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10/03/2023 | FRANCE | N°21/01599

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 10 mars 2023, 21/01599


MINUTE N° 117/2023





























Copie exécutoire à





- Me Laurence FRICK





- la SCP CAHN ET ASSOCIÉS





Le 10 mars 2023





Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR



DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 10 MARS 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01599 -

Portalis DBVW-V-B7F-HRHL



Décision déférée à la cour : 13 Janvier 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG





APPELANTE :



L'EUROMETROPOLE DE [Localité 7]

prise en la personne de son Président en exercice

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 7]



représentée pa...

MINUTE N° 117/2023

Copie exécutoire à

- Me Laurence FRICK

- la SCP CAHN ET ASSOCIÉS

Le 10 mars 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 10 MARS 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/01599 -

N° Portalis DBVW-V-B7F-HRHL

Décision déférée à la cour : 13 Janvier 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

L'EUROMETROPOLE DE [Localité 7]

prise en la personne de son Président en exercice

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 7]

représentée par Me Laurence FRICK, avocat à la cour

INTIMÉE :

S.C.I. [...]

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par la SCP CAHN ET ASSOCIÉS, avocats à la cour

INTERVENANTS VOLONTAIRES :

Monsieur [V] [K]

Madame [M] [K]

demeurant [Adresse 5]

représentés par la SCP CAHN ET ASSOCIÉS, avocats à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Dominique DONATH faisant fonction

ARRÊT CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente et Madame Dominique DONATH, faisant fonction de Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

FAITS ET PROCÉDURE

La société civile immobilière [...] est propriétaire de deux parcelles cadastrées commune de [Localité 6], section [Cadastre 4] n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], [Adresse 5], situées en zone agricole. Au cours de l'année 2014, la SCI [...] a installé un mobil-home sur sa propriété, dans lequel vivent les consorts [K].

Par courrier du 19 novembre 2014, constatant que l'installation du mobil-home n'avait fait l'objet d'aucune autorisation administrative, le maire de Plobsheim a adressé une mise en demeure à la SCI [...] de procéder à son enlèvement avant le 7 décembre 2014. Le 10 décembre 2014, le service de la police du bâtiment a dressé un procès-verbal d'infraction aux articles L. 421-1 et suivants du code de l'urbanisme.

Mme [B] [K], gérante de la SCI [...], a été condamnée pour exécution irrégulière de travaux soumis à déclaration, par un jugement du tribunal correctionnel de Strasbourg du 28 avril 2016, avant d'être relaxée par un arrêt de la cour d'appel de Colmar en date du 6 octobre 2017, au motif que l'infraction ne pouvait lui être imputée personnellement, le terrain appartenant à la SCI [...], personne morale.

Début 2016, la SCI [...] a installé une clôture grillagée constituée de panneaux rigides sur la même propriété.

Par courrier du 12 janvier 2016, constatant que l'installation de la clôture n'avait pas non plus fait l'objet d'une autorisation administrative et n'était pas conforme aux prescriptions du plan local d'urbanisme (PLU), le maire de Plobsheim a adressé un courrier d'injonction à la SCI [...], afin que celle-ci procède à la remise des lieux en leur état initial.

Le 2 mars 2016, un procès-verbal d'infraction aux articles L. 421-1 et suivants du code de l'urbanisme a à nouveau été dressé.

Les faits ont ensuite été dénoncés au ministère public et, par jugement du tribunal correctionnel de Strasbourg en date du 16 juin 2017, la SCI [...] a été condamnée pour les faits d'exécution irrégulière, par personne morale, de travaux soumis à déclaration préalable, et pour infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme, et à procéder à l'enlèvement de ladite clôture dans un délai de 2 mois à compter du jugement.

Constatant que la situation restait inchangée, l'Eurométropole de Strasbourg a, par exploit délivré le 5 décembre 2018, attrait la SCI [...] devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de la voir condamnée à procéder, sous astreinte, à l'enlèvement du mobil-home et de la clôture grillagée litigieux.

