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24/02/2023 | FRANCE | N°20/03047

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 24 février 2023, 20/03047


MINUTE N° 97/2023





























Copie exécutoire à



- Me Valérie BISCHOFF

- DE OLIVEIRA



- Me Pégah HOSSEINI SARADJEH





Le 24/02/2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 24 FEVRIER 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03047 - N° Po

rtalis DBVW-V-B7E-HNIT



Décision déférée à la cour : 28 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de COLMAR





APPELANTE et intimée sur incident :



La S.E.L.A.S. [...] SOCIETE D'AVOCATS, représentée par son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 3]
...

MINUTE N° 97/2023

Copie exécutoire à

- Me Valérie BISCHOFF

- DE OLIVEIRA

- Me Pégah HOSSEINI SARADJEH

Le 24/02/2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 24 FEVRIER 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03047 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNIT

Décision déférée à la cour : 28 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de COLMAR

APPELANTE et intimée sur incident :

La S.E.L.A.S. [...] SOCIETE D'AVOCATS, représentée par son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 3]

représentée par Me Valérie BISCHOFF - DE OLIVEIRA, avocat à la cour.

plaidant : Me Guillaume REGNAULT, avocat à Paris.

INTIMÉS et appelants sur incident :

1/ Monsieur [O] [T]

demeurant [Adresse 1]

2/ La S.A.R.L. KMI SERVICES, prise en la personne de son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 2]

représentés par Me Pégah HOSSEINI SARADJEH, avocat à la cour.

plaidant : Me Thibaut MATHIAS, avocat à Strasbourg.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Mme Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 25 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [O] [T], qui était gérant et associé unique de la SARL KMI services, et détenait directement ou indirectement des participations dans les sociétés par actions simplifiées Arias Associates, Arias consulting, Maia entreprises et Maia Engineering ayant souhaité céder l'ensemble des titres de ces quatre sociétés au profit de la société Technology et strategy group, s'est adressé, en juillet 2016, à la société d'avocats [...], qui assistait en matière juridique et fiscale lesdites sociétés, aux fins de l'accompagner ainsi que la société KMI services dans cette opération.

Dans cette perspective, la société [...] a établi, le 18 janvier 2017, un memorandum, aux termes duquel elle proposait de procéder, dans un premier temps, à une restructuration du groupe KMI/Arias/Maia consistant à transférer à la société KMI services l'ensemble des droits sociaux des sociétés du groupe, puis dans un second temps, à la cession des titres à la société Technology et strategy group.

Un projet de traité d'apport d'actions par M. [T] à la société KMI services a ainsi été établi par Me [I] du cabinet [...] en date du 2 avril 2017 et régularisé le 27 avril 2017, puis un acte de cession des actions restantes le 15 mai 2017. La cession des titres détenus par la société KMI services au profit de la société Technology et strategy group est enfin intervenue le 19 mai 2017.

Début 2018, M. [T] et la société KMI services ayant découvert des erreurs dans les actes d'apport et de cession, concernant notamment le montant des dividendes distribués par la société Arias consulting, la société [...] établissait, le 6 février 2018, un avenant rectificatif d'erreurs matérielles du traité d'apport du 2 avril 2017 et de l'acte de cession du 19 mai 2017 portant sur :

- le nombre de titres cédés et apportés par M. [T],

- la différence entre la valeur d'apport par action Arias associates apportée et le prix provisoire de cession par action Arias associates cédée,

- la différence entre le pourcentage d'actions de la société Arias associates représenté par le nombre d'actions Arias associates cédées et le pourcentage de détention figurant dans le calcul du paiement complémentaire 1 ;

- la différence entre la valeur d'apport par action Arias consulting apportée et le prix provisoire de cession par action Arias consulting cédée ;

- la différence entre le pourcentage d'actions de la société Arias consulting représenté par le nombre d'actions Arias consulting cédées et le pourcentage de détention figurant dans le calcul du paiement complémentaire 2.

M. [T] et la société KMI services prétendant que de nouvelles erreurs avaient été mises en évidence lors d'un contrôle fiscal réalisé le 18 octobre 2018, lequel avait abouti à un accord avec l'administration fiscale en février 2019, et avoir vainement tenté de trouver une solution amiable au litige les opposant à la société [...], l'ont assignée devant le tribunal de grande instance de Colmar, le 5 juillet 2019, aux fins d'obtenir indemnisation de leur préjudice.

Par jugement réputé contradictoire du 28 septembre 2020, le tribunal, après avoir retenu sa compétence territoriale, a :

- condamné la société [...] à payer à M. [T] la somme de 233 915 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2019 ;

- condamné la société [...] à payer à la société KMI services la somme de 451 493 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2019,

- ordonné la capitalisation des intérêts échus,

- condamné la société [...] à payer à M. [T] d'une part et à la société KMI services d'autre part la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- débouté M. [T] et la société KMI services du surplus de leur demande,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de 50 000 euros au bénéfice de M. [T] et de 150 000 euros au bénéfice de la société KMI services.

