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24/03/2023 | FRANCE | N°20/03160

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 24 mars 2023, 20/03160


MINUTE N° 169/2023





























Copie exécutoire à



- Me Nadine HEICHELBECH



- Me Valérie SPIESER





Le 24 mars 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 24 mars 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03160 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNOY



Décision déférée à la cour : 15 Octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG





APPELANT et intimé sur incident :



Monsieur [J] [W]

demeurant [Adresse 5]



représenté par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la cour.

plaidant : Me Pauline SCHULTZ, avocat ...

MINUTE N° 169/2023

Copie exécutoire à

- Me Nadine HEICHELBECH

- Me Valérie SPIESER

Le 24 mars 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 24 mars 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03160 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNOY

Décision déférée à la cour : 15 Octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANT et intimé sur incident :

Monsieur [J] [W]

demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la cour.

plaidant : Me Pauline SCHULTZ, avocat à Strasbourg.

INTIMÉES et appelantes sur incident :

La S.C.I. MATHILDE, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

La société SCCV MATHILDE II, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

représentées par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

plaidant : Me Julien LAURENT, avocat à Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Mme Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN.

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 25 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La SCI Mathilde était propriétaire d'un ensemble immobilier situé [Adresse 1], cadastré Section [Cadastre 3] (lieu-dit [Cadastre 2]), d'une superficie de 10,85 ares, constitué d'une maison alsacienne, du terrain attenant et de dépendances, dont une partie avait été transformée en logements.

Le 14 février 2012, elle a signé avec la SAS HK Concept, la SAS HCD et la SARL LJB, qui devaient se substituer la SCCV Mathilde II, dès lors qu'elle serait constituée au jour de la réitération par acte authentique, un compromis de vente authentique portant sur la cession de cette parcelle, au prix de 500 000 euros. Les constructions édifiées sur le terrain vendu (des dépendances habitables) devaient, à l'exception de la maison alsacienne, être démolies pour laisser place à un immeuble neuf à usage d'habitat collectif.

Le 5 juin 2012, la SCCV Mathilde en cours de formation a déposé une demande de permis de construire complétée le 1er octobre 2012, en vue de l'édification d'un bâtiment de logements collectifs de 744 m² de plancher. Ce permis de construire a été accordé le 27 novembre 2012 par le maire de la commune.

Le 04 juin 2013, la SCCV Mathilde a déposé une demande de permis de construire modificatif et sa demande a été accueillie le 20 juin 2013.

Le 4 octobre 2013, la SCI Mathilde a signé avec la SCCV Mathilde II, qui avait été inscrite au RCS le 11 janvier 2013, une promesse synallagmatique de vente du terrain surbâti de dépendances à démolir, à l'exclusion de la maison d'habitation édifiée sur ladite parcelle, d'environ 10 ares, à détacher d'une parcelle d'une plus grande superficie située [Adresse 1], cadastrée Section [Cadastre 3] (lieu-dit [Cadastre 2]), pour un prix de 240 000 euros.

Le 10 janvier 2014, la SCCV Mathilde a déposé une demande de permis de construire modificatif, acceptée le 11 février 2014.

Parallèlement, par requête enregistrée le 15 avril 2013, M. [W], demeurant [Adresse 5], a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation du permis de construire du 27 novembre 2012. Son recours a été rejeté par un jugement du 3 juin 2015, confirmé en appel le 5 août 2016.

Le 5 octobre 2016, il a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 5 août 2016, ce pourvoi ayant été déclaré non admis par un arrêt du Conseil d'État du 15 mars 2017.

Estimant que ces recours étaient abusifs et leur avaient causé un préjudice, notamment au motif que, du fait de ce retard, l'Eurométropole de Strasbourg avait finalement préempté, mettant à néant leurs projets, la SCI Mathilde et la SCCV Mathilde II ont alors saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg d'une action en dommages-intérêts à l'encontre de M. [W].

Par jugement du 15 octobre 2020, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamné M. [W] à payer :

- à la SCI Mathilde la somme de 52 132 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 17 juillet 2018,

- à la SCCV Mathilde II la somme de 111 920,65 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation du 14 décembre 2017.

Il a ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an et a également condamné le défendeur aux dépens ainsi qu'au paiement, à la SCI Mathilde et à la SCI Mathilde II (au lieu de la SCCV, s'agissant manifestement d'une erreur matérielle) la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a retenu qu'au vu des pièces produites, l'immeuble dont la construction était projetée ne serait pas ou serait peu visible de la propriété de M. [W]. De plus, la propriété de ce dernier étant ceinte d'un mur haut, il était surprenant qu'il invoque une vue déformée sur le village du fait de cette construction, alors que la vue sur les alentours n'apparaissait pas comme étant sa priorité.

Enfin, il a relevé que toutes les décisions rendues par les juridictions administratives avaient clairement jugé que M. [W] ne disposait d'aucun intérêt légitime pour contester la validité du permis de construire accordé à la SCCV Mathilde II.

Dès lors, le tribunal a retenu la mauvaise foi de M. [W], dont il a souligné qu'il était lui-même promoteur immobilier et qu'il savait donc que ses recours étaient de nature à mettre le projet à mal. De plus, s'il avait pu être éventuellement envisagé comme étant de bonne foi au départ, en persévérant dans sa contestation après le jugement rendu par le tribunal administratif de Strasbourg, qui ne lui permettait plus d'ignorer qu'il ne disposait d'aucun intérêt légitime à contester le projet, il avait parfaitement conscience de ce qu'il retardait de manière illicite le projet immobilier des deux sociétés.

En outre, il s'était livré à des man'uvres dilatoires pour retarder l'échéance inéluctable de la procédure.

