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23/03/2023 | FRANCE | N°20/02132

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 23 mars 2023, 20/02132


MINUTE N° 158/2023





























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER



- Me Noémie BRUNNER

(2 copies)



Le 23 mars 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 23 Mars 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02132 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HLW3<

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Décision déférée à la cour : 25 Juin 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANTE et intimée sur incident:



La S.A. BURSTNER, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 9]



représentée par Me Valérie SPIES...

MINUTE N° 158/2023

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER

- Me Noémie BRUNNER

(2 copies)

Le 23 mars 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 23 Mars 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02132 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HLW3

Décision déférée à la cour : 25 Juin 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE et intimée sur incident:

La S.A. BURSTNER, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 9]

représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me Emilie LOZÉ (cabinet SELASU KELIDJIAN), avocat à Paris.

INTIMÉS et appelants sur incident :

Monsieur [I] [W]

Madame [D] [W]

demeurant ensemble [Adresse 2]

représentés par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me MEDIONI, avocat à Paris.

INTIMÉS :

Monsieur [H] [M]

Madame [X] [M]

demeurant ensemble [Adresse 4]

représentés par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me CHEMINET, avocat à Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Janvier 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre,

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSE DU LITIGE

Les époux [W] et les époux [M] sont respectivement propriétaires de maisons d'habitation sises [Adresse 1], leurs propriétés étant voisines du site d'exploitation de la société Burstner, spécialisée dans la fabrication de véhicules de loisirs, qui exerce sur son site de Wissembourg une activité de menuiserie pour la fabrication d'éléments d'assemblage et d'équipements de véhicules de loisirs pour le compte de tout le groupe Burstner depuis une restructuration réalisée durant l'été 2014.

Se plaignant de nuisances sonores, les époux [W] et [M] ont obtenu du juge de référés, le 6 août 2015, l'organisation d'une expertise judiciaire confiée à M. [K], qui a déposé un rapport en date du19 juin 2017 aux termes duquel il concluait que :

« - les émergences sonores tant sur la période diurne que nocturne et sur les deux points de mesurage ne sont pas en conformité avec l'arrêté préfectoral du 22/12/2014,

- le niveau sonore mesuré près du point noté n° 3 dépasse le seuil défini,

- une tonalité marquée au sens entendu par l'arrêté du 23 janvier 1997 et la norme NF S 31 010 a été relevée sur le tiers d'Octave 200 Hz.

Il en résulte que le fonctionnement de l'entreprise Burstner sise [Adresse 3] induit des émissions sonores au droit des habitations sises [Adresse 1] non conformes aux prescriptions réglementaires et que cet état de fait est susceptible de porter atteinte à la tranquillité et à la santé de l'homme ».

Les époux [W] et [M] ont saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg le 3 novembre 2017, aux fins d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices résultant des troubles anormaux du voisinage induit par l'activité de l'entreprise Burstner, ainsi que la condamnation de cette dernière à faire cesser lesdits troubles.

Par un jugement du 25 juin 2020, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :

- débouté la société Burstner de sa demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire et de sa demande de désignation d'un nouvel expert ;

- condamné la société Burstner à payer aux époux [M] une somme de 25 000 euros au titre de leur préjudice moral ;

- condamné la société Burstner à payer aux époux [M] une somme de 35 000 euros au titre de la perte de valeur de leur bien immobilier ;

- condamné la société Burstner à payer aux époux [W] une somme de 25 000 euros au titre de leur préjudice moral ;

- condamné la société Burstner à payer aux époux [W] une somme de 68 000 euros au titre de la perte de valeur de leur bien immobilier ;

- condamné la société Burstner à faire réaliser les travaux nécessaires pour faire cesser les nuisances sonores provoquées par son activité sur le site ;

- condamné la société Burstner à payer aux époux [M] d'une part, et aux époux [W] d'autre part, une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur la nullité du rapport d'expertise le tribunal a retenu que :

- l'expert judiciaire a répondu à l'ensemble des points de sa mission telle qu'elle résulte de l'ordonnance du 6 août 2015 le désignant, à l'exception de la question des émanations de fumée et des pluies de suie, sans que cela ne cause grief à la société Burstner puisque les demandeurs ont expressément indiqué tant à l'expert judiciaire qu'au juge chargé du contrôle des expertises qu'elles renonçaient à ce chef de mission ;

- les autres reproches formulés par la société Burstner portent sur le contenu du rapport d'expertise et plus particulièrement sur les méthodes et les conclusions de l'expert, de sorte que même à les supposer établis, ils ne peuvent donner lieu au prononcé de la nullité du rapport.

S'agissant du grief tiré du non-respect du principe du contradictoire, le tribunal a retenu que dans son pré-rapport rédigé le 6 février 2017, Mme [C] [S], expert immobilier et sapiteur sollicité par l'expert judiciaire, a effectué une évaluation de la valeur vénale et de la valeur du marché après calcul d'une décote des biens immobiliers des consorts [M] et [W]. Dans sa réponse aux dires, insérée dans son rapport définitif, l'expert a très exactement et longuement expliqué la méthode de calcul retenue de sorte qu'il y a lieu de constater le principe du contradictoire a été respecté, la société Burstner ayant eu la possibilité de mettre aux débats devant l'expert la méthode retenue par le sapiteur.

Pour retenir l'existence d'un trouble anormal de voisinage, le tribunal s'est appuyé sur les conclusions du rapport d'expertise qui a mis en évidence des dépassements très importants de l'émergence admise, tant en période diurne que nocturne, et a considéré que l'expert n'avait pas pour obligation de conduire ses opérations sur la base de l'arrêté du 23 janvier 1997, le recours à cet arrêté ne s'imposant que lorsqu'il s'agit de rechercher si les obligations réglementaires ont été respectées, ce qui n'était pas sa mission, et d'autre part qu'il lui incombait de choisir le mode le plus adapté pour décrire et apprécier les phénomènes à l'origine du trouble allégué, et qu'il a explicité de manière circonstanciée sa méthodologie et a répondu sur l'ensemble des points contestés par la société Burstner suite à ses dires, notamment s'agissant de la localisation des points de mesurage, ou de la durée des mesures.