Par jugement contradictoire du 13 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Strasbourg a dit irrecevable la demande d'enlèvement de la clôture grillagée, mais recevable celle tendant à l'enlèvement du mobil-home, débouté l'Eurométropole de Strasbourg de cette dernière, et a condamné les parties à supporter leurs dépens, rejetant leurs demandes pour le surplus et celles au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal, pour dire irrecevable la demande de l'Eurométropole de Strasbourg tendant à l'enlèvement de la clôture grillagée, a constaté que le jugement correctionnel du 16 juin 2017 portait sur l'exacte même situation d'irrégularité d'implantation de la clôture, et que cette juridiction avait prévu à titre de peine complémentaire l'obligation de remise en état des lieux sous deux mois. Le premier juge a ainsi constaté l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, sur ce point, mais dit recevable la demande de la SCI [...] pour le surplus.

Il a relevé, au vu des faits et de l'acte de vente du terrain, qu'un mobil-home avait déjà été installé sur le terrain en 1996, 2005 et 2014, qu'il ressortait du jugement du tribunal correctionnel du 16 juin 2017 que l'habitation (mobil-home) faisait partie d'un ensemble d'habitations, le lieu disposant de circonstances propres dans la mesure où un ensemble d'autres propriétés privées avoisinantes étaient toutes clôturées par des grillages, bien qu'il s'agisse d'une zone agricole.

Le premier juge, s'il a reconnu que le trouble manifestement illicite lié à la violation des dispositions du droit de l'urbanisme était établi, a considéré que l'enlèvement du mobil-home constituerait pour la SCI une atteinte excessive et disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, tel que défini à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le tribunal relevait ainsi divers éléments :

- le mobil-home litigieux implanté en 2014 remplaçait un édifice présent depuis plus de vingt ans, y compris lors de l'acquisition du terrain par la SCI, qui en avait fait, en 2005, le domicile de sa famille (sic), comprenant deux enfants en bas âge ;

- l'implantation était faite en zone A du PLU, soit une zone protégée et réglementée pour l'exploitation agricole, de sorte que l'édifice n'induisait aucun risque impérieux pour les personnes ;

- de nombreuses constructions similaires (chalets, roulottes, clôtures, mobil-homes) étaient présentes sur les terrains avoisinants depuis plusieurs dizaines d'années selon constats d'huissier ;

- le mobil-home était équipé de l'eau courante, de l'électricité et abritait le siège social de l'entreprise de M. [K] ;

- l'Eurométropole de Strasbourg réclamait le déplacement de ce mobil-home sur un terrain adapté et autorisé, mais sans en proposer aucun autre à la SCI ;

- enfin, si l'Eurométropole de [Localité 7] justifiait le déplacement de l'habitation par la proximité d'un cours d'eau et les impératifs d'intérêt général des législations urbanistiques, aucun élément ne permettait d'affirmer que le terrain était situé en zone inondable avec fort aléa.

Ainsi, le premier juge concluait que le principe de proportionnalité s'opposait à une telle demande, le trouble éventuel à l'ordre public causé ne justifiant pas l'enlèvement du moyen de logement de la SCI, au seul motif de la méconnaissance d'une règle d'urbanisme plaçant le terrain en zone agricole.

*

L'Eurométropole de [Localité 7] a interjeté appel de ce jugement le 15 mars 2021 en toutes ses dispositions, sauf celle disant recevable sa demande tendant à l'enlèvement du mobil-home.

M. [V] [K] et Mme [M] [K] sont intervenus volontairement à la procédure par conclusions du 14 septembre 2021.

Par ordonnance du 4 octobre 2022, la Présidente de chambre, chargée de la mise en état, a ordonné la clôture de la procédure et renvoyé l'affaire à l'audience du 25 novembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 mai 2022, l'Eurométropole de [Localité 7] demande à la cour :

- de déclarer l'appel recevable et bien fondé ;

- d'infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande de l'Eurométropole de [Localité 7] pour le surplus de ses demandes autres que celle de l'enlèvement de la clôture grillagée ;

- statuant à nouveau dans cette limite, de :

- déclarer recevable la demande de l'Eurométropole de [Localité 7] tendant à voir enlever la clôture de type grillage implantée sur le terrain propriété de la SCI [...], sous astreinte ;

- condamner la SCI [...] à procéder à l'enlèvement de celle-ci, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner la SCI [...] à procéder à l'enlèvement du mobil-home implanté sur le même terrain, sous la même astreinte ;

- débouter la SCI [...] de l'intégralité de ses fins et conclusions,

- la condamner à payer à l'Eurométropole de [Localité 7] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens des procédures de première instance et d'appel.

