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20/02/2023 | FRANCE | N°22/01846

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 3 a, 20 février 2023, 22/01846


MINUTE N° 23/74





























Copie exécutoire à :



- Me Joseph WETZEL

- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY





Le



Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A



ARRET DU 20 Février 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/01846 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2VF



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 avril 2022 par le juge de l'exécution de Strasbourg



APPELANTES :



S.A. BOUCHERIE CHARCUTERIE FINE TRAITEUR FRICK [O]

[Adresse 2]

[Localité 6]



Représentée par Me Joseph WETZEL, avocat au barreau de CO...

MINUTE N° 23/74

Copie exécutoire à :

- Me Joseph WETZEL

- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY

Le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRET DU 20 Février 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/01846 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H2VF

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 avril 2022 par le juge de l'exécution de Strasbourg

APPELANTES :

S.A. BOUCHERIE CHARCUTERIE FINE TRAITEUR FRICK [O]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Joseph WETZEL, avocat au barreau de COLMAR, avocat plaidant, et Me Aurélie SPIEGEL-SIMET, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

S.A. BOUCHERIE CHARCUTERIE FINE TRAITEUR FRICK [O] prise en son établissement secondaire situé [Adresse 3] [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Joseph WETZEL, avocat au barreau de COLMAR, avocat plaidant, et Me Aurélie SPIEGEL-SIMET, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

S.A. BOUCHERIE CHARCUTERIE FINE TRAITEUR FRICK [O] prise en son établissement secondaire situé [Adresse 4] [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Joseph WETZEL, avocat au barreau de COLMAR, avocat plaidant, et Me Aurélie SPIEGEL-SIMET, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

INTIMÉ :

Monsieur [E] [O]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat au barreau de COLMAR, avocat postulant, et Me Jean-Christophe SERRA, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme MARTINO, Présidente de chambre

Mme FABREGUETTES, Conseiller

Madame DAYRE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme HOUSER

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Suivant bail commercial en date du 13 mars 1998, Monsieur et Madame [N] [O], en qualité de bailleurs, ont consenti à la société Fabrique de charcuterie fine boucherie Frick [O] un renouvellement de bail commercial pour une durée de neuf années portant sur des locaux situés à [Localité 6] [Adresse 2] ainsi que [Adresse 5], et ce moyennant paiement d'un loyer global initial d'un montant de 70 000 francs.

Le 8 juin 2009 , la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] a demandé le renouvellement du bail commercial mais par arrêt définitif du 18 avril 2016, la cour d'appel de Colmar a déclaré nulle cette demande et a dit que le bail s'est poursuivi par tacite reconduction.

Le 8 septembre 2009, les propriétaires ont signifié à la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] un congé avec offre de renouvellement à compter du 1er avril 2010.

Monsieur [E] [O], devenu seul propriétaire, a introduit une procédure devant le juge des loyers commerciaux afin de voir fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1er avril 2010.

L'expert judiciaire missionné par le juge des loyers, Madame [K], a déposé un pré-rapport au terme duquel elle a estimé la valeur locative annuelle au 1er avril 2010 à un montant

de 158 000 euros hors-taxes et hors charges.

Monsieur [E] [O] a fait signifier à la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O], par acte extrajudiciaire du 11 juin 2019, un congé à effet au 31 décembre 2019, portant refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction d'un montant de 300 000 euros.

Par acte du 16 mars 2020, Monsieur [E] [O] a fait assigner la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] devant le tribunal judiciaire de Strasbourg afin de voir valider le congé délivré, voir ordonner l'expulsion de la locataire devenue occupante sans droit ni titre, voir fixer l'indemnité d'occupation à compter du 1er janvier 2020 à la somme mensuelle de 52 854,85 euros et fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 300 000 euros.

Par ordonnance du 11 mai 2021, le juge de l'exécution délégué du tribunal judiciaire de Strasbourg a autorisé Monsieur [E] [O] à inscrire un nantissement judiciaire conservatoire sur le fonds de commerce exploité [Adresse 2] [Localité 6], sur un fond de commerce exploité [Adresse 3] à [Localité 6] et sur un fond de commerce exploité [Adresse 4] à [Localité 6] pour garantir la somme de 800 000 euros correspondant au montant de sa créance au titre du loyer renouvelé depuis 2010, au vu du pré-rapport de Madame [K].

La Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O], immatriculée au registre du commerce de Strasbourg sous le numéro B 380 963 751 ayant son siège [Adresse 2] à [Localité 6] et ses établissements secondaires, situés [Adresse 3] et [Adresse 4] à [Localité 6] ont, suivant acte délivré le 1er octobre 2021, fait citer Monsieur [E] [O] devant le juge de l'exécution aux fins d'obtenir la mainlevée du nantissement judiciaire autorisé par ordonnance du 11 mai 2021 sur les fonds de commerce susvisés, subsidiairement, aux fins d'obtenir le cantonnement de ce nantissement judiciaire sur le seul fonds de commerce situé 14- [Adresse 2].

Elle a sollicité la condamnation de Monsieur [O] à lui payer les sommes de 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour inscription abusive du nantissement et celle de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [O] a conclu au rejet des demandes et a sollicité la condamnation de l'adversaire à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 29 avril 2022, le juge de l'exécution au tribunal judiciaire de Strasbourg a débouté la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] de toutes ses demandes et l'a

condamnée aux dépens et à payer à Monsieur [O] une somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Cette décision a été notifiée à la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] par lettre recommandée dont l'avis de réception porte signature de son destinataire en date du 4 mai 2022.

Elle en a relevé appel suivant déclaration en date du 6 mai 2022.

L'affaire été fixée à bref délai en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Par dernières écritures notifiées le 24 novembre 2022, la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O], la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] prise en son établissement secondaire situé [Adresse 3] à [Localité 6] et la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] prise en son établissement secondaire situé [Adresse 4] à [Localité 6] ont conclu ainsi que suit :

-dire et juger l'appel recevable et bien fondé,

-infirmer le jugement du 29 avril 2022 en ce qu'il a débouté la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] de toutes ses demandes, en ce qu'il l'a condamnée à payer à Monsieur [O] 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamnée aux frais et dépens,

Et statuant à nouveau,

-dire et juger la demande recevable et bien fondée,

-mettre à néant l'ordonnance du 11 mai 2021 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Strasbourg autorisant Monsieur [E] [O] à inscrire un nantissement judiciaire conservatoire sur les fonds de commerce situé [Adresse 2], [Adresse 3] et [Adresse 4] à [Localité 6], pour garantie la somme de 800 000 euros augmentée d'une somme de 80 000 euros au titre des intérêts estimés,

Par conséquent,

-ordonner la mainlevée de l'inscription de nantissement judiciaire conservatoire pris par Monsieur [O] pour garantie la somme de 880 000 euros,

Subsidiairement,

-ordonner le cantonnement du nantissement au seul fonds de commerce sis [Adresse 2] à [Localité 6],

Par conséquent,

-ordonner la mainlevée de l'inscription de nantissement judiciaire conservatoire pris par Monsieur [O] pour garantie de la somme de 880 000 euros sur les fonds de commerce exploités au [Adresse 3]

[Adresse 3] et au [Adresse 4] à [Localité 6],

En tout état de cause,

-condamner Monsieur [O] aux entiers frais et dépens et à payer à la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et 5 000 euros au titre du caractère abusif des inscriptions sollicitées.

Au soutien de leur appel, les appelantes font d'abord valoir que la créance de Monsieur [O] n'est pas fondée en son principe dès lors que le pré-rapport d'expertise, dont la teneur est contestée, fixe la valeur locative brute sans prendre en compte les abattements (travaux d'amélioration réalisés par le preneur, améliorations, prise en compte par le locataire de la taxe foncière et des primes d'assurance, abattement de précarité s'agissant de la part relative à l'indemnité d'occupation...) ; que Madame [G], également expert judiciaire, a évalué la valeur locative à la somme de 112 800 euros, proche du loyer actuel.

Elles évoquent ensuite une contre créance d'indemnité d'éviction qui est certaine en son principe, pour un montant évalué par Madame [G] à la somme de 2 259 613 euros comme l'a jugé le juge de l'exécution dans une ordonnance du 1er septembre 2020 puis dans un jugement du 5 février 2021 et critiquent le premier juge d'avoir retenu que cette contre créance n'était qu'hypothétique en raison du droit de repentir susceptible d'être exercé par le bailleur, alors qu'elles ont pris des mesures irréversibles en vue de leur déménagement et qu'au minimum le preneur a droit à la valeur du droit au bail, lequel serait à lui seul très supérieur au montant proposé par Monsieur [O].