Le tribunal a retenu que l'avocat rédacteur d'acte en matière fiscale devait rechercher l'option fiscale la plus intéressante et s'assurer que le but recherché par les parties était atteint et optimisé.

S'agissant de la demande de M. [T], le tribunal a retenu que :

- M. [T] avait contacté la société [...] dès juillet 2016 pour être accompagné dans l'opération,

- le séquençage en deux phases avait été proposé dans une perspective de limiter 'les frottements fiscaux', l'objectif étant de permettre à M. [T] de bénéficier d'un taux d'abattement de 85 % sur son imposition personnelle,

- or la chronologie prévue n'ayant pas été respectée, puisque le traité d'apport avait été signé avant l'acte de cession, M. [T] avait fait l'objet d'un redressement à titre personnel pour 2017 à hauteur de 182 253 euros et avait dû payer 51 362 euros en plus au titre de l'impôt sur le revenu 2018 du fait de l'erreur dans le séquençage de l'opération, ces montants devant être alloués à M. [T] en réparation de son préjudice matériel.

Le tribunal a par contre rejeté la demande présentée par M. [T] en réparation d'un préjudice moral, motifs pris de ce qu'il n'était pas intervenu à titre personnel dans la cession des titres à la société Technology et strategy group et de ce qu'il n'avait donc pas souffert personnellement d'un préjudice mais en qualité de gérant de la société KMI services.

S'agissant de la demande de la société KMI services, le tribunal a retenu :

1° une erreur dans la rédaction de la clause de complément de prix ou clause de ' earn out  permettant de soumettre une partie du prix de vente aux résultats des exercices postérieurs de la société cédée et en l'occurrence de reporter l'imposition du complément de prix, en conformité avec les dispositions de l'article 150-0 A I 2 du code général des impôts, sur l'exercice 2018 pour bénéficier d'un taux d'imposition de 28% au lieu de 33,33%.

À cet égard, le tribunal a relevé que l'administration fiscale avait considéré, que, compte tenu du libellé de la clause, le complément de prix ne revêtait pas de caractère variable et devait être imposé au titre de l'exercice 2017, ce qui a généré un redressement de 22 653 euros pour la société. Le tribunal a estimé que s'agissant d'un manquement au devoir de conseil, le préjudice s'analysait en une perte de chance d'obtenir l'avantage escompté qu'il a évaluée à 15 000 euros,

2° une erreur sur la déductibilité des frais inhérents à la cession des actions, cette déduction ayant été remise en cause par l'administration fiscale, alors que la société [...] aurait dû vérifier qu'elle pouvait s'opérer, ce qui a généré une perte de chance d'obtenir une économie d'impôts évaluée par le tribunal à 5 000 euros.

3° la fixation d'une 'mauvaise' date pour la cession des actions à la société Technology et strategy group ayant eu pour effet d'exclure la cession du bénéfice du régime des plus-values long terme qui supposait une détention des titres pendant une certaine durée avant leur cession et aurait dû conduire à opérer la cession le 6 juin 2017 et non le 19 mai 2017, ce qui a fait perdre à la société KMI services un avantage et a généré un surplus d'imposition de 195 451 euros en 2017 et de 110 042 euros en 2018, ces montants devant être alloués à la société.

4° une erreur sur le montant des dividendes versés par la société Arias consulting à la société KMI services ayant consisté à indiquer un montant total des dividendes à répartir de 1 250 000 euros, soit 1 125 000 euros pour la société KMI services, alors que le montant total à répartir s'établissait à 1 388 889 euros, ce qui a amené la société Technology et strategy group à considérer que la société KMI services qui avait perçu des dividendes à hauteur de 1 250 000 euros avait perçu une somme de 125 000 euros en trop dont elle lui a demandé le remboursement.

A cet égard, le tribunal a estimé que la société [...] avait commis une faute du fait de l'erreur de rédaction et d'un défaut de conseil dans la gestion des conséquences de cette erreur justifiant d'allouer à la société KMI services la somme de 125 000 euros, outre 1 000 euros en réparation de son préjudice moral pour manquement de la société [...] à son devoir de loyauté à l'égard de sa cliente dans la gestion des conséquences de ses fautes.

La SELAS [...] a interjeté appel de ce jugement, le 28 septembre 2020, en toutes ses dispositions.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 5 avril 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 3 février 2022 la société [...] demande à la cour d'infirmer intégralement le jugement entrepris, de rejeter toutes les demandes de M. [T] et de la société KMI services, et leur appel incident, de les condamner conjointement et solidairement aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle conteste toute faute de sa part et fait valoir que :

- la proposition de service du 25 juillet 2016 ne prévoyait pas de conseil en matière fiscale, M. [T] n'ayant pas sollicité d'expertise fiscale de la part du cabinet,

- le memorandum adressé le 18 janvier 2017 ne traitait que de l'opération préalable de reclassement des titres et non de la cession elle-même,

- un memorandum fiscal complémentaire a été adressé le 20 avril 2017 lorsque la société [...] a été informée par le commissaire aux apports désigné en février 2017 qu'il avait été décidé d'un apport des titres à la société KMI services et non d'une cession, la décision prise à cet égard par les clients allant à l'encontre des recommandations formulées par la société [...],

- l'objectif prioritaire de M. [T] était d'obtenir un report d'imposition et non de bénéficier de l'abattement de 85 %,

- l'appelante n'est pas intervenue s'agissant de l'impossibilité de bénéficier du régime des plus-values à long terme, la date de réalisation de la cession ayant été fixée librement par les parties.