La société Burstner ne pouvait exciper d'une activité antérieure et des dispositions de l'article L.112-16 du code de la construction et de 1'habitation, puisque s'il n'est pas contesté que les époux [W] et [M] avaient acquis et occupaient leur bien respectivement depuis 1982 et depuis 1999, alors que la société Burstner exerçait une activité industrielle sur le site voisin depuis 1979, cette dernière avait étendu son activité par arrêté du 22 décembre 2014 entraînant une augmentation de ses capacités de stockage et de production.

Enfin, la société Burstner reconnaissait l'existence de nuisances sonores confirmées par une campagne de mesurage réalisée, à sa demande, par la société Acouvib en 20l5, et que si elle soutenait avoir effectué de nombreux et coûteux travaux pour y remédier, et être désormais en conformité avec les dispositions réglementaires ainsi qu'en attestait un contrôle effectué par la DREAL en octobre 2018, lesdits travaux étaient antérieurs aux opérations d'expertise, de sorte qu'il était établi que ces travaux, quels qu'aient été leur importance et leur coût, n'avaient pas permis de remédier aux nuisances sonores invoquées par les demandeurs dont la réalité était démontrée et confirmée par un rapport de l'inspection des installations de la direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement Grand Est établi le 22 octobre 2018 à l'issue d'une campagne de mesures effectuées en mars 2018 qui constatait la persistance d'un non-respect des normes réglementaires et l'existence d'un bruit anormalement élevé qui plus est la nuit.

Le tribunal a enfin rappelé qu'une 'autorisation administrative ne constituait pas un fait justificatif au trouble anormal de voisinage, qui pouvait exister même si la réglementation était respectée, la responsabilité éventuellement encourue pour trouble anormal de voisinage, étant une responsabilité sans faute. Il a retenu que la gêne était en l'espèce d'autant plus anormale qu'elle s'étendait sur une grande amplitude horaire, qu'elle était persistante la nuit, six jours sur sept, toute l'année à l'exception d'un mois de fermeture annuelle et ce depuis près de 14 ans.

S'agissant du préjudice moral le tribunal l'a apprécié au regard de la durée des nuisances, le fait que la société Burstner ait fait preuve de bonne volonté pour les réduire ne faisant pas disparaître le dommage. Il s'est appuyé sur les conclusions du sapiteur pour fixer à 18 % la perte de valeur des biens immobiliers des requérants.

Quant aux mesures à prendre pour faire cesser le trouble, le tribunal rappelle que l'expert judiciaire a indiqué ne pas être en mesure de préciser les solutions à mettre en 'uvre pour remédier aux désordres, préconisé l'intervention d'un bureau d'étude spécialisé en acoustique et donné trois pistes de réflexion.

Puis, relevant que les demandeurs n'avaient pas pris position sur la nature des travaux à réaliser, la juridiction a estimé que la société Burstner devait être condamnée à faire exécuter les travaux nécessaires pour faire cesser le trouble anormal de voisinage, en lui laissant le choix de la nature des travaux à réaliser (capotage des équipements extérieurs, traitement de l'enveloppe des bâtiments, construction d'écrans acoustiques).

La société Burstner a interjeté appel de ce jugement, le 27 juillet 2020 en toutes ses dispositions.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 31 mars 2022, la société Burstner demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau d'annuler le rapport d'expertise judiciaire, de désigner un nouvel expert avec la mission qu'elle indique, mettre les condamnations à néant et débouter les époux [W] et [M] de leurs demandes, et les époux [W] de leur demande nouvelle et de leur appel incident, les condamner au remboursement des sommes perçues, et au paiement in solidum d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle reproche à l'expert d'avoir méconnu les termes de sa mission, et de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire ce qui lui causerait grief et justifie l'annulation du rapport.

Sur le premier point elle fait valoir que les mesure ne respecteraient pas les prescriptions de l'arrêté du 23 janvier 1997 (la localisation des points de mesure n'étant pas en limite de propriété), et que les mesures faites au mois d'août ne permettraient pas d'apprécier le bruit résiduel habituel (lycée fermé). Elle relève que les conclusions du rapport seraient en totale opposition avec celles du rapport d'inspection des installations classées du 22 octobre 2018 qui soulignerait l'importance des bruits résiduels et une absence de dépassement des émergences fixées par l'arrêté préfectoral du 22 décembre 2014 dans les zones d'émergences réglementées, ces éléments étant confortés par les mesures d'Acouvib effectuées le 3 septembre 2021 ayant donné lieu a un rapport du 7 septembre 2021 au terme duquel il est conclu à l'absence de dépassement des seuils autorisés par l'arrêté préfectoral en limite de propriété.

La société reproche à l'expert de ne pas avoir examiné la question des émanations des fumées et des pluies de suie, les demandeurs ne pouvant de manière unilatérale renoncer à un chef de la mission.

Quant au non-respect du principe du contradictoire, l'analyse de Mme [S] au stade du pré-rapport ne reposerait sur aucun élément extrinsèque, base de calcul ou justification concrète qui auraient pu permettre aux parties de comprendre les mesures indiquées. Il n'aurait pas été possible de discuter ses conclusions avant le dépôt du rapport définitif, dans lequel la décote moyenne est passée de 15 à 18% sans justification.

Au fond, l'appelante invoque l'antériorité de son activité, faisant valoir que l'augmentation ou l'extension d'une exploitation ne peuvent suffire à caractériser le changement d'activité an sens de l'ancien article L.112-16 du code de la construction et de l'habitation. La Cour de cassation aurait en outre récemment précisé que pour qu'il y ait un changement d'activité au sens de l'ancien article L.112-16 il conviendrait de vérifier si la modification de l'exploitation entraîne en elle-même une aggravation du dommage. La société invoque une baisse d'activité en 2013 suite à un plan de sauvegarde de l'emploi et la création d'une ligne de montage.

