n° minute : 9/2023
Copie exécutoire à :
- la SELARL ACVF ASSOCIES
- Me Nadine HEICHELBECH
- Me Christine BOUDET
Le 25 janvier 2023
La Greffière,
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE DES URGENCES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
N° RG 22/00102 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H6HO
mise à disposition le 25 Janvier 2023
Dans l'affaire opposant :
M. [F] [H] [J]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par la SELARL ACVF ASSOCIES, avocats à la cour
- partie demanderesse au référé -
Mme [N] [Z]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Christine BOUDET, avocate à la cour
S.A.R.L. BROUDIC ETIENNE LESCHALLIER DE LISLE & POUMEROL (BELP)
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Nadine HEICHELBECH, avocate à la cour
- partie défenderesse au référé -
Nous, Pascale BLIND, présidente de chambre à la cour d'appel de Colmar, agissant sur délégation de Madame la première présidente, assistée lors des débats et de la mise à disposition de la décision de Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, après avoir entendu, en notre audience publique de référé du 7 Décembre 2022, les avocats des parties en leurs conclusions et observations et avoir indiqué qu'une décision serait rendue ce jour, statuons publiquement, par mise à disposition d'une ordonnance contradictoire, comme suit :
Selon jugement en date du 10 mars 2011, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Chartres a prononcé le divorce de Monsieur [F] [J] et de Madame [E] [I] en condamnant Monsieur [J] à payer à son épouse une prestation compensatoire sous forme d'un capital de 24 000 euros.
Madame [E] [I] est décédée le [Date décès 2] 2019 laissant pour seule héritière sa mère, Madame [N] [Z].
Par acte d'huissier signifié le 17 mars 2022 par l'étude d'huissiers de justice SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol, Madame [N] [Z] a fait délivrer à Monsieur [F] [J] un commandement aux fins de saisie-vente pour un montant de 34 515,68 euros.
Monsieur [J] a assigné Madame [Z] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Colmar afin d'obtenir l'annulation de ce commandement.
Par acte du 5 avril 2022, la SCP Ranoux-Orsat et Christophe, mandatée par la SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol, a délivré un procès-verbal de saisie-attribution sur les comptes bancaires de Monsieur [F] [J] entre les mains de la Société Générale, saisissant la somme de 48 359,89 euros.
Cet acte a été dénoncé à Monsieur [F] [J] le 13 avril 2022.
Le 26 avril 2022, Monsieur [F] [J] a saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Colmar aux fins d'obtenir la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 5 avril 2022 et la condamnation de Madame [Z] ainsi que de la SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol à des dommages et intérêts outre une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les deux procédures pendantes devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Colmar ont été jointes.
Par jugement contradictoire du 18 octobre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Colmar a débouté Monsieur [F] [J] de sa demande tendant à obtenir la mainlevée de la saisie-attribution du 5 avril 2022 et l'annulation du commandement aux fins de saisie-vente du 17 mars 2022, et l'a condamné aux dépens ainsi qu'au paiement d'un montant de 800 euros à Madame [N] [Z] et de 800 euros à la SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [J] a interjeté appel de ce jugement, par déclaration du 27 octobre 2022.
Par acte d'huissier de justice délivré le 4 novembre 2022, Monsieur [F] [J] a fait assigner en référé devant le premier président la cour d'appel de Colmar Madame [N] [Z] et la SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution, le sursis à exécution du jugement du 18 octobre 2022, la condamnation des défenderesses aux dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de son assignation et de ses conclusions du 21 novembre 2022, reprises à l'audience du 7 décembre 2022, il fait valoir que Madame [Z] ne dispose à son encontre d'aucun titre exécutoire permettant de poursuivre l'exécution forcée, sa qualité de légataire universelle de sa fille décédée étant totalement insuffisante à cet égard, et que de plus, le titre serait prescrit. Il ajoute que si Madame [I] a rédigé un testament en faveur de sa mère, elle ne pouvait, dès lors qu'elle était placée sous tutelle, le faire qu'à condition d'y avoir été autorisée par le conseil de famille ou à défaut par le juge des tutelles, ce dont il n'est pas justifié. Il soutient également que le droit de créance résultant de l'octroi d'une prestation compensatoire n'est pas transmissible aux héritiers de l'ex-époux bénéficiaire, s'agissant d'une créance ayant un caractère alimentaire et indemnitaire. Enfin, il invoque la responsabilité de l'huissier qui a délivré un commandement aux fins de saisie-vente et fait diligenter une saisie-attribution, alors qu'il ne disposait d'aucun titre exécutoire permettant ces actes.
Aux termes de ses écritures des 16 novembre 2022 et 25 novembre 2022, soutenues à l'audience, Madame [Z] demande de dire n'y avoir lieu au sursis à l'exécution du jugement du 18 octobre 2022 et aux mesures d'exécution y afférentes, de condamner Monsieur [J] aux dépens ainsi qu'à lui payer une somme de 2 000 euros, pour procédure abusive, et 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que la créance de prestation compensatoire de sa fille lui a été transmise de plein droit, en sa qualité de légataire universelle, résultant du testament olographe du 3 juin 2012, et que le jugement définitif rendu au bénéfice de Madame [I] par le juge aux affaires familiales, qui est exécutoire à l'encontre de Monsieur [J], a conservé son caractère exécutoire au décès de celle-ci.
Elle conteste d'autre part toute prescription de la créance en faisant valoir notamment que Monsieur [J] avait reconnu devoir le montant de la prestation compensatoire aux termes du procès-verbal de difficultés dressé par le notaire le 28 janvier 2019 indiquant qu'il acceptait la compensation des créances respectives. Elle ajoute que la prescription n'est pas acquise puisque la mesure de tutelle a suspendu le délai de prescription jusqu'au jour où elle a été allégée en curatelle renforcée.
Sur le caractère personnel de la prestation compensatoire, Madame [Z] rappelle que le notaire a inscrit la dette dans la masse active, relève que la prestation compensatoire a été accordée en capital, qu'elle a un caractère forfaitaire, et que compte tenu de son caractère indemnitaire et alimentaire, l'indemnité ne peut s'éteindre et la créance est transmissible.
Sur la légalité du testament, Madame [Z] estime qu'il appartient à Monsieur [J] de prouver l'irrégularité qu'il invoque et souligne qu'en tout état de cause, en l'absence de descendance, la créance de prestation compensatoire lui aurait été transmise en sa qualité d'ascendante.
Elle estime que la demande de Monsieur [J] est abusive dans la mesure où il n'existe aucun moyen sérieux de réformation du jugement et où il ne s'agit que d'un moyen de pression sur une personne âgée de 78 ans.
La SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol a pour sa part repris à l'audience ses écrits du 2 décembre 2022 tendant au rejet de la demande de sursis à exécution, à la condamnation de Monsieur [F] [J] aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que Madame [Z], en sa qualité de seule héritière, disposait de la possibilité de poursuivre l'exécution forcée du jugement de divorce non frappé d'appel du 10 mars 2011, constituant un titre exécutoire. Elle présente les mêmes observations que Madame [Z] sur la prescription.
Sur le caractère transmissible de la prestation compensatