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09/02/2023 | FRANCE | N°22/00394

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 09 février 2023, 22/00394


MINUTE N° 81/2023





























Copie exécutoire à



- Me Dominique HARNIST



- Me Joseph WETZEL



- Me Valérie SPIESER



Le 9 février 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 9 Février 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/00394 - N° Portalis D

BVW-V-B7G-HYFU



Décision déférée à la cour : 07 Janvier 2022 par le président du tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANTE :



La S.A.S. PIVETEAU BOIS exerçant sous l'enseigne 'VIVRE EN BOIS PIVETEAU BOIS', prise en la personne de son représentant légal

a...

MINUTE N° 81/2023

Copie exécutoire à

- Me Dominique HARNIST

- Me Joseph WETZEL

- Me Valérie SPIESER

Le 9 février 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 9 Février 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/00394 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HYFU

Décision déférée à la cour : 07 Janvier 2022 par le président du tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

La S.A.S. PIVETEAU BOIS exerçant sous l'enseigne 'VIVRE EN BOIS PIVETEAU BOIS', prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 3]

représentée par Me Dominique HARNIST, avocat à la cour.

INTIMÉS :

Monsieur [C] [P]

Madame [T] [V] épouse [P]

demeurant tous deux [Adresse 1]

représentés par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour

La S.A.S. BURGER ET CIE venant aux droits de la société Architecture du Bois, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 4]

représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

Plaidant : Me Nukolovska, avocat au barreau de Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame [T] HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Dominique DONATH faisant fonction de greffier

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par M. Franck WALGENWITZ, président et Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [C] [P] et Mme [T] [P] ont commandé auprès de la société Architecture du Bois la réalisation d'une structure en bois, composée de deux terrasses avec un escalier, un cheminement et un éclairage lumineux, pour leur maison d'habitation située [Adresse 2] (67). L'ensemble était composé de lames de bois composite fabriquées et fournies par la société Piveteau Bois. Une pergola était également prévue.

Ces travaux ont donné lieu à une facture d'acompte du 8 octobre 2012 et à une facture définitive du 19 juin 2013, pour un montant total de 15 036,11 euros. Une réception a eu lieu le 24 juin 2013, sans mention de réserve.

Une fusion-absorption est intervenue entre la société Architecture du Bois et la société Burger et Cie, au profit de cette dernière.

Postérieurement à la réception, les époux [P] ont constaté des déformations des lames de bois composite, qui ont donné lieu à des remplacements ponctuels par la société Architecture du Bois, sans résoudre cependant les difficultés.

Suite à la généralisation des désordres, les époux [P] ont fait assigner la société Burger et Cie devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg, sollicitant une expertise judiciaire qui a été ordonnée par décision du 17 juillet 2020, l'expert ayant signé son rapport le 16 mars 2021. Il a conclu que les diverses déformations latérales, longitudinales, en flexion, des lames de bois composite ne provenaient pas d'une cause extérieure, mais de défauts du matériau. Ils affectaient l'installation, provoquant un risque de chute de plain-pied et, par ailleurs, les lames s'allongeant, les parties de crépis en contact avec elles se détérioraient. L'ampleur des désordres rendait nécessaire le changement non seulement de toutes les lames mais aussi du cadre les supportant, et ce dès que possible.

À la suite de cette expertise, les époux [P] ont à nouveau fait assigner la société Burger et Cie devant le juge des référés le 2 septembre 2021, sollicitant sa condamnation à leur verser une provision au titre de la réparation de leur préjudice matériel et une autre au titre de leur préjudice de jouissance, sur le fondement de l'article 1792 du code civil et de l'article 873, subsidiairement 872 du code de procédure civile, invoquant l'urgence à réparer le sinistre, eu égard aux risques de chute pour les personnes, nécessitant une réparation des terrasses sans délai.

Par assignation délivrée le 21 octobre 2021, la société Burger et Cie a attrait la société Piveteau Bois devant le juge des référés du même tribunal, dans le cadre d'un appel en garantie.