Elle soutient avoir été consultée pour revoir et commenter un fichier élaboré par la banque du cessionnaire, que l'application du régime des plus-values à long terme constituait une des hypothèses de travail et que le fait de chercher à limiter 'les frottements fiscaux' n'impliquait pas un objectif d'optimisation fiscale.

Elle estime que la faute prétendument commise à l'égard de M. [T] n'est pas avérée, dans la mesure où la chronologie qu'elle avait proposée n'a pas été respectée par ses clients, qui n'ont pas non plus tenu compte de sa recommandation de réaliser une cession des titres de M. [T] au lieu d'un apport, cette inversion de la chronologie étant à l'origine des erreurs matérielles dans les actes qui avaient été préparés en amont.

Elle conteste ensuite la rédaction prétendument déficiente de la clause de 'earn-out', le tribunal ayant visé à tort l'article 150-0 A I 2 du code général des impôts qui ne concerne que l'imposition des personnes physiques et non celles de sociétés, et la rédaction de l'acte ne laissant aucun doute sur le fait que le complément de prix était imposable au titre de l'exercice 2017, le report de l'imposition n'étant pas possible en matière d'impôt sur les sociétés, elle n'a d'ailleurs pas été consultée s'agissant du traitement fiscal du complément de prix. Elle considère que la confusion provient vraisemblablement du fait que M. [T] avait lui aussi fait insérer une clause de 'earn-out' dans l'acte de cession des titres qu'il détenait.

S'agissant de la prétendue non-déductibilité des frais inhérents à la cession, elle relève que le redressement trouve son origine dans l'appréciation de l'administration qui a opéré une ventilation de ces frais, et non dans une faute du cabinet [...] qui n'est pas intervenu dans la préparation des déclarations fiscales.

S'agissant de la date de cession des actions à la société Technology et strategy group, elle prétend avoir fait des déclarations exactes et n'avoir pas été sollicitée pour le traitement fiscal de la cession.

S'agissant de l'erreur matérielle sur le montant des dividendes à distribuer, elle était partagée par toutes les parties, y compris les cédants, et en réalité c'est la société Technology et strategy group qui a refusé d'exécuter les stipulations du contrat de cession, ce refus étant en lien avec d'autres difficultés survenues entre les cédants et le cessionnaire, ce qui a incité l'appelante à suggérer un paiement dans le cadre d'une transaction globale qui est finalement intervenue en juillet 2018.

Elle conteste tout défaut de conseil ou manquement à l'obligation de loyauté ayant seulement indiqué ne plus pouvoir assurer la défense des intérêts de ses clients au regard des difficultés qui lui étaient opposées.

L'appelante conteste enfin la réalité du préjudice allégué, relevant au surplus que le tribunal a indemnisé certains postes de réclamation à 100% alors qu'il s'agissait d'une perte de chance ; que l'impôt dû n'est pas en lui-même constitutif d'un préjudice ; que l'impôt payé au titre de l'exercice 2018 n'a pas à être pris en compte, s'agissant d'opérations réalisées en 2017 ; que les avantages prétendument perdus n'étaient en réalité pas dus.

Subsidiairement, elle invoque la clause limitative de responsabilité figurant à l'article 4.2 de ses conditions générales, dont la validité est admise par la jurisprudence, limitant l'indemnité à trois fois le montant des honoraires perçus, soit 393 075,27 euros.

En dernier lieu, elle conteste le lien de causalité, alors que trois autres intervenants - un cabinet d'expertise comptable, un cabinet d'avocats et un commissaire aux comptes - ont apporté leur concours à l'opération dont elle conteste avoir été le maître d'oeuvre.

