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03/02/2023 | FRANCE | N°21/00641

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 03 février 2023, 21/00641


MINUTE N° 59/2023





























Copie exécutoire à



- Me Joseph WETZEL



- Me Claus WIESEL





Le 03/02/2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 3 FEVRIER 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00641 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPUZ



©cision déférée à la cour : 05 Janvier 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANT et intimé sur incident :



Monsieur [X] [L]

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour.





INTIMÉE et appelante sur incident :



La société ...

MINUTE N° 59/2023

Copie exécutoire à

- Me Joseph WETZEL

- Me Claus WIESEL

Le 03/02/2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 3 FEVRIER 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00641 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPUZ

Décision déférée à la cour : 05 Janvier 2021 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANT et intimé sur incident :

Monsieur [X] [L]

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour.

INTIMÉE et appelante sur incident :

La société GRÜN GBR GARTEN UND LANDSCHAFTSBAU prise en la personne de son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Claus WIESEL, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Mme Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 24 novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Selon devis du 22 août 2013 M. [X] [L] a confié à la société de droit allemand Grün Gbr l'aménagement paysager de sa propriété pour un montant total de 119 796.61 euros TTC, avec application du taux de TVA allemand de 19 %.

Les travaux ont été réalisés au printemps 2014. Se plaignant d'un abandon de chantier, d'une surfacturation et de la non-conformité des prestations fournies s'agissant de l'enrochement qui était prévu en basalte et avait été réalisé en pierres calcaires, M. [L] a saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg d'une demande d'indemnisation de son préjudice, selon exploit du 13 octobre 2015.

Par jugement du 14 juin 2017, le tribunal a dit que la loi française était applicable au litige, et a invité les parties à conclure sur la nécessité d'une expertise. Cette mesure a été ordonnée par le juge de la mise en état, le 10 janvier 2018, qui a désigné Mme [U], expert judiciaire.

Cette dernière a déposé son rapport le 3 août 2018.

Par jugement du 5 janvier 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire a :

- prononcé la résolution du contrat liant les parties,

- condamné la société Grün Gbr à payer à M. [L] les sommes de :

* 16 114,77 euros au titre de la perte de chance de modifier son projet,

* 12 120,34 euros au titre du surcoût pour achever les travaux,

* 6 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

avec les intérêts au taux légal à compte de la décision et capitalisation des intérêts,

- condamné M. [L] à payer à la société Grün Gbr la somme de 36 226,99 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2015,

- condamné la société Grün Gbr aux dépens incluant les frais d'expertise et de traduction ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Pour rejeter la demande de condamnation de la société Grün Gbr au paiement d'une somme de 139 200 euros hors taxes au titre de la mise en conformité du mur de soutènement fondée sur la garantie légale de conformité prévue par les articles L.211-1 et suivants du code de la consommation, le tribunal a retenu que les parties étaient liées par un contrat d'entreprise et non de vente.

Il a ensuite considéré qu'il s'agissait d'un marché au métré, que la société Grün Gbr avait manifestement sous-estimé les prestations à réaliser puisqu'à l'arrêt du chantier était constatée une plus-value de 32 229,54 euros, représentant une majoration de plus de '61 %' de son devis, attribuée par l'expert à un défaut d'appréciation de l'entreprise, le devis ayant été établi dans l'improvisation. Le tribunal a retenu qu'en l'absence de maître d'oeuvre, la société Grün Gbr était tenue d'une obligation de conseil renforcée à l'égard du maître de l'ouvrage

profane, que le préjudice subi par M. [L] du fait de ce manquement équivalait à une perte de chance de 50 % d'avoir pu modifier son projet, et lui a alloué en conséquence 50 % du dépassement budgétaire.