Par ordonnance du 7 janvier 2022, le juge des référés du tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg, a ordonné la jonction des deux instances et condamné :

- la société Burger et Cie à régler à M. et Mme [P], à titre de provision, les sommes de 30 568,01 euros et de 3 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'ordonnance,

- la société Piveteau Bois à garantir la société Burger et Cie de toutes les condamnations prononcées à son encontre aux termes de l'ordonnance,

- la société Burger et Cie aux dépens de la demande principale et aux dépens et frais de l'expertise ordonnée par décision du 17 juillet 2020, ainsi qu'à payer à M. et Mme [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la société Piveteau Bois aux dépens de la procédure d'appel en garantie et à payer à la société Burger et Cie la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a rejeté la demande de la société Burger et Cie dirigée contre les époux [P] et la demande de la société Piveteau Bois, présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Rappelant les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, le premier juge a, sur la demande des époux [P] présentée à l'encontre de la société Burger et Cie, considéré que la contestation opposée par cette dernière était dépourvue de sérieux, dès lors que les conditions de mise en jeu de sa responsabilité tenant au bon respect de ses obligations apparaissaient possibles, sur le fondement des régimes de responsabilité contractuelle générale ou particulière issues de la garantie décennale ou de l'obligation de résultat.

Par ailleurs, le montant des préjudices matériels et de jouissance invoqués n'était pas remis en cause et la demande des époux [P] tendant à la condamnation de la société Burger et Cie à prendre en charge les dépens et les frais de l'expertise n'était pas non plus contestée.

Sur l'appel en garantie, le premier juge a relevé l'existence d'un contrat de vente de lames de bois composite fabriquées par la société Piveteau Bois, entre cette dernière et la société Burger et Cie, qui invoquait une contestation sérieuse relative à la prescription de toute action dirigée contre elle depuis le 18 mai 2015 (s'agissant d'une erreur matérielle, la date exacte étant le 28 mai 2015), au motif qu'elle avait reconnu sa responsabilité, s'agissant du vice affectant les lames de bois, le 28 mai 2013.

Il a cependant retenu que le point de départ de l'action résultant des vices rédhibitoires pouvait être reporté à la date de la notification du rapport d'expertise judiciaire, déposé le 16 mai 2021, et rappelé les conclusions de ce rapport sur l'origine exclusive des désordres tenant à la composition des lames non conforme aux spécifications techniques.

De plus, la société Piveteau Bois faisant valoir l'absence de bonne foi de la société Burger et Cie vis-à-vis des époux [P], au motif que celle-ci avait connaissance des vices affectant les lames de bois composite avant la réception, le premier juge a constaté que les époux [P] n'indiquaient pas entendre se prévaloir de la mauvaise foi de cette dernière.

Les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la société Piveteau Bois n'étaient donc pas totalement vouées à l'échec du fait de la prescription d'une action fondée sur les régimes de responsabilité contractuelle générale ou particulière et notamment au titre de la livraison conforme.

La société Piveteau Bois a interjeté appel de cette ordonnance le 24 janvier 2022.

Par ordonnance du 14 février 2022, la présidente de la chambre a fixé d'office l'affaire à l'audience de plaidoirie du 2 septembre 2022, sur le fondement de l'article 905 du code de procédure civile.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions transmises par voie électronique le 11 mai 2022, la société Piveteau Bois sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, que la cour statue ce que de droit quant à la responsabilité éventuelle de la société Burger et Cie venant aux droits de la société Architecture du Bois, en tout état de cause, qu'elle déboute la société Burger et Cie de son appel en garantie et qu'elle condamne les époux [P] ainsi que la société Burger et Cie en tous les dépens de la première instance et de l'appel ainsi qu'à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Piveteau Bois se prévaut de contestations sérieuses justifiant le rejet de l'appel en garantie de la société Burger et Cie, en ce qu'en premier lieu, elle-même ayant reconnu dès le 28 mai 2013 sa responsabilité, à l'origine des vices affectant les lames de bois fabriquées en 2010 et 2011 et vendues en 2012, la société Burger et Cie a commis une faute en posant des lames qu'elle savait affectées d'un vice caché.

En second lieu, l'action susceptible d'être engagée à son encontre est prescrite.

Elle soutient qu'en présence d'une chaîne contractuelle, le maître de l'ouvrage jouit des mêmes droits que la société Architecture du Bois à son encontre et qu'il dispose donc d'une action contractuelle directe fondée sur le vice caché, si bien que les époux [P] devaient agir, du fait de cette chaîne contractuelle, dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice, soit avant le 28 mai 2015, délai largement expiré.

