n° minute : 15/2023
Copie exécutoire à :
- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY
- la SCP CAHN ET ASSOCIES
Le 22 Février 2023
La Greffière,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE DES URGENCES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
N° RG 22/00097 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H54W
mise à disposition le 22 Février 2023
Dans l'affaire opposant :
S.À.R.L. SUBSAINT-LOUIS
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, Avocat à la cour
- partie demanderesse au référé -
S.C.I. ISABELLE, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Marion BORGHI de la SCP CAHN et Associés, Avocats à la cour
plaidant : Me Marc MULLER, Avocat au barreau de Mulhouse
- partie défenderesse au référé -
Nous, Pascale BLIND, présidente de chambre à la cour d'appel de Colmar, agissant sur délégation de Madame la première présidente, assistée lors des débats et de la mise à disposition de la décision de Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, après avoir entendu, en notre audience publique de référé du 11 Janvier 2023, les avocats des parties en leurs conclusions et observations et avoir indiqué qu'une décision serait rendue le 8 Février 2023, date à laquelle le délibéré a été prorogé à ce jour, statuons publiquement, par mise à disposition d'une ordonnance contradictoire, comme suit :
Selon acte notarié daté du 31 mars 2016, valant bail commercial, complété par un avenant conclu également en la forme authentique le 5 décembre 2016, la SCI Isabelle a donné en location à la SARL Subsaint-Louis, pour une durée de neuf années, un local commercial au rez-de-chaussée ainsi que deux places de parking, constituant les lots n°44, [Cadastre 6] et [Cadastre 7], dépendant d'un ensemble immobilier en copropriété, dénommé « Résidence [5] », situé [Adresse 2], moyennant un loyer annuel indexable de 14 400 euros HT, outre 150 euros à titre de provision à valoir sur les charges, aux fins d'y exploiter une activité de restauration.
Un second avenant au bail commercial été signé entre les parties visant une vitrine indépendante, le loyer mensuel étant augmenté de 150 euros HT avec effet au 1er mai 2017.
Par ordonnance du 9 septembre 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Mulhouse a :
- constaté la résiliation de plein droit du contrat de bail commercial portant sur les locaux et emplacements de parking, désignés au contrat de bail du 31 mars 2016, ainsi qu'une vitrine indépendante constituant le lot n°26 de la copropriété,
- condamné la société Subsaint-Louis, ainsi que tous occupants de son chef, à quitter les lieux dans le délai maximum d'un mois à compter de la date de la signification de l'ordonnance sous peine d'une astreinte d'un montant de 100 euros par jour de retard, à défaut de départ volontaire, et d'expulsion,
- condamné la société Subsaint-Louis à payer à la SCI Isabelle, à titre de provision, la somme de 54 831,66 euros à valoir sur les loyers et provision sur charges échus et non réglés, partiellement ou totalement, selon décompte arrêté au 5 juin 2022, avec les intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance,
- condamné la société Subsaint-Louis à payer à la SCI Isabelle, à titre de provision, une indemnité d'occupation mensuelle de 1 815,57 euros jusqu'à la date de la libération complète des lieux,
- condamné la société Subsaint-Louis à payer à la SCI Isabelle la somme de 1 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, outre le coût du commandement de payer signifié le 23 octobre 2020, soit 220,65 euros.
Le juge des référés a par ailleurs constaté l'exécution provisoire de plein droit des dispositions de la décision.
La SARL Subsaint-Louis a interjeté appel de cette ordonnance, par déclaration du 20 septembre 2022.
Par acte du 13 octobre 2022, la SARL Subsaint-Louis a fait assigner en référé devant le premier président de la cour d'appel de Colmar la SCI Isabelle aux fins de voir ordonner le sursis à l'exécution de l'ordonnance du 9 septembre 2022 en toutes ses dispositions, rejeter toutes conclusions plus amples ou contraires de la partie adverse et juger que les frais de la procédure de référé suivront ceux de la procédure principale.
Aux termes de son assignation et de ses conclusions du 15 janvier 2023 soutenues à l'audience, la SARL Subsaint-Louis expose disposer de moyens sérieux d'appel dès lors qu'elle s'est trouvée contrainte de fermer le magasin pendant la période de crise sanitaire, que l'exigibilité du loyer sur la période allant du 15 mars 2020 au 15 juin 2020 est sérieusement contestable, sur le fondement de l'article 1722 du code civil, et qu'en
outre, les causes du commandement sont réglées si bien qu'il n'y a plus lieu de faire le constat du non-respect des termes de la clause résolutoire.
Subsidiairement, la demanderesse indique qu'elle est bien fondée à solliciter des délais de paiement et la suspension de la clause résolutoire.
Par ailleurs, elle soutient qu'elle ne peut pas exploiter la vitrine pour des raisons administratives de sorte que les montants dus à ce titre qui représente une somme totale de 7 200 euros sur quatre ans sont sérieusement contestés, et qu'elle subit également un trouble de jouissance dans la mesure où le bailleur ne permet pas que les travaux nécessaires pour que la vitrine fissurée, respectivement la vitre de la porte d'entrée cassée, à la suite d'une altercation, soient remplacées.