Le tribunal a considéré que la société Grün Gbr, qui n'avait pas mis en demeure M. [L] de régler les factures impayées, avait abandonné le chantier au mois d'août 2014, ce qui justifiait la résolution du contrat, et que la résolution n'entraînait pas l'anéantissement rétroactif du contrat, de sorte que la société Grün Gbr devait indemniser M. [L] à concurrence du surcoût qu'il aura à supporter pour l'achèvement de travaux, soit la somme de 12 120,34 euros.

Il a ensuite retenu que M. [L] ne pouvait demander indemnisation au titre d'un préjudice d'agrément subi par ses parents, et lui a alloué 6 000 euros à ce titre pour son préjudice personnel, rejetant les demandes d'indemnisation au titre d'un préjudice d'anxiété et de dommages causés en cours de chantier en l'absence de preuve de leur imputabilité à la société Grün Gbr.

Le tribunal a enfin considéré que la société Grün Gbr était fondée à réclamer paiement du solde des travaux exécutés dont la mauvaise exécution n'était pas démontrée.

M. [L] a interjeté appel de ce jugement, le 22 janvier 2021, en toutes ses dispositions, sauf celles relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 7 décembre 2021.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 15 octobre 2021, M. [L] demande à la cour de :

A titre principal,

- constater la non-conformité des blocs livrés aux blocs rocheux figurant sur le devis ;

- constater l'existence d'un désordre sur le plan de la solidité et de la durabilité de l'ouvrage ;

En conséquence,

- infirmer le jugement du 5 janvier 2021 en ce qu'il déboute M. [L] de sa demande de condamnation de la société Grün Gbr au paiement de la somme de 139 200 euros TTC au titre de la mise en conformité et de l'achèvement des travaux ;

et, statuant à nouveau,

- condamner la société Grün Gbr à payer à M. [L] la somme de 139 200 euros HT au titre de la mise en conformité et de l'achèvement des travaux ;

à titre subsidiaire,

- constater la sous-évaluation initiale des quantités et temps de main d''uvre ;

- infirmer le jugement du 5 janvier 2021 en ce qu'il condamne la société Grün Gbr à payer à M. [L] la somme de 12 120,34 euros au titre du surcoût pour achever les travaux ;

En conséquence, et statuant à nouveau de ce chef,

- condamner la société Grün Gbr à payer à M. [L] la somme de 79 320,34 euros au titre du surcoût pour achever les travaux ;

Sur demande complémentaire :

- infirmer le jugement en ce qu'il condamne la société Grün Gbr à payer à M. [L] la somme de 16 114,27 euros au titre de la perte de chance de modifier son projet ;

et, statuant à nouveau,

- condamner la société Grün Gbr à payer à M. [L] la somme de 32 229,54 euros en réparation du préjudice résultant de la sous-estimation du devis et de la perte de chance de modifier son projet ;

Sur l'appel incident,

- rejeter la demande de condamnation de M. [L] au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- débouter la société Grün Gbr de l'ensemble de ses fins et prétentions ;

En tout état de cause,

- infirmer le jugement en ce qu'il condamne la société Grün Gbr à payer à M. [L] la somme de 6 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- infirmer le jugement en ce qu'il déboute M. [L] de ses demandes de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété et des frais de remise en état des installations ou équipements détruits ou abîmés à l'occasion des travaux de pelleteuse ;

- infirmer le jugement en ce qu'il condamne M. [L] à verser à la société Grün Gbr la somme de 36 226,99 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2015 ;

et statuant à nouveau,

- condamner la société Grün Gbr à payer à M. [L], la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice d'agrément ;

- condamner la société Grün Gbr à payer à M. [L] la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété ;

- condamner la société Grün Gbr à payer à M. [L], la somme de 5 000 euros au titre des frais de remise en état des installations et équipements détruits ou abîmés à l'occasion des travaux de pelleteuse ;

Sur les frais et intérêts,

- dire et juger que les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et en ordonner la capitalisation en application de l'article 1154 du code civil ;

- condamner la société Grün Gbr à payer à M. [L], la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel, outre les dépens.

