n° minute : 13/2023
Copie exécutoire à :
- Me Claus WIESEL
- Me Mathilde SEILLE
Le 8 février 2023
La Greffière,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE DES URGENCES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
N° RG 23/00002 - N° Portalis DBVW-V-B7H-H7KO
mise à disposition le 8 Février 2023
Dans l'affaire opposant :
M. [F] [C]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Claus WIESEL, avocat à la cour
- partie demanderesse au référé -
SARL L'AME DU SAVON D'ALEP
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Mathilde SEILLE, avocate à la cour
plaidant : Me BOCHKARYOVA, avocate au barreau de Strasbourg
- partie défenderesse au référé -
Nous, Pascale BLIND, présidente de chambre à la cour d'appel de Colmar, agissant sur délégation de Madame la première présidente, assistée lors des débats et de la mise à disposition de la décision de Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, après avoir entendu, en notre audience publique de référé du 18 Janvier 2023, les avocats des parties en leurs conclusions et observations et avoir indiqué qu'une décision serait rendue ce jour, statuons publiquement, par mise à disposition d'une ordonnance contradictoire, comme suit :
Suivant contrat du 5 septembre 2022, Monsieur [F] [C] a donné à bail commercial à la SARL L'âme du savon d'Alep des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 3], avec effet au 1er septembre 2022.
Au cours d'un rendez-vous en date du 17 octobre 2022, Monsieur [C] a notifié au locataire la résiliation immédiate du contrat de bail et ensuite confirmé cette résiliation par lettre recommandée du 18 octobre 2022 reçue par le locataire le 19 octobre 2022. Les serrures des locaux loués ont été changées.
Par ordonnance du 25 novembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Strasbourg, statuant en matière de référé d'heure à heure, saisi d'une demande de la SARL L'âme du savon d'Alep tendant à être autorisée à accéder aux locaux loués, et considérant que l'existence de l'obligation de délivrance des locaux excédait ses pouvoirs, a dit n'y avoir lieu à référé.
Par acte du 29 novembre 2022, la SARL L'âme du savon d'Alep a assigné Monsieur [C] devant le tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins de voir juger nulle et de nul effet la notification de la résiliation du bail et d'ordonner l'évacuation des locaux ainsi que le changement de serrure.
En réplique, Monsieur [C] a sollicité que le tribunal constate la validité de la résiliation du bail, condamne le preneur au paiement des loyers ainsi que l'indemnité résultant de la clause pénale, subsidiairement, prononce la résiliation du bail et condamne le preneur au paiement des loyers et de l'indemnité résultant de la clause pénale, infiniment subsidiairement, écarte l'exécution provisoire, octroie des dommages et intérêts en lieu et place de l'exécution forcée du contrat et condamne le preneur au paiement des loyers.
Par jugement contradictoire du 13 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
- dit que le congé délivré par Monsieur [F] [C] à la SARL L'âme du savon d'Alep les 17 et 18 octobre 2022 est nul
- condamné la SARL L'âme du savon d'Alep à payer à Monsieur [F] [C] la somme de 5 660,20 euros HT au titre des loyers dus pour la période du 5 septembre au 17 octobre 2022
- débouté Monsieur [C] de l'intégralité de ses prétentions pour le surplus
- débouté la SARL L'âme du savon d'Alep de ses prétentions concernant la prise de possession des locaux
- condamné Monsieur [C] aux dépens, y compris ceux de la procédure de référé d'heure à heure, ainsi qu'à payer à la SARL L'âme du savon d'Alep la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision.
Monsieur [C] a interjeté appel de ce jugement, par déclaration du 22 décembre 2022.
Par acte délivré le 6 janvier 2023, Maître [F] [C] a fait assigner en référé devant le premier président de la cour d'appel de Colmar la SARL L'âme du savon d'Alep aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article 514-3 du code de procédure civile, l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 13 décembre 2022, la condamnation de la défenderesse aux dépens ainsi qu'à lui payer le montant de 1 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de son assignation, reprise à l'audience, Monsieur [C] soutient qu'il dispose de moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision de première instance dès lors que le tribunal n'a pas analysé les conditions d'application de l'article 1226 du code civil, sur lequel était fondée la résiliation, alors que les deux parties en débattaient, de sorte que l'exigence de motivation prévue à l'article 455 du code de procédure civile n'a pas été respectée et que la nullité du jugement est encourue.
Il soutient que l'article 1226 s'applique aux baux commerciaux et qu'en l'espèce était réunie la condition d'urgence permettant de résilier le bail sur le fondement de cette disposition, compte tenu de l'abandon total du bail par le locataire, son refus de prendre possession des lieux, de les soumettre aux travaux qu'il avait lui-même promis, de sécuriser le site, d'assurer les locaux, de verser le dépôt de garantie, de payer les loyers etc.
Monsieur [C] affirme également que sa demande subsidiaire de résiliation judiciaire du bail était bien fondée au regard des manquements du locataire qui notamment avait lui-même admis que les aménagements à réaliser étaient à sa charge et qu'il avait refusé de payer les loyers avant la fin des travaux.
Sur le risque de conséquences manifestement excessives, Monsieur [C] expose que toute exécution forcée du bail, avec la réalisation de travaux, créerait une situation irréversible, en cas d'infirmation du jugement, notamment pour le bailleur qui pourrait être amené à financer leur substitution en cas d'arrivée d'un nouveau locataire de bonne foi et solvable. Il fait également valoir qu'une installation de force du locataire qui refuse de payer les loyers et les charges tant que les travaux, qu'il n'entreprend pas ou qu'il peut faire durer éternellement, ne sont pas achevés, lui ferait supporter un dommage difficilement indemnisable en cas de déconfiture de ce dernier.
Monsieur [C] souligne également le fait que sa demande de fixation de l'affaire au fond à jour fixe a été acceptée mais que la date fixée au mois de juin est trop lointaine.
Aux termes de ses écritures du 10 janvier 2023, soutenues à l'audience, la SARL L'âme du savon d'Alep conclut au rejet de la demande, à la condamnation de Monsieur [C] aux dépens et au paiement d'une somme de 5 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La défenderesse conteste l'existence d'un motif sérieux d'annulation ou de réformation du jugement en soutenant que l'article 1226 du code civil n'est pas applicable au bail commercial, soumis au statut d'ordre public spécial et comportant comme en l'espèce des modalités spécifiques de résiliation, à savoir une clause résolutoire.
Elle estime par ailleurs que le tribunal a parfaitement motivé sa décision en tranchant le litige conformément aux règles de droit applicables. Elle ajoute que le moyen tiré de l'absence de motivation n'est pas sérieux, dès lors que l'annulation éventuelle du jugement sur ce fondement n'empêche pas l'effet dévolutif de l'appel de se produire.
S'agissant de la demande subsidiaire de résiliation judiciaire du bail commercial, la SARL L'âme du savon d'Alep soutient que la réalisation des travaux dans les locaux n'a jamais été érigée par les parties en condition essentielle de la conclusion du bail et de la poursuite du bail, le bailleur ayant simplement accordé au preneur une franchise de loyer jusqu'au 15 novembre 2022, date à laquelle l'aménagement des locaux devait être terminé et que rien n'obligeait le preneur à réaliser ces travaux.
La SARL L'âme du savon d'Alep ajoute que si les manquements ont cessé à la date à laquelle le juge prend sa décision, la demande en résiliation judiciaire peut être écartée, ainsi qu'en a jugé le tribunal.
Sur les conséquences manifestement excessives, la défenderesse rappelle que le premier juge n'a pas ordonné la réintégration du preneur dans les locaux, qu'elle ne peut donc pas s'installer « de force » dans les locaux, et que la seule condamnation réellement prononcée par le tribunal à l'encontre de Monsieur [C] porte sur les dépens et le paiement d'une indemnité de procédure, frais que le demandeur ne justifie pas être dans l'impossibilité de payer.
SUR QUOI
L'instance devant le tribunal judiciaire de Strasbourg ayant été introduite en novembre 2022, il convient d'une part de constater que la décision de première instance est de droit exécutoire à titre provisoire, et d'autre part de faire application de l'article 514-3 du code de procédure civile, tel qu'issu du décret n° 2019 -1333 du 11 décembre 2019.
Aux termes de cet article, en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de droit de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
D'autre part, ce même article dispose en son alinéa 2 que la demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
En l'espèce, Monsieur [C] avait expressément sollicité que le tribunal écarte l'exécution provisoire en invoquant les conséquences manifestement excessives qui résulteraient d'une telle disposition.
Sa demande fondée sur l'article 514-3 précité est donc recevable.
Par ailleurs, pour être retenu, le risque de conséquences manifestement excessives suppose la preuve d'un préjudice irréparable et d'une situation irréversible en cas d'infirmation.
En l'espèce, il est constant que le preneur a été débouté par le tribunal de ses demandes relatives à la prise de possession des locaux.
Certes, il résulte des correspondances échangées entre les parties que la SARL L'âme du savon d'Alep a procédé, après le jugement du 13 décembre 2022, à diverses démarches et sommations pour obtenir la libération des locaux à son profit.
A supposer qu'il existe un risque qu'elle parvienne à ses fins avant l'arrêt de la cour statuant à la suite de l'audience fixée au mois de juin 2023, Monsieur [C] n'établit pas l'existence de conséquences manifestement excessives au sens de l'article 514-3, précité.
En effet, compte tenu de leur nature, les travaux projetés de rénovation, d'embellissement ou de rafraîchissement tels qu'ils résultent de la lettre de mission de l'architecte du 25 août 2022 et de son écrit du 17 novembre 2022, ne permettent pas de retenir l'existence d'un préjudice irréparable pour le bailleur, en cas d'infirmation du jugement, ce d'autant que Monsieur [C] n'a à aucun moment invoqué sa situation financière, ni produit aucun justificatif de revenus, pour démontrer que ses facultés de paiement ne lui permettraient pas de faire face aux conséquences financières de la réalisation de travaux inadaptés à une nouvelle location.
Il en est de même pour les conséquences financières de la réintégration du locataire dans les locaux, alors que celui-ci ne s'acquitterait pas des loyers, comme le craint Monsieur [C].
S'agissant des condamnations pécuniaires au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile, représentant un montant de l'ordre de 6 000 euros, Monsieur [C] ne les évoque pas et la partie adverse justifie avoir, par une correspondance officielle de son conseil du 21 décembre 2022, proposé la compensation des créances respectives.
Enfin, le demandeur qui se contente d'émettre une hypothèse à cet égard n'explicite ni, a fortiori, n'établit le risque évoqué de « déconfiture » de la SARL L'âme du savon d'Alep.
De l'ensemble de ces éléments, il résulte que Monsieur [C] n'a pas justifié d'un risque de conséquences manifestement excessives attachées à l'exécution provisoire du jugement du 13 décembre 2022.
Sa demande sera donc rejetée, les conditions posées à l'article 514-3 du code de procédure civile étant cumulatives.
La présente procédure étant étroitement liée à la procédure au fond dont l'issue est incertaine, chaque partie supportera ses propres dépens et il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre d'entre elles.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Déclarons la demande de Monsieur [F] [C] recevable ;
Rejetons la demande de Monsieur [F] [C] tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu le 13 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg ;
Rejetons les demandes respectives des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons chaque partie à supporter ses propres dépens.
La greffière, La présidente,