Elle détaille ensuite les mesures mises en 'uvre entre 2011 et 2015 pour pallier aux nuisances et mettre l'exploitation en conformité avec les exigences réglementaires, ainsi que le rapport de la DREAL du 22 octobre 2018 qui a considéré que les émergences déterminées tant en période diurne que nocturne étaient inférieures aux valeurs limites fixées par l'arrêté préfectoral du 22 décembre 2014, et l'étude Acouvib faisant suite à de nouveaux travaux réalisés en septembre 2021, dont les résultats mettraient en exergue 1'absence de dépassement des seuils autorisés, tant en période diurne qu'en période nocturne.

Enfin, elle relève que les décisions du tribunal administratif sur lesquelles se fondent les époux [W] et [M] lui ayant enjoint de se mettre en conformité sont frappées d'appel.

Subsidiairement, elle estime que les intimés ne démontrent pas l'existence de préjudices, puisqu'elle aurait toujours entretenu un dialogue avec les intimés et mis en 'uvre des mesures pour réduire les nuisances. Elle critique enfin les conclusions du sapiteur s'agissant de la décote de la valeur des biens qui a de manière surprenante, mis en parallèle la situation des intimés avec d'autres secteurs résidentiels impactés par le bruit, estimant que les abords de voies ferroviaires ou le trafic est dense ou encore la proximité d'un axe lourd de type autoroute constitueraient des situations comparables.

* * *

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 31 mars 2022, les époux [W] concluent au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement dans la limite de l'appel incident portant sur les condamnations indemnitaires prononcées à leur profit et sur la cessation du trouble et demandent à la cour de condamner la société Burstner à leur payer la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral et 98 200 euros au titre de leur préjudice matériel, et de condamner la société Burstner à faire réaliser les travaux nécessaires pour faire cesser les nuisances sonores provoquées par son activité ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir alors qu'en première instance, l'astreinte n'avait pas été mise en place.

Ils sollicitent enfin sa condamnation au paiement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que l'expert n'a nullement méconnu les termes de sa mission en effectuant des mesures dans l'environnement de la société Burstner, la critique portant moins sur une prétendue méconnaissance des chefs de mission, que sur la méthodologie retenue par l'expert judiciaire, à laquelle il a répondu.

Ils rappellent que la violation des niveaux sonores autorisés par le Préfet au titre d'une ICPE est distincte et autonome de la notion de trouble anormal du voisinage, la circonstance qu'une autorisation d'exploiter une installation classée ait été délivrée ne fait pas obstacle à la mise en jeu de la responsabilité civile de l'exploitant pour trouble de voisinage devant le juge judiciaire.

L'omission de l'expert de répondre au chef de mission portant sur les émanations de fumées et de pluies de suie ne causerait pas de grief à la société Burstner puisque les demandeurs ont renoncé à toute demande à ce sujet.

Sur leur préjudice ils font valoir que le tiers lésé par le voisinage de l'installation classée peut, d'une part obtenir l'indemnisation des préjudices subis et d'autre part, obtenir la condamnation de l'exploitant à prendre les mesures propres à faire cesser le trouble.

Sur l'anormalité du trouble, ils invoquent des pétitions de riverains, l'amplitude horaire de l'activité incriminée du lundi au vendredi de 06h00 à 24h00 et les samedis de 06h00 à 12h00, la négligence du personnel qui parfois oublie de mettre les installations à l'arrêt. Cette large amplitude horaire est en outre conjuguée à un volume de nuisances sonores qui porterait atteinte à la tranquillité et à la santé des demandeurs, notamment en ce qui concerne la jouissance de leur habitation et la qualité de leur sommeil.

L'expert a relevé un dépassement de l'émergence admis de 58 % pour la période diurne. Pour la période nocturne, où l'émergence autorisée est de 4 dB, l'expert a mesuré une émergence de 10 dB pour l'habitation des époux [M] et de 10,5 dB pour les époux [W] ce qui représente un dépassement de l'ordre de 150 %, avec un pic à plus de 260 % entre 6h et 7h du matin.

Enfin l'anormalité du trouble résulte encore de la perte de valeur occasionnée à la propriété des demandeurs.

Ils estiment que la société Burstner est mal fondée à mettre en avant les contrôles qui auraient été effectués par l'inspection des installations classées au mois d'octobre 2018 ainsi que le rapport non contradictoire réalisé par la société Acouvib en mars 2015, alors que la carence de l'inspection des installations classées dans l'exercice de son pouvoir de police a été sanctionnée par le tribunal administratif de Strasbourg dans un jugement du 31 janvier 2020.

Ils soutiennent que la société Burstner opère une confusion entre anormalité du trouble et mesures prises, et invoquent l'impact des nuisances sur leur santé, M. [M] souffrant d'acouphènes.

Ils observent que les mesures effectuées par l'expert n'ont pas été limitées au seul mois d'août, mais se sont déroulées, contradictoirement, durant plusieurs mois.

Ils contestent l'antériorité du trouble, aux motifs que la société Burstner a procédé à des travaux d'agrandissement au cours de l'année 2004 postérieurement à l'installation des époux [M] dans leur maison d'habitation et que les nuisances ont alors augmenté. En 2013, la stratégie industrielle du groupe a induit la spécialisation du site de [Localité 11] pour la seule fabrication des aménagements intérieurs des caravanes, ce qui a démultiplié les nuisances sonores, dès lors qu'à compter de cette date, l'activité exercée sur le site a essentiellement porté sur des travaux industriels de menuiserie avec, notamment, d'importants bruits de machines de sciage et des systèmes d'extraction de l'air, ce qui n'était pas le cas auparavant, cela étant associé à une augmentation de l'amplitude horaire.

Les époux [W] indiquent subir tout d'abord un préjudice moral, qui va croissant au fil du temps qui passe depuis les premières démarches qu'ils ont entreprises afin de mettre un terme au 'calvaire' qu'ils subissent au quotidien, depuis maintenant près de 17 années, cette grande souffrance morale, étant accentuée par l'attitude qu'ils qualifient de « passive » et de « dédaigneuse » qui aurait été adoptée par l'entreprise Burstner durant de nombreuses années. Ils estiment que le montant alloué est insuffisant du fait qu'étant retraités ils sont exposés de manière permanente au bruit.