Au soutien de son appel, M. [L] rappelle qu'il a été définitivement jugé que la loi française était applicable, et considère que c'est à tort que le tribunal a écarté les règles du droit de la consommation et la garantie légale de conformité de l'article L.217-4 de ce code. Il estime en effet que le contrat doit être analysé en un contrat mixte de vente et d'entreprise, dès lors que le coût de la fourniture excède celui de la pose, et qu'il convient d'appliquer les règles réagissant ces deux types de contrat de manière distributive.

Ainsi, s'agissant de la fourniture des roches, la société Grün Gbr intervenait en qualité de vendeur et s'était engagée à fournir des pierres de basalte, roche magmatique de couleur noire avec des stries blanches, or elle a livré des pierres calcaires y ressemblant. Il estime avoir été victime d'une tromperie, les pierres livrées étant impropres à l'usage auquel elles sont destinées, à savoir la réalisation d'un mur de soutènement, car elles s'effritent et se fissurent sous l'effet du gel, ce phénomène ne pouvant que s'aggraver au fil du temps. Au regard des caractéristiques respectives des deux types de pierre, il considère que le basalte était plus approprié à l'utilisation souhaitée, et que le mur réalisé présente un risque réel pour la sécurité des occupants de la maison. Il estime être fondé, en application de l'article L.271-8 du code de la consommation, à exiger le coût de réparation du mur.

Il reproche également à la société Grün Gbr d'avoir abandonné le chantier au bout de quatre mois alors que les travaux n'étaient pas terminés et d'avoir mal apprécié les quantités, contestant avoir signé les bons de livraison.

M. [L] indique qu'au 16 août 2014 il avait réglé plus de la moitié du montant du devis, de sorte que le non-paiement des factures ne peut justifier l'abandon du chantier. Par ailleurs il n'a pas été informé de la nécessité de quantités supplémentaires et aucun relevé n'a été effectué sur place comme cela été prévu au devis. Il estime que la facturation est totalement aléatoire et fantaisiste, et sans commune mesure avec le devis accepté, et conteste les montants facturés qui ne correspondent pas aux travaux effectivement réalisés.

Il estime que le tribunal a mal apprécié son préjudice, que le surcoût qu'il supporte au titre de l'achèvement des travaux incluant le remplacement des pierres de calcaire s'élève à la somme totale de 79 320,34 euros, et que le préjudice résultant de la sous-estimation du devis et de la perte de chance de modifier son projet justifie l'allocation de la somme de 32 229,54 euros. Il conteste par ailleurs devoir paiement d'un solde au titre des travaux réalisés.

S'agissant du préjudice d'agrément, il fait valoir que le terrain de ses parents constituant la seule voie d'accès à sa propriété pour les engins et camions de chantier, ces derniers ne peuvent aménager leur propriété tant que les travaux réalisés chez lui ne sont pas achevés, or les deux terrains sont en état de chantier permanent depuis sept ans, ce qui l'empêche, ainsi que ses parents, de jouir paisiblement de leurs biens, voire simplement de réaliser enfin l'accès à l'entrée principale de leur maison.

Il sollicite également indemnisation au titre d'un préjudice d'anxiété, résultant de la crainte de vivre sous la menace permanente de l'effondrement de sa maison du fait de l'instabilité des enrochements, contestant sur ce point les conclusions de l'expert. Compte tenu de ce risque, et du fait que la société Grün Gbr est intervenue en qualité de vendeur s'agissant de la fourniture des roches que M. [L] a commandées sur son catalogue, elle devra être condamnée au paiement de la somme de 139 200 euros au titre de la mise en conformité, ce montant correspondant au coût de remise en état chiffré par l'expert.