*

Aux termes de leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 31 août 2021, M. [T] et la société KMI services concluent au rejet de l'appel principal, et formant appel incident à l'infirmation du jugement en ce qu'il a :

- débouté M. [T] de sa demande en indemnisation de son préjudice moral pour manquement au devoir de loyauté du cabinet [...] ;

- limité à 1 000 euros la demande de la société KMI services en indemnisation de son préjudice moral pour manquement au devoir de loyauté du cabinet [...] ;

- limité l'indemnisation au titre du préjudice matériel de la société KMI services du fait de la mauvaise rédaction de la clause de 'earn out' à 15 000 euros ;

- limité l'indemnisation au titre du préjudice matériel de la société KMI services du fait de la non-déductibilité des frais inhérents à la cession à la somme de 5 000 euros ;

et statuant à nouveau, de :

- condamner la société [...] au paiement à la société KMI services des sommes de :

- 22 653 euros au titre de la mauvaise rédaction de la clause de 'earn out',

- 14 492 euros au titre de la non-déductibilité des frais inhérents à la cession,

- condamner la société [...] à payer à chacun des intimés les sommes : 5 000 euros pour préjudice moral, 10 000 euros pour appel abusif, 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que la société [...] minimise son rôle et qu'elle avait bien un rôle global de maître d'oeuvre de l'opération de cession, étant le rédacteur des différents actes, à savoir le traité d'apport par M. [T] à la société KMI services, l'acte de cession par M. [T] à la société KMI services et l'acte de cession par la société KMI services à la société Technology et strategy group, et se réfère à son propre tableau des prestations réalisées, soulignant enfin que les rédacteurs du memorandum du 18 janvier 2017 sont des avocats fiscalistes. Ils estiment que les fautes reprochées sont exclusivement imputables à la société [...] et non aux autres intervenants à l'opération de cession.

M. [T] fait valoir que son objectif était de pouvoir bénéficier de l'abattement fiscal renforcé à hauteur de 85% sur son imposition personnelle dans le cadre d'une cession/apport de ses titres à la société KMI services sur le fondement des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, ce qui impliquait la cession des parts les plus anciennes, puis celle des parts les plus récentes, or la société [...] a inversé ce calendrier, la cession étant intervenue après l'apport alors qu'il aurait fallu faire le contraire, ce qui l'a privé de l'avantage escompté et a eu des conséquences fiscales en 2017 et 2018 du fait du paiement d'un complément de prix. Il conteste avoir été à l'origine de ce changement de la chronologie qu'il ne maîtrisait pas.

S'agissant de la rédaction déficiente de la clause de 'earn out' dans les actes de cessions, ils invoquent les dispositions de l'article 150-0 A I 2 du code général des impôts qui s'appliquent lorsque le complément de prix est 'variable', or l'administration a considéré que du fait de la rédaction de la clause le complément de prix ne revêtait pas un caractère variable, cette maladresse rédactionnelle, reconnue par la société [...], ayant généré une imposition supplémentaire qui doit être intégralement allouée à l'intimée.

S'agissant de la déductibilité des frais inhérents à la cession des actions, l'administration fiscale a remis en cause la déduction des frais d'avocat et de la société CM-CIC opérée au titre du bénéfice imposable. Les intimés reprochent à la société [...] d'avoir manqué à son obligation de conseil en ne s'assurant pas des modalités exactes de déduction des frais et en étant défaillante dans le suivi du redressement qu'elle a conseillé de ne pas contester. Elles estiment qu'en s'abstenant d'émettre la moindre réserve ou mise en garde à l'égard de ses clients, le cabinet [...] s'engageait à assurer la pleine efficacité de ses préconisations concernant la déductibilité des frais de cession, et qu'il doit supporter l'intégralité du préjudice matériel découlant de sa faute.

S'agissant de la date de cession des actions à la société Technology et strategy groupe, ils soutiennent que l'appelante qui avait en charge la gestion des opérations de cession-acquisition du Groupe détenu par la société KMI services et M. [T], et ce depuis 2012, avait parfaitement connaissance de ce que la société KMI services avait acquis les actions de la société Maia Engineering au début du mois de juin 2015 et qu'elle devait les conserver jusqu'en juin 2017 pour pouvoir bénéficier du régime des plus-values à long terme, selon la lettre même de l'article 39 duodecies du code général des impôts. Or non seulement l'appelante n'a pas informé la société KMI services de la faculté de bénéficier du régime plus favorable des plus-values à long terme, mais, surtout a finalisé l'opération de cession le 19 mai 2017, soit à peine 2 semaines avant le terme des deux années de détention permettant le bénéfice de ce régime fiscal plus avantageux. La faute a été reconnue dans un courriel de Me [I].

S'agissant de l'erreur matérielle sur le montant des dividendes à distribuer, ils évoquent une erreur grossière. En effet, alors même que Me [D] [I], dans un courriel du 27 avril 2017, indiquait que le montant des dividendes à revenir à la société KMI services provenant de Arias consulting s'élevait à 1 250 000 euros, le même jour elle indiquait ce montant comme étant celui devant être versé au total par Arias consulting, ce qui a contraint la société KMI services à reverser 125 000 euros à la société Technology et strategy group. La société [...] a en outre refusé de lui prêter assistance dans le cadre de la négociation d'un protocole transactionnel avec cette dernière, mais a de plus profité de la situation de faiblesse de ses clients pour faire pression sur eux afin qu'ils signent un protocole léonin limitant drastiquement l'indemnisation due par elle, faisant ainsi preuve de déloyauté, ce dont ont été victimes tant M. [T] à titre personnel que la société KMI services.