Au soutien de son appel, elle fait valoir, concernant la recevabilité de la demande d'enlèvement du grillage sous astreinte, qu'elle n'était pas partie civile lors du jugement du tribunal correctionnel, et que l'enlèvement de la clôture ordonné à titre de peine complémentaire n'a pas été assorti d'une astreinte, de sorte que la décision pénale n'ayant pas été exécutée, rien ne s'oppose à ce que l'Eurométropole de Strasbourg puisse solliciter, dans le cadre de la présente procédure, l'enlèvement par la SCI [...] de la clôture grillagée, sous astreinte, afin que cette condamnation pénale soit effective. Elle ajoute que, même en admettant que joue l'autorité de chose jugée, elle serait néanmoins fondée à solliciter le prononcé d'une astreinte pour l'enlèvement du grillage au regard de la persistance de la situation et du non-respect de l'injonction du jugement pénal de remise des lieux en état dans un délai de deux mois à compter du 17 juin 2017.

Concernant le mobil-home, l'appelante oppose à la fin de non-recevoir soulevée par la SCI tirée de la prescription de l'action en démolition en application de l'article L.480-14 du code de l'urbanisme, que le point de départ du délai ne doit pas être fixé au jour de l'édification de l'ancien mobil-home, mais au jour de l'installation du nouveau qui a été mis en place au cours de l'année 2014, or la procédure tendant à le voir déplacer a été introduite le 5 décembre 2018.

L'appelante, au visa de l'article 'L.494' - en réalité L.484-14 - du code de l'urbanisme -, s'estime fondée à solliciter l'enlèvement du mobil-home construit sans autorisation préalable dans une zone où une telle construction est interdite, alors qu'aucune démarche visant à obtenir une autorisation d'installation n'a été menée, qu'une décision rendue en novembre 1996 par le tribunal de grande instance de Strasbourg ordonnait déjà l'enlèvement du précédent mobil-home, et que l'habitation litigieuse n'a pas été installée à l'emplacement d'un ancien mobil-home devenu vétuste, mais à proximité de celui-ci, renvoyant ainsi à un procès-verbal de constat et à des photographies produites en annexe 17 et 18.

L'Eurométropole de Strasbourg souligne que l'existence de constructions sur les autres terrains n'autorise pas la SCI à transgresser les règles d'urbanisme, aucune tolérance coutumière, dont il n'est au demeurant pas justifié, ne pouvant légitimer l'implantation illégale de telles constructions.

Elle réfute toute discrimination et soutient que son action poursuit un but légitime de lutte contre le développement anarchique de constructions portant atteinte à l'ordre public, le mobil-home litigieux ayant été installé alors que la SCI [...] avait connaissance d'une décision de justice ayant ordonné la destruction de celui précédemment implanté.

Elle considère que M. [K] ne peut arguer de la fixation du siège social de son entreprise d'espaces verts sur le terrain litigieux pour invoquer une atteinte au respect de la vie privée et familiale dans la mesure où il s'agit d'une exploitation commerciale ou artisanale qui s'exerce au domicile de tiers et non au siège de l'entreprise. En outre, l'appelante soutient qu'une société civile immobilière ne peut avoir ni domicile, ni vie familiale, ni vie privée, et ne saurait donc invoquer les dispositions de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intervention volontaire en cause d'appel des consorts [K] étant sans emport puisqu'ils ne sont pas propriétaires du bien construit illégalement. Au surplus, elle ne demande pas la destruction du mobil-home mais son enlèvement.

