervenante en défense, de leurs prétentions reconventionnelles,
-dit que le preneur à bail sur la parcelle concernée précédemment spécifiée est Monsieur [T] [R] et que le bail rural dont il s'agit relève du statut du fermage à partir du 1er décembre 2019,
-rappelé l'exécution provisoire du jugement,
-dit n'y avoir lieu à octroi d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Mesdames [I] [J] et [S] [Z] aux dépens.
Pour se déterminer ainsi, le premier juge a notamment retenu que le congé ou le refus de renouvellement de bail portant sur un immeuble à usage agricole requiert le consentement de tous les indivisaires, s'agissant d'un acte qui ne se rattache pas à l'exploitation normale des biens ; que Madame [O] a clairement refusé de donner son accord à la délivrance du congé rural ; que les congés ruraux, qui portent partiellement atteinte à la chose d'autrui, doivent être annulés sur le fondement de l'article 815-3 du code civil ; que par ailleurs, la parcelle était initialement prise à bail par Monsieur [E] [R], qui a cédé son bail à son fils [T] [R], qui a ensuite mis le bien à disposition de l'Earl [E] [R] ; que les défenderesses ne sont pas fondées à soutenir que l'Earl [E] [R] serait la preneuse à bail ; qu'en raison de la nullité des congés, le bail de vignes a été renouvelé sous l'égide de l'arrêté préfectoral du Haut-Rhin du 18 octobre 2019, applicable en l'espèce à compter de ce renouvellement ; que la parcelle dont il s'agit est à proximité de deux autres numéros [Cadastre 2] et [Cadastre 1], également exploitées par Monsieur [T] [R] et que la totalité de cet ensemble parfaitement contigu représente 15,57 ares et est donc supérieur au seuil de 10 ares fixés par l'arrêté préfectoral ; que le bail est donc soumis au statut du fermage ; que du fait de l'impossibilité de reconstituer exactement l'historique du contrat, le bail prend effet à compter du 1er décembre 2019.
Mesdames [I] [J] et [S] [Z] ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 17 mai 2022.
Par écritures notifiées le 3 février 2023 reprises oralement à l'audience devant la cour du 6 février 2023, elles concluent à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a :
-déclaré nuls et sans effet les congés de bail rural concernant la parcelle de vigne cadastrée section 12 n° [Cadastre 3] située à [Localité 20], d'une contenance de 5 ares et 26 centiares, délivrés les 16 avril 2019 et 10 mai 2019 par Madame [I] [J] et/ou Madame [S] [Z] à l'encontre de l'Earl [E] [R],
-débouté Madame [I] [J], partie défenderesse et Madame [S] [Z], partie intervenante en défense, de leurs prétentions reconventionnelles,
-dit que le preneur à bail sur la parcelle concernée précédemment spécifiée est Monsieur [T] [R] et que le bail rural dont il s'agit relève du statut du fermage à partir du 1er décembre 2019,
-rappelé l'exécution provisoire du jugement,
-dit n'y avoir lieu à octroi d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Mesdames [I] [J] et [S] [Z] aux dépens.
Elles demandent à la cour de :
-déclarer que la location de la parcelle ci-après désignée suit le régime juridique des baux de petite parcelle : commune de [Localité 20] section 12 n° [Cadastre 3] [Adresse 21],
-déclarer que le bail a été conclu au profit de l'Earl [E] [R],
En conséquence,
-dire régulier le congé délivré le 10 mai 2019 sur ladite parcelle,
-ordonner la libération de la parcelle par l'Earl [E] [R] et tous occupants de son chef à compter de la date de la signification de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de cette même date,
-ordonner en tant que de besoin l'expulsion de l'Earl [E] [R] et de tous occupants de son chef, le cas échéant avec le concours de la force publique,
-débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes,
-condamner in solidum les intimés à payer à Mesdames [I] [J] et [S] [Z] la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner in solidum les intimés aux entiers frais et dépens.