Les intimés soulèvent enfin l'inopposabilité de la clause limitative de responsabilité insérée dans des conditions générales de vente qu'ils n'ont pas acceptées, outre son caractère abusif. Ils estiment que l'appel de la société [...] qui est de parfaite mauvaise foi est tout aussi abusif.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

A titre liminaire, il sera constaté qu'il est admis par les parties que la société [...] avait été chargée d'une mission de conseil à l'égard de la société KMI services mais également de M. [T] dans le cadre de la cession des titres du groupe KMI/Arias/Maia, et que sa responsabilité peut être recherchée par ces derniers sur le fondement de la responsabilité contractuelle en application de l'article 1147 ancien, désormais1231-1 du code civil.

Il appartient dès lors aux intimés de rapporter la preuve des fautes commises par la société [...], de leur préjudice et de l'existence d'un lien de causalité entre ces fautes et le préjudice allégué. À cet égard, la cour rappelle que l'avocat rédacteur d'acte est tenu d'assurer l'efficacité des actes qu'il rédige, et qu'il est également tenu d'un devoir de conseil, y compris sur les conséquences fiscales des actes qu'il prépare, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait été spécifiquement investi d'une mission 'd'expertise fiscale'. De manière générale, il est tenu d'une obligation de moyens dans l'exécution du mandat qui lui est confié, et ne peut s'exonérer de la responsabilité pesant sur lui en invoquant l'intervention à l'opération d'autres professionnels du droit ou du chiffre, tels qu'experts-comptables ou commissaires aux comptes.

1- Sur la demande de M. [T] au titre de l'inversion du calendrier des opérations de cession et d'apport

La société [...] ne peut contester avoir été investie d'une mission de conseil fiscal à l'égard de M. [T] alors que le memorandum qu'elle a établi le 18 janvier 2017 portait expressément sur l'analyse fiscale des opérations de 'pré-closing', et précisait que la restructuration devait être réalisée avec le minimum de 'frottements fiscaux'.

Il est incontestable que dans son premier memorandum du 18 janvier 2017, la société [...] avait privilégié l'hypothèse d'une cession à la société KMI services des titres détenus par M. [T] dans les filiales du groupe, et expressément déconseillé un apport de ces titres au regard des conséquences fiscales attachées à une telle opération puisque l'objectif de la société KMI services n'était pas de réinvestir le prix de cession. De même, dans son second memorandum du 20 avril 2017 relatif à la valorisation des titres cédés, la société [...] renvoyait à son analyse précédente s'agissant des conséquences fiscales d'un apport, en rappelant que la cession ultérieure des titres apportés entraînerait la fin du report d'imposition de la plus-value en l'absence de remploi par la société KMI services du produit de cession dans les deux ans, conformément à l'article 150-0 B ter du code général des impôts. La faute reprochée à la société [...] ne concerne toutefois pas les conséquences fiscales de l'opération d'apport mais le fait que, contrairement au séquençage initialement défini, il a été procédé dans un premier temps à l'apport de titres à la société KMI services avant la cession, alors qu'une partie des titres était détenue par M. [T] depuis 2006 et ouvrait droit à un abattement à hauteur de 85% à raison de la durée de détention.

Il ressort en effet d'un courriel de M. [L], inspecteur des finances publiques du 22 janvier 2019, ainsi que de la proposition de redressement fiscal dont a fait l'objet M. [T], à titre personnel, que l'administration a remis en cause le taux d'abattement appliqué après avoir constaté que, par application de la méthode dite du 'premier entré - premier sorti', les 3 900 actions de la société Arias Associates cédées le 15 mai 2017 devaient être considérées comme acquises le 7 juin 2011 et les 2 250 actions de la société Arias consulting cédées à la même date comme acquises en 2012, de sorte que cette cession ne pouvait faire l'objet d'un abattement renforcé de 85 % mais seulement de 65 %.

Le fait que M. [T] ait décidé de procéder par voie d'apport partiel à la société KMI services d'une partie des actions qu'il détenait, en dépit de l'analyse de la société [...], ce qu'au demeurant l'intimé conteste, n'implique pas pour autant une volonté de sa part de privilégier le report de l'imposition à l'application de l'abattement renforcé, comme le soutient l'appelante.

Les pièces produites en annexes n° 9 à 19 par les intimés, et notamment les courriels adressés par Me [D] [I], démontrent que le projet de traité d'apport a été établi par elle le 2 avril 2017 et transmis le 27 avril 2017 à M. [T], que concomitamment elle confirmait au commissaire aux apports la date du traité d'apport, et que l'acte de cession d'actions du 15 mai 2017, également préparé par Me [I], portait respectivement sur 5 940 actions de la société Arias associates et 2 475 actions de la société Arias consulting, soit le nombre d'actions encore détenues par M. [T] après réalisation de l'opération d'apport. Il s'évince de ces constatations que l'inversion de la chronologie des actes est exclusivement imputable à la société [...] qui ne peut tirer argument de l'erreur figurant en page 2 de l'acte de cession d'actions du 15 mai 2017 quant à la composition du capital social, pour soutenir que le séquençage de l'opération résulterait d'un choix de M. [T], étant observé à cet égard que lesdits actes étaient affectés de différentes erreurs concernant notamment le nombre de parts cédées et apportées ayant nécessité l'établissement d'un avenant rectificatif le 6 février 2018 et de déclarations fiscales rectificatives.