*

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 septembre 2022, la SCI [...] et les consorts [K], intervenants volontaires, concluent au rejet de l'appel principal. Ils demandent à la cour :

- de recevoir l'intervention volontaire des consorts [K] ;

- de déclarer l'appel irrecevable et mal fondé ;

- de confirmer la décision entreprise, et par conséquent, débouter l'Eurométropole de [Localité 7] de l'ensemble de ses demandes ;

- en tout état de cause de dire n'y avoir lieu à astreinte, de condamner l'Eurométropole de [Localité 7] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI [...] fait valoir, s'agissant de l'enlèvement de la clôture, que l'appelante formule à nouveau les mêmes demandes que devant la juridiction pénale, son action contrevenant ainsi au principe non bis in idem et à l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, en raison du jugement rendu le 16 juin 2017 par le tribunal correctionnel de Strasbourg, de sorte qu'il n'appartient plus à la juridiction civile de se prononcer sur l'existence des travaux et d'ordonner l'enlèvement des constructions qui en ont résulté.

L'intimée considère qu'il importe peu que l'Eurométropole de Strasbourg ne se soit pas constituée partie civile devant la juridiction pénale, invoquant plusieurs arrêts de la Cour de cassation qui rappellent que l'autorité de chose jugée au pénal vaut erga omnes, comme l'a retenu le tribunal. Or le juge pénal a précisément motivé les circonstances faisant obstacle au prononcé d'une astreinte. Elle sollicite donc la confirmation du jugement en ce qu'il a dit irrecevable la demande relative à l'enlèvement de la clôture grillagée.

S'agissant du mobil-home, l'intimée soutient que l'action de l'Eurométropole de [Localité 7] est prescrite car lorsque la SCI [...] a fait l'acquisition du terrain en 2005 un mobil-home y était implanté depuis au moins dix ans, l'acte de vente mentionnant un jugement du 14 novembre 1996 ordonnant son enlèvement.

L'intimée réfute l'affirmation de l'Eurométropole de [Localité 7] selon laquelle le mobil-home litigieux aurait été installé en plus de l'ancien, la construction visible sur la photographie produite ne pouvant se confondre avec un mobil-home, qui est pourtant visé dans le jugement de 1996. Elle soutient ainsi qu'en 2005 étaient implantés sur le terrain un bâtiment « principal » et un mobil-home, de taille beaucoup plus modeste, qui serait visible bien que masqué par le feuillage des arbres sur les photographies satellites produites en dépit de leur médiocre qualité. L'intimée ajoute enfin que le mobil-home litigieux ne procède que du remplacement à neuf de ce premier mobil-home, présent depuis 20 ans sur le terrain qui était vétuste, dans le respect des volumes existants, et de même superficie, sans qu'il ne se confonde avec le bâtiment « principal », et qu'il s'agirait donc d'une « même entité » édifiée depuis 20 ans sur le terrain, de sorte que l'action de l'Eurométropole de [Localité 7] est prescrite par l'écoulement d'un délai de 10 ans à compter de l'installation de l'ouvrage.

La SCI [...] et les consorts [K] soutiennent en outre que l'action menée par l'Eurométropole de [Localité 7] serait fondée sur un mobile discriminatoire, à savoir l'appartenance des consorts [K], associés de la SCI [...], à la communauté yéniche, observant que l'ensemble des autres propriétés privées avoisinantes sont clôturées par des grillages et pourvues de constructions similaires sans que leurs propriétaires soient inquiétés par une action judiciaire de la mairie à leur encontre. La SCI [...] ajoute qu'en raison de ces circonstances de fait, elle a légitimement pu croire à l'existence d'une tolérance coutumière.

Enfin, l'intimée, respectivement les intervenants volontaires, invoquent le droit au respect de la vie privée et du domicile, indiquant que le mobil-home litigieux constitue le domicile d'une famille avec deux enfants âgés de 6 et 3 ans qui y sont nés. Ils soulignent que la Cour de cassation a déjà été amenée à considérer qu'une mesure de démolition constituait une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et du domicile, et que son prononcé se trouvait dès lors conditionné au respect du principe de proportionnalité.