Ils contestent également l'évaluation de la perte de valeur de leur bien immobilier et se prévalent de différentes évaluations d'agences immobilières, soutenant que la valeur de leur bien est plus proche de 490 000 euros que de 375 000 euros, valeur retenue par l'expert judiciaire. Ils ajoutent avoir dû faire équiper leur maison de doubles vitrages. Enfin, la condamnation de la société Burstner à faire les travaux devra être assortie d'une astreinte.

* * *

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er avril 2022, les époux [M] ' dont l'argumentation est globalement au fond identique à celle développée par les consorts [W] - concluent au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement, au débouté de la société Burstner et à sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* * *

Par ordonnance du 3 mai 2022, la Présidente de chambre, chargée de la mise en état, a ordonné la clôture de la procédure et renvoyé l'affaire à l'audience du 13 mai 2022.

Suite à l'impossibilité de réunir une formation collégiale à la date fixée, le dossier était renvoyé à la demande de la partie à plante à l'audience du 26 janvier 2023.

La société Burstner a déposé une requête le 4 janvier 2023 aux fins de voir révoquer l'ordonnance de clôture pour produire une nouvelle pièce à savoir un rapport Acouvib du 14 novembre 2022. Par ordonnance du 12 janvier 2023, cette demande de révocation était rejetée au regard de l'ancienneté du litige et au motif que l'établissement d'un nouveau rapport n'était pas suffisant pour caractériser une cause suffisamment grave pour justifier la révocation de l'ordonnance.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions transmises aux dates susvisées.

MOTIVATION

1) sur la validité du rapport d'expertise judiciaire

Au terme de ses écritures d'appel, la société Burstner conclut à la nullité du rapport d'expertise et sollicite la désignation d'un expert. Elle soutient que l'expert n'aurait pas respecté le principe du contradictoire et aurait ignoré la mission qui lui a été confiée.

Aux termes de l'article 236 du code de procédure civile, l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties.

Lorsqu'elles sont écrites, il doit les joindre à son avis si les parties le demandent et faire mention dans son rapport de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.

L'expert judiciaire doit observer le principe du contradictoire énoncé par l'article 16 du code de procédure civile ; dès lors, la méconnaissance par lui dudit principe constitue une inobservation d'une formalité substantielle et peut être sanctionnée par la nullité des opérations d'expertise en application de l'article 114 du code de procédure civile, lorsque la partie qui l'invoque prouve que cela lui a causé un grief.

La société affirme que l'expertise aurait été menée en violation du principe du contradictoire au motif que l'analyse du sapiteur immobilier, Madame [S], communiquée au stade du pré-rapport, n'aurait reposé sur aucun élément extrinsèque et n'aurait pas été soumis aux débats.

Cependant, force est constater que contrairement à ce qu'elle soutient, la société appelante a fait part de ses observations quant à l'analyse proposée par le sapiteur immobilier, dans le cadre d'un dire daté du 2 mars 2017. Ce dire a été repris dans le rapport d'expertise en page 119, et a fait l'objet d'une réponse de l'expert (cf. pages 203 à 205 du rapport). Le principe du contradictoire a donc bel et bien été respecté, la société Burstner ayant été en mesure de prendre connaissance des observations de Madame [S] et d'en discuter avant que l'expert ne prenne position dans son rapport définitif.

Il est rappelé que le respect du caractère contradictoire des opérations d'expertise doit être apprécié en tenant compte de l'ensemble des opérations, et au moment de la rédaction du rapport définitif. On ne saurait l'apprécier au niveau de la rédaction du simple pré-rapport d'un sapiteur.

Ensuite, comme l'a fait à juste titre remarquer le premier juge, la société appelante ne saurait obtenir l'annulation d'un rapport d'expertise en contestant l'analyse ou des développements de l'expert, en ce sens que ce débat relève du fond.

S'agissant de la question de l'étendue de la mission de l'expert et du non-respect de son périmètre argué par la société Burstner, cette dernière soutient que le rapport serait entaché de nullité au motif que l'expert n'a pas répondu aux chefs de mission portant sur les émanations de fumées et de pluies de suie.

Il résulte de la lecture du rapport d'expertise que l'homme de l'art a expliqué aux parties sa difficulté pour trouver un sapiteur compétent en cette matière. Les consorts [W] et [M] lui ont alors indiqué qu'ils se désistaient de leur action sur ce point.

Cette renonciation des intimés ne peut être interprétée par l'appelante comme un manquement de l'expert judiciaire.

De surcroît, pour qu'il y ait une cause de nullité, encore faudrait-il que la renonciation de l'expert de répondre sur cette partie de mission causât un grief pour la société. Or force est de constater que la société ne démontre nullement l'existence d'un tel grief.

Enfin la société remet en cause la validité du rapport d'expertise en exposant que l'expert aurait méconnu son chef de mission relatif au chiffrage du coût des travaux (point 6 de la mission), en ne réalisant pas les mesures acoustiques dans de bonnes conditions (points de mesure choisis inappropriés, non prise en compte d'événements sonores issus de l'environnement, prise des mesures durant une période inadaptée) et en ne proposant pas de solution.

Il est rappelé que la mission de l'expert telle qu'ordonnée le 6 août 2015 consistait à « prendre des mesures de niveau sonore régnant dans l'environnement de la société Burstner et de vérifier si les dépassements des niveaux sonores admissibles peuvent être constatés » et « en présence de nuisances » de « préciser les solutions à mettre en 'uvre ». À aucun moment la mission n'imposait à l'expert d'adopter une méthodologie particulière quant aux prises de mesures, de sorte que la société Burstner ne saurait aujourd'hui soutenir que les mesures réalisées par l'homme de l'art ne respecteraient pas le périmètre de la mission particulièrement large qui lui avait été confiée.