Le tribunal a donc considéré que les recours de M. [W] contre les permis de construire accordés à la SCCV Mathilde II étaient parfaitement abusifs, les analyses fondant ces recours devant au minimum être qualifiées d'erreurs grossières.

Sur le préjudice de la SCI Mathilde, le tribunal a retenu les montants de :

- 5 310 euros au titre des frais de taxe foncière de 2013 à 2016, de la taxe sur les locaux vacants de 2016 et des primes d'assurance,

- 24 000 euros au titre de la perte de loyers sur quatre ans, au motif qu'elle n'avait pu faire fructifier son bien en mettant en location les logements présents sur sa propriété, du fait de ce retard dans la vente du bien immobilier,

- 22 822 euros au titre du préjudice lié à la perte financière sur le prix de vente, après application d'un taux de perte de chance de 50 %, dans la mesure où il n'était pas certain que l'Eurométropole de [Localité 7] n'ait pas souhaité préempter, même plus tôt.

Sur le préjudice de la SCCV Mathilde II, le tribunal a retenu les montants suivants :

- 25 931,55 euros au titre de l'intervention de son architecte pour la constitution et le dépôt du dossier de demande de permis de construire,

- 10 989,10 euros au titre des frais de représentation en justice devant les juridictions administratives, après déduction de la somme de 1 000 euros obtenue au titre de l'article L761-1 du code de justice administrative,

- 75 000 euros au titre du manque à gagner relatif à la marge prévue sur le projet dans son budget prévisionnel, en tenant compte de la fiscalité et d'éventuels imprévus et après application d'un taux de perte de chance de 50 %, pour les mêmes motifs que précédemment.

En revanche, le tribunal a rejeté les demandes formées par les deux sociétés en réparation de leur préjudice moral, s'agissant précisément de deux sociétés et la SCCV Mathilde II ne démontrant pas avoir subi un préjudice au niveau de son image commerciale et de sa réputation.

M. [W] a interjeté appel de ce jugement le 28 octobre 2020.

Par ordonnance du 2 juin 2022, le magistrat chargé de la mise en état a déclaré irrecevable la requête par laquelle l'appelant lui demandait d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il avait omis de statuer sur la fin de non-recevoir qu'il avait soulevée, tirée de l'absence de qualité pour agir de la SCCV Mathilde II et, statuant à nouveau, de rejeter comme irrecevable l'intégralité des prétentions de cette dernière.

Il a également condamné M. [W] aux dépens de l'incident et à verser à la SCCV Mathilde II la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a en effet rappelé que le conseiller de la mise en état n'avait pas le pouvoir d'infirmer le jugement ou de réparer une omission de statuer, ou encore de remettre en cause ce qui avait été jugé au fond par le tribunal, ce pouvoir revenant à la cour. Or si la fin de non-recevoir que M. [W] lui demandait de trancher était accueillie, elle remettrait en cause ce qui avait été jugé au fond par le tribunal.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 6 septembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 9 juillet 2021, M. [W] sollicite l'infirmation du jugement déféré et que la cour, statuant à nouveau, déboute la SCI Mathilde et la SCCV Mathilde II de l'intégralité de leurs prétentions ainsi que de leur appel incident et qu'elle les condamne à supporter l'ensemble des frais et dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [W], qui exerce la profession de promoteur, précise en préalable ne pas avoir agi en cette qualité et au nom de sa société, mais à titre personnel, reprochant aux intimées et au tribunal d'avoir qualifié son abus de droit, non par des considérations objectives, mais par des références implicites et explicites à sa qualité de promoteur immobilier, en s'inspirant de la connotation péjorative s'attachant communément à cette profession. Il reproche au tribunal le caractère excessif et punitif du jugement déféré.

Dans les motifs de ses écritures, M. [W] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevables les prétentions de la SCCV Mathilde II et en ce qu'il a prononcé des condamnations à son profit, reprochant au tribunal de n'avoir pas statué sur ce « moyen » présenté en première instance. Cependant, dans leur dispositif, il ne conclut qu'au débouté des deux sociétés de l'intégralité de leurs prétentions et de leur appel incident.

Il souligne que le permis de construire et les permis de construire modificatifs ont été demandés par la SCCV Mathilde, représentée par M. [E] [K] et ayant son siège [Adresse 4]. Ils ont été accordés à cette société et c'est elle qui a défendu devant les juridictions administratives, la SCCV Mathilde II, ayant son siège [Adresse 1], n'étant intervenue qu'à partir de la demande indemnitaire formée par les intimées devant le tribunal judiciaire.

Or, faute d'avoir bénéficié du permis de construire contesté, ne justifiant pas d'une substitution, d'un transfert de ce permis entre la SCCV Mathilde et elle-même, la SCCV Mathilde II ne justifie pas d'un préjudice personnel lui conférant qualité pour agir en justice pour recours abusif à l'encontre de ce permis de construire.

M. [W] conteste que la SCCV Mathilde en formation et la SCCV Mathilde II soient la même société, aux motifs qu'elles n'ont pas la même dénomination, estimant peu convaincante l'explication relative à l'existence d'une autre société du même nom. Elles n'ont pas non plus le même siège social et le même représentant légal, ainsi que le même capital social.

De plus, à la date de la demande de permis de construire modificatif du 10 janvier 2014, la SCCV Mathilde II était constituée et immatriculée, ayant signé sous sa dénomination la promesse synallagmatique de vente avec la SCI Mathilde. Elle n'était donc plus en formation et la demande de permis de construire modificatif ne comporte d'ailleurs pas la mention « en formation ».

M. [W] évoque également un contrat de réservation signé par la SCCV Mathilde le 25 mars 2013, qui ne mentionnait plus une société en cours de formation mais en cours d'immatriculation au RCS de Strasbourg, alors qu'à cette date, la SCCV Mathilde II était déjà immatriculée au RCS depuis le 11 janvier 2013.

