La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/01/2023 | FRANCE | N°21/00251

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 27 janvier 2023, 21/00251


MINUTE N° 48/2023





























Copie exécutoire à



- Me Claus WIESEL



- Me Noémie BRUNNER



- Me Thierry CAHN





Le 27 janvier 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 27 janvier 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00251 - N° Portalis

DBVW-V-B7F-HO7A



Décision déférée à la cour : 19 Novembre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANTE et intimée sur incident :



La S.À.R.L. [...], représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 4] à [Localité 6]



représen...

MINUTE N° 48/2023

Copie exécutoire à

- Me Claus WIESEL

- Me Noémie BRUNNER

- Me Thierry CAHN

Le 27 janvier 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 27 janvier 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00251 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HO7A

Décision déférée à la cour : 19 Novembre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE et intimée sur incident :

La S.À.R.L. [...], représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 4] à [Localité 6]

représentée par Me Claus WIESEL, avocat à la cour.

INTIMÉE et appelante sur incident :

La S.A. SMAC, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1] à [Localité 5]

représentée par Me Noémie BRUNNER, avocat à la cour.

INTIMÉE :

La S.A. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2] à [Localité 3]

(désistement d'appel partiel du 26 mars 2021)

représentée par la SCP CAHN G./ CAHN T./BORGHI, avocat à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Juillet 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH faisant fonction

ARRÊT contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 28 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Selon acte sous seing privé du 3 août 2010, la SAS [...], représentée par sa présidente, Mme [K] [P]-[Z], a conclu, en qualité de maître de l'ouvrage, un 'contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage délégué' avec la société L2 développement, en vue de la transformation d'un ancien garage, sis [Adresse 4] à [Localité 6], en magasin d'alimentation générale.

La SARL [...], constituée entre Mme [K] [P]-[Z] et sa fille, Mme [S] [Z], qui a été nommée aux fonctions de gérante par l'assemblée générale du 10 juin 2011, a pris à bail ces locaux selon contrat de bail commercial du 31 mai 2011, à effet au 1er juin 2011.

Le 'contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage délégué' a été transféré de la société [...] à la société [...].

Les travaux d'étanchéité ont été réalisés par la société SMAC pour un montant de 93 068,20 euros hors taxes, cette société ayant successivement émis deux versions d'un même devis, la première en date du 23 septembre 2011 portant la référence SR11137 qui a été adressée à M. [L], architecte, et signée par lui, et la seconde portant la référence SR 11137/A, en date du 13 octobre 2011, acceptée par la société L2 Développement.

Un autre devis SR 12153 du 18 juillet 2012 portant sur des travaux supplémentaires pour un montant de 3 926,96 euros hors taxes a été établi mais n'a pas été signé.

La société [...], qui avait réglé un acompte de 30 000 euros, a refusé de payer le solde des travaux invoquant notamment des infiltrations. Elle a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg, le 11 septembre 2013, d'une demande d'expertise.

Par ordonnance du 5 novembre 2013, le juge des référés a ordonné l'expertise sollicitée qu'il a confiée à M. [D], expert judiciaire, et a condamné, sous astreinte, la société [...] à fournir une garantie de paiement. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt de cette cour du 19 février 2015. Le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a été rejeté par un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 24 novembre 2016.

L'expert a déposé son rapport le 22 août 2014.

L'astreinte a été liquidée par un jugement du juge de l'exécution du 5 novembre 2014, confirmé par arrêt de cette cour du 22 juin 2015.

Selon exploit du 29 décembre 2014, la société SMAC a assigné la société [...] devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de voir prononcer la réception judiciaire des travaux, avec réserves, ordonner le retour du dossier à l'expert pour qu'il se prononce sur lesdites réserves, et obtenir le paiement du solde de son marché.

Selon exploit du 12 septembre 2017, la société SMAC a fait citer la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, qui avait fourni la garantie de paiement, devant ce même tribunal aux fins de la voir condamner, in solidum avec la société [...], au paiement du solde de son marché.

Les deux procédures ont été jointes.

Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal judiciaire a :

- débouté la société SMAC de sa demande de réception judiciaire,

- condamné la société [...] à payer à la société SMAC la somme de 71 500,15 euros hors taxes au titre du solde de son marché, outre 5 000 euros pour résistance abusive et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société [...] de sa demande de dommages et intérêts et de restitution des montants versés au titre de la liquidation de l'astreinte,

- débouté la société SMAC de ses demandes dirigées contre la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne,

- condamné la société [...] aux dépens de l'instance et la société SMAC aux dépens de l'appel en garantie de la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne.

Sur la relation contractuelle, le tribunal, après avoir rappelé les dispositions de l'article 1998 du code civil, a retenu l'existence d'un mandat apparent rappelant que les travaux avaient été commandés par le maître de l'ouvrage délégué, la société L2 Développement, que celle-ci avait été le seul interlocuteur de la société SMAC qui n'ignorait pas qu'elle n'était pas le maître de l'ouvrage, et qu'un tel contrat donnait généralement pouvoir au mandataire de signer les marchés au nom du maître de l'ouvrage, même si tel n'était pas le cas en l'espèce. En outre, la société [...] pour le compte de laquelle les travaux avaient été réalisés et qui avait réglé les appels de fonds incluant ceux de la société SMAC ne pouvait contester sa qualité de maître de l'ouvrage, qualité en laquelle elle avait d'ailleurs été condamnée à fournir une garantie de paiement.

Pour rejeter la demande de réception judiciaire, le tribunal a relevé que si selon l'expert judiciaire les travaux bien que non achevés étaient susceptibles de réception, en l'occurrence le solde du marché n'avait pas été payé, ce qui excluait toute volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir l'ouvrage quand bien même les locaux étaient-ils exploités.

S'agissant de la demande en paiement, le tribunal a relevé que, selon l'expert, les infiltrations du rez de chaussée étaient dues aux diverses malfaçons affectant la toiture terrasse non accessible (1er demi niveau), et aux non-façons (travaux provisoires) affectant le traitement de l'acrotère de la toiture terrasse technique (3ème demi niveau), au droit du joint de fractionnement, mais que s'agissant de ces désordres, la responsabilité de la société SMAC ne devait être retenue que pour moitié dans la mesure où la terrasse non accessible ne relevait pas de son marché, et les désordres trouvaient leur origine dans l'absence de remplacement de la descente d'eau pluviale endommagée par l'entreprise en charge du gros oeuvre, la société SMAC ayant seulement concouru à leur survenance dans la mesure où l'étanchéité provisoire qu'elle avait mise en oeuvre était insuffisante à empêcher les infiltrations d'eau de pluie.

Le tribunal a donc fait droit à la demande en paiement de la société SMAC après déduction du coût des travaux de reprise qu'il estimait lui être imputables, soit 1 595 euros, et a estimé que la société [...] avait manifestement fait preuve de résistance abusive au regard de l'importance du solde retenu comparé au caractère minime des malfaçons.

Pour rejeter la demande reconventionnelle de la société [...] en restitution des sommes versées au titre de la liquidation de l'astreinte, le premier juge a rappelé qu'elle avait été reconnue maître de l'ouvrage et devait donc fournir la garantie de paiement.

La société [...] a interjeté appel de ce jugement selon déclaration du 17 décembre 2020, en toutes ses dispositions, à l'exception du rejet de la demande de réception judiciaire, intimant la société SMAC et la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne.

Par ordonnance du 26 mars 2021, le magistrat chargé de la mise en état a donné acte à l'appelante de son désistement d'appel à l'égard de la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 7 décembre 2021.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 31 août 2021, la société [...] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société SMAC différents montants au titre du solde du marché, de dommages et intérêts, et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle et l'a condamnée aux dépens rejetant sa demande au titre des procédures de référé, d'appel et de cassation.

Elle sollicite que la cour, statuant à nouveau, déclare la société SMAC irrecevable à l'encontre de la société [...] et la déboute de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions, et qu'elle la condamne à lui restituer la somme de 78 564,16 euros avec intérêts de droit à compter du 14 janvier 2021.

Elle conclut en outre à l'irrecevabilité de l'appel incident de la société SMAC, à son rejet, et réitérant sa demande reconventionnelle, sollicite la condamnation de la société SMAC à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des malfaçons, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ainsi qu'à lui rembourser la somme de 8 180,48 euros réglée en exécution du jugement du 5 novembre 2014 et de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 22 juin 2015 et la somme de 2 000 euros représentant les frais de mise en place d'une garantie bancaire. Elle sollicite enfin la condamnation de la société SMAC à supporter les entiers dépens, ainsi que les frais d'expertise, et des procédures de référé, d'appel et de cassation, outre une indemnité de procédure de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait valoir que la preuve n'est pas rapportée qu'elle soit le cocontractant de la société SMAC qui est tiers au contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage délégué.

Elle fait valoir que le premier devis a été signé par l'architecte, M. [L], à qui il avait été adressé, ce qui va à l'encontre d'une croyance légitime de la société SMAC que son cocontractant était la société [...]. Si ce devis ne devait pas être retenu, le second devis ayant été accepté par la société L2 Développement, qui ce faisant a outrepassé ses pouvoirs, celle-ci serait alors le seul cocontractant de la société SMAC, peu important que ce devis mentionne également le nom de Mme [K] [P] [Z], qui ne pouvait engager la société appelante dont elle n'était pas la gérante.

Elle ajoute que la société SMAC a adressé tous ses courriers de mise en demeure, factures, y compris en cours de procédure son décompte final, à la société L2 Développement, admettant ainsi qu'elle était son seul débiteur, et que ce n'est que du fait de l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de cette société que l'intimée a agi contre elle. En l'absence de relations d'affaires habituelles entre les deux sociétés, la société SMAC devait vérifier les pouvoirs du mandataire, le contrat liant la société SMAC et la société LD2 Développement n'étant au surplus pas un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée mais de maîtrise d'oeuvre comme cela a été jugé dans une autre instance.

Si, dans le cadre de la procédure de référé, il a pu être considéré que la société [...] avait la qualité de maître de l'ouvrage, cette décision comme l'arrêt de la cour n'ont pas autorité de la chose jugée au fond. Elle estime qu'il n'existe aucun élément en faveur d'une croyance légitime dans les pouvoirs du tiers.

Enfin, la société SMAC ne peut pas non plus se prévaloir de l'action directe du sous-traitant qui ne peut porter que sur les sommes restant dues à l'entrepreneur principal, or elle a réglé la société LD2 Développement.

S'agissant des désordres, la société [...] reproche au tribunal d'avoir considéré, à tort, que les infiltrations ne seraient que partiellement imputables à la société SMAC alors que l'expertise judiciaire a mis en évidence de manière patente que sa responsabilité était engagée, le cas échéant pour défaut de conseil.

Elle approuve enfin les motifs du tribunal s'agissant du rejet de la demande de réception judiciaire.

Aux termes de ses écritures transmises par voie électronique le 17 juin 2021, la société SMAC demande à la cour de rejeter l'appel principal, et par conséquent, de confirmer le jugement entrepris dans la limite de l'appel incident, en déboutant la société [...] de l'ensemble de ses prétentions dirigées contre elle. Elle forme appel incident pour solliciter l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir prononcer la réception judiciaire, et a limité à 5 000 euros le montant de l'indemnité allouée pour résistance abusive. Elle sollicite de la cour, statuant à nouveau, qu'elle prononce la réception judiciaire des travaux à effet au 30 septembre 2013 s'agissant des travaux de la société SMAC, ordonne le retour du dossier à l'expert pour qu'il puisse contradictoirement constater les réserves affectant lesdits travaux, et condamne la société [...] au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive. Elle sollicite en tout état de cause, la condamnation de l'appelante aux dépens et au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que tant le juge des référés commerciaux, que la cour d'appel et la Cour de cassation ont considéré que la société [...] avait la qualité de maître de l'ouvrage puisqu'elle a été condamnée à fournir une garantie de paiement, et que même si ces décisions n'ont pas autorité de chose jugée au fond, les mêmes constats peuvent être faits, à savoir que la société [...] a payé un premier acompte de 30 000 euros, a accepté le commencement des travaux de la société SMAC, outre l'existence d'un mandat entre l'appelante et la société L2 Développement.

A tout le moins, il convient de retenir l'existence d'un mandat apparent, le fait que la société L2 Développement ait signé le devis et réglé les appels de fonds émis par cette société, y compris concernant les travaux confiés à la société SMAC, étant suffisant pour qu'elle puisse légitimement croire en ses pouvoirs qu'il ne lui appartenait pas de vérifier, outre le fait que les travaux concernaient les locaux exploités par l'appelante.

Elle relève que la société [...] ne peut à la fois contester la qualité de maître de l'ouvrage et demander indemnisation des désordres, ce qui démontre que les travaux ont été exécutés pour son compte.

Subsidiairement, elle invoque l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, et soutient qu'en s'étant abstenue de mettre en demeure l'entrepreneur principal de faire agréer le sous-traitant et ses conditions de paiement, la société [...] a engagé sa responsabilité délictuelle, cette dernière ne démontrant pas avoir réglé intégralement les sommes dues à la société L2 Développement.