Enfin, outre le fait que les affirmations avancées par l'appelante sont inexactes ' en ce sens que l'expert a donné une fourchette d'évaluation du coût des différentes solutions techniques en page 50, que les mesures qu'il a réalisées se sont échelonnées sur plusieurs mois ' la cour constate que les contestations avancées portent sur le fond du dossier (la méthodologie adoptée) et ne sauraient constituer une cause de nullité.

Par conséquent la cour ne peut que confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a retenu la validité du rapport d'expertise et débouté corrélativement la société Burstner de ses demandes de voir prononcer la nullité du rapport et de voir désigner un nouvel expert judiciaire.

La demande de contre-expertise formulée par la société Burstner sera également écartée.

2) sur le caractère bien-fondé des demandes formulées par les époux [W] et [M]

2-1) sur le trouble anormal de voisinage

Le premier juge a rappelé que selon l'article 651 du code civil les propriétaires sont assujettis à différentes obligations l'un au regard de l'autre, indépendamment de toute convention. Le droit permet au propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prévu par la loi ou les règlements, sous condition de ne pas causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage. Pour engager la responsabilité pour trouble anormal de voisinage il y a lieu de démontrer le caractère excessif du trouble, devant être apprécié en fonction du lieu, de l'antériorité de la situation et de l'ampleur du trouble.

Il s'agit donc d'un régime de responsabilité sans faute, de plein droit, la bonne foi du propriétaire mis en cause n'étant pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité si le caractère anormal du trouble est constaté.

Au cas d'espèce, le premier juge a très clairement caractérisé le trouble anormal de voisinage en retenant que la société Burstner n'a pas respecté la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement et la réglementation issue du code de la santé publique et plus particulièrement de ses articles R 1334'30 à R 1334'37 et R 1337'6 à R 1337'10'1.

La juridiction a rappelé que l'expert judiciaire a constaté de manière incontestable, en reprenant les mesures réalisées entre les 3 février et 7 octobre 2016 (page 41 à 47) que le niveau sonore maximal en limite de propriété des consorts [W] et [M] ne respectait pas les normes réglementaires et légales qui sont de 5 pour les « émergences admissibles pour la période diurne (7 heures à 22 heures) sauf dimanche et jours fériés » et de 3 pour la période nocturne (22 heures à 7 heures et dimanche et jours fériés).

Or les émergences sonores constatées lors des opérations de surveillance sur une durée longue étaient :

' au niveau de la façade du bâtiment d'habitation des époux [M] en moyenne de 10 en période diurne et de 9.5 en période nocturne, culminant à 15.5 sur la période allant de 6 h à 7 h,

- au niveau de la façade du bâtiment d'habitation des époux [W] de 10,5 en période diurne et de 10,5 en période nocturne, atteignant le chiffre de 15.5 de 6 h à 7 h.

En outre, l'arrêté préfectoral du 22 décembre 2014 impose par son article 6.2.2 le respect de seuil de niveau sonore en limite d'exploitation de 53 dB (A) sur la période diurne et de 43 dB(A) en période nocturne. Or les niveaux sonores mesurés en façade de l'habitation de Monsieur [M] dépasse le seuil de 43 dB (A) sur la période nocturne, ce qui induit nécessairement le fait que le niveau sonore en limite d'exploitation est supérieur à la réglementation.

Enfin, il n'est pas contestable que les émissions sonores induites par le fonctionnement de l'usine ne sont pas conformes au sens entendu par les prescriptions de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, s'agissant de la tonalité marquée (c'est-à-dire un son particulier, de type sifflement ou ronronnement qui ne doit pas dépasser 30 % du temps de fonctionnement de l'installation). Les opérations de mesurage ont permis d'isoler une tonalité marquée relevée sur le tiers d'octave 200 Hz.

Ce dépassement systématique des seuils réglementaires est d'autant plus incontestable, que son existence a été confirmée par le rapport du laboratoire IRH ingénieur-conseil daté du 6 décembre 2021 produit par la société Burstner elle-même, reprenant les mesures sonores réalisées les 8 et 9 novembre 2021 à l'occasion d'un contrôle commandé par la DREAL.

Elles ont révélé des émergences diurnes non conformes notamment au point LP3 - c'est-à-dire sur le terrain de la société Burstner, en limite de propriété des époux [W] ' et une émergence nocturne de plus en plus forte lorsqu'on s'approche de l'habitation des époux [W] oscillant entre 9,5 et 12,6, avec là encore des tonalités marquées supérieures à 30 % de la durée (notamment résultant d'un bruit de fond dû à la ventilation des bâtiments A et B et de la chaudière) et l'existence de 6 non-conformités en zone émergences réglementée sur les mesurages réalisés en 4 points (annexe 26 de la société, pages 14 et 15 de l'annexe 60 des particuliers).

Il ressort des pièces présentes au dossier des intimés, que le sujet des nuisances sonores affectant le quartier de la [Adresse 8], empoisonne la vie des riverains depuis de nombreuses années comme l'attestent :

- la teneur des nombreux comptes rendus de réunions publiques organisées par la mairie ou par les services préfectoraux,

- la pétition de 2006 signée par de nombreux riverains évoquant ces nuisances dues à la recrudescence de l'activité de la société (annexe 4 des consorts [M]),

- les courriers émanant de la commune de [Localité 11], tels que celui du 11 juillet 2008 qui évoquait un « dossier essentiel et prioritaire » tout en indiquant aux riverains que la commune « comprend vos préoccupations » (annexe 7 des consorts [M]),

- les courriers officiels émanant de la préfecture notamment du 3 mars 2010 (annexe 13 des consorts [M]) et du 22 février 2011 (annexe 16 des consorts [M]) qui évoquent notamment le fait que la direction de la société avait conscience des nuisances imputables aux extracteurs d'air, ou encore du système SPANEX à l'origine de ces désagréments.