Il souligne que, selon les explications de l'intimée, la demande de permis de construire mentionne une société qui n'existe pas, alors que le demandeur au permis de construire certifie exacts les renseignements fournis et qu'il a qualité pour demander l'autorisation.

Sur le fond, M. [W] conteste toute faute de sa part.

Il fait valoir que la distance de 200 m vis-à-vis du bâtiment à construire n'était pas de nature à rendre son recours abusif, l'environnement et l'esthétique du quartier devant également être pris en compte, outre la visibilité. Un recours contre un permis de construire ne peut être considéré comme fautif du seul fait qu'il a été jugé irrecevable pour défaut d'intérêt à agir, et son défaut d'intérêt à agir n'était pas manifeste, car son recours a fait l'objet d'une instruction et le tribunal administratif ne l'a pas condamné à des frais irrépétibles.

De plus, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge, il avait intérêt à interjeter appel de la décision du tribunal administratif, celui-ci ayant fondé sa décision sur des dispositions légales nouvelles qui n'étaient pas applicables au permis de construire en cours, ce qu'a relevé la cour administrative d'appel dont la position, sur le fond, ne pouvait être déterminée à l'avance avec certitude. En outre, l'exercice d'une voie de recours ne peut, par définition et au motif qu'il aboutit au rejet de la requête, être qualifié d'abusif.

Par ailleurs, M. [W] conteste toute man'uvre dilatoire dans le cadre des procédures administratives.

Enfin, il conteste toute motivation occulte de son recours, liée à son activité de promoteur immobilier, soulignant que son projet de [Localité 8] ne visait pas le même public que celui de la SCCV et qu'il a été quasi intégralement vendu. De plus, il est douteux que la SCI Mathilde aurait pu accepter de vendre quoi que ce soit à sa société. Il conteste enfin toute collusion avec la banque CIC Est liée au fait qu'il avait, en première instance, le même avocat que cette banque.

Il soutient que son recours était motivé par le désir de préservation de la qualité urbanistique et architecturale du village, à laquelle il était sensible en raison de sa formation d'architecte, estimant que le projet contesté ne s'intégrait pas dans son environnement et soulignant qu'un tel projet ne pourrait plus voir le jour aujourd'hui en raison d'une modification du PLU.

M. [W] conteste également le lien de causalité direct et certain entre la prétendue faute qui lui est imputée et les préjudices allégués par les intimées.

À ce titre, il fait valoir que ce n'est pas l'exercice de son recours contre le permis de construire qui a rendu impossible la réalisation du projet des intimées mais l'exercice du droit de préemption de l'Eurométropole de [Localité 7], dans le but d'édifier des logements sociaux, par décision du 7 février 2018.

Or, le dépôt de la déclaration d'aliéner, qui ouvre à la collectivité locale un délai de deux mois pour décider de préempter ou non, n'a été régularisé que le 10 novembre 2017 et ses recours devant les juridictions administratives n'ont ni accru le délai pour préempter ni influé la décision de préemption.

En outre, le bien en cause était déjà soumis au droit de préemption quand il a contesté la légalité du permis de construire et la motivation sous-tendant l'exercice de ce droit (la réalisation de logements sociaux) existait en 2013 comme en 2018, rien ne démontrant que le temps écoulé ait accru le risque de préemption.

De plus, la délivrance d'un permis de construire et l'exercice du droit de préemption n'ont aucun lien.

Par ailleurs, la SCCV Mathilde II ne disposait d'aucune autorisation administrative lui conférant des droits à réaliser un projet immobilier sur le terrain de la SCI Mathilde, le permis de construire ayant été accordé à la SCCV Mathilde et aucun transfert de celui-ci n'ayant été opéré au profit de la SCCV Mathilde II, qui ne peut prétendre en être bénéficiaire.

L'appelant conteste également le raisonnement du tribunal relatif à la perte de chance. Il conteste que ses recours contre le permis de construire de la SCCV Mathilde aient eu pour conséquence de faire disparaître l'éventualité que l'Eurométropole ne préempte pas ce bien.

Subsidiairement, si une perte de chance devait lui être imputée, M. [W] soutient qu'elle ne pourrait qu'être minime, ne pouvant excéder le taux de 5 %.

Enfin, il conteste le point de départ de l'imputabilité des préjudices invoqués par la SCI Mathilde, soutenant que son action ne pouvait en aucun cas être considérée comme fautive avant l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 5 août 2016.

En tout état de cause, le tribunal ayant lui-même estimé que sa mauvaise foi prétendue n'était pas établie avant son appel, le préjudice des intimés ne pourrait lui être imputé avant le 3 juin 2015, date du jugement du tribunal administratif.

Enfin, sur les préjudices invoqués par les intimées, M. [W] conteste :

- qu'une indemnisation puisse être allouée au titre des frais non compris dans les dépens supportés devant la juridiction administrative, sur un fondement autre que celui de l'article 761-1 du code de justice administrative,

- que des pertes locatives aient été subies avant l'année 2016, qui est la seule où la SCI Mathilde expose avoir dû régler une taxe sur les locaux vacants, soulignant en tout état de cause que la contestation du permis de construire n'a pu faire obstacle à la mise en location, dès lors que la maison n'était pas vouée à la démolition,

Aucun préjudice moral n'est démontré par les intimées qui, de plus, réclament à ce titre un montant largement excessif.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 7 juin 2022, la SCI Mathilde et la SCCV Mathilde II sollicitent le rejet de l'appel de M. [W] et de l'ensemble de ses demandes, ainsi que la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, excepté celles visées par leur appel incident.