La société SMAC considère que la société [...] fait preuve de résistance abusive en ce que le solde restant dû est hors de proportion avec les désordres minimes en partie dus à la carence du maître de l'ouvrage, qui multiplie les recours pour échapper à ses obligations.

Elle reproche au tribunal d'avoir rejeté sa demande de réception judiciaire, laquelle peut intervenir même si les travaux ne sont pas achevés, dès lors qu'ils sont en état d'être reçus, ce qui est le cas en l'espèce, le bâtiment étant exploité depuis plusieurs années.

S'agissant des désordres, elle fait valoir que les travaux n'ont pas été achevés car elle n'était pas payée, et soutient que les infiltrations sont dues à un siphon bouché et donc à un défaut d'entretien, ainsi qu'au défaut de remplacement d'une descente d'eau pluviale endommagée. Elle relève que la terrasse non accessible ne relevait pas de son marché et considère qu'aucun désordre ou défaut de reprise ne peut lui être imputé, seul un montant de 870 euros pouvant tout au plus être mis à sa charge.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

Sur le l'existence d'un lien contractuel entre la société [...] et la société SMAC

A titre liminaire, il convient de relever que la décision du juge des référés du 5 novembre 2013, l'arrêt de la cour d'appel de céans du 19 février 2015, et l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 24 novembre 2016 n'ont pas autorité de chose jugée au fond, s'agissant de décisions prises dans le cadre d'une procédure en référé.

Au surplus, ces décisions n'ont pas tranché la question de fond relative à l'existence et à la nature du lien contractuel entre la société SMAC et la société [...] mais seulement tiré les conséquences de l'absence de contestation par cette dernière de sa qualité de maître de l'ouvrage.

De même, les décisions rendues dans d'autres procédures concernant le même chantier auxquelles la société SMAC n'était pas partie ne peuvent lui être opposées, en l'absence d'autorité de chose jugée à son égard.

En l'espèce, la société [...], qui a pris à bail les locaux sur lesquels les travaux litigieux ont été réalisés, ne peut dénier sa qualité de maître de l'ouvrage, le bail commercial lui conférant expressément l'autorisation de réaliser des travaux de transformation et d'aménagement de l'ancien garage en magasin d'alimentation générale, et les travaux ayant été réalisés pour son compte.

Si une première version du devis établi par la société SMAC a été signée par M. [L], à qui elle avait été adressée, l'intimée ne s'en prévaut toutefois pas, sa demande étant fondée sur le devis portant la référence SR 11137/A, en date du 13 octobre 2011, accepté par la société L2 Développement.

Ce devis a été adressé par la société SMAC à 'Mme [P] [Z] [K], représentée par L2 Développement', ce qui démontre que la société SMAC ne considérait pas la société L2 Développement comme étant le maître de l'ouvrage, mais comme étant le mandataire de celui-ci. Dans ces conditions, il ne peut être déduit du fait que l'intimée ait ultérieurement adressé ses factures et courriers de mise en demeure à cette société qu'elle la considérait comme étant son cocontractant.

Par ailleurs, si Mme [P]-[Z], associée de la société [...], n'avait certes pas qualité pour engager cette société dont elle n'était pas la gérante, force est toutefois de constater qu'une confusion a pu s'opérer dans la mesure où c'est elle qui, en qualité de dirigeante la société [...], avait contracté avec la société L2 Développement.

La société [...] ne conteste pas venir aux droits de la société [...], ni que le contrat d'assistance à maîtrise d'ouvrage délégué lui a été transféré.

L'appelante relève, à juste titre, que, malgré son intitulé, ce contrat s'analyse en réalité en un contrat de maîtrise d'oeuvre, et non en un contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée, au vu des missions confiées à la société L2 Développement, à qui aucun mandat de signer les marchés n'a été conféré, le contrat stipulant au contraire expressément que le maître de l'ouvrage signe les pièces du marché (article 2.5.2).

Si, en application de l'article 1998 du code civil, le mandant n'est pas obligé envers les tiers pour ce que le mandataire a fait au-delà du pouvoir qui lui a été donné, il en est autrement lorsqu'il résulte des circonstances que le tiers a pu légitimement croire que le mandataire agissait dans les limites de son mandat.

En l'espèce, le tribunal a exactement retenu qu'en acceptant, sans protestation, la réalisation par la société SMAC de travaux d'étanchéité sur les locaux qu'elle exploite, et en réglant les différents appels de fonds émis par la société L2 Développement pour le compte des entreprises intervenant sur le chantier dont la société SMAC, la société [...] a ainsi laissé se créer, à l'égard de cette dernière, l'apparence que le mandataire agissait dans les limites des pouvoirs que lui conférait son mandat, alors pourtant que la société L2 Développement ne pouvait que viser les situations des entreprises et émettre des propositions de paiement.