Les nuisances sonores, dont l'existence est avérée d'un point de vue subjectif par les courriers et réunions sus évoqués, et d'un point de vue objectif par le rapport d'expertise judiciaire mais également par le rapport réalisé le 6 décembre 2021 par l'institut IRH dont les conclusions sont exposées plus haut, ne peuvent qu'être considérées comme un trouble anormal du voisinage, car :

' il est prouvé que le niveau des décibels est très supérieur au seuils légaux, qui ont été fixés notamment en tenant compte de son caractère supportable et de ses effets sur la santé,

- l'expert judiciaire a constaté une violation de la réglementation applicable aux ICPE et notamment celle s'appliquant à l'entreprise Burstner telle que fixée par l'arrêté préfectoral du 22 décembre 2014 fixant les valeurs des émissions sonores et des émergences phoniques,

- l'expert notait dans son rapport que « il est indéniable que dans ces conditions la santé et la tranquillité des personnes ne peuvent qu'être altérées par l'occupation quotidienne des espaces extérieurs et intérieurs des lots respectifs des demandeurs » (page 207),

- comme démontré dans l'expertise et plus particulièrement dans ses développements consacrés à la perte de valeur des propriétés proches du site industriel bruyant, les consorts [W] et [M] subissent une décote de la valeur de leur propriété.

Dans ces conditions, ces nuisances sonores, persistantes, dépassant les seuils fixés par la législation nationale et celles prévues par l'arrêté préfectoral du 22 décembre 2014 concernant plus spécifiquement la société Burstner, constituent indéniablement des troubles anormaux du voisinage.

2-2) Sur l'antériorité du trouble

L'article L 113'8 du code de la construction et de l'habitation remplaçant l'article L 112'16 du même code depuis le 1er juillet 2021 dispose que « les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales ('), n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent aux bâtiments exposés à ces nuisances a été demandé où l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise à bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. »

L'appelante oppose aux époux [W] et [M] l'antériorité du trouble à leur installation se prévalant de ces dispositions.

Cependant, d'une part la cour constate que la société omet dans son raisonnement le fait que son activité ne s'exerce pas en conformité avec les dispositions réglementaires en vigueur et plus particulièrement celles de l'arrêté préfectoral du 22 décembre 2014 spécialement adoptées pour son activité de [Localité 11] suite à la restructuration de son site.

Elle ne peut alors se prévaloir de ces dispositions de l'article L 113-8 du code de la construction.

D'autre part la cour constate la particulière mauvaise foi de la société Burstner qui prétend que la nature de son activité, et son incidence sonore, n'ont pas été modifiées depuis l'installation des époux [W] et [M] respectivement en1982 et 1999 alors que :

- de nombreux documents démontrent que l'activité de la société a considérablement évolué depuis l'installation des intimés, évolution à l'origine de la recrudescence des nuisances sonores,

- l'annexe 2 des époux [W] démontre ainsi que la société s'est agrandie, de sorte que, dès 2004, les intimés se plaignaient auprès de la mairie de [Localité 11] du fait de l'accroissement des nuisances sonores à compter de l'automne 2002 lié au vrombissement des machines et du système d'aspiration,

- cette extension industrielle s'est notamment faite sur un site voisin exploité précédemment par la société Graines Alsace qui se trouvait justement en limite de propriété des consorts [W] ;

- à l'occasion des restructurations de la configuration du site industriel, a eu lieu l'implantation du système d'extraction d'air Spanex en 2003, placé à une cinquantaine de mètres seulement de la limite de propriété des époux [M] ; or il n'est pas contesté que ce système est particulièrement bruyant et contribue aux nuisances sonores ;

- alors que par le passé la société faisait de l'assemblage de véhicules, suite à sa restructuration en 2014, l'usine de [Localité 11] est dorénavant dédiée à l'aménagement intérieur des véhicules ; cette décision s'est accompagnée de la mise en place de lignes de menuiserie particulièrement bruyantes (travaux de sciage, ponçage') nécessitant la présence d'un système d'extraction d'air puissant pour l'évacuation des poussières de bois,

- il ressort aussi des attestations de riverains que l'usine n'a pas hésité à mettre en place le système des « trois huit », de sorte que l'activité a pu durer 24 heures sur 24 et avoir lieu au minimum la matinée du samedi ; en tout état de cause la société reconnaît qu'elle a dû s'adapter aux demandes changeantes des consommateurs suite à la crise sanitaire de 2019, de nouveaux véhicules devant être fabriqués sur le site de [Localité 11] ce qui implique l'ouverture d'une nouvelle ligne de production, comme l'atteste notamment un article de presse produite aux débats (pièce 43 des époux [W]).

Il en résulte que la société ne démontre nullement, que son activité ' telle qu'elle est bruyante au moment de son assignation en justice ' préexistait à l'installation des intimés dans leurs maisons, et encore moins qu'elle s'exerce dans le respect des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur.

2-3) Sur la bonne foi alléguée de la société Burstner

La société Burstner tente d'échapper à sa responsabilité en arguant de sa bonne foi et du fait qu'elle a fait procéder à des travaux pour remédier à ces troubles.

Comme évoqué plus haut, le régime de responsabilité des troubles anormaux de voisinage ne prévoit pas, pour le propriétaire à l'origine de tels troubles, la possibilité d'être dispensé de sa responsabilité en raison de sa bonne foi.

Il s'agit d'un régime de responsabilité sans faute, de sorte que les développements de la société sur sa bonne foi sont sans emport.

En second lieu, la réalisation de travaux en vue d'amoindrir le trouble anormal de voisinage n'est pas davantage en soi de nature à soustraire l'appelante de la nécessité d'indemniser les intimés de leur préjudice subi passé. Par conséquent la liste des factures relatives à des investissements effectués par la société Burstner aux fins de remédier aux troubles sonores (annexes 13 de la société) sont là aussi sans emport sur le droit à indemnisation des intimés de leur préjudice.

3) sur l'indemnisation des préjudices

3-1) sur le préjudice moral

Les consorts [W] et [M] luttent depuis de très nombreuses années pour attirer l'attention des pouvoirs publics locaux et départementaux, mais également de la société Burstner, sur la situation sonore particulièrement inconfortable qu'ils subissent depuis au minimum 16 années.

Ils démontrent par la production de documents médicaux que cette situation a généré des effets néfastes sur leur santé, par la présence d'un inconfort et d'un stress permanents, ce qui a entraîné l'apparition d'acouphènes.