D'ailleurs dans un courrier électronique du 5 février 2019, M. [W], représentant de la société [...], admettait que le redressement basé sur le séquençage des opérations était logique.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en tant qu'il a considéré que la société [...] avait commis une faute ayant eu pour effet de priver M. [T] du bénéfice de l'abattement de 85 % auquel il aurait pu prétendre si l'acte de cession avait été passé avant l'acte d'apport, la société [...] qui avait admis dans son analyse du 18 janvier 2017 qu'une partie des actions détenues par M. [T] était éligible à cet abattement, ne pouvant désormais prétendre qu'il aurait dû attendre deux à trois années pour en bénéficier.

Le préjudice résultant de cette faute ne s'analyse pas en une perte de chance dès lors que, sans cette erreur, M. [T] aurait bénéficié de l'abattement de 85 % qui a été ramené à 65 % par l'administration, ce qui corrélativement a augmenté la base d'imposition des plus-values. Le préjudice subi par M. [T] correspond donc au surplus d'imposition supporté en 2017, mais aussi en 2018 ainsi que cela résulte des pièces produites, puisqu'un complément de prix a été versé qui n'a pas été remis en cause par l'administration dans les rapports entre la société KMI services et M. [T], et était imposable au titre des revenus perçus par ce dernier en 2018.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce chef de demande.

2- Sur la demande de la société KMI services

2-1 Sur la rédaction de la clause de complément de prix

L'appelante relève à juste titre que la référence faite par les intimées et le tribunal à l'article 150-0 A du code général des impôts est inopérante, puisque cette disposition est relative à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et non à l'impôt sur les sociétés dont est redevable la société KMI services.

La société [...] fait vainement valoir qu'il ne serait pas démontré qu'elle avait recommandé de prévoir une clause de complément de prix, ni même qu'elle avait été consultée sur la question d'un complément de prix, et que son analyse n'aurait pas davantage été sollicitée s'agissant du traitement fiscal de ce complément de prix, alors qu'il est constant qu'elle a rédigé l'acte de cession et donc la clause litigieuse, et qu'il lui appartenait de faire preuve de prudence dans cette rédaction, et d'informer ses clients des conséquences fiscales attachées à cette stipulation.

L'appelante ne peut notamment pas tirer argument d'une confusion opérée par M. [T] entre la clause de complément de prix figurant dans l'acte de cession de ses titres à la société KMI services et celle figurant dans l'acte de cession passé entre cette dernière et la société Technology et strategy group, puisque l'existence même d'une telle confusion démontre de toute évidence qu'elle n'a pas rempli son obligation d'information quant aux conséquences fiscales attachée à ladite clause, M. [T], respectivement la société KMI services dont il était le dirigeant, étant manifestement convaincus à tort que la stipulation d'un complément de prix permettait, pour la société, de différer l'imposition d'une partie du prix de cession.

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il ne résulte pas de la motivation du redressement fiscal sur ce point que l'administration a considéré que la rédaction de la clause ne permettait pas de conférer un caractère variable au complément de prix, mais au contraire que le prix provisoire devait, conformément à l'article 32-8 du code général des impôts, être comptabilisé au titre de l'exercice au cours duquel la créance était acquise, l'incertitude susceptible d'affecter le règlement d'un complément de prix pouvant le cas échéant faire l'objet d'une provision.

Il n'est dans ces conditions pas démontré que rédigée différemment la clause aurait permis un tel report partiel de l'imposition sur l'exercice de perception du complément de prix. Il est par contre établi que les intimées n'ont pas été informées du fait que la totalité du prix devait être prise en considération au titre du bénéfice imposable de l'exercice 2017 au cours duquel la créance était réputée acquise.

Le préjudice subi par la société KMI services ne peut donc correspondre au montant de l'impôt supplémentaire consécutif au redressement qui était dû, mais s'analyse en une perte de chance d'avoir pu, en étant dûment informée, adopter d'autres dispositions pour limiter cette imposition, notamment prévoir un plafond au complément de prix.

Cette perte de chance ne saurait toutefois excéder un tiers du montant du supplément d'impôt, soit un montant arrondi à 7 500 euros. Le jugement sera donc réformé sur ce point.