Ces circonstances, ainsi que l'intitulé de la convention liant la société [...] à la société L2 Développement qui était susceptible de prêter à confusion puisqu'une convention de maîtrise d'ouvrage déléguée confère en effet usuellement mandat au maître d'ouvrage délégué pour la signature des marchés, étaient en effet de nature à légitimer la croyance de la société SMAC dans les pouvoirs de la société L2 Développement et à la dispenser d'en vérifier l'étendue.

Le jugement sera donc confirmé en tant qu'il a retenu que la société [...] était tenue d'exécuter les engagements souscrits par la société L2 Développement à l'égard de la société SMAC, et qu'elle devait donc paiement du solde de son marché, soit la somme de 73 095,15 euros hors taxes qui n'est pas contestée.

Sur la réception judiciaire

La société SMAC fait valoir à bon droit que, si la réception tacite implique une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir l'ouvrage, en revanche la réception judiciaire suppose seulement que l'ouvrage soit en état d'être reçu, quand bien même ne serait-il pas totalement achevé ou serait-il affecté de désordres, ou malfaçons.

Dans la situation présente, l'expert judiciaire a constaté, lors de la première réunion d'expertise qui s'est tenue le 27 janvier 2014, que les travaux de la société SMAC n'étaient pas totalement achevés, et qu'ils étaient affectés de malfaçons affectant la toiture terrasse non accessible du 1er demi niveau ainsi que la toiture terrasse accessible du 2ème demi niveau (hauteur insuffisante des relevés d'étanchéité), et de non-façons au niveau du traitement de l'acrotère de la toiture terrasse technique, au 3ème demi niveau, au droit du joint de fractionnement, mais également que les locaux étaient exploités. Il résulte de ces constats, que les travaux réalisés par la société [...], fussent-ils inachevés et affectés de malfaçons ou de non-façons, étaient, à cette date, en état d'être reçus, de sorte qu'ils l'étaient nécessairement au 30 septembre 2013, date à laquelle la société SMAC a cessé d'intervenir sur le chantier et a émis son décompte final.

Par ailleurs, selon un constat d'huissier établi le 6 août 2013, les infiltrations au rez de chaussée dont se plaint la société [...] s'étaient déjà manifestées.

L'organisation d'une nouvelle expertise n'apparaît pas utile au regard du caractère minime des malfaçons imputables à la société SMAC retenues par l'expert.

Au vu de ce qui précède, le jugement entrepris sera infirmé en tant qu'il a rejeté la demande de réception judiciaire des travaux réalisés par la société SMAC, et il sera fait droit à la demande tendant au prononcé de cette réception à effet au 30 septembre 2013, avec des réserves relatives aux infiltrations constatées au rez de chaussée du magasin, aux malfaçons affectant la toiture terrasse accessible du 2ème demi niveau, à savoir la hauteur insuffisante des relevés d'étanchéité, ainsi qu'aux défauts de finitions de la terrasse du 3ème demi niveau relevés par l'expert, à savoir l'absence de protection des acrotères et un défaut de finition au droit du joint de fractionnement, la terrasse non accessible du 1er demi niveau ne relevant pas du marché de la société SMAC, ainsi que cela sera développé ci-après.

Sur les désordres

Comme l'a rappelé le tribunal, l'expert judiciaire indique que les infiltrations observées au rez de chaussée du magasin, à proximité de l'entrée, sont dues totalement ou partiellement aux diverses malfaçons qui affectent la toiture terrasse non accessible (1er demi niveau) et aux non-façons (travaux provisoires) qui affectent le traitement de l'acrotère de la toiture terrasse technique (3ème demi niveau) au droit du joint de fractionnement.

L'expert a toutefois relevé que ces désordres trouvaient également leur origine dans un défaut d'entretien de la terrasse végétalisée non accessible du 1er demi niveau, ainsi que dans l'absence de remplacement d'une descente d'eau pluviale endommagée et dans une fissuration des murs existants.

La société SMAC soutient que cette terrasse non accessible ne figurait pas dans son marché et qu'elle avait accepté, à la demande de la société L2 Développement, de mettre en place une étanchéité provisoire dans l'attente de la remise en état de la descente d'eau pluviale endommagée par l'entreprise de gros oeuvre.