Aux termes de ses écritures transmises par voie électronique le 16 juillet 2021, la société Grün Gbr demande à la cour de rejeter l'appel, de déclarer M. [L] irrecevable, et en tous cas mal fondé dans l'ensemble de ses chefs de prétentions, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [L] à lui verser la somme totale de 36 226,99 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2015, infirmer pour le surplus la décision entreprise, et statuant à nouveau :

- débouter M. [L] de l'ensemble de ses fins et prétentions,

- le condamner à verser à la société Grün Gbr une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de sa résistance abusive au règlement des factures restant dues, et de manière générale en indemnisation des différents préjudices occasionnés à la société Grün Gbr ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise judiciaire,

- le condamner au versement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Grün Gbr conteste tout abandon fautif du chantier, indiquant que M. [L] s'est opposé à ce qu'elle reprenne ses travaux après ses congés annuels en août 2014, car il souhaitait vérifier l'ensemble des documents et en particulier les bons de livraison et les décomptes, avant de donner son autorisation pour la poursuite du chantier, et qu'il ne s'est plus manifesté par la suite, refusant de payer deux factures provisionnelles

S'agissant des facturations supplémentaires, elle invoque la mauvaise qualité du sol et la nécessité de le stabiliser que n'ignorait pas M. [L] qui était de façon quasi permanente sur le chantier, ainsi que l'accord verbal du maître de l'ouvrage pour la commande de tonnes de pierres supplémentaires et l'augmentation corrélative du nombre d'heures de main d'oeuvre soulignant que ce dernier ne s'est jamais opposé aux livraisons. Elle soutient qu'il s'agissait au départ d'un devis estimatif qui a été adapté en fonction de l'évolution du chantier.

Elle conteste les reproches faits par l'expert quant au caractère sommaire et imprécis de son projet, qu'elle impute à l'insuffisance des éléments fournis par M. [L] qui a été parfaitement informé des nécessités du chantier au fur et à mesure. Elle soutient qu'il appartiendra à la cour de déterminer si la condamnation au solde dû au titre de ses travaux doit intervenir sur le fondement de l'enrichissement sans cause ou sur le fondement contractuel du devis et du dépassement de devis légitime.

La société Grün Gbr soutient que, contrairement aux affirmations de M. [L], l'enrochement, respectivement le parement du tombant en pierres naturelles qui a été mis en place n'est nullement constitué de pierres de basse qualité, mais de pierres naturelles de couleur sombre avec un veinage blanc, qui avaient été choisies par M. [L] lorsqu'il les a vues au dépôt, de sorte qu'il ne peut se prévaloir d'une tromperie, et ce d'autant moins qu'il a signé les bons de livraison mentionnant le type de pierre.

Elle réfute toute infraction à la garantie légale de conformité des articles L.211-4 et suivants du code de la consommation, qui n'a pas à s'appliquer au litige puisque la loi allemande serait applicable et qu'il ne s'agit pas d'un contrat de vente. Elle soutient que les pierres mises en oeuvre sont résistantes à l'eau et au gel ainsi qu'aux variations climatiques et de températures, et sont, d'un point de vue physique et mécanique, conformes à l'usage auquel elles étaient destinées, ce qu'a confirmé l'expert judiciaire, ajoutant que le coût indiqué dans le devis est celui des pierres calcaires, le coût des pierres basaltiques étant nettement supérieur.

Elle conteste les autres chefs de préjudice allégués, notamment le préjudice d'anxiété en l'absence de risque d'effondrement, et demande que M. [L] soit condamné au paiement du solde des travaux, outre des dommages et intérêts pour résistance abusive.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

À titre liminaire, il sera d'une part rappelé qu'il a été jugé de manière définitive que le contrat était soumis à la loi française, et d'autre part relevé qu'aucune des parties ne demande l'infirmation du jugement en tant qu'il a prononcé la résolution du contrat liant les parties, ce chef du jugement étant désormais définitif.

Il sera enfin observé que les pièces rédigées en langue allemande produites de part et d'autre ne pourront être prises en considération qu'autant qu'elles sont accompagnées d'une traduction.