Elles font valoir que la parcelle était plantée en vignes dès la prise à bail par l'Earl [E] [R] et n'était donc pas en friche ainsi qu'il est mensongèrement soutenu par les intimés ; que le preneur à bail a, sans autorisation du bailleur, effectué des travaux de terrassement et modifié l'encépagement de la parcelle ; qu'il a de même procédé à la destruction d'une cabane en contrebas du terrain, a abattu deux arbres fruitiers, a détruit un muret en grès des Vosges marquant la limite entre la parcelle et le chemin rural, nivelé l'ensemble du terrain, la culture en terrasse traditionnelle n'ayant pas été conservée, a supprimé les bornes en granit délimitant le terrain ; que l'Earl [E] [R] n'a versé de fermages que depuis l'année 2011 ; que l'ensemble de ces agissements les ont décidées à mettre fin au bail de l'Earl [E] [R].
Elles soutiennent que le congé de bail rural est un acte d'administration et que les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent valablement délivrer ce congé ; qu'il a de même été jugé que l'action en résiliation de bail rural visant à mettre un terme au contrat relève également de l'exploitation normale des biens indivis ; que les intimés ne peuvent soutenir que la notion d'exploitation normale des biens conduit à s'interroger sur l'intérêt de l'indivision au regard de l'exploitation future du bien, alors que le congé entraîne les mêmes effets qu'un congé retraite ou un congé pour agissements fautifs, un autre exploitant devant être trouvé ; qu'en cas de désaccord entre les coïndivisaires sur l'exploitation et la jouissance des biens indivis, l'article 815-9, prévoyant que le président du tribunal est compétent pour trancher tout désaccord, a vocation à s'appliquer ; que ces congés ne conduisent pas à modifier la destination normale des biens et n'en compromettent pas la substance ; que seule la résiliation du bail signifiée sur le fondement de l'article L 411-32 du code rural, en vue du changement de destination du bien, conduirait à ces conséquences ; que le congé n'est pas soumis au statut du fermage, mais relève des dispositions des articles 1774 et 1775 du code civil et n'a donc pas être motivé ; que l'opposition éventuelle de Madame [P] [O] à l'exploitation de la parcelle par Madame [I] [J] a vocation à être tranché dans le cadre d'une autre instance mais ne peut faire obstacle au congé et ne porte pas atteinte à la chose d'autrui ; que l'obligation d'information des autres indivisaires n'implique pas de recueillir leur accord et n'est pas sanctionnée par la nullité du congé ; que
l'intervention volontaire à la procédure de Madame [O] confirme qu'elle avait été informée du congé.
Elles soutiennent que la parcelle, inférieure au seuil de 20 ares fixé par l'arrêté du 8 novembre 1995 pour l'application du statut du fermage, suit le régime des baux de petite parcelle prévue à l'article L 411-3 du code rural ; qu'elle fait partie d'un îlot de cultures contiguës n° [Cadastre 2] et [Cadastre 1] pour une surface totale de 15,57 ares, inférieure au seuil de 20 ares à partir duquel s'applique le statut du fermage ; que l'arrêté préfectoral du 18 octobre 2019, réduisant à 10 ares le seuil d'application du statut du fermage en cas d'îlot, n'est applicable au litige que si le bail a été renouvelé depuis le 18 octobre 2019 ; que le congé a empêché ce renouvellement, de sorte que le bail est soumis au statut des baux de petite parcelle.
Elles font valoir que les intimés ne peuvent soutenir que la parcelle serait incluse dans un îlot composé de parcelles numérotées [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 19], d'une contenance de 1 hectare et 3 ares, au motif que ces autres parcelles se situent de l'autre côté d'un chemin cadastral dénommé « [Adresse 22] » ; qu'aucune des parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] ne sont contiguës à une parcelle de l'autre îlot, de sorte que les surfaces des deux îlots ne peuvent s'additionner pour en former un seul ; que le simple fait que l'Earl [E] [R] a déclaré depuis 2010 à la Pac un îlot numéroté 10 d'une surface totale de 1,3 hectares incluant la parcelle en litige ne fait pas preuve, en ce que le dossier Pac ne constitue qu'une déclaration unilatérale de l'exploitant, sans intervention du bailleur ; que la déclaration invoquée apparaît de même manifestement contraire aux règles strictes des déclarations d'îlots et de parcelles au titre de la Pac, visant un regroupement de parcelles contiguës limitées par des éléments permanents et facilement repérables comme un chemin, une route, un ruisseau ou par des exploitations d'autres agriculteurs ; que le premier juge a reconnu que seul l'îlot composé des parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] doit être retenu ; que l'existence du chemin rural séparant les deux îlots est rapportée, en ce qu'il est cadastré, qu'il est visible sur les vues aériennes Pac et qu'il ne peut être réduit à une simple tournière ; qu'il est utilisé par le public et est matérialisé par des murets en pierre sur la quasi-totalité de son parcours, sauf devant les vignes de Monsieur [R] où ils ont été supprimés par ce dernier en 2005 ; que le chemin est également apparent sur la carte de l'IGN et le plan du cadastre.