Au regard de l'existence des préjudices découlant directement de la persistance de ce trouble anormal de voisinage, l'indemnisation du préjudice moral de chacun des deux couples à hauteur de 25 000 euros, telle que fixée par le premier juge, paraît adaptée et sera confirmée.

3-2) sur le préjudice matériel découlant de la perte de valeur des maisons

Le tribunal de première instance a estimé que, si les maisons des consorts [W] et [M] n'avaient pas été exposées aux nuisances provenant du site industriel Burstner, elles seraient valorisées à des sommes de 375 000 euros et 190 000 euros. Puis il a décidé de leur appliquer le taux de moins-value de 18% proposé par Madame [S], de sorte qu'il a déterminé leur préjudice matériel à la différence entre la valeur initiale et la valeur corrigée, soit 68 000 euros et 35 000 euros.

Les consorts [W] approuvent le calcul du taux de moins-value de 18%, mais contestent la valeur vénale initiale de leur immeuble estimant qu'il devrait être valorisé à 490 000 euros.

La société Burstner estime pour sa part que le taux de diminution de 18 % ne serait pas justifié.

L'existence d'une perte de valeur des biens immobiliers des intimés n'est pas sérieusement contestable ; il est évident que la proximité géographique de leurs maisons avec un site industriel générant de très fortes nuisances sonores, ne peut qu'affecter la valeur desdits biens.

Dans son rapport judiciaire, le sapiteur a parfaitement expliqué le mode de calcul, et les critères pris en compte, pour déterminer la perte de valeur de 18 % (notamment page 241, 242 du rapport d'expertise). Ainsi a-t-elle :

' constaté que malgré une isolation phonique de qualité, des bruits sont clairement audibles à l'intérieur des maisons,

' constaté que la jouissance des espaces extérieurs est très défavorablement impactée,

' trouvé des références de sites comparables, pris en compte des ventes réalisées sur des secteurs résidentiels impactés par le bruit tels que les abords de voies ferroviaires présentant une certaine densité et la proximité d'axes routiers qualifiés de « lourds » de type autoroute,

' mené une enquête auprès de professionnels de l'immobilier ayant réalisé des transactions sur ce type de secteur de laquelle il ressort que sur 10 visites programmées, à l'annonce des nuisances liées au site, seuls deux clients maintiennent leur visite.

À l'issue de ces explications, Madame [S] a présenté un tableau comprenant des ventes réalisées à [Localité 10], [Localité 7], [Localité 5] et [Localité 6], dans des secteurs bruyants, présentant des décotes variant entre 9,20 % et 25 % par rapport au prix du marché, de sorte qu'elle retenait une moyenne de 17,48 % arrondis à 18 %.

Dans ces conditions, la cour ne peut que constater le sérieux de l'étude réalisée par Madame [S] de sorte qu'il y a lieu de confirmer le taux de dévaluation de 18 %, et ce d'autant plus que la société Burstner - qui se contente de critiquer le calcul proposé - n'apporte aucune proposition de calcul autre de nature à déterminer le taux de dévaluation.

S'agissant de la valeur vénale de la maison des époux [W], ces derniers font référence à des attestations d'agences immobilières locales qui comportent une description précise de la maison, de son équipement et de ses aménagements extérieurs, proposant des évaluations variant entre 460 000 et 480 000 euros.

S'il est exact que les attestations produites par les époux [W] sont détaillées, il n'empêche que le travail réalisé par Madame [S] est bien plus complet.

Après avoir décrit très précisément le bien sur près de 8 pages (page 214 à 222 du rapport d'expertise), elle l'a évalué en tenant compte de plusieurs méthodes, celle de la valeur technique (valorisation sur les constructions), celle de la capitalisation du revenu (valeur de rendement locatif) puis celle de l'étude du marché (valeur de marché) ce qui lui a permis de fixer une valeur moyenne à 375 000 euros.

Le premier juge a alors fort logiquement privilégié cette valeur de 375 000 euros tout en écartant les évaluations plus sommaires faites par les agents immobiliers.

La décision du premier juge portant sur les indemnisations des préjudices matériels subis par les consorts [W] et [M] sera dès lors confirmée.

3-3) sur le préjudice matériel autre

Les consorts [W] réclament une indemnisation forfaitaire de 10 000 euros, qui leur a été refusée en première instance, au titre des nombreux frais de déplacement et de logement rendus nécessaires pour leur permettre parfois d'échapper à la situation de stress et de fatigue « tant physique que nerveuse imposée par les nuisances permanentes de la société Burstner ».

Cependant, ils ne produisent pas à hauteur d'appel, de documents de nature à démontrer l'existence des frais de déplacement et de relogement de sorte que leur demande ne peut être accueillie.

Quant à la facture datée du 17 mars 2017 évoquée par les consorts [W], émanant de la société Gross et portant sur un montant de 1318,76 euros (annexe 31) qui correspond aux frais d'installation de fenêtres et d'une porte fenêtre dotée d'une capacité isolante plus importante, elle ne saurait donner droit à une indemnisation spécifique car il n'est pas démontré que le remplacement de ces menuiseries extérieures n'était pas nécessaire du fait de la vétusté des anciennes.

Le jugement sera dès lors également confirmé sur ce point.

4) Sur la réalisation de travaux

Au terme de son rapport d'expertise du 19 juin 2017, l'homme de l'art indiquait ne pas être en mesure de préciser les solutions à mettre en 'uvre pour remédier aux désordres, préconisait l'intervention d'un bureau d'étude spécialisé en acoustique, tout en proposant trois pistes de réflexion. Il indiquait qu'il était possible de procéder :

- à un capotage des sources sonores les plus bruyantes portant sur les équipements installés en extérieur tels que la centrale de traitement de l'air ou le local broyeur,

- au traitement des enveloppes des bâtiments (murs et toitures),

- à la construction d'écrans acoustiques en limite de propriété.

Le tribunal a alors condamné la société Burstner à faire réaliser « les travaux nécessaires pour faire cesser le trouble anormal de voisinage », tout en laissant à la société le choix de la nature des travaux à réaliser.