Sur la qualification du contrat et la garantie légale de conformité

Pour demander la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement d'une somme de 139 200 euros hors taxes au titre de la mise en conformité du mur de soutènement, fondée sur les dispositions de l'article L.211-4 du code de la consommation dans sa version applicable au litige, M. [L] soutient que le contrat prévoyant la fourniture et la pose des roches est un contrat mixte et que les règles de la vente doivent recevoir application s'agissant de la prestation de fourniture.

Conformément à l'article L.211-4, ancien du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, : 'le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.'

Comme l'a rappelé le tribunal, ces dispositions ne s'appliquent toutefois qu'aux contrats de vente de biens meubles corporels, auxquels sont assimilés les contrats de fourniture de biens meubles à fabriquer ou à produire, en application de l'article L.211-1, ancien du même code.

La vente, définie à l'article 1582, alinéa 1er, du code civil, est le contrat par lequel la propriété d'une chose est transférée à un acquéreur en contrepartie d'une somme d'argent, alors que le contrat d'entreprise, défini à l'article 1787 du même code, est la convention par laquelle une personne s'engage moyennant rémunération à exécuter un travail de façon indépendante, le contrat d'entreprise se caractérisant par le fait que, contrairement au contrat de vente, il porte sur un travail spécifique pour les besoins d'un donneur d'ordre.

En l'occurrence, les travaux confiés à la société Grün Gbr selon le devis du 22 août 2013 consistaient en un réaménagement de jardin comprenant des travaux de terrassement, la réalisation d'un mur de soutènement en monolithes, ainsi que la construction d'allées, d'une cour et de murets de retenue. En considération de la nature de ces travaux qui portent sur un travail spécifique pour les besoins du donneur d'ordre, le contrat liant les parties s'analyse en un contrat d'entreprise, comme l'a exactement retenu le tribunal, la seule fourniture de blocs erratiques en basalte destinée à la réalisation du mur de soutènement ne pouvant conduire à qualifier le contrat de mixte pour soumettre la prestation de fourniture aux règles applicables à la vente.

Par voie de conséquence, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de M. [L] en paiement de la somme de 139 200 euros en tant que formée sur ce fondement légal.

Sur la demande au titre du surcoût pour achever les travaux

Ainsi que cela été relevé précédemment, la disposition du jugement ayant prononcé la résolution du contrat n'est pas frappée d'appel.

Il n'est pas non plus discuté que la résolution du contrat n'entraîne pas son anéantissement rétroactif et n'implique pas la remise en état des parties dans leur état antérieur mais un apurement de la situation des parties par équivalent.

Pour évaluer à 12 120,34 euros le surcoût lié à l'achèvement des travaux, le tribunal a relevé que la société Grün Gbr avait facturé des travaux à hauteur de 92 146,49 euros, que le coût des travaux d'achèvement avait été chiffré par l'expert a 72 000 euros, soit un coût total des travaux de 164 146,49 euros, dont à déduire le montant initial du devis, à savoir 119 796,61 euros, et les plus-values facturées par la société Grün Gbr, soit 32 229,54 euros.

Pour solliciter la somme de 79 320,34 euros, M. [L] déduit le montant cumulé du devis initial et des plus-values - 119 796,61 + 32 229,54 euros - de la somme de 231 346,49 euros correspondant au montant total facturé par la société Grün Gbr - 92 146,49 euros - augmenté du coût des travaux de mise en conformité incluant le remplacement des pierres - 139 200 euros -.

Il fait valoir en outre que la société Grün Gbr aurait facturé des prestations non réalisées, sans pour autant en tirer de conséquences dans le calcul auquel il procède, aucune déduction n'étant opérée à ce titre. En tout état de cause, cette contestation n'apparaît pas fondée puisque la facture du 27 janvier 2015 ne mentionne pas la pose de pavés ni de plantations contrairement à ce que prétend l'appelant. Il en est de même s'agissant du taux de TVA, le devis initial prévoyant l'application du taux de TVA allemand de 19 %.

L'expert judiciaire a constaté une différence considérable de quantités entre les factures émises et le devis à hauteur de 32 229,54 euros toutes taxes comprises, que selon lui rien ne permettait de justifier.

La société Grün Gbr conteste la déduction opérée et toute faute de sa part dans l'estimation du coût des travaux.

L'expert judiciaire indique qu'un tel surcoût ne peut être justifié par des imprévus sur la nature du sol, soulignant à cet égard que la maison étant en cours de construction, l'entrepreneur pouvait se rendre compte de la nature du sol dans l'emprise de la maison ce qui donnait déjà une bonne indication sur la nature du terrain.

Sur ce point la société Grün Gbr ne peut utilement soutenir que le maître de l'ouvrage connaissait parfaitement la nature du sol et la nécessité de stabiliser la pente pour justifier les dépassements appliqués. En effet, si M. [L], maître de l'ouvrage profane, avait cette connaissance, l'intimée qui est un professionnel l'avait nécessairement aussi et devait dès lors en tenir compte dans la détermination des travaux à réaliser.

L'expert judiciaire souligne par ailleurs que rien n'indique que des changements susceptibles de modifier les quantités dans de telles proportions aient été opérés, et retient un défaut d'appréciation de la société Grün Gbr dont le projet était insuffisamment précis.

Le seul fait qu'il s'agisse d'un marché aux métrés n'est en effet pas en lui-même susceptible de justifier une telle augmentation des quantités mises en oeuvre et corrélativement de la main d'oeuvre, le premier juge ayant justement retenu que cette augmentation excédait la marge de tolérance généralement admise dans ce type de marché.

La société Grün Gbr ne peut pas arguer par ailleurs d'un accord du maître de l'ouvrage pour une augmentation des quantités de roches mises en oeuvre, et corrélativement de la main d'oeuvre nécessaire à cette mise en oeuvre, qui résulterait d'une validation des bons de livraison des pierres, alors qu'il résulte de la traduction des mentions figurant sur ces bons de livraison fournie par M. [L], qui n'est pas contestée, qu'aucune personne n'était présente sur le chantier pour assurer la réception des roches livrées.

En l'état des pièces versées aux débats, les courriers électroniques échangés entre les parties en langue allemande n'étant pas traduits, il n'est pas non plus démontré que l'intimée avait dûment informé le maître de l'ouvrage de l'augmentation des quantités mises en oeuvre.

Il ne peut enfin être fait grief à l'appelant de ne pas avoir fait appel à un maître d'oeuvre, l'entreprise qui, dans une telle hypothèse était tenue à son égard d'un devoir de conseil renforcé, devant, le cas échéant, l'inciter à faire appel à un maître d'oeuvre ou à un bureau d'études technique spécialisé si elle l'estimait nécessaire, ou encore émettre des réserves sur l'importance des travaux à entreprendre, en fonction notamment d'un aléa éventuel tenant à l'état du sol.

Le tribunal doit donc être approuvé en ce qu'il a considéré que l'importance du surcoût découlait d'une appréciation insuffisamment précise par la société Grün Gbr de l'ampleur des travaux à réaliser, et en ce qu'il n'a pas tenu compte de ces plus-values pour déterminer le coût total des travaux et calculer le surcoût devant être supporté par M. [L] au titre de l'achèvement du chantier.

S'agissant du défaut de conformité des pierres, l'expert a relevé que si le devis du 22 août 2013 accepté par M. [L] mentionnait la fourniture de blocs erratiques en basalte, le coût de ces pierres - 180 €/tonne -, était cependant inférieur de près de moitié à celui figurant pour les mêmes roches dans un premier devis émis le 7 janvier 2013, à savoir 320 €/tonne, une seconde version de ce même devis datée du même jour ayant été émise sans la mention 'basalte'. Ces constatations ne permettent cependant pas d'affirmer que les parties se seraient en définitive accordées sur la fourniture de pierres calcaires, comme le soutient la société Grün Gbr qui évoque une erreur matérielle du devis.