2-2 Sur la non déductibilité des frais inhérents à la cession

La société [...] fait valoir à bon droit qu'il ne peut lui être reproché d'avoir fait courir un risque fiscal à la société KMI services pour n'avoir pas vérifié la déductibilité de certains frais inhérents à la vente des titres, dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elle était en charge des déclarations fiscales de la société, et qu'il n'est pas davantage établi qu'elle aurait été consultée sur ce point, ou aurait émis quelque préconisation que ce soit, les intimés procédant par affirmations à cet égard.

S'agissant du conseil que l'appelante reconnaît avoir donné de ne pas contester le redressement fiscal, motif pris de ce que le coût des honoraires liés à une contestation serait sensiblement équivalent à celui sur lequel porte le redressement, en l'occurrence 14 492 euros, la société KMI services ne démontre ni que cette appréciation serait erronée, ni qu'une contestation aurait eu de réelles chances de succès.

Le jugement sera donc infirmé en tant qu'il a considéré que la société [...] avait commis une faute justifiant l'allocation de dommages et intérêts pour perte d'une chance d'avoir pu obtenir une économie d'impôt, et la demande formée de ce chef rejetée.

2-3 Sur la fixation de la date de cession des actions à la société Technology et strategy group

Comme l'a exactement retenu le tribunal, il est établi que la société [...] avait connaissance du fait que la société KMI services détenait des actions de la société Maia engineering depuis le 6 juin 2015, et qu'elle devait les conserver

au moins deux ans pour bénéficier du régime d'imposition prévu par l'article 39 duodecies du code général des impôts s'agissant des plus-values à long terme.

En s'abstenant d'attirer l'attention de sa cliente sur l'avantage fiscal résultant de l'application de ces dispositions, dont l'impact fiscal a été évalué à 290 487 euros par Me [I] dans un courriel du 6 juillet 2018, ce qui aurait nécessairement du conduire à différer de deux semaines la signature de l'acte de cession, la société [...] a manqué à son devoir de conseil.

La société [...] ne peut utilement opposer le fait qu'elle n'aurait pas été expressément sollicitée pour donner son avis sur le traitement fiscal des plus-values, le memorandum fiscal qu'elle a établi ne concernant en effet que les opérations de reclassement des titres détenus par M. [T], alors qu'étant en charge de l'accompagnement de la cession de l'ensemble des sociétés du groupe et de la rédaction des actes y afférents, et notamment de celui concernant la cession intervenue entre la société KMI services et la société Technology et strategy group, il lui appartenait d'envisager les conséquences fiscales de l'opération et de conseiller sa cliente sur la date à laquelle il était souhaitable de conclure l'acte au regard des conséquence non négligeables susceptibles d'en résulter s'agissant de l'imposition au titre des plus-values.

L'appelante ne peut pas davantage arguer de la connaissance qu'aurait prétendument eue M. [T] de cette règle, qu'il lui appartenait à tout le moins de lui rappeler.

Comme le relève l'appelante, s'agissant d'un manquement au devoir de conseil, le préjudice qui en résulte s'analyse en une perte de chance d'avoir pu différer la signature de l'acte de cession des titres et bénéficier du régime des plus-values à long terme. La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

En l'espèce, comme l'a relevé le tribunal, il ne résulte d'aucun élément du dossier qu'un calendrier impérieux devait être respecté qui aurait imposé de signer l'acte le 19 mai 2017 plutôt que le 7 juin 2017. Si la probabilité que la société KMI services accepte de différer la signature de l'acte de cession de deux semaines est particulièrement élevée, ce report supposait toutefois l'accord du cessionnaire dont il ne peut être affirmé avec certitude qu'il aurait été donné. Par voie de conséquence, le taux de perte de chance sera fixé à 90 % et appliqué au montant de l'imposition supportée par la société KMI services à ce titre qui, selon son expert comptable, s'élève à un montant total de 305 493 euros au titre de l'exercice 2017 mais aussi 2018 dans la mesure où le complément de prix a été intégré au bénéfice imposable de cet exercice, soit une indemnité de 274 943 euros après application du taux de perte de chance.

Le jugement entrepris sera donc réformé sur le montant alloué au titre de ce poste de préjudice.

2-4 Sur l'erreur relative au montant des dividendes versés par la société Arias consulting

L'erreur commise par Me [I] ayant consisté à indiquer au cabinet d'expertise-comptable SEJAL, le 25 avril 2017, que le montant total des dividendes versés par la société Maia consulting, dont 90 % revenaient à la société KMI services, s'élevait à 1 250 00 euros, alors que ce montant était en réalité de 1 388 889 euros, est avérée. Cette erreur a été répercutée dans le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire de la société Arias consulting du 18 mai 2017 ayant approuvé les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2016, ce qui a conduit la société Technology et strategy group, cessionnaire, à considérer que l'intimée avait perçu 125 000 euros de dividendes en trop.

Cette erreur de la société [...] a incontestablement causé un préjudice à la société KMI services puisque la société Technology et strategy group a exigé et obtenu le remboursement de ladite somme de 125 000 euros. L'appelante, qui était en charge de la rédaction des actes, ayant ainsi manqué à son devoir de vigilance ne peut se prévaloir d'une erreur commune, ni de la prétendue mauvaise foi du cessionnaire.