Or en l'espèce, une mesure de remise en état, impliquant l'expulsion de la famille et la destruction de son logement, porterait une atteinte disproportionnée au droit de ses membres au respect de leur vie privée et familiale, au regard notamment de l'ancienneté de l'occupation et de l'absence de besoin impérieux de l'Eurométropole de [Localité 7]. Ils ajoutent que le mobil-home est équipé de l'eau courante, de l'électricité, et que l'entreprise de M. [K] est immatriculée à cette adresse, outre le fait que l'occupation du terrain ne menace aucun intérêt privé, ni public, en l'absence de projet de développement communal, et ne présente pas de danger pour ses occupants, aucune solution de réinstallation du mobil-home n'ayant par ailleurs été proposée par l'Eurométropole de [Localité 7].

L'intimée et les consorts [K] invoquent enfin un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 16 avril 2002, selon lequel ' les droits garantis sous l'angle de l'article 8 de la Convention peuvent être interprétés comme incluant pour une société le droit au respect de son siège social, son agence ou ses locaux professionnels.  .

Enfin, c'est à ce titre que les consorts [K] résidant dans le mobil-home litigieux interviennent volontairement aux débats pour faire valoir leur droit au respect de leur domicile, conformément aux dispositions de l'article 554 du code de procédure civile.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

L'intimée conclut à l'irrecevabilité de l'appel, sans toutefois soulever aucun moyen précis. Cette fin de non-recevoir n'ayant pas été soumise au conseiller de la mise en état qui a compétence exclusive pour en connaître, la demande est irrecevable en tant que formée devant la cour. En l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.

L'intervention volontaire des consorts [K], occupants de la construction litigieuses, sera déclarée recevable en l'absence de contestation sur ce point.

1- Sur la recevabilité de la demande d'enlèvement de la clôture grillagée

1-1 sur l'adage ne bis in idem

C'est de manière inopérante que la SCI [...] invoque l'adage ne bis in idem selon lequel 'des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes', alors que la présente action a d'une part été engagée par l'Eurométropole de Strasbourg qui n'était pas partie au procès pénal et non par le ministère public, et d'autre part portée devant une juridiction civile aux fins d'obtenir une condamnation civile. Il sera au surplus relevé que la remise en état des lieux ordonnée par la juridiction pénale en application de l'article L.480-5 du code de l'urbanisme, qui selon une jurisprudence établie n'a pas la nature d'une peine complémentaire, n'est pas une sanction pénale mais constitue une mesure à caractère réel destinée à faire cesser la situation illicite.

La fin de non-recevoir tirée de cet adage ne peut donc être invoquée.

1-2 sur l'autorité de chose jugée du jugement du tribunal correctionnel de Strasbourg du 16 juin 2017

Comme l'a rappelé le tribunal, le jugement pénal a autorité absolue de la chose jugée en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait était imputé.

Par voie de conséquence, la décision du tribunal correctionnel s'impose au juge civil en tant qu'elle a déclaré la SCI [...] coupable des faits d'exécution irrégulière par personne morale de travaux soumis à déclaration préalable, et d'infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme, pour avoir édifié sans déclaration préalable une clôture de type grillage à panneaux rigides en zone A3 du PLU imposant des clôtures constituées de haies vives, faits commis du 12 janvier 2016 au 7 mai 2016.

Toutefois l'autorité de chose jugée du jugement ne fait pas obstacle à ce que l'Eurométropole de Strasbourg, qui n'était pas partie civile au procès pénal, et qui dispose d'une action civile autonome en matière de construction illicite en application de l'article L.480-14 du code de l'urbanisme, puisse saisir le juge civil d'une demande de remise en état assortie d'une astreinte, alors surtout que la SCI [...] n'a pas respecté l'injonction de remise en état des lieux sous deux mois prononcée par la juridiction pénale.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point, et la demande de l'Eurométropole de [Localité 7] déclarée recevable.

2- Sur la prescription de l'action en enlèvement du mobil-home

L'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige, énonce « La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux ».

Pour soutenir que l'action en enlèvement du mobil-home litigieux serait prescrite, la SCI [...] fait valoir qu'elle s'est contentée de procéder au remplacement d'un précédent mobil-home vétuste qui était en place depuis plus de vingt ans, la nouvelle construction étant de même superficie et respectant les volumes existants, ce qu'il lui appartient d'établir.