Elles contestent que la parcelle présenterait un caractère essentiel pour l'Earl [E] [R], en ce que les intimés n'apportent pas la preuve que l'exploitation pourrait être mise en péril par la perte de la parcelle, ou qu'elle occasionnerait la perte d'un avantage important ; qu'au contraire, l'Earl [E] [R]
exploite de nombreuses parcelles pour une surface totale de 7 hectares 42 ares 12 centiares de vignes et que la parcelle litigieuse ne représente donc que 0,7 % de la surface d'exploitation de la société agricole ; que la perte de cotation en conséquence de la résiliation du bail de la parcelle serait très peu significative et ne pourrait porter atteinte à la survie de l'exploitation [R] ; que la parcelle n'est au demeurant pas située en plein c'ur de l'îlot, mais à une de ses extrémités et en décroché par rapport aux autres parcelles ; que les travaux d'enlèvement du mur qui était présent sur la parcelle ont été engagés sans l'accord des bailleurs, en infraction aux obligations du preneur.
Elles contestent que les parties se seraient volontairement soumises au statut du fermage lors de la conclusion du contrat, le fait, le cas échéant, de fixer le loyer du bail dans la fourchette des montants applicables en matière de fermage n'ayant pas pour effet de conférer au contrat la qualité de bail à ferme ; que la soumission volontaire au statut du fermage nécessite que soit établie la volonté claire et non équivoque du bailleur de renoncer à l'application de l'article L 411-3 du code rural, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Concernant la titularité du bail, elles font valoir que l'Earl [E] [R] est locataire, ce pourquoi le congé lui a été délivré ; qu'aucun fermage n'a jamais été payé par Monsieur [E] [R] ou par Monsieur [T] [R], mais qu'ils l'ont été toujours par l'Earl [E] [R]; que Monsieur [E] [R] ne figure sur la déclaration MSA qu'en sa qualité de gérant de l'Earl, à laquelle le bail a été consenti ; que les intimés n'apportent aucune preuve de ce que Monsieur [E] [R] aurait été titulaire du bail et l'aurait cédé à son fils ; qu'au demeurant, une telle cession aurait dû faire l'objet d'une autorisation du bailleur, qui n'a jamais été demandée ni obtenue.
Concernant la demande d'expertise, elles font valoir que l'Earl [E] [R] ne justifie pas avoir demandé ni obtenu l'autorisation de Monsieur [W] [Z], alors usufruitier et bailleur, d'effectuer des travaux de terrassement et de modifier l'encépagement de la parcelle, de sorte qu'aucune indemnité de sortie n'est due ; que la demande d'expertise est donc sans objet.
Par dernières écritures reprises oralement à l'audience devant la cour, Monsieur [T] [R], l'Earl [E] [R] et Madame [P] [O] ont conclu à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et au rejet des demandes de Madame [I] [J] et de Madame [S] [Z].
À titre subsidiaire et avant-dire droit, ils ont sollicité que soit ordonné le transport de la cour sur les lieux afin de lui permettre de prendre connaissance de la configuration des lieux et
d'apprécier l'inclusion de la parcelle cadastrée section 12 numéro [Cadastre 3] située à [Localité 20] dans l'îlot de culture numéro 10 des exploitants.
À titre infiniment subsidiaire, pour le cas où les congés seraient validés, ils sollicitent la désignation d'un expert foncier agricole, spécialisé dans la culture de vignes, aux fins de fournir tous les éléments techniques et de fait permettant de déterminer l'importance des améliorations apportées, des investissements réalisés et de donner son avis sur l'indemnité de sortie qui pourra être accordée au titre des améliorations culturales.