Formant appel incident, la SCI Mathilde sollicite en effet l'infirmation du jugement déféré en ses dispositions relatives au montant des dommages intérêts qui lui ont été alloués en indemnisation de la perte de chance de céder son bien immobilier à un prix supérieur et au rejet de sa demande formulée en indemnisation du préjudice moral subi.

Elle demande que la cour, statuant à nouveau sur ce point, condamne M. [W] à lui payer :

- la somme de 27 386 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation de la perte de chance de céder son bien immobilier à un prix supérieur,

- la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts, en indemnisation du préjudice moral subi,

le tout avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.

Formant elle aussi appel incident, la SCCV Mathilde II sollicite l'infirmation du jugement déféré en ses dispositions relatives au montant des dommages intérêts qui lui ont été alloués en indemnisation de la perte de chance de réaliser un gain dans le cadre d'une opération immobilière et le rejet de la demande formulée en indemnisation du préjudice moral subi.

Elle demande que la cour, statuant à nouveau sur ce point, condamne M. [W] à lui verser :

- la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi, résultant de la perte de chance de réaliser un gain dans le cadre d'une opération immobilière,

- la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts, en indemnisation du préjudice moral subi,

le tout avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.

En tout état de cause, les intimées sollicitent la confirmation du jugement pour le surplus et la condamnation de M. [W] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à chacune d'elles la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimées indiquent que leur action est une action en responsabilité délictuelle fondée sur l'article 1240 du code civil, une telle action devant la juridiction civile étant admise en cas de recours abusif contre un permis de construire.

Sur la recevabilité des demandes de la SCCV Mathilde II, elles soulignent que l'appelant ne peut reprocher au tribunal de ne pas s'être prononcé sur une fin de non-recevoir qu'il n'a pas soulevée devant lui.

La SCCV Mathilde II soutient que l'existence du préjudice invoqué par le demandeur, dans le cadre d'une action en responsabilité, n'est pas une condition de recevabilité de son action mais du succès de sa prétention. Le fait qu'elle ait été ou non bénéficiaire du permis de construire et défenderesse dans la procédure administrative a peu d'intérêt, dans la mesure où c'est elle qui était maître de l'ouvrage de l'opération immobilière et devait concrétiser celle-ci en acquérant le foncier et en réalisant les travaux, ayant acquitté les différentes factures constituant son préjudice et ayant subi une perte de chance de réaliser un bénéfice.

Sur la faute, les intimées soutiennent que l'appelant a commis un abus de droit en intentant une action manifestement irrecevable devant la juridiction administrative, qu'il a poursuivie devant le Conseil d'État en souhaitant que la durée de la procédure fasse échouer leur projet, multipliant les procédés dilatoires.

Les juridictions administratives des différents degrés ont toutes reconnu l'irrecevabilité manifeste du recours de M. [W], le fait que le tribunal administratif ait retenu un fondement erroné ne modifiant pas la situation. Le Conseil d'État a même jugé son pourvoi non admissible.

Soulignant que M. [W] est un professionnel de l'immobilier aguerri, gérant d'une société de promotion immobilière, les intimées soutiennent que son recours contre le permis de construire de la SCCV Mathilde a été introduit dans une optique anticoncurrentielle, avec pour objectif de bloquer un projet immobilier concurrent de sa propre opération immobilière réalisée à proximité, mais aussi de pouvoir racheter le terrain d'assiette de la construction à bas prix et réaliser lui-même l'opération.

Elles ajoutent que le conseil de M. [W] en première instance, devant la juridiction administrative, était le même que celui de la banque qui a délivré un commandement de payer à la SCI Mathilde, au titre d'un prêt impayé.

Sur le lien de causalité, les intimés font valoir que la commune n'aurait pas délivré le permis de construire si elle avait eu l'intention de préempter et, par ailleurs, que le plan local d'urbanisme de l'Eurométropole de [Localité 7] approuvé fin 2016 était plus contraignant concernant la production de logements par la commune, la préemption ayant lieu pour répondre à ces nouveaux objectifs, alors qu'elle était impossible avant l'adoption de ce PLU.

Le recours administratif, qui a duré presque quatre ans, a retardé leur projet immobilier et l'a finalement fait échouer. Elles soutiennent que M. [W] savait parfaitement que plus une action en contestation d'un permis de construire dure, plus la probabilité de voir l'opération échouer augmente.

Sur le préjudice, la SCI Mathilde expose qu'elle n'a pas pu jouir librement de sa propriété, qui devait rester vacante pour les besoins de l'opération mobilière, pendant les quatre ans durant lesquels la vente du terrain d'assiette du permis de construire a été retardée par le recours de M. [W] contre le permis de construire.

Elle met en compte les taxes foncières de 2013 à 2017, au motif qu'elle n'aurait pas eu besoin de les payer en cas de cession des parcelles, y ajoute une taxe sur les locaux vacants due lorsqu'un bien est inoccupé pendant une longue durée, réclamée pour 2016, ainsi que des primes d'assurance.

Elle invoque un manque-à-gagner de 45 000 euros, soutenant que l'impossibilité de mettre en location les différents logements a entraîné des difficultés financières et des frais bancaires importants.

S'y ajoute un montant de 45 644 euros au titre de la différence entre le prix de vente convenu dans le cadre du projet immobilier et celui fixé par le juge de l'expropriation.

Elle invoque enfin un préjudice moral, au motif qu'elle a eu à connaître, avec ses associés, une procédure longue et douloureuse, qui a notamment eu des répercussions sur l'état de santé de M. [P] [D] (co-gérant associé).