Elles estiment qu'il n'existe pas de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance, qui se compense avec leur propre créance d'indemnité d'éviction et alors qu'elles bénéficient de la sécurité financière de son affiliation au groupe Kirn, laquelle a renoncé au remboursement de ses avances de trésorerie par abandon de créances. Ils ajoutent que, contrairement aux énonciations du jugement déféré, les bilans de la société Frick-[O] sont bénéficiaires et elles en veulent pour preuve le résultat du bilan 2020. Ils ajoutent que la holding Kirn dispose d'une trésorerie plus de dix fois supérieure à la prétendue créance alléguée par Monsieur [O] et que sur la base des bilans de la société Frick-[O], le seul fonds de commerce situé [Adresse 2] est estimé à un montant de 1 423 469 euros.

Elles font valoir que, si le loyer devait être fixé à un montant supérieur au loyer du bail expiré, le différentiel serait nécessairement garanti par la mise en 'uvre de la responsabilité de l'huissier qui a signifié la demande de renouvellement.

Enfin, elles estiment que l'assiette du nantissement pris sur trois fonds est totalement disproportionnée au regard de la valeur de la créance garantie, la valeur du seul fonds de commerce de la [Adresse 2] ayant été estimé à 1 423 469 euros et celle du droit au bail à 2 056 638 euros et postulent que le nantissement des fonds des établissements secondaires a pour effet de paralyser toute cession et donc toutes démarches consécutives à l'éviction.

Par écritures uniques notifiées le 22 juillet 2022, Monsieur [E] [O] conclu au débouté des demandes présentées par les appelantes et à la confirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Il sollicite en tout état de cause la condamnation de la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] aux dépens et à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [O] estime que sa créance est fondée en son principe au vu du pré-rapport d'expertise de Madame [K] dès lors que depuis 2010, la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] s'acquitte d'un loyer annuel de 83 293 euros, soit un différentiel de 74 707 euros annuels par rapport au minimum fixé dans le pré-rapport de l'expert judiciaire, de sorte que le différentiel de loyer et indemnités d'occupation s'élèvent a minima à 821 777 euros. Il fait valoir qu'à ce jour trois experts judiciaire ont évalué le montant du loyer à une somme supérieure à ce que propose l'expert choisi par la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] et que les locaux sont à l'abandon depuis plusieurs années et ne font ainsi l'objet d'aucun investissement ni entretien ; que par ailleurs il n'y a pas lieu de tenir compte des investissements postérieurs à 2010 pour établir le montant du loyer dû à cette date et qu'en application de l'article R 145-8 du code de commerce, les travaux d'amélioration financés par le preneur sans participation du bailleur ne peuvent être pris en compte pour déterminer la valeur locative qu'à l'occasion du deuxième renouvellement suivant leur réalisation.

S'agissant des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement, il relève que la situation financière de la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] est catastrophique depuis plusieurs années ; qu'elle ne survit que grâce à des abandons de créances massifs, le cumul des résultats négatifs depuis 2014 culminant à 4 190 237 euros avec des abandons de créances ce montant atteint à la clôture de l'exercice 2020 la somme de 3 659 000 euros ; qu'il résulte des comptes déposés par l'entreprise le 11 janvier 2022 pour l'exercice 2020 que les fonds de la société sont évalués à 525 528 euros ; que le privilège du bailleur, limité aux meubles garnissant l'immeuble loué, est limité dans le temps ; qu'à tout moment la maison-mère Kirn, qui n'a aucune obligation de refinancement, peut cesser de soutenir sa filiale.

Il conteste l'existence de garanties tirées de la compensation avec l'indemnité d'éviction dès lors que tant que le locataire demeure en place, le bailleur peut se soustraire au paiement de l'indemnité et alors que l'appelante ne justifie pas avoir engagé un processus irréversible de départ des lieux, ce dont il résulte que la contre créance alléguée n'a pas un caractère certain et demeure hypothétique. Il relève que la circonstance que la créance de la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] ait pu être déclarée fondée en son principe ne suffit pas à constituer une garantie de recouvrement de sa propre créance.

De même, la contre créance invoquée par la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] tirée d'une action en responsabilité engagée contre l'huissier instrumentaire apparaît purement hypothétique.

Enfin, il considère que compte tenu de la situation financière de la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O], il n'est absolument pas certain que la seule valeur du fonds de la [Adresse 2] suffise à couvrir la créance.

Il s'oppose à la demande de dommages intérêts faisant valoir que l'inscription d'un nantissement sur un fond de commerce n'empêche pas sa vente.

MOTIFS

Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu les pièces régulièrement communiquées ;

Aux termes de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.