Ils demandent que Monsieur [T] [R] et l'Earl [E] [R] soient autorisés à se maintenir dans les lieux pendant la durée de la procédure d'expertise et jusqu'au règlement de l'indemnité leur revenant. Ils demandent enfin condamnation solidaire des appelantes aux entiers dépens, ainsi qu'à verser à Monsieur [T] [R] et à l'Earl [E] [R] la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir qu'à compter du 1er décembre 2001 et avec l'accord de l'usufruitier, Monsieur [W] [Z], Monsieur [E] [R] a cédé le bail dont il disposait sur la parcelle litigieuse à son fils [T] [R], lequel a mis la parcelle à disposition de l'Earl [E] [R] ; que les congés délivrés à l'initiative de Madame [I] [J] sont nuls, en ce qu'ils mécon- naissent les règles de l'indivision posées à l'article 815-3 du code civil ; que le renouvellement et la conclusion de baux portant sur un immeuble à usage agricole nécessitent le consentement de tous les indivisaires ; que les actes pouvant être passés à la majorité des deux tiers doivent remplir deux conditions cumulatives : relever de l'une des quatre catégories visées à l'article précité et ressortir à l'exploitation normale des biens indivis ; que la définition d'une telle exploitation normale nécessite de s'interroger sur l'existence d'une contestation entre indivisaires ou à l'inverse, d'une parfaite entente entre eux, ainsi que d'en tirer les conséquences sur les possibilités et potentiel d'exploitation postérieurs à la délivrance du congé contesté et donc de déterminer si le congé délivré l'a été dans l'intérêt de l'indivision propriétaire ; que tel n'est pas le cas d'un congé délivré afin de reprise par l'un des indivisaires, si les autres ne s'accordent pas pour le laisser exploiter ; que la jurisprudence constante antérieure à l'ordonnance de 2006 demeure donc parfaitement applicable selon les cas ; que la jurisprudence selon laquelle une action en résiliation de bail rural ne nécessite que la réunion des deux tiers des droits indivis ne concerne pas le cas d'un congé reprise, qui implique la mise en place d'un nouvel exploitant pour une durée minimale de neuf ans ; qu'en l'espèce, Madame [P] [O] n'a pas participé à la délivrance du congé et n'a pas été consultée par sa s'ur
[I] relativement à son intention de mettre fin au bail ; que le congé délivré par Madame [J] en vue de reprendre l'exploitation du fonds s'analyse en un acte de disposition ; que l'article 815-9 du code civil prévoit l'accord des indivisaires pour que l'un d'entre eux puisse user et jouir des biens indivis conformément à leur destination ; que Madame [J] n'a jamais justifié être en mesure d'exploiter effectivement la parcelle, qui requiert en outre un savoir-faire particulier ; qu'en l'absence d'accord de Madame [O], le congé conduirait à ce que la parcelle se trouve inexploitée, ce qui n'est pas conforme aux intérêts de l'indivision et ne ressort pas d'une exploitation normale du bien, alors que les indivisaires n'ont aucune faute à reprocher à Monsieur [T] [R].
Ils font valoir par ailleurs que le congé est nul faute d'avoir été délivré au preneur lui-même, en ce qu'il ne vise que l'Earl [E] [R] et non [T] [R], à qui son père avait cédé le bail avec autorisation de l'usufruitier ; que le simple fait que les fermages aient été réglés par la société ne démontrent pas que la titularité du bail lui revient.
Ils soutiennent en tout état de cause que les dispositions d'ordre public du statut du fermage ont vocation à régler la convention, à l'exclusion du régime des baux de petites parcelles, dans la mesure où la parcelle est comprise dans un îlot cultural 10 composé des parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 9] à [Cadastre 15] et [Cadastre 19], d'une surface de 1 hectare 3 ares, dépassant la limite indiquée par arrêté préfectoral ; que le chemin dont arguent les appelantes, qui n'est pas utilisé par le public et ne bénéficie d'aucun entretien, n'est pas un élément artificiel ou permanent, mais ne constitue qu'une tournière enherbée aboutissant à un bosquet et s'analyse en un élément naturel pérenne dont Monsieur [T] [R] a le contrôle ; que la parcelle litigieuse, située en plein c'ur de l'exploitation et au sein de l'appellation AOC Alsace, constitue de même une partie essentielle de l'exploitation du preneur ; qu'en outre, les pièces du dossier, et notamment la fixation d'un loyer conformément aux dispositions de l'article L 411-11 du code rural et de la pêche maritime ainsi que le renouvellement du bail consenti à Monsieur [T] [R], révèlent la volonté des parties de se soumettre volontairement au statut du fermage ; que le fermage a toujours été acquitté depuis plus de vingt ans.