Elle soulève également l'absence d'ouvrage, la terrasse ayant été ajoutée à un ouvrage pré-existant, ainsi que l'absence d'EPERS. De plus, ce n'est pas l'ouvrage principal dans son ensemble qui est rendu impropre à sa destination et à son usage. En conséquence, la responsabilité de la société Burger et Cie et la sienne ne peuvent être engagées sur le fondement des articles 1792 et suivants ou de l'article 1792-4 du code civil, le contrat liant les époux [P] à la société Burger et Cie étant régi par les seuls articles 1787 et suivants du même code.

Elle ajoute que l'action de la société Burger et Cie à son encontre ne peut être fondée que sur le vice caché de l'article 1641 du code civil, qui sanctionne une inaptitude de la chose à son usage normal, ce qui est le cas en l'espèce, l'obligation de conformité reposant sur la notion d'usage convenu.

En tout état de cause, l'action en garantie, même fondée sur le défaut de conformité, ne pourrait être engagée que dans le délai de prescription de droit commun résultant de l'article L 110-4 du code de commerce, dont le point de départ est la date de la vente initiale intervenue en 2010 et 2011.

Par ses conclusions récapitulatives datées du 9 juin 2022, la société Burger et Cie, venue aux droits de la société Architecture du bois, sollicite le rejet de l'appel de la société Piveteau Bois et la confirmation de l'ordonnance déférée en ses dispositions relatives à la jonction des procédures, à la condamnation de la société Piveteau Bois à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre par l'ordonnance déférée, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens de l'appel en garantie et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile entre la société Piveteau Bois et elle-même.

Elle sollicite le rejet de l'intégralité des demandes de la société Piveteau Bois à son égard et la condamnation de cette dernière aux entiers frais et dépens de la procédure ainsi qu'à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle invoque l'absence de contestation sérieuse quant à la responsabilité de la société Piveteau Bois, qui l'a reconnue lors d'une réunion du 28 mai 2013 et dans un courrier du 30 mai 2013, un défaut de fabrication de certains lots de lames de bois de 2010 et 2011 étant le résultat de modifications unilatérales des caractéristiques techniques de ces lames.

Elle soutient que, si la société Piveteau Bois s'était engagée à collecter et remplacer toutes les lames inutilisables et à indemniser les interventions nécessaires, elle n'a pas honoré ses engagements.

La société Burger et Cie invoque précisément un défaut de conformité aux spécifications techniques des lames de bois composite de la société Piveteau Bois, annoncées dans sa notice de pose, s'agissant des qualités essentielles dans ses produits. Or, les déformations majeures des lames constatées sont intrinsèquement liées aux propriétés physiques et mécaniques de ces lames de bois et ces caractéristiques sont entrées dans le champ contractuel ; il s'agissait de spécifications précisément déterminées individualisant ces produits, ce qui conduit à privilégier l'obligation de délivrance conforme vis-à-vis de la garantie des vices cachés.

Elle souligne que la non-conformité du produit suffit à engager la responsabilité de son fournisseur et que, par ailleurs, la société Piveteau Bois a failli à son obligation de résultat, si bien que son appel en garantie à l'égard de cette dernière est non contestable, qu'il soit fondé sur le régime de responsabilité contractuelle générale ou particulière au titre de la livraison conforme.

Affirmant que son action à l'égard de son fournisseur n'est pas prescrite, elle fait également valoir que :

- la reconnaissance, par le débiteur, du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription,

- les échanges versés aux débats par les époux [P] font remonter le sinistre en avril 2017, ce que confirme le rapport d'expertise judiciaire,

- si le fondement de la garantie de vices cachés était retenu, il est admis que le point de départ de cette garantie peut être reporté à la date de la notification du rapport d'expertise judiciaire démontrant l'existence d'un vice, soit en l'espèce le 16 mars 2021,

- s'agissant de l'action fondée sur la délivrance conforme, l'étude relative aux travaux effectués chez les époux [P] date du 19 juillet 2012, la livraison des matériaux étant postérieure à cette date ; ultérieurement, la société Piveteau Bois a reconnu sa responsabilité en 2013 et 2014 et, enfin, elle-même l'a assignée le 24 juillet 2017 aux fins d'indemnisation des désordres affectant notamment les terrasses des époux [P],

- selon la jurisprudence récente de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, la garantie légale des vices cachés ne doit pas nécessairement être mise en 'uvre à l'intérieur du délai de prescription extinctive de droit commun, mais uniquement dans les deux ans de la découverte du vice, sans pouvoir dépasser un délai de 20 ans à compter de la vente.

Enfin, la société Burger et Cie, venant aux droits de la société Architecture du Bois, conteste toute mauvaise foi de sa part, soulignant que la majeure partie des travaux avait été réalisée bien avant la réunion du 28 mai 2013 et que le courrier de la société Piveteau Bois du 30 mai 2013 ne lui a pas permis de connaître l'ampleur des dégâts qu'allaient provoquer les lames de bois, d'autant plus que la société Piveteau Bois a assuré que les difficultés étaient maîtrisées depuis septembre 2012.

De plus, reprenant les motifs de l'ordonnance déférée, elle souligne que la société Piveteau Bois ne peut pas se prévaloir de sa prétendue mauvaise foi, dans le cadre de ses relations avec les époux [P], pour démontrer l'existence d'une contestation sérieuse concernant ses propres relations contractuelles avec elle, l'appelante étant extérieure à cette relation commerciale.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 10 juin 2022, les époux [P] sollicitent le rejet de l'appel de la société Piveteau Bois et la confirmation de l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, ainsi que la condamnation de la société Piveteau Bois, subsidiairement de la société Burger et Cie, aux entiers dépens de la procédure et au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux [P] rappellent qu'ils n'ont eu de liens contractuels qu'avec la société Burger et Cie et qu'il s'agit d'un contrat de louage d'ouvrage, les développements de la société Piveteau Bois sur l'action fondée sur les vices cachés et sur sa prescription étant sans intérêt à leur égard, qui n'agissent que contre leur co-contractant.

De plus, ils indiquent n'avoir eu connaissance de l'étendue de la problématique liée au défaut de nature sérielle affectant les lames de bois et de toutes ses conséquences qu'à compter du 16 mars 2021, date du dépôt du rapport d'expertise judiciaire.

Les époux [P] soutiennent que, compte tenu du risque de chute, l'impropriété à destination est caractérisée et la responsabilité décennale de la société Architecture du Bois, aux droits de laquelle vient désormais la société Burger et Cie, est acquise, les terrasses et cheminements édifiés constituant, par eux-mêmes, des ouvrages, le tout formant un ensemble solidaire et répondant aux critères d'immobilisation, étant indémontables et leur réalisation relevant de technique du bâtiment. Ils invoquent également à ce titre l'importance des travaux, leur coût et l'existence d'un procès-verbal de réception.

Subsidiairement, la responsabilité de la société Burger et Cie resterait engagée sur le fondement contractuel, au titre de son obligation de résultat, sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil.

Sollicitant la confirmation de l'ordonnance déférée sur le montant des provisions allouées au titre de la reprise des désordres et de leur trouble de jouissance, les époux [P] se prévalent de devis actualisés et évoquent une augmentation du coût des travaux à prévoir, ainsi que leur choix de l'entreprise à laquelle ils souhaitent confier les travaux. Ils évoquent l'impossibilité d'utiliser leurs terrasses, dont l'état apparent est catastrophique, et ce depuis au moins quatre ans.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

I ' Sur l'appel en garantie de la société Burger et Cie à l'encontre de la société Piveteau Bois

En application de l'article 835 al.2 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut notamment, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

Il convient de rappeler que, dans la situation présente, l'expert judiciaire a mis en évidence quelques défauts dans l'installation de la terrasse et des cheminements par la société Architecture du bois, s'agissant du positionnement de clips de fixation et de défauts de parallélisme de longerons sur la terrasse. Cependant, il précise que ces défauts ne perturbent pas la pose des lames et ne sont pas la cause de leur déformation.

En revanche, il conclut que les lames Wex fournies par la société Piveteau Bois ne respectent pas les spécifications techniques du constructeur, s'agissant de leur composition, de leur densité et de leur prise en masse, ce qui entraîne des déformations de ces lames qui constituent l'ensemble de la surface du sol et provoque un risque de chute de plain-pied. En outre, les lames s'allongeant, elles détériorent les parties de crépi avec lesquelles elles sont en contact.