Les photographies aériennes produites par l'appelante font apparaître, dès 1998, la présence d'un bâtiment, qualifié de 'principal' par l'intimée, qui ne peut être assimilé à un mobil-home, et qui existait toujours en 2014. La photographie de 2010 révèle la présence, à côté de ce bâtiment, d'une construction de petite dimension de type abri de jardin. Pour le surplus, les photographies ne permettent pas de visualiser la présence éventuelle d'un mobil-home du fait de la présence d'arbres dont le feuillage masque une partie de la parcelle.

Il ressort toutefois des énonciations du jugement du tribunal correctionnel du 28 avril 2016 que l'acte de vente du 4 février 2005 aux termes duquel la SCI [...] a acquis les parcelles en cause, lequel acte n'est pas versé aux débats, porte notamment sur la propriété de 'la moitié indivise du mobil-home se trouvant sur le terrain', et fait mention de la présence sur le terrain vendu d'une construction illicite ayant fait l'objet d'un procès-verbal d'infraction de la police du bâtiment ayant abouti à un jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 14 novembre 1996 qui a ordonné l'enlèvement de la construction illicite et la remise en état des lieux, sous astreinte, jugement non exécuté à la date de la vente.

Il résulte par ailleurs des énonciations du même jugement qu'au cours des débats devant le tribunal correctionnel, Mme [B] [K], gérante de la SCI, a expliqué que le nouveau mobil-home n'avait pas été installé au même endroit que le précédent.

S'il est ainsi établi qu'un ancien mobil-home avait été illicitement implanté sur les parcelles acquises par la SCI [...] et était toujours en place en 2005, il n'est par contre nullement démontré que cette construction existait toujours en 2014 lors de l'édification du nouveau mobil-home, ni que ce dernier est de même volume et de même superficie que le précédent, alors qu'au surplus Mme [K], gérante de la SCI, a admis devant le tribunal correctionnel que la nouvelle construction n'avait pas été installée au même emplacement que l'ancienne.

Par voie de conséquence, s'agissant d'une nouvelle construction, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date de son achèvement qui peut être fixée à la date du premier courrier du maire de la commune de Plobsheim ayant mis en demeure la SCI [...] de procéder à l'enlèvement du mobil-home litigieux, soit le 19 novembre 2014, de sorte que l'action engagée par exploit du 5 décembre 2018 n'est pas prescrite.

3 - Sur la demande d'enlèvement du mobil-home et de la clôture

Ainsi que cela été évoqué précédemment, le caractère illicite de la clôture résulte du jugement du tribunal correctionnel de Strasbourg du 16 juin 2017 qui a autorité de chose jugée sur ce point. Il est par ailleurs constant d'une part que le mobil-home a été édifié sans autorisation administrative, la SCI [...] n'ayant en effet déposé aucune déclaration de travaux, et d'autre part que la situation n'est pas régularisable puisque les parcelles en cause sont désormais situées en zone A1 du plan local d'urbanisme intercommunal de l'Eurométropole dans laquelle sont interdites les constructions à usage d'habitation, à l'exception de celles des agriculteurs, ainsi que les bâtiments à usage d'activité commerciale, industrielle ou artisanale, seules étant autorisées les constructions et installations directement liées et nécessaires aux exploitations agricoles, hors bâtiments d'élevage de type non-familial, et sous certaines conditions, la remise en état de bâtiments existants.

Pour rejeter la demande le tribunal a retenu que l'enlèvement du mobil-home constituerait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et du domicile de la SCI [...].

L'appelante oppose, à juste titre, qu'une société civile immobilière ne peut, s'agissant d'une personne morale, se prévaloir d'une atteinte au respect de sa vie privée et familiale tel que consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La demande étant dirigée contre la SCI [...], en sa qualité de propriétaire du terrain, et non contre les consorts [K], occupants de la construction litigieuse, leur intervention volontaire à hauteur de cour est sans emport dans la mesure où ils ne sont pas les propriétaires du mobil-home et tiennent leurs droits de la SCI [...], aucune demande d'expulsion n'étant formée contre eux.