A hauteur d'appel, la société critique cette décision puisqu'elle demande son infirmation, expliquant qu'elle a d'ores et déjà effectué des travaux de mise en conformité.

Il est constant que la société a fait réaliser des travaux, notamment sur l'extracteur d'air Spanex 160 000 m³, identifié par le bureau d'études Acouvib comme étant une source prioritaire des désagréments sonores, puis a demandé un nouveau diagnostic des nuisances sonores.

C'est dans ce cadre que le bureau d'études Acouvib a procédé à des mesures après travaux le 3 septembre 2021. Il en résulte qu'au point de relevés n°3, la valeur limite est toujours atteinte en période nocturne, avec encore une valeur importante relevée pour la bande de 1/3 d'octave situé à 200 Hz ainsi que pour les bandes à très basse fréquence. Le bureau d'étude estimait que « le travail d'amélioration doit se poursuivre, afin de disposer d'une marge de sécurité » tout en notant que « un gain sonore net est constaté suite aux travaux d'août 2021 ».

D'autre part la société Burstner a produit aux débats le rapport établi par le laboratoire IRH le 6 décembre 2021 suite à un contrôle inopiné réalisé à la demande de la Dreal. Les mesures réalisées ont prouvé qu'au niveau du point LP3, situé en limite de propriété sud-ouest de la société, juste en parallèle avec la [Adresse 8] (où demeurent les intimés) le niveau de bruit ambiant n'était pas conforme la nuit. En effet une mesure de 47 dB était constatée dans la nuit du 9 novembre 2021 entre 6h26 et 7 heures, alors que le maximum autorisé est de 43 dB. D'autre part au niveau du bruit ambiant en zone émergence réglementée, des valeurs non conformes étaient détectées sur les quatre points de contrôle la nuit, et sur deux points (LP 2 Ouest et LP 4 Sud). Enfin le laboratoire notait l'existence de tonalités marquées « avec des durées supérieures à 30 % » notamment au niveau de la rue des Païens la nuit avec « un bruit de fond dû à la ventilation du bâtiment B engendrant la tonalité marquée fermée ». Dans sa conclusion (page 15) le laboratoire indiquait, s'agissant du point de prélèvement LP3 de nuit, situé face aux habitations des intimés, que « à ce point, les niveaux sonores résiduels sont très faibles. L'écart entre les niveaux sonores mesurés, entre l'usine à l'arrêt et l'usine en fonctionnement est conséquent. Ce qui engendre une émergence supérieure à la valeur limite autorisée. À noter également que même si le niveau sonore ambiant respectait la valeur limite de propriété, pourtant très faible (43 dB (A), l'émergence serait non conforme ».

Il ressort de ces deux rapports produits aux débats par l'appelante - que bien qu'elle ait fait mener des travaux pour près de 450 000 euros à fin d'insonorisation de 2011 à 2015, puis durant l'été 2021 en vue de moduler les fréquences et réduire les émissions acoustiques en modifiant le système d'aspiration et en ajustant la puissance du ventilateur engendrant des dépenses à hauteur de 45 000 euros - le « gain sonore net » constaté par le rapport Acouvib en limite de propriété des intimés est insuffisant pour faire disparaître le trouble anormal de voisinage puisque des émergences n'étaient pas encore conformes.

Il s'ensuit que la société devra persévérer dans ses efforts pour atteindre l'objectif imposé par le tribunal, à savoir mettre fin aux nuisances sonores en procédant à de nouveaux travaux en vue de mettre à l'abri les consorts [M] et [W] des nuisances anormales sonores provenant du site industriel.

Dans le cadre de leur appel incident, les consorts [W] souhaitent que la société soit condamnée à faire réaliser les travaux sous astreinte, la décision du premier juge n'ayant pas prévu une telle modalité d'exécution contraignante.

Il est certain que la situation perdure depuis trop longtemps. La société Burstner a commencé des travaux, pour l'instant insuffisants pour préserver la tranquillité des intimés. Aussi, afin de mettre un terme au plus vite à leur préjudice il y aura lieu d'assortir la condamnation à réaliser des travaux d'une astreinte qui sera fixée à 300 euros par jour de retard, à compter du terme d'un délai de six mois qui commencera à courir au jour de la notification de la présente décision. La durée de l'astreinte sera limitée à 18 mois.

Le jugement de première instance sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions.

5) sur les demandes annexes

Le jugement de première instance statuant sur la question des dépens ' qui inclut les frais d'expertise et d'huissier engagés à l'occasion de la procédure de référé ' et de l'article 700 du code de procédure civile, sera confirmé.

La société Burstner, partie succombante au sens de l'article 696 code de procédure civile, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et à verser aux consorts [W] et [M], respectivement une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés dans le cadre de la procédure d'appel, ces condamnations emportant nécessairement rejet de la propre demande de la société tendant à être indemnisée de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 25 juin 2020, sauf en ce qu'il n'avait pas assorti d'une astreinte la condamnation de la société Burstner à faire réaliser les travaux pour faire cesser les nuisances sonores,

Et statuant à nouveau sur ce seul point y ajoutant

CONDAMNE la société Burstner à faire réaliser les travaux nécessaires pour faire cesser les nuisances sonores provoquées par son activité sur le site du 8, route des quatre vents à [Localité 11] et ce sous astreinte de 300 euros (trois cents euros) par jour de retard, à compter du terme d'un délai de six mois qui commencera à courir à la notification de la présente décision,

PRÉCISE que la durée de l'astreinte sera limitée à 18 mois,

CONDAMNE la société Burstner aux dépens de la procédure d'appel,

CONDAMNE la société Burstner à verser à Monsieur [I] [W] et Madame [D] [W] une somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles qu'ils ont engagés à hauteur d'appel,

CONDAMNE la société Burstner à verser à Monsieur [H] [M] et Madame [X] [M] une somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles qu'ils ont engagés à hauteur d'appel,

REJETTE la demande de la société Burstner fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02132
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;20.02132 ?
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