La SCCV Mathilde II souligne qu'elle est la même société que la société en formation SCCV Mathilde, qu'elle est la personne morale porteuse du projet immobilier qui a échoué, et qu'elle a subi, en raison des fautes commises par M. [W], différents préjudices :

- un préjudice matériel au titre des frais exposés, en qualité de maître de l'ouvrage de l'opération immobilière, ayant versé une somme de 25 931,55 euros à son architecte, dans le cadre du dossier de permis de construire,

- un préjudice moral, chiffré à 50 000 euros, au titre de l'atteinte à sa réputation et à son image commerciale, du fait de l'annulation de contrats de réservation déjà signés et de la procédure également stressante pour ses dirigeants,

- un préjudice lié aux frais irrépétibles qu'elle a dû exposer pour sa représentation devant les juridictions administratives, pour lesquels elle n'a perçu que la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative, soutenant que la jurisprudence du Conseil d'État invoquée par M. [W] ne peut s'appliquer en l'espèce,

- un manque à gagner important, le bilan de l'opération ayant prévu une marge de 253 219,83 euros qui était réaliste, car la réalisation de l'opération était acquise, le permis de construire purgé, le financement obtenu et les logements à construire presque tous vendus.

Les intimées indiquent former appel incident pour solliciter l'augmentation des montants alloués, en réaction à la demande de M. [W] concernant le quantum de la perte de chance.

Elles demandent que le taux de perte de chance soit fixé à 60 %, au vu de l'état d'avancement du projet.

La SCI Mathilde conteste également la prise en compte de la fiscalité dans l'évaluation de son préjudice économique, au motif notamment que l'indemnité versée à l'entreprise victime en matière de responsabilité délictuelle est soumise à l'impôt sur les sociétés, dès lors que le préjudice qu'elle vise à compenser y est lui-même soumis, ce qui est le cas pour une perte de recettes.

Les intimées soulignent enfin que la jurisprudence admet qu'une société puisse se prévaloir d'un préjudice moral.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à ses conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

MOTIFS

En préalable, il convient de relever que la cour n'est saisie d'aucune fin de non-recevoir pour défaut de qualité pour agir à l'encontre des demandes de la SCCV Mathilde II, dans la mesure où ce n'est que dans les motifs de ses écritures que M. [W] invoque cette irrecevabilité, alors que seul le dispositif des conclusions des parties saisit la cour de leurs prétentions.

Or, dans ce dispositif, si M. [W] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevables les prétentions de la SCCV Mathilde II, reprochant au tribunal de n'avoir pas statué sur ce « moyen » présenté en première instance, il ne sollicite nullement de la cour qu'elle déclare irrecevables les demandes de cette société, ni celles de la SCI Mathilde, ne réclamant que le débouté des deux sociétés de l'intégralité de leurs prétentions et de leur appel incident.

* * *

I ' Sur la responsabilité de M. [W]

Ainsi qu'il a été rappelé plus haut, M. [W] a, le 15 avril 2013, déposé un recours en annulation du permis de construire du 27 novembre 2012, obtenu par la SCCV Mathilde en cours de formation.

Comme l'a justement relevé le tribunal, malgré la distance séparant son ensemble immobilier du lieu du projet en cause et malgré le haut mur entourant sa propriété, il peut être admis que le requérant ait été de bonne foi lorsqu'il a saisi le tribunal administratif de ce recours.

Le tribunal administratif a rejeté sa requête au motif que : « si la distance le séparant du projet de sa propriété (sic) n'est pas à elle seule de nature à exclure qu'il ait intérêt à agir, il ressort des pièces du dossier que ledit projet n'est pas d'une importance telle que l'usage que M. [W] est susceptible de faire de son bien en sera, de ce fait, affecté sérieusement, ni que, par son impact visuel sur la fréquentation de lieux, il marquera significativement le secteur litigieux », le tribunal administratif ayant retenu que, dès lors, l'intéressé ne pouvait se prévaloir d'un intérêt suffisant lui donnant qualité pour agir aux fins d'annulation de ce permis de construire.

La cour administrative d'appel a, quant à elle, relevé que M. [W] était fondé à soutenir que c'était à tort que le tribunal administratif avait rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés contestés comme irrecevable en l'absence de justification de son intérêt pour agir au regard des dispositions de l'article L.600-1-2 du code de l'urbanisme, qui, issues de l'ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, étaient entrées en vigueur postérieurement, le 19 août 2013.

Cependant, elle a elle-même rejeté sa requête en annulation de ces permis de construire aux motifs, notamment que M. [W] n'avait de vue que sur une partie de la toiture du projet contesté, situé en second rang entre un espace multisport cubique et la façade d'un immeuble d'habitation collective de forme banale, ainsi qu'un mur pignon d'une construction à usage de garage. De plus, la cour administrative d'appel a tenu compte de la végétation présente, constituée en partie de conifères, et elle a considéré qu'il n'était pas démontré que ce projet et notamment sa toiture puissent dénaturer l'environnement bâti de M. [W], notamment celui visible depuis sa propriété.

Elle a également retenu que M. [W] ne démontrait pas non plus avoir plus de vue sur le projet depuis les autres parcelles dont il indiquait être propriétaire à côté du stade, situées à près de 150 m. de l'immeuble envisagé et qui étaient au demeurant insusceptibles d'accueillir des immeubles à usage d'habitation.

Dans la mesure où la cour administrative d'appel a admis que le tribunal administratif avait fondé sa décision sur un texte légal inapplicable au litige, ayant été créé par une ordonnance postérieure à la délivrance du permis de construire contesté, il ne peut être considéré que M. [W] ait été de mauvaise foi ou même qu'il ait agi avec une légèreté blâmable en interjetant appel de la décision du tribunal administratif.