L'expert conclut à la nécessité de remplacer toutes les lames, mais aussi le cadre les supportant, qui a vieilli. Il est donc nécessaire de poser une nouvelle structure et, en outre, les impacts de crépi détérioré doivent être réparés.

Il y a lieu de souligner que la société Burger et Cie ne conteste pas sa responsabilité dans les désordres affectant la structure en bois composée de deux terrasses, d'un cheminement et d'un escalier, avec éclairages, installée contre la maison d'habitation des époux [P], et n'a nullement interjeté appel de sa condamnation à leur verser une provision à ce titre, son appel étant limité aux dispositions relatives à son appel en garantie. Les époux [P] eux-mêmes sollicitant la confirmation de l'ordonnance déférée en toutes ses

dispositions, seule la société Piveteau Bois a interjeté appel et sollicite l'infirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions, demandant, s'agissant de la société Burger et Cie, que la cour statue « ce que de droit quant à » sa « responsabilité éventuelle ».

En l'absence de demande d'infirmation de sa propre condamnation par la société Burger et Cie, cette condamnation est définitive, la société Piveteau Bois n'ayant pas elle-même qualité pour obtenir l'infirmation de la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière, quand bien même celle-ci l'a appelée en garantie. En revanche, elle peut invoquer tous les moyens propres à exclure sa garantie, dont il appartient à la cour d'examiner le bienfondé.

A ce titre, sur la prescription des demandes respectives des époux [P] et de la société Burger et Cie, il convient de souligner en premier lieu que les maîtres de l'ouvrage n'ont pas entendu fonder leur action sur la garantie des vices cachés et exercer une action directe contre le fournisseur des lames de bois, mais agir contre la société Burger et Cie, venant aux droits de la société Architecture du bois, avec laquelle ils rappellent avoir conclu un contrat de louage d'ouvrage, sur le fondement de la garantie décennale, et subsidiairement sur la responsabilité contractuelle de cette dernière.

Il en résulte que le moyen tiré de l'expiration du délai d'action sur le fondement de la garantie des vices cachés ne peut constituer une contestation sérieuse de l'obligation de l'appelante à garantir l'entrepreneur dans le cadre du présent litige. Or, à supposer que la structure de bois puisse constituer un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil, le délai de la garantie décennale n'est pas encore écoulé depuis la réception du 24 juin 2013.

S'agissant de leur demande subsidiaire fondée sur la responsabilité contractuelle, à défaut d'ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil, le délai de prescription est de cinq ans à compter de la date à laquelle les maîtres de l'ouvrage ont connu ou auraient dû connaître les faits leur permettant d'exercer leur action, conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil.

Or, il n'est pas démontré que les époux aient eu connaissance de l'ampleur du dommage causé par la non-conformité des lames de bois composite aux spécifications techniques du constructeur avant le dépôt du rapport d'expertise judiciaire signé le 16 mars 2021.

En tout état de cause, c'est seulement au moment de leur lettre recommandée du 2 octobre 2017 adressée à la société Architecture du bois qu'ils ont, manifestement, eu connaissance de l'inefficacité des dernières réparations de leur terrasse effectuées 5 mois plus tôt et ont exprimé la demande d'un remplacement intégral de cette terrasse. Il n'est pas démontré qu'ils aient su avant cette date que ce remplacement s'imposait. Dans une telle hypothèse, le délai de prescription quinquennal applicable aura, de plus, été suspendu par la décision de référé ayant ordonné l'expertise et n'aura recommencé à courir qu'à compter du dépôt du rapport de l'expert. En tout état de cause, il n'est pas démontré que l'action des époux [P] fondée sur la responsabilité contractuelle à l'encontre de l'entrepreneur ait été couverte par la prescription, lors de l'assignation de ce dernier devant le premier juge, le 2 septembre 2021.

S'agissant de l'appel en garantie de la société Burger et Cie à l'encontre de la société Piveteau Bois, il convient de souligner qu'il est fondé, non pas sur la garantie des vices cachés, si bien que le délai d'action de l'article 1641 du code civil n'est pas applicable, mais sur le non-respect de l'obligation de délivrance, du fait de la non-conformité de la composition de ces lames aux spécifications techniques de son fournisseur, dont elle fait valoir qu'elles sont entrées dans le champ contractuel, ce que confirment les pièces produites. Le délai de prescription de cet appel en garantie est donc régi par les dispositions de l'article L.110-4 du code de commerce, selon lesquelles les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans.