S'il est admis que les droits garantis par l'article 8 de la Convention peuvent être interprétés comme incluant, pour une personne morale, le droit au respect de son siège social, dans le cas présent la SCI [...], propriétaires des locaux, n'exploite personnellement aucune activité dans les lieux. Comme précédemment, M. [V] [K], intervenant volontaire, dont l'entreprise d'espaces verts est domiciliée à l'adresse du mobil-home, ne peut opposer à l'appelante une atteinte au respect de son domicile, dès lors qu'il n'est pas propriétaire des locaux et qu'aucune demande n'est dirigée contre lui. En outre, l'Eurométropole de [Localité 7] relève à juste titre que son activité ne s'exerce pas dans lesdits locaux mais au domicile de ses clients.

Les droits invoqués n'étant pas applicables en l'espèce, s'agissant d'une demande dirigée contre une personne morale, le jugement doit donc être infirmé en tant qu'il a rejeté la demande au motif que l'enlèvement du mobil-home y porterait une atteinte disproportionnée.

La SCI [...] invoque également le fait qu'elle ferait l'objet d'une demande discriminatoire de la part de l'Eurométropole de Strasbourg, les terrains avoisinants comportant des constructions de même nature, parfois nettement bien moins entretenues que sa propriété sans que la collectivité n'agisse contre leurs propriétaires.

La SCI [...] produit différents constats d'huissier démontrant en effet que des parcelles également situées rue des [...] ou à proximité supportent des constructions de type chalet, mobil-home ou cabanon ainsi que des palissades ou clôtures autres que des haies vives. Toutefois, aucun élément n'est fourni quant à la date à laquelle ont été édifiés ces ouvrages, et il n'est pas non plus démontré que ces constructions auraient été édifiées sans autorisation administrative ou en méconnaissance des règles d'urbanisme applicables à la date de leur édification, le plan local d'urbanisme prévoyant certaines exceptions, s'agissant notamment de la reconstruction de bâtiments existants chemin des [...]. Aucune tolérance coutumière n'est ainsi démontrée.

En outre, la SCI [...] qui a acheté le terrain en ayant connaissance du caractère illicite de la construction qui y était implantée et de la nécessité de la démolir ne peut prétendre avoir, de bonne foi, procédé à une nouvelle construction, et être victime de discrimination.

La demande de l'Eurométropole de [Localité 7] tendant à l'enlèvement des constructions non autorisées, érigées en méconnaissance des règles du PLU est donc fondée, et sera accueillie, le jugement étant infirmé en toutes ses dispositions.

En considération des circonstances particulières de la cause tenant à l'ancienneté de l'occupation et à la tolérance dont a manifestement fait preuve la commune entre 2005 et 2014, il convient de laisser un délai de huit mois pour permettre à la SCI [...] de retrouver un terrain lui permettant de déplacer le mobil-home afin de pouvoir y reloger ses occupants, et de prévoir une astreinte à l'issue de ce délai.

4 - Sur les autres chefs de demande

En considération de la solution du litige, les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la SCI [...] qui sera déboutée, comme les consorts [K], de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera en revanche alloué sur ce fondement à l'Eurométropole de [Localité 7] une somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE l'appel recevable ;

DECLARE recevable l'intervention volontaire de Mme [M] [K] et de

M. [V] [K] ;

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 13 janvier 2021, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande de l'Eurométropole de [Localité 7] tendant à l'enlèvement du mobil-home ;

CONFIRME le jugement entrepris dans cette limite ;

Statuant à nouveau pour le surplus et ajoutant au jugement,

DECLARE recevable la demande de l'Eurométropole de [Localité 7] en enlèvement de la clôture de type grillage ;

CONDAMNE la SCI [...] à procéder à l'enlèvement de la clôture de type grillage et du mobil-home implanté sur les parcelles cadastrées commune de Plobsheim section [Cadastre 4] n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2], dans le délai de huit mois à compter de la signification du présent arrêt, et passé ce délai sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant une durée de six mois au terme de laquelle il appartiendra aux parties, le cas échéant, de saisir le juge de l'exécution ;

CONDAMNE la SCI [...] aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à l'Eurométropole de [Localité 7] la somme de 2 000 € (deux mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la SCI [...] ainsi que Mme [M] [K] et M. [V] [K] de leurs demandes sur ce fondement.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/01599
Date de la décision : 10/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-10;21.01599 ?
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