La cour administrative d'appel a en effet relevé que les dispositions légales de l'article L.600-1-2 du code de l'urbanisme sur lesquelles ce dernier s'était fondé de façon erronée affectaient « la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative ». Ce texte, qui limitait le recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire aux cas où la construction, l'aménagement ou les travaux étaient « de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien » du requérant, était effectivement plus restrictif que la jurisprudence antérieure qui laissait au juge administratif une plus grande marge d'appréciation. L'appelant pouvait donc encore espérer que, de ce fait, la juridiction du second degré porterait sur son recours une appréciation différente de celle du premier juge.

En revanche, à l'issue de la décision clairement motivée et légalement fondée de la cour administrative d'appel, qui reprenait et développait davantage les éléments de fait relevés par le tribunal administratif, l'appelant ne pouvait plus ignorer le caractère totalement infondé de son recours. La cour administrative d'appel avait en effet fondé précisément sa décision à la fois sur la distance entre le projet et les propriétés du requérant, sur sa nature et son importance, ainsi que sur la configuration des lieux, conformément aux exigences du Conseil d'État. Dès lors, M. [W] a à l'évidence fait preuve de mauvaise foi en formant un pourvoi manifestement voué à l'échec contre l'arrêt du 5 août 2016, l'exercice de son droit ayant alors dégénéré en abus. Il est d'ailleurs significatif à ce titre que ce pourvoi a fait l'objet d'une décision de non admission par le Conseil d'État, lequel a, le 15 mars 2017, considéré qu'aucun des moyens soulevés n'était de nature à permettre son admission.

Peu importent les mobiles ayant motivé le pourvoi de M. [W], son caractère abusif est établi, d'autant plus que, quelles que fussent ses motivations, il ne pouvait qu'avoir conscience du caractère abusif de ce pourvoi et de ses conséquences, du fait de sa qualité d'architecte DPLG et de promoteur immobilier, gérant de la société [W] Immobilier.

En revanche, sur le déroulement de la procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg, si M. [W] a provoqué, à deux reprises, le report de l'ordonnance de clôture par le dépôt d'un mémoire dans les jours ayant précédé la date à laquelle elle devait intervenir, le retard occasionné n'a été que de deux mois et onze jours, alors que la SCCV Mathilde avait elle-même, après un premier mémoire en défense déposé le 24 juin 2013, répliqué à celui du requérant communiqué le 17 octobre 2013, seulement le 04 décembre 2014, la commune d'[Localité 6] ayant elle-même déposé le sien le 18 juillet 2013, puis un second le 13 mars 2014. Il apparaît donc que la SCCV Mathilde a largement plus contribué que les autres parties à la durée de la procédure devant le tribunal administratif.

Quant à la procédure devant la cour administrative d'appel, étant rappelé que l'appel du jugement du tribunal administratif de Strasbourg a été interjeté le 3 août 2015, M. [W] a déposé un mémoire dans les heures précédant la clôture prévue le 11 février 2016, en réponse à celui de la SCCV Mathilde du 25 novembre 2015. Cependant, celle-ci n'a sollicité la réouverture de l'instruction que le 7 mars 2016, ayant joint à sa demande un mémoire daté du même jour. Cette demande a été accueillie par une ordonnance du même jour qui a reporté la clôture au 4 avril 2016. Dans ces circonstances, la SCCV Mathilde ayant déposé un nouveau mémoire auquel M. [W] a entendu répondre, et l'ayant fait le 4 avril 2016, le jour-même du report de la clôture, entraînant un nouveau report de celle-ci, cela ne suffit pas à considérer son attitude procédurale comme purement dilatoire et ainsi fautive.

Cependant, le pourvoi abusif de M. [W] a occasionné du retard dans le déroulement de la vente du bien où devait se réaliser le projet immobilier en cause. Or, à la date de l'arrêt d'appel du 5 août 2016, le nouveau plan local d'urbanisme de l'Eurométropole de [Localité 7] imposant notamment à la commune d'[Localité 6] la production de 45 logement sociaux, soit 3 par an, n'avait pas encore été adopté, celui-ci datant de décembre 2016.

Or, sans ce pourvoi, la déclaration d'intention d'aliéner un bien soumis à l'un des droits de préemption prévus par le code de l'urbanisme, qui a été reçue à la mairie le 10 novembre 2017, postérieurement à la décision du Conseil d'État sur le pourvoi de M. [W], aurait pu lui être adressée dès août 2016, ce qui aurait conduit l'Eurométropole de [Localité 7] à prendre position avant le mois de décembre 2016, soit avant la publication du nouveau PLU, et aurait en conséquence réduit le risque de voir cette dernière exercer son droit de préemption sur l'ensemble immobilier objet de la vente entre les parties. Cette faute a donc fait perdre aux intimées une chance de conclure la vente projetée, laquelle peut être évaluée à 60 %.

II ' Sur la réparation des préjudices des deux intimées

A) Sur les préjudices de la SCI Mathilde

1°) Sur les pertes de loyers

S'agissant de la perte de loyers, si, selon le compromis de vente authentique du 14 février 2012, portant sur la cession de la parcelle en cause, les constructions édifiées sur le terrain vendu devaient être démolies pour laisser place à un immeuble neuf à usage d'habitat collectif, cette démolition ne devait pas concerner la maison alsacienne, laquelle devait être préservée. La déclaration d'intention d'aliéner (DIA) déposée le 10 novembre 2017 était conforme à ce projet, mentionnant que la vente projetée portait sur le tout, « maison d'habitation » et « terrain à bâtir et actuellement dépendances à démolir », d'après l'annexe de celle-ci relative à la description des biens, d'une surface totale de 10 ares 85 ca. D'ailleurs, le prix indiqué dans cette DIA était bien le prix initial de 500 000 euros prévu pour le tout dans le compromis de vente.