La demande de remplacement des roches mises en oeuvre ayant été précédemment rejetée en tant qu'elle était fondée sur la garantie légale de conformité en matière de vente, M. [L] ne peut mettre en compte le coût de leur remplacement chiffré par l'expert à 139 200 euros, sur ce fondement.

Il soutient par ailleurs que les propriétés physiques et mécaniques des pierres mises en oeuvre les rendraient impropres à l'usage de mur de soutènement

auquel elles sont destinées et s'appuie à cet égard sur un rapport de constatation du 21 mai 2016 et un courrier du 27 novembre 2018 émanant de M. [N], géologue diplômé.

Dans son rapport de visite sur les lieux du 21 mai 2016, M. [N] indique que certains des blocs mis en oeuvre présentent des fissures ouvertes et cicatrisées, que 16 sur 40 blocs présentent des dégâts d'érosion sous l'effet du gel, émettant des doutes sur l'adéquation du matériaux pierreux à l'ouvrage de maçonnerie en pierres sèches. Mme [U], expert-judiciaire, conteste cette analyse indiquant qu'aucun bloc ne s'est affaissé ou n'a bougé, et que quatre ans après sa réalisation, le mur de soutènement remplit sa fonction, précisant que la fracturation des blocs de pierre est un phénomène courant qui existe sur tous les types de pierre, y compris le basalte. L'expert judiciaire ajoute que de très nombreux enrochements sont réalisés en pierres calcaires, et que rien ne permet de supposer que les pierres utilisées perdraient leurs qualités esthétiques et structurelles à terme, ni d'avancer compte tenu de la nature de la pierre, de la configuration des lieux et de la mise en oeuvre des murs de soutènement que la pérennité des ouvrages ne serait pas assurée.

Après avoir procédé à un comparatif des propriétés géotechniques des deux types de pierre, Mme [U] indique que la solidité et la stabilité des pierres ne dépendent pas exclusivement de leur nature, mais plutôt de leurs caractéristiques propres qui varient, pour un même type de pierres, selon leur provenance, et que seuls des tests comparatifs permettraient de se prononcer sur ce point, lesquels n'ont pas été sollicités par les parties et sont apparus inutiles à l'expert, au vu de ses constatations selon lesquelles le mur de soutènement remplissait son office, outre l'absence de définition de caractéristiques géotechniques précises dans le contrat.

Le courrier de M. [N] du 27 novembre 2018, qui repose pour l'essentiel sur le postulat qu'une roche telle que le basalte a une résistance et une durabilité plus élevée que celle d'une roche calcaire dont il est notoire qu'elle se karstifie et se décompose rapidement, ne comporte aucun élément de nature à remettre sérieusement en cause cette analyse.

Par voie de conséquence, il convient d'approuver le tribunal en ce qu'il a retenu la somme de 72 000 euros au titre du coût d'achèvement du chantier, excluant le coût de remplacement des roches.

En l'état de ces constatations, le calcul opéré par le premier juge rappelé ci-dessus n'apparaît pas critiquable et sera validé par la cour, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur la demande au titre de la perte de chance d'avoir pu modifier son projet

Il résulte de ce qui précède que M. [L] a été confronté, en cours de réalisation des travaux, à une augmentation considérable du coût des prestations par rapport au devis initial consécutive à une sous-évaluation manifeste des travaux à réaliser par la société Grün Gbr qui n'a pas émis la moindre réserve relative à un quelconque aléa.

C'est à bon droit que le premier juge a considéré que le manquement de l'entreprise à son devoir de conseil quant à l'ampleur des travaux à réaliser et à leur coût avait occasionné à M. [L] une perte de chance d'avoir pu renoncer à son projet ou le modifier. La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. En l'état des éléments d'appréciation soumis à la cour, et notamment de l'importance du surcoût qui représente 27 % du marché initial, la cour évalue cette perte de chance à 70 %.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a alloué à M. [L] une somme de 16 114,77 euros, soit 50 % de 32 229,54 euros, et il lui sera alloué 70 % de cette somme, soit 22 560,78 euros. 