Elle considère que la SCI Isabelle a fait délivrer un commandement de payer de mauvaise foi et, de manière plus générale, n'exécute pas le contrat de bonne foi.
La demanderesse invoque en outre des contestations sérieuses quant à la provision accordée par le juge des référés au titre des charges, en soutenant que seul un montant annuel de 150 euros pourraient être mis en compte au titre de l'avance sur charges et que la SCI Isabelle ne justifie pas du solde de charges réclamé.
Sur les conséquences manifestement excessives, la SARL Subsaint-Louis fait valoir que l'exécution de la décision engendrerait la perte du fonds de commerce en cas d'expulsion et conduirait à une situation irréversible. Elle précise qu'elle aurait la possibilité de vendre le fonds ce qui permettrait de solder sa créance et que la partie adverse a empêché une vente en décembre 2021, en ne se présentant pas devant le notaire.
La demanderesse ajoute qu'elle est à même de procéder à l'apurement du solde dû et de régler les loyers courants, pour autant qu'elle puisse poursuivre l'exploitation. Elle indique avoir déposé dernièrement deux chèques, que celle-ci refuse d'encaisser.
Aux termes de ses écritures en date du 10 janvier 2023, la SCI Isabelle conclut au rejet de la demande, à la condamnation de la SARLSubsaint-Louis aux dépens ainsi qu'au paiement d'un montant de 1 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCI Isabelle fait valoir que les loyers étaient impayés depuis le 1er mai 2019, que le commandement de payer portait sur un arriéré de 19 665,11 euros au 5 septembre 2020, que l'avance sur charges stipulée au contrat de bail de 150 euros est incontestablement due, et qu'au mois d'octobre 2022, l'arriéré de loyers et de l'avance sur charges de 150 euros s'élevait à 62 093,94 euros, hors décompte de charges. Elle précise qu'à la suite d'une saisie conservatoire, elle a obtenu un montant de 11 736,09 euros et que la SARL Subsaint-Louis a versé à l'huissier une somme de 30 000 euros. Elle conteste avoir reçu deux chèques dans sa boîte aux lettres, et fait état d'un montant restant dû à la suite de l'ordonnance du 9 septembre 2022, de l'ordre de 24 000 euros au jour de ses conclusions.
La SCI relève encore que les trois derniers loyers sont impayés et soutient que la SARL est en réalité en cessation de paiement, ainsi qu'il résulte du compte de résultat produit.
Elle conteste tout manquement à ses propres obligations de bailleur en affirmant que si la SARL Subsaint-Louis ne peut pas exploiter la vitrine adjacente au restaurant, elle ne peut que s'en prendre à elle-même, puisqu'elle n'a pas respecté les contraintes administratives.
S'agissant de la réparation de la porte d'accès vitrée, la SCI reproche à la SARL Subsaint-Louis de ne pas avoir fait les travaux nécessaires, alors que selon convention du 31 janvier 2017, celle-ci s'était engagée à prendre en charge les travaux de renouvellement de la vitrine en cas de besoin.
La défenderesse précise enfin qu'elle ne s'est à aucun moment opposée à la vente du fonds mais que prévenue tardivement, elle n'a pu être disponible pour se rendre chez le notaire.
SUR CE
Sur la recevabilité de la demande
L'instance en référé devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Mulhouse ayant été introduite postérieurement au 1er janvier 2020, il convient de faire application de l'article 514-3 du code de procédure civile, dans sa version actuelle, issue du décret du 11 décembre 2019.
Aux termes de cet article, en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Le deuxième alinéa prévoit que la demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
Toutefois, cette fin de non-recevoir ne s'applique pas au cas d'espèce puisque la décision du 9 septembre 2022 est une ordonnance de référé, dont l'exécution provisoire de droit ne peut être écartée par le juge, ainsi que le prévoit l'article 514 -1 du code de procédure civile, si bien que la question de l'exécution provisoire n'avait pas lieu d'être débattue en première instance.
La demande de la SARL Subsaint-Louis est recevable.
Sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire
Aux termes du contrat de bail du 31 mars 2016 est prévue une clause résolutoire selon laquelle, en cas de non exécution par le preneur de l'un quelconque de ses engagements, tels que le non-respect de la clause de destination, le non-paiement à son échéance de l'un des termes du loyer, ou des charges et impôts récupérables par le bailleur, le bail sera résilié de plein droit un mois après une sommation d'exécuter ou un commandement de payer délivré par acte extrajudiciaire au preneur de régulariser sa situation.
Le même contrat prévoit que si le preneur refusait d'évacuer les lieux, après résiliation, son expulsion pourrait avoir lieu sans délai sur une simple ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance compétent, exécutoire par provision, nonobstant appel et que de plus, le preneur encourrait une astreinte de 150 euros par jour de retard, outre une indemnité d'occupation.