À titre infiniment subsidiaire, ils font valoir qu'ils sont fondés à revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article L 411-69 du code rural et qu'il convient d'évaluer les améliorations apportées au fonds par le preneur, afin de déterminer l'indemnité due par le bailleur.
MOTIFS
Sur la nullité des congés au regard des règles de l'indivision :
Il sera relevé à titre liminaire que l'appréciation de la régularité du congé daté du 9 mai 2019 délivré par deux des trois indivisaires au regard des dispositions régissant l'indivision ne nécessite pas que soit déterminé dans un premier temps le régime juridique applicable à la location de la parcelle litigieuse, étant précisé que l'irrégularité du premier congé délivré le 16 avril 2019 à la seule initiative de Madame [J] n'est pas contestée ni contestable.
L'article 815-3 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 23 juin 2006, posait la règle de l'unanimité des indivisaires pour les actes d'administration et de disposition relatifs aux biens indivis, chaque indivisaire pouvant en revanche effectuer les actes nécessaires à la conservation de ces biens.
La jurisprudence se fondant sur ces dispositions exigeait le consentement de tous les indivisaires pour la résiliation d'un bail rural.
Les dispositions de l'article 815-3, dans la version issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, posent que les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité, effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ; qu'ils ne peuvent en revanche pas conclure et renouveler les baux portant sur un immeuble à usage agricole, l'unanimité étant requise à ce titre ; que l'unanimité des indivisaires est également requise pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis pour effectuer tout acte de disposition, sauf pour payer les dettes et charges de l'indivision.
Au regard de ces dispositions, un acte d'administration ne peut être effectué à la majorité des deux tiers que s'il ressortit à l'exploitation normale des biens indivis.
En l'espèce, Mesdames [J] et [Z], cumulant deux tiers des droits indivis, ont donné congé à l'Earl [E] [R] pour le 11 novembre 2019, sans énoncer de motifs, le bail étant selon elles relatif à une petite parcelle, non soumis au statut du fermage.
Elles ont donc entendu soumettre ce congé aux dispositions de l'article 1775 du code civil.
Il est cependant affirmé par Madame [J] qu'étant elle-même agricultrice et viticultrice, elle a entendu, par le biais de ce congé, reprendre la parcelle pour l'exploiter elle-même.
Il est de jurisprudence postérieure à la loi du 23 juin 2006 que l'exercice de l'action en résiliation du bail rural pour faute du preneur est un acte qui ressort de l'exploitation normale des biens indivis ; qu'il est donc soumis à la règle de la majorité des deux tiers des droits indivis.
Il convient de retenir que le congé délivré au preneur emporte des effets identiques à celui de l'action en résiliation du bail mais ne ressort de l'exploitation normale des biens indivis qu'en considération de son objet. Ainsi, le congé délivré en raison d'une faute du preneur (défaut de paiement du fermage ou mauvaise exploitation du fonds), peut être délivré à la majorité des deux tiers indivis.
Il convient en revanche de s'interroger sur le congé délivré par les consorts [J]-[Z], au motif avoué de la reprise de l'exploitation du fonds par Madame [J].
En effet, l'article 815-9 du code civil dispose que chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision. A défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal.
En raison de l'opposition manifestée par Madame [O], troisième indivisaire, Madame [J] ne sera susceptible de pouvoir reprendre l'exploitation agricole qu'à la condition d'obtenir une autorisation du président du tribunal, ce qui impliquera un délai certain pendant lequel la parcelle plantée de vignes ne sera pas normalement exploitée, entraînant un risque de dépréciation du fonds.
Les appelantes ne peuvent soutenir que le congé aura les mêmes effets qu'une action en résiliation de bail en ce qu'après résiliation du bail ou congé, un autre exploitant doit nécessairement être trouvé, entraînant possiblement un désaccord grave entre les coïndivisaires devant être tranché par le président du tribunal, dans la mesure où la parcelle litigieuse est actuellement exploitée par un preneur, en place depuis 2001, contre lequel aucun manquement n'est démontré.