Sur les autres préjudices et les intérêts

Le jugement entrepris doit être confirmé en tant qu'il a rejeté la demande formée par M. [L] au titre du préjudice d'anxiété puisqu'il résulte des constatations de l'expert judiciaire ci-dessus rappelées qu'aucun élément ne permettait de douter de la pérennité et de la solidité du mur de soutènement. De même, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande au titre du préjudice d'agrément subi par les parents de l'appelant, l'adage 'nul ne plaide par procureur' devant recevoir application.

En revanche, ainsi que l'a retenu le tribunal, la société Grün Gbr qui ne démontre pas que M. [L] se serait opposé à ce qu'elle reprenne ses travaux après ses congés d'août 2014, ne peut arguer d'un défaut de paiement de ses factures à hauteur de 7 446,66 euros, pour légitimer son abandon du chantier, alors même que l'appelant avait déjà réglé un montant total de 55 919,50 euros et qu'il était en droit de s'interroger sur les plus-values facturées par l'intimée.

Par voie de conséquence, son abandon du chantier étant fautif, la société Grün Gbr doit indemniser M. [L] du préjudice d'agrément et de jouissance qui en a résulté pour ce dernier que la cour évalue à 10 000 euros, étant relevé que si le rapport d'expertise a été déposé le 3 août 2018, il ne peut être reproché à l'appelant de ne pas avoir repris les travaux d'aménagement de son terrain avant la décision de première instance.

Le jugement sera donc également infirmé de ce chef.

Il sera par contre confirmé en ce qu'il a rejeté la demande au titre des dommages causés en cours de chantier en l'absence de moyen d'appel développé au soutien de la demande d'infirmation du jugement sur ce point.

Les montants alloués par la cour porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, le jugement étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts échus pour une année entière.

Sur la demande reconventionnelle de la société Grün Gbr

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de la société Grün Gbr en paiement du solde de ses travaux, après avoir constaté qu'il n'était pas contesté que les travaux facturés par la société Grün Gbr avaient été réalisés. En effet, les contestations soulevées à hauteur de cour quant à la facturation de travaux non réalisés n'apparaissent pas fondées ainsi que cela a été évoqué précédemment, et le préjudice subi par M. [L] au titre du dépassement financier a par ailleurs été indemnisé, l'appelant ne formulant pas d'autres contestations que celles précédemment évoquées relatives aux surcoûts et à la non-conformité des roches.

En considération de la solution du litige, les prétentions de M. [L] ayant été partiellement admises, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Grün Gbr de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Sur les dépens et frais exclus des dépens

Le jugement entrepris étant confirmé pour l'essentiel de ses dispositions principales, les montants alloués à l'appelant étant augmentés, il le sera également en celles relatives aux dépens et frais exclus des dépens.

La société Grün Gbr qui succombe à titre principal en appel supportera la charge des dépens d'appel et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera par contre alloué à M. [L] une somme de 3 000 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 5 janvier 2021, sauf en ce qu'il a condamné la société Grün Gbr à payer à M. [L] les sommes de :

* 16 114,77 euros au titre de la perte de chance de modifier son projet,

* 6 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

INFIRME le jugement de ces deux chefs ;

Statuant à nouveau dans cette limite, et ajoutant audit jugement,

CONDAMNE la société de droit allemand Grün Gbr à payer à M. [X] [L] les sommes de :

* 22 560,78 € (vingt-deux mille cinq cent soixante euros soixante-dix-huit centimes) au titre de la perte de chance de modifier son projet,

* 10 000 € (dix mille euros) au titre du préjudice d'agrément ;

le tout avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

CONDAMNE la société de droit allemand Grün Gbr aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [X] [L] la somme de 3 000 € (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

DEBOUTE la société Grün Gbr de sa demande sur ce fondement.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/00641
Date de la décision : 03/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-03;21.00641 ?
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