Cette affirmation est contestée par la société [...] qui fait valoir que le devis porte également sur les terrasses existantes. Il sera toutefois relevé que ce point avait été soumis à l'expert qui d'une part avait admis le caractère provisoire des travaux réalisés par la société SMAC sur cette terrasse, et d'autre part retenu que la mise en oeuvre d'une étanchéité sur cette terrasse constituerait une plus-value pour le maître de l'ouvrage. En outre, si le devis vise en effet les terrasses existantes, il porte cependant sur la dépose de dalles sur plots, or ladite terrasse n'est pas équipée de dalles sur plots s'agissant d'une terrasse végétalisée.

C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que cette terrasse ne relevait pas du marché de la société SMAC mais qu'en acceptant de mettre en oeuvre une étanchéité provisoire, elle devait néanmoins en assurer l'efficacité de sorte que sa responsabilité dans les désordres survenus au rez de chaussée était partiellement engagée, l'entreprise étant en effet fondée à opposer au maître de l'ouvrage sa carence dans l'entretien de la terrasse végétalisée et le non-remplacement de la descente d'eau pluviale détériorée.

La société [...] sollicite un montant de 10 000 euros au titre de ces désordres, alors que selon l'expert judiciaire le coût des travaux de reprise susceptible d'être mis à la charge de la société SMAC n'excède pas un montant total de 4 090 euros, et non pas de 4 440 euros comme indiqué par l'appelante qui inclut, à tort, dans son décompte le poste B2f d'un montant de 350 euros correspondant à la remise en état de la descente d'eau pluviale que l'expert judiciaire n'a pas mis à la charge de la société SMAC.

L'appelante ne produit aucun élément à l'appui de sa réclamation. Il convient, au vu de ce qui précède, de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à 1 595 euros hors taxes le coût des travaux de reprise susceptible d'être mis à la charge de la société SMAC.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef, ainsi qu'en ce qu'il a opéré compensation entre les créances respectives, le principe d'une telle compensation n'étant pas discuté.

Sur la demande de la société [...] en restitution des montants versés au titre de l'astreinte et au titre des frais de garantie bancaire

Le jugement entrepris sera confirmé en tant qu'il a rejeté cette demande, puisque, comme cela a été souligné ci-dessus, la société [...] ne peut contester sa qualité de maître de l'ouvrage.

Sur la demande dommages et intérêts pour résistance abusive

Le tribunal a exactement retenu que le refus de la société [...] de régler le solde du marché de la société SMAC était manifestement abusif, au regard de l'importance de ce solde et du caractère mineur des malfaçons et non-façons relevées, alors qu'elle a bénéficié des travaux réalisés par l'intimée et n'établit pas en avoir réglé le coût entre les mains de la société L2 Développement.

L'intimée ne démontrant pas que cette résistance abusive lui a causé un préjudice excédant le montant alloué par le tribunal, le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais exclus des dépens

Le jugement entrepris étant confirmé en l'essentiel de ses dispositions, il le sera également en celles relatives aux dépens et frais exclus des dépens. Il sera toutefois complété en ce que, dans son dispositif, la condamnation de la société [...] à supporter les dépens de la procédure de référé expertise RG13/00238, qui avaient été réservés, a été omise.

La société [...] succombant en son appel supportera la charge des dépens d'appel ainsi que d'une indemnité de procédure de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 19 novembre 2020, sauf en ce qu'il a débouté la société SMAC de sa demande tendant à voir prononcer la réception judiciaire ;

INFIRME le jugement entreprise de ce seul chef,

Statuant à nouveau dans cette limite, et ajoutant au jugement,

REJETTE la demande d'expertise judiciaire ;

PRONONCE la réception judiciaire des travaux réalisés par la SA SMAC à effet au 30 septembre 2013, avec des réserves relatives aux infiltrations constatées au rez de chaussée du magasin, aux malfaçons affectant la toiture terrasse accessible du 2ème demi niveau, à savoir la hauteur insuffisante des relevés d'étanchéité, ainsi qu'aux défauts de finitions de la terrasse du 3ème demi niveau relevés par l'expert, à savoir l'absence de protection des acrotères et un défaut de finition au droit du joint de fractionnement ;

CONDAMNE la SARL société [...] aux entiers dépens d'appel ainsi qu'aux dépens de la procédure de référé expertise RG13/00238 ;

CONDAMNE la SARL société [...] à payer à la SA SMAC la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;

DEBOUTE la société [...] de sa demande sur ce fondement.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/00251
Date de la décision : 27/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-27;21.00251 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award