En effet, si à hauteur de cour les appelantes soutiennent que l'Earl [E] [R] aurait, sans autorisation du bailleur, effectué des travaux de terrassement et modifié l'encépagement de la parcelle, détruit un muret en grès des Vosges et nivelé l'ensemble du terrain, force est de constater que la preuve de ces agissements n'est nullement rapportée ; qu'il n'en était fait aucun état antérieurement à la procédure d'appel ; qu'il n'est pas plus démontré que les fermages n'auraient pas été acquittés, alors que
les intimés rapportent la preuve de l'exécution de cette obligation ; que par lettre du 3 mai 2019 adressée à sa s'ur [P] [O], Madame [J] s'est d'ailleurs bornée à relever le caractère dérisoire du fermage acquitté par le preneur ; que l'appelante a réitéré dans ses écritures d'appel son souhait de cultiver elle-même les vignes, de sorte que la résiliation du bail d'une parcelle rurale en l'absence de toute faute du preneur, dans le but de permettre l'usage du bien indivis par une seule des trois indivisaires et en présence d'une l'opposition catégorique manifestée par l'une d'entre elles, ne peut être considéré comme ressortissant de l'exploitation normale du bien indivis.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré nuls et de nul effet les congés délivrés en contravention des dispositions de l'article 815-3 du code civil.
En l'absence de congé régulier ayant pu mettre un terme à la location pour l'échéance du 11 novembre 2019 qui n'a pas été contestée par les parties, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que le bail est soumis au statut du fermage en ce qu'il s'est renouvelé sous l'égide de l'arrêté préfectoral du Haut-Rhin du 18 octobre 2019, qui a réduit à 10 ares la surface visée à l'article L 411-3 du code rural pour déterminer le seuil d'application du statut du fermage, dans la mesure où la parcelle est au minimum incluse dans un îlot de culture d'une surface de 15,57 ares supérieure à la contenance minimale, sans qu'il soit besoin pour la solution du litige de rechercher si la parcelle est au surplus incluse dans l'îlot cultural 10.
Il ressort en revanche d'une déclaration effectuée à la Mutualité sociale agricole du Haut-Rhin le 26 septembre 2001 que Monsieur [W] [Z], en sa qualité d'usufruitier de la parcelle litigieuse, a déclaré cesser d'exploiter la parcelle au profit d'un nouvel exploitant identifié comme étant l'Earl [E] [R], dont le gérant est [T] [R]. Aucun autre document versé aux débats ne vient corroborer l'existence d'un bail initial convenu avec Monsieur [E] [R], qui en aurait fait apport à l'Earl [E] [R] avant de le céder à son fils, alors que l'usufruitier a indiqué qu'il cessait d'exploiter la parcelle le 26 septembre 2001. Il ne résulte nullement des dispositions du code civil applicables au bail à ferme, non plus que celles du code rural, une prohibition de consentir un bail rural au bénéfice d'une société tierce. Il est de même établi que les fermages ont été acquittés par l'Earl [E] [R].
Le jugement déféré doit en conséquence être infirmé en ce qu'il a dit que le preneur à bail est Monsieur [T] [R] et il sera fait droit à la demande des appelantes tendant à voir déclarer que le bail a été conclu au profit de l'Earl [E] [R].
Sur les frais et dépens :
les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.
Les appelantes, qui succombent essentiellement en leurs prétentions, seront déboutées de leurs demandes au titre des frais non compris dans les dépens, seront condamnées aux dépens de l'instance d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et seront condamnées à payer à Monsieur [T] [R] et à l'Earl [E] [R] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit que le preneur à bail sur la parcelle litigieuse est Monsieur [T] [R],
Statuant à nouveau de ce chef,
DIT que le preneur à bail sur la parcelle litigieuse est l'Earl [E] [R],
CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,
Y ajoutant,
CONDAMNE Madame [I] [J] et Madame [S] [Z] à payer à Monsieur [T] [R] et à l'Earl [E] [R] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE Madame [I] [J] et Madame [S] [Z] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Madame [I] [J] et Madame [S] [Z] aux dépens de l'instance d'appel.
La Greffière La Présidente