Le jugement sera donc confirmé en tant qu'il a accueilli cette demande.

3- Sur le manquement à l'obligation de loyauté

Les intimés reprochent à la société [...] d'avoir abusé de la situation de faiblesse dans laquelle ils se trouvaient pour subordonner son assistance dans le cadre de l'établissement du protocole d'accord avec la société Technology et strategy group, à la signature d'un autre protocole d'accord avec elle même, manifestement léonin puisqu'il limitait à 41 667 euros le montant de l'indemnisation susceptible de leur revenir. M. [T] fait valoir que bien que n'ayant pas été personnellement partie à l'acte de cession passé entre la société KMI services et la société Technology et strategy group, il a néanmoins été lui aussi personnellement victime du chantage orchestré par l'appelante.

A cet égard, il convient de relever que, outre la question du remboursement de la somme de 125 000 euros au titre des dividendes perçus par la société KMI services qui découle directement d'une faute de la société [...], le différend opposant cette dernière au cessionnaire comportait différents points concernant la détermination de 'l'EBIT Comptable consolidé des sociétés' servant de référence au calcul du complément de prix, pour lesquels la responsabilité de l'appelante n'est pas recherchée (cf courriers de la société Technology et strategy group des 21 février et 16 mars 2018).

Il ressort des courriels échangés entre les parties entre le 30 mai 2018 et le 17 juillet 2018 que la société [...], après avoir fourni différents éléments de réponse dans le cadre du litige opposant la société KMI services et la société Technology et strategy group - courriel du 30 mai 2018 -, a soumis aux intimés un projet de protocole transactionnel dans leurs relations - courriel du 21 juin 2018 -, puis a finalement indiqué le 11 juillet 2018 qu'étant directement concernée par le protocole transactionnel entre KMI services et T&S, elle ne pouvait, pour des raisons déontologiques, intervenir en tant qu'avocat conseil sur ce point du dossier.

Il ne ressort pas de ces échanges la preuve suffisante de pressions, voire d'un 'chantage' exercés par la société [...], ni d'un manque de loyauté de sa part, qui ne peut être déduit du seul fait qu'elle ait refusé de continuer à apporter son concours à l'établissement d'une transaction reposant sur des points pour lesquels sa responsabilité était mise en cause par sa cliente dans des conditions qu'elle contestait, la nouvelle rédaction du protocole transactionnel avec l'appelante proposée par M. [T] le 17 juillet 2018, démontrant en effet le désaccord des parties quant à l'étendue et aux conséquences de cette responsabilité, et l'existence manifeste d'un conflit d'intérêts.

La preuve d'une déloyauté imputable à la société [...] n'étant pas suffisamment rapportée, le jugement sera confirmé en tant qu'il a rejeté la demande formée par M. [T] à ce titre, mais infirmé en tant qu'il a alloué une somme de 1 000 euros à la société KMI services, la demande de cette dernière étant rejetée.

4- Sur la clause limitative de responsabilité

Les intimés se prévalent à bon droit de l'inopposabilité de la clause limitative de responsabilité figurant dans les conditions générales d'engagement de la société [...] en l'absence de preuve de ce qu'elles ont été acceptées par eux, cette acceptation ne pouvant en effet être déduite de la seule communication de ces conditions générales par courriel du 25 juillet 2016, M. [T] et la société KMI services n'ayant pas confirmé leur acceptation.

5 - Sur les autres chefs de demandes

L'appel de la société [...] ayant été partiellement accueilli, la demande de dommages et intérêts pour appel abusif formée par les intimés ne peut qu'être rejetée.

Le jugement entrepris étant confirmé pour l'essentiel de ses dispositions, il le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens.

La société [...] succombant à titre principal supportera également les dépens d'appel et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera par contre alloué à chacun des intimés une somme de 5 000 euros sur ce fondement en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Colmar en date du 28 septembre 2020 en ce qu'il a condamné la société [...] à payer à la société KMI services la somme de 451 493 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2019 ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNE la SELAS [...] sociétés d'avocats à payer à la société KMI services la somme totale de 407 443 € (quatre cent sept mille quatre cent quarante-trois euros) avec intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2019 ;

DEBOUTE la société KMI services du surplus de ses demandes et notamment de sa demande au titre d'un refus de conseil et défaut de loyauté ;

CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement entrepris pour le surplus;

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu à application de la clause limitative de responsabilité ;

DEBOUTE M. [T] et la société KMI services de leur demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;

CONDAMNE la SELAS [...] sociétés d'avocats aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SARL société KMI services, d'une part et à M. [O] [T], d'autre part la somme de 5 000 € (cinq mille euros), chacun, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

DEBOUTE la SELAS [...] société d'avocats de sa demande sur ce fondement.

Le greffier, La président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03047
Date de la décision : 24/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-24;20.03047 ?
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