Dans un tel contexte, la mise en location, même partielle, du bien immobilier n'était guère réaliste, au vu de la vente envisagée et des travaux de démolition et reconstruction prévus dans le cadre du projet de l'acquéreur, quand bien même ils ne concernaient qu'une partie des bâtiments édifiés. Dès lors, le lien de causalité entre la perte de loyers alléguée et la faute caractérisée à l'encontre de M. [W] à compter d'août 2016 seulement n'est pas démontré, ce dont il résulte que la demande de la SCI Mathilde présentée au titre de ce poste de préjudice n'est pas fondée. D'ailleurs, il peut être observé qu'il n'est justifié d'aucun bail en cours lors de l'obtention du permis de construire initial.

C'est pourquoi le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande, qui sera en conséquence rejetée.

2°) Sur les frais de taxes et primes d'assurance

Si M. [W] conclut au rejet de l'ensemble des demandes de la SCI, contestant tout autant la faute qui lui est reprochés, les préjudices invoqués que le lien de causalité entre les deux, il ne développe pas de moyens particuliers concernant l'indemnisation relative aux taxes foncières, à la taxe sur les locaux vacants de 2016 et aux primes d'assurance, au titre desquelles le tribunal a retenu la somme de 5 310 euros, les justificatifs des montants de chacun de ces postes de préjudice ayant été produits par la SCI Mathilde.

Le comportement fautif de M. [W] n'étant retenu qu'à compter du mois d'août 2016, la perte de chance de réaliser la vente projetée ne lui est imputable qu'à compter de cette période. S'appliquant à la taxe foncière de 2016 et à la taxe sur les locaux vacants de la même année, que la SCI Mathilde n'aurait pas eu à régler si la vente avait pu être conclue, elle conduit à un montant de 60 % de 1 580 (1 008 + 572), soit 948 euros.

S'agissant des cotisations d'assurance, d'un montant annuel, selon le document produit par l'intimée, de 548,99 euros soit 45,75 euros/mois qui n'est pas sérieusement contesté, il convient de retenir, pour la période d'août 2016 à mars 2017, terme des procédures administratives, au titre de la perte de chance de réaliser la vente projetée, un montant total de 60 % x (45,75 x 8), soit 219,60 euros.

Le préjudice subi par la SCI Mathilde au titre des taxes et primes d'assurance s'élève donc au total à 1 167,60 euros (948 + 219,60).

3°) Sur l'indemnisation de la perte de chance de céder son bien immobilier à un prix supérieur

La SCI Mathilde sollicite un montant de 27 386 euros à titre d'indemnisation de la perte de chance de céder son bien immobilier à un prix supérieur, estimant cette perte de chance à 60 %, le tribunal ayant retenu, à ce titre, la somme de 22 822 euros, après application d'un taux de perte de chance de 50 % sur le montant réclamé de 45 644 euros.

Le montant de 45 644 euros représente la différence entre le prix de vente convenu entre la SCI Mathilde et la SCCV Mathilde II, soit 500 000 euros pour la propriété entière, selon le compromis de vente du 14 février 2012, et le prix de 454 356 euros réglé par l'Eurométropole de Strasbourg, suite à la procédure d'expropriation.

Il convient donc effectivement, comme l'a fait à juste titre le tribunal, de retenir ce montant pour calculer le préjudice subi par la SCI Mathilde au titre de la perte de chance de céder son bien immobilier à un prix supérieur, soit, dans la mesure où la cour retient un taux de perte de chance de 60 % : 45 644 x 60 % = 27 386 euros.

4°) Sur la demande au titre du préjudice moral de la SCI Mathilde

La SCI sollicite un montant de 50 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, alors que le tribunal a rejeté sa demande présentée à ce titre.

Elle invoque les tracas qui lui ont été occasionnés par le comportement fautif de M. [W], l'action de la banque à son encontre, les retards dans les paiements des taxes foncières'

Cependant, s'il est admis qu'une personne morale puisse subir un préjudice moral, dans la situation présente, la SCI Mathilde ne produit aucun document pouvant justifier de préjudices autres que purement matériels, et précisément d'un préjudice moral qu'elle aurait elle-même subi, causé par la faute de M. [W] retenue plus haut. En conséquence, il convient de rejeter sa demande présentée au titre de ce poste de préjudice.

De tous les développements qui précèdent, le préjudice de la SCI Mathilde dont M. [W] doit réparation s'élève au total à 28 553,60 euros. Le jugement déféré sera donc infirmé quant au montant qu'il a alloué à cette dernière, à laquelle M. [W] sera donc condamné à verser cette somme. Celle-ci portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le tribunal, soit à compter du 14 décembre 2017, conformément à la demande de cette société.

B) Sur les préjudices de la SCCV Mathilde II

1°) Sur les frais d'intervention de l'architecte relatifs au dossier de permis de construire

Comme le souligne l'appelant, c'est la SCCV Mathilde qui a déposé les demandes de permis de construire initial et modificatifs et qui était partie défenderesse devant les juridictions administratives, et non pas la SCCV Mathilde II, qui est une personne morale distincte, chacune d'elles étant immatriculée indépendamment au RCS.

Cependant, il résulte des pièces produites et précisément d'une attestation de son expert-comptable du 7 juillet 2021 dont il n'y a pas lieu de remettre en cause la crédibilité, que c'est la SCCV Mathilde II qui a réglé la note d'honoraires de l'architecte du 5 juillet 2013, d'un montant de 25 931,55 euros, émise au titre de la constitution et du dépôt du dossier de permis de construire relatif au projet en cause. Dès lors, c'est bien elle qui a qualité pour solliciter une indemnisation à ce titre à l'encontre de M. [W] et, au vu de ces pièces justificatives, sa demande est effectivement fondée à hauteur de ce montant, comme l'a retenu le premier juge.