Sur la créance paraissant fondée en son principe

C'est de manière tout à fait pertinente que le premier juge a énoncé que même si une instance en fixation du loyer commercial est en cours, que le rapport d'expertise judiciaire définitif n'a pas été déposé et qu'il appartiendra à la juridiction des loyers commerciaux de fixer le montant du loyer déplafonné à compter

du 1er avril 2010, il n'en demeure pas moins que Madame [K], expert judiciaire, commis par jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 9 janvier 2019, a déposé un pré-rapport d'expertise très circonstancié en date du 4 avril 2021, au terme duquel elle a fixé à la somme de 158 000 euros par an la valeur locative du fonds de commerce litigieux au 1er avril 2010, de sorte que la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] s'étant acquittée depuis 2010 d'un loyer annuel de l'ordre de 83 293 euros, il en résulte une créance paraissant fondée en son principe au bénéfice du propriétaire bailleur susceptible d'atteindre 74 700 euros par an soit 747 070 euros sur dix ans, sans préjudice des sommes échues à compter du 1er avril 2021.

Si la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] produit un rapport d'expertise privée établi, à sa demande, par Madame [G], expert, établissant la valeur locative à un montant de 112 800 euros annuels, il n'en demeure pas moins que d'une part, ce rapport ne peut avoir la même valeur probante qu'un rapport ou au pré-rapport contradictoire établi par un expert judiciaire désigné par une juridiction et que d'autre part, Monsieur [O] produit pour sa part également un rapport d'expertise privée, dont la force probante est également moindre que celle d'un rapport d'expertise judiciaire, établissant la valeur locative à une somme très supérieure à celle fixée par l'expert judiciaire, Madame [K], dans son pré rapport.

Par ailleurs, il appartiendra à la juridiction, et non au juge de l'exécution ou à la cour de statuer sur les abattements éventuels, qui ne sont à l'heure actuelle qu'hypothétiques.

La créance, telle que retenue par le premier juge, apparaît ainsi fondée en son principe.

C'est également par de justes motifs que le premier juge a considéré que la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] ne pouvait se prévaloir d'une contre créance en paiement de l'indemnité d'éviction, susceptible de venir en compensation avec la créance paraissant fondée en son principe, dont est titulaire à son encontre Monsieur [O].

En effet, il résulte de l'article L 145-58 du code de commerce que le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité, à charge de supporter les frais d'instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet, ce droit ne pouvant être exercé qu'autant que le locataire est encore dans les lieux et n'a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation.

Si la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] est bien fondée à soutenir que, de jurisprudence, le bailleur ne peut plus exercer son droit de repentir lorsque le preneur a pris des mesures irréversibles en vue de son déménagement, il n'en demeure pas moins que la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O], qui se borne à justifier qu'elle a fermé et vendu le droit au bail de certains de ses établissements secondaires, mais demeure dans les lieux à ce jour, ne justifie en rien avoir pris de telles mesures.

Il en résulte que quand bien même le montant de l'indemnité d'éviction susceptible de lui être alloué serait équivalent ou supérieur au montant de la créance paraissant fondée en son principe dont a été reconnu titulaire Monsieur [O], ce dernier peut toujours, dans les conditions de l'article L 145-58 exercer son droit de repentir et se soustraire ainsi au paiement de l'indemnité, laquelle dès lors revêt bien un caractère purement hypothétique, ainsi qu'énoncé par le juge de l'exécution.

Enfin, le jugement du juge de l'exécution du 5 février 2021 qui, dans ses motifs, a admis, l'existence au profit de l'appelante d'une créance d'indemnité d'éviction paraissant fondée en son principe, mais, dont le dispositif a ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire que la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] avait été autorisée de prendre sur les biens de Monsieur [O] en garantie du paiement de sa créance d'éviction, n'a pas autorité de chose jugée et ne saurait priver Monsieur [O] de l'exercice de son droit de repentir.

Sur les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance

Comme le premier juge l'a exactement relevé par des motifs pertinents que la cour adopte, les éléments de comptabilité de la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] pour la période 2015 à 2019 font apparaître une situation structurellement déficitaire (2015 : - 492 500 €  ; 2016 : - 692 212 €  ; 2017  : - 584 700€ ; 2018 : - 1 051 000 € ; 2019 : - 666 059 € ) la société n'évitant le dépôt de bilan que grâce aux apports massifs en trésorerie de la société mère et aux abandons de créances subséquents.

Le résultat de l'année 2020, versé aux débats par Monsieur [O] n'est guère plus encourageant puisqu'il fait état d'un résultat d'exploitation négatif de - 643 309 euros, la société recevant un produit exceptionnel de 773 718 euros permettant de dégager un résultat positif de 16 608 euros.

La Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O], qui ne produit pas son bilan 2021, ne peut sérieusement alléguer une baisse conjoncturelle liée aux attentats, aux manifestations des « gilets jaunes », aux contrôles de sécurité mis en place sur la

période du marché de Noël, voire à la pandémie liée au covid pour justifier ses résultats déficitaires, alors que ces mauvais résultats sont constants depuis une période bien antérieure à tous ces aléas.

Or, il n'est nullement établi que la société mère, qui a, jusqu'en 2020, permis à la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] de ne pas s'effondrer, consente indéfiniment à soutenir sa filiale par des perfusions massives en avances de trésorerie suivies d' abandons de créances.

Il a déjà été vu que la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] ne peut se prévaloir d'une contre créance au titre de l'indemnité d'éviction pour soutenir qu'aucune menace sur le recouvrement ne serait justifiée.

De même, elle n'est pas fondée à prétendre disposer d'une garantie tirée d'une action en responsabilité civile professionnelle engagée contre l'huissier de justice ayant signifié la demande de renouvellement de bail du 8 juin 2009, dès lors qu' il résulte des écritures de la Scp Alain Schneider et Sonia Stoltz-Knochel du 15 mars 2021, que le défendeur demande au tribunal de dire qu'il n'est pas démontré que la faute qui lui est imputée et qu'il reconnaît, soit la cause de la fixation du loyer à un montant autre que celui résultant du principe du plafonnement et de dire que si l'acte du 8 juin 2009 avait produit ses effets, le loyer aurait cependant été fixé à la valeur locative en raison, soit du caractère monovalent des locaux, soit de la modification des facteurs locaux de commercialité, soit de la sous-évaluation du loyer initial et /où l'augmentation substantielle de la taxe foncière et qu'il n'existe par voie de conséquence aucun lien causal, ni aucune relation entre d'une part l'acte du ministère d'huissier en date du 8 juin 2009 et d'autre part la fixation du loyer à sa valeur locative.

Il en résulte que si la faute est reconnue, le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué est formellement contesté et que de ce fait, la créance alléguée apparaît purement hypothétique.

Il résulte de l'ensemble de ces énonciations qu'il existe des menaces sérieuses sur le recouvrement de la créance, de sorte qu'il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de mainlevée de l'inscription de nantissement au profit de Monsieur [O].

Sur l'étendue du nantissement

Aux termes de l'article R 532-9 du code des procédures civiles d'exécution, lorsque la valeur des biens grevés est manifestement supérieur au montant des sommes garanties, le débiteur peut faire limiter par le juge les effets de la sûreté provisoire s'il justifie que les biens demeurant grevés ont une valeur double du montant de ces sommes.

En l'espèce, la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] demande de limiter le nantissement au seul fonds de commerce de la [Adresse 2], dont la valeur a été estimée par Madame [G] à la somme de 1 423 469 euros, le droit au bail étant quant à lui estimé à 2 056 638 euros. Elle ajoute que le nantissement des fonds des établissements secondaires a pour effet de paralyser toute cession et donc toutes démarches consécutives à l'éviction.

Cependant, et comme le relève à bon droit Monsieur [O], nonobstant l'évaluation pratiquée par Madame [G] dans le cadre d'une expertise privée mise en 'uvre non contradictoirement à la demande de la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O], le bilan 2019 de cette société valorise le fonds de commerce de la [Adresse 2] pour un montant de 525 528 euros, inférieur au montant de la créance paraissant fondée en son principe dont se prévaut l'intimé.

Par ailleurs, aux termes de l'article L531-2 du code des procédures civiles d'exécution, les biens grevés d'une sûreté judiciaire demeurent aliénables de sorte qu'en l'espèce, l'inscription d'un nantissement provisoire sur les fonds secondaires n'empêche nullement leur cession.

Il résulte de ces développements que la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] échoue en sa demande de cantonnement des sûretés au seul fonds de la [Adresse 2] et qu'il conviendra de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions.

Sur la demande de dommages et intérêts

Dans la mesure où la décision déférée est confirmée, la demande au titre de l'abus de saisie ne peut prospérer et la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] doit être déboutée de sa demande à ce titre.

La décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages intérêts formée par la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O].

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement déféré quant aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Partie perdante à hauteur d'appel, les appelantes seront condamnées aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche, il sera fait droit à la demande formée par Monsieur [E] [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans la limite de la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME la décision déférée en toutes ses dispositions,

et y ajoutant,

CONDAMNE la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] à payer à Monsieur [O] une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sa Boucherie Charcuterie fine traiteur Frick [O] aux dépens.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 3 a
Numéro d'arrêt : 22/01846
Date de la décision : 20/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-20;22.01846 ?
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