La SCI Isabelle a fait délivrer à la SARL Subsaint-Louis un commandement de payer le 23 octobre 2020 d' avoir à payer un montant de 19 904,84,euros euros dans le délai d'un mois, correspondant à des loyers impayés du mois de juillet 2019, février à septembre 2020 ainsi qu'à des soldes de charges de 2017, 2018 et 2019.
la SCI Isabelle a assigné la société Subsaint-Louis le 21 juin 2021 afin que soit constatée la résiliation de plein droit du contrat de bail commercial.
Le juge des référés a retenu que le fait que le commandement a été délivré à la société Subsaint-Louis durant la période juridiquement protégée en raison de la crise sanitaire n'a pas pour conséquence d'invalider celui-ci, dès lors que ses effets ont été invoqués par la SCI Isabelle, dans le cadre de l'instance, postérieurement à l'expiration de la période en question.
Il a par ailleurs considéré que la société Subsaint-Louis ne pouvait de sa propre initiative, quels qu'en soient les motifs, et sans autorisation judiciaire, s'abstenir de payer à la SCI Isabelle les loyers dont elle était redevable en vertu des dispositions contractuelles.
Il en a déduit que dès lors que la situation n'avait pas été régularisée à la date de l'ordonnance, la clause de résiliation était acquise au bailleur et qu'il y avait lieu de faire droit à la demande de constatation de la résiliation de plein droit du bail et d'expulsion, sur le fondement du trouble manifestement illicite prévu à l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, permettant une telle décision, même en présence d'une contestation sérieuse.
S'agissant du montant de la provision, le juge des référés a retenu, au titre de l'arriéré de loyers et charges réclamé, une somme de 54 831,66 euros correspondant aux loyers impayés, selon décompte arrêté au 5 juin 2022, après avoir avoir déduit la somme de 3 454, 60 euros correspondant au décompte de charges pour les années 2017 à 2020, au motif qu'il n'était pas suffisamment précis.
Il est constant qu'aucun paiement n'est intervenu dans le mois suivant le commandement de payer ni avant la décision du juge des référés.
Il convient en outre de rappeler que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la mesure d'interdiction de recevoir du public pendant la crise sanitaire n'entraîne pas la perte du local loué et ne constitue pas une inexécution de son obligation de délivrance par le bailleur et ne peut être invoquée au titre de la force majeure par le locataire.
Ainsi, les conditions légales sont réunies pour que le juge des référés constate la résiliation de plein droit du contrat de bail commercial.
Toutefois, en vertu de l'article L. 145-41 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de
résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Ainsi, le preneur peut solliciter l'octroi de délais tant qu'une décision ayant autorité de la chose jugée n'est pas intervenue et la demande de délais n'est pas enfermée dans le délai d'un mois suivant le commandement.
Le juge des référés a rejeté la demande d'octroi de délais de paiement aux motifs que la société Subsaint-Louis s'était abstenue de son propre chef de régler l'intégralité des loyers et provisions sur charges depuis le mois de février 2020, n'avait produit aucun document comptable justifiant de sa situation financière et avait déjà bénéficié de délais de fait depuis plus de deux ans.
Cependant, après le jugement, des paiements sont intervenus. Notamment, une saisie a permis de prélever sur le compte de la SARL Subsaint-Louis une somme de 11 736 euros et la débitrice a également versé à l'huissier un montant de 30 000 euros.
D'autre part, la demanderesse verse à présent aux débats les bilan et compte de résultat de l'année 2021.
Certes, le résultat de l'exercice 2021 était négatif à hauteur de 1 622 euros mais il résulte également des comptes produits que la société bénéficiait d'une trésorerie de 95 071 euros et elle a été en mesure en 2022 de régler les montants ci-dessus indiqués à l'huissier, de sorte que la SCI Isabelle n'invoque plus qu'un arriéré de 24 048,33 euros au jour de ses conclusions du 10 janvier 2023.
Par conséquent, la demanderesse justifie de moyens sérieux de réformation de l'ordonnance frappée d'appel, en ce qu'elle est susceptible d'obtenir la suspension de la résiliation et des effets de la clause résolutoire du bail, par l'octroi de délais de paiement, dans les conditions de l'article 1343-5 du code civil.
Par ailleurs, elle établit un risque de conséquences manifestement excessives attachées à l'exécution provisoire puisque du fait de la résiliation du bail et de l'expulsion, elle encourt la perte de son fonds de commerce.
S'agissant de la provision de 54 831,66 euros, correspondant aux loyers et avances sur charges échus et impayés, dont les montants sont fixés par le contrat de bail, elle ne paraît pas sérieusement contestable, comme l'a retenu le juge des référés, de sorte qu'aucun moyen sérieux d'infirmation ne sera retenu à cet égard.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne la condamnation au paiement de cette provision.
Sur les frais et dépens
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties et chacune d'entre elles supportera ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Déclarons la demande recevable ;
Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance rendue par le président du tribunal judiciaire de Mulhouse le 9 septembre 2022, sauf en ce qui concerne la condamnation de la société Subsaint-Louis à payer à la SCI Isabelle, à titre de provision, une somme de 54 831,66 euros, outre intérêts de droit au taux légal à compter de l'ordonnance ;
Rejetons les demandes respectives des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons chaque partie à supporter ses propres dépens.
La greffière, La présidente,