2°) Sur les frais de représentation devant les juridictions administratives

M. [W] conteste qu'une indemnisation puisse être allouée au titre des frais non compris dans les dépens supportés devant la juridiction administrative, sur un fondement autre que celui de l'article L 761-1 du code de justice administrative, invoquant à ce titre une jurisprudence du Conseil d'État, dont la SCCV Mathilde II conteste l'application devant la juridiction judiciaire.

S'il ne peut être exclu que des frais et honoraires d'avocat soient constitutifs d'un préjudice causé par un abus de droit de la partie adverse, il convient de souligner qu'en l'espèce, l'abus de droit n'a été retenu à l'encontre de M. [W] qu'à l'issue de la procédure devant la cour administrative d'appel, lors du pourvoi exercé contre l'arrêt rendu par cette dernière le 5 août 2016. Dès lors, seuls les frais et honoraires d'avocat engagés dans le cadre de ce pourvoi peuvent constituer un préjudice réparable, étant souligné que, par la même attestation de son expert-comptable du 7 juillet 2021, la SCCV Mathilde II justifie avoir réglé la totalité des frais et honoraires d'avocat facturés à la SCCV Mathilde, dans le cadre des recours en annulation de permis de construire exercés par M. [W].

Ainsi, doivent être pris en compte les montants de 750 euros et de 576 euros, au titre des notes d'honoraires d'avocat du 26 octobre 2016 et du 14 décembre 2016, qui portent sur les prestations relatives à ce pourvoi, soit au total la somme de 1 326 euros, et non celle de 11 989,10 euros. S'agissant des frais engagés après la procédure devant la cour administrative d'appel, il n'y a pas lieu de déduire les 1 000 euros alloués par cette dernière sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

3°) Sur le préjudice relatif à la perte de chance de réaliser un gain dans le cadre d'une opération immobilière

La SCCV Mathilde II qui sollicite un montant de 120 000 euros au titre du préjudice relatif à la perte de chance de réaliser un gain dans le cadre d'une opération immobilière, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, invoque un manque à gagner important, au motif que le bilan de l'opération avait prévu une marge de 253 219,83 euros qui était selon elle réaliste. Elle considère en effet que la réalisation de l'opération était acquise, le permis de construire purgé, le financement obtenu et les logements à construire presque tous vendus.

Le budget prévisionnel relatif au projet en cause, produit par la SCCV Mathilde II, fait apparaître une marge bénéficiaire prévue de 253 219,83 euros au total. Au vu de ce document, de l'avancée du projet et du taux de perte de chance de réaliser un gain dans le cadre de ce projet immobilier admis par cette société elle-même, distinct de celui de concrétiser la vente du bien elle-même, il convient de retenir le montant de 120 000 euros qu'elle sollicite, étant souligné qu'ainsi qu'elle le soutient, il n'y a pas lieu de tenir compte de la fiscalité dans l'évaluation de ce poste de préjudice, l'indemnisation qu'elle percevra à ce titre étant elle-même soumise à l'impôt sur les sociétés.

4°) Sur le préjudice moral

La SCCV Mathilde II demande une somme de 50 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, en indemnisation du préjudice moral subi au titre de l'atteinte à sa réputation et à son image commerciale, du fait de l'annulation de contrats de réservation déjà signés et de la procédure également stressante pour ses dirigeants.

Il est justifié de trois contrats de réservation signés dans le cadre du projet de la SCCV Mathilde II lié à l'acquisition de l'ensemble immobilier auprès de la SCI Mathilde et il est indéniable que l'échec d'un tel projet, dont M. [W] est responsable à hauteur de la perte de chance de 60 %, a causé une atteinte à la réputation de la société qui le portait, dans le cadre de son activité de promoteur immobilier, constitutive d'un préjudice moral. Celui-ci justifie une indemnisation de cette société à hauteur de 12 000 euros.

Il résulte de tous les éléments ci-dessus que le préjudice de la SCCV Mathilde II s'élève au total à 159 257,55 euros. Le jugement déféré sera donc infirmé quant au montant qu'il a alloué à cette dernière, à laquelle M. [W] sera donc condamné à verser cette somme. Celle-ci portera intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le tribunal, soit à compter du 14 décembre 2017, conformément à la demande de cette société.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant confirmé sur le principe de la responsabilité de M. [W] et les condamnations prononcées à son encontre étant, au total, aggravées, ce jugement sera également confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens de première instance.

Pour les mêmes motifs, M. [W] sera condamné aux dépens d'appel. Dans ces circonstances, sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'il a engagés en appel, sera rejetée. En revanche, l'équité commande de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros qu'il devra régler aux intimées, ensemble, au même titre et sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 15 octobre 2020, à l'exception des dispositions par lesquelles il a condamné M. [J] [W] à payer à la SCI Mathilde la somme de 52 132,00 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 17 juillet 2018, et à la SCCV Mathilde II la somme de 111 920,65 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 14 décembre 2017, et l'INFIRME de ces chefs,

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs et y ajoutant,

CONDAMNE M. [J] [W] à payer à la SCI Mathilde la somme de 28 553,60 euros (vingt-huit mille cinq cent cinquante-trois euros et soixante centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2017,

CONDAMNE M. [J] [W] à payer à la SCCV Mathilde II la somme de 159 257,55 euros (cent cinquante-neuf mille deux cent cinquante-sept euros et cinquante-cinq centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 14 décembre 2017,

CONDAMNE M. [J] [W] aux dépens d'appel,

CONDAMNE M. [J] [W] à payer à la SCI Mathilde et la SCCV Mathilde II, ensemble, la somme de 3 000,00 (trois mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que ces dernières ont engagés en appel,

REJETTE la demande de M. [J] [W] présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'il a engagés en appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03160
Date de la décision : 24/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-24;20.03160 ?
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