Or, selon une jurisprudence constante de la 3ème chambre de la Cour de cassation, ce délai est suspendu jusqu'au jour où la responsabilité de l'entrepreneur lui-même est recherchée par le maître de l'ouvrage.

De plus, même sans appliquer cette jurisprudence et à supposer que la réunion du 28 mai 2013 ait pu permettre à la société Burger et Cie de connaître l'intégralité des faits lui permettant de l'exercer, la prescription de l'action en garantie de l'entrepreneur à l'égard de son fournisseur a nécessairement été interrompue par l'introduction de son action contre cette dernière devant le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon, en application de l'article 2241 du code civil.

La société Architecture du bois, aux droits de laquelle vient la société Burger et Cie, a en effet saisi cette juridiction, par une assignation délivrée le 24 juillet 2017, d'une action en dommages et intérêts fondée à titre principal sur le manquement à son obligation de délivrance pour défaut de conformité et elle incluait notamment le « sinistre » relatif au chantier des époux [P].

Il résulte de ces éléments qu'aucune contestation sérieuse ne peut être tirée de l'écoulement de la prescription de l'action de la société Burger et Cie à l'encontre de la société Piveteau Bois.

Par ailleurs, il convient de souligner que l'appelante ne fournit aucun élément de nature à établir la faute qu'elle impute à la société Burger et Cie, s'agissant de la pose des lames en connaissance de cause de leur défaut de fabrication, dans la mesure où elle ne démontre pas que cette dernière ait su, avant la pose des lames de bois litigieuses, que celles-ci étaient affectées d'un vice. Ces lames lui ont en effet été vendues en 2012, où l'aménagement de la structure de bois a été commandé par les époux [P] auprès de la société Architecture du bois et facturé par cette dernière, ayant effectivement été installé en 2012 d'après les différents courriels de M. [P]. Or, l'information sur les défauts affectant ces lames a été donnée par la société Piveteau Bois à l'entrepreneur lors d'une réunion du 28 mai 2013, soit moins d'un mois avant la réception des travaux par les maîtres de l'ouvrage. Les travaux étaient alors achevés ou sur le point de l'être. En conséquence, aucune contestation sérieuse de la garantie susceptible d'être due par la société Piveteau Bois à la société Burger et Cie ne peut être constituée par le moyen tiré de la faute de la société Architecture du bois invoquée dans la pose des lames de composite qu'elle lui avait fournies.

Dès lors, il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus qu'en l'absence de contestation sérieuse démontrée de la part de la société Piveteau Bois, l'ordonnance déférée doit être confirmée en la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière à garantir la société Burger et Cie de toutes les condamnations prononcées à son encontre par la dite ordonnance, comme elle doit l'être de la condamnation principale de l'entrepreneur.

II - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

L'ordonnance déférée étant confirmée en ses dispositions principales, elle le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens de première instance.

De plus, l'appel principal de la société Piveteau Bois étant rejeté, celle-ci assumera les dépens d'appel. Dans ces circonstances, sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens engagés en appel, sera donc rejetée, tandis qu'elle devra régler la somme de 2 000 euros au même titre et sur le même fondement, d'une part aux époux [P] et d'autre part à la société Burger et Cie.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue entre les parties par le juge des référés du tribunal judiciaire de Strasbourg le 7 janvier 2022,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Piveteau Bois aux dépens d'appel,

REJETTE la demande de la SAS Piveteau Bois, exerçant sous l'enseigne "Vivre en bois Piveteau Bois", présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en appel,

CONDAMNE la SAS Piveteau Bois, exerçant sous l'enseigne "Vivre en bois Piveteau Bois", à payer à M. [C] [P] et Mme [T] [P] la somme de 2 000,00 (deux mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que ces derniers ont engagés en appel,

CONDAMNE la SAS Piveteau Bois, exerçant sous l'enseigne "Vivre en bois Piveteau Bois", à payer à la SAS Burger et Cie la somme de 2 000,00 (deux mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que cette dernière a engagés en appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 22/00394
Date de la décision : 09/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-09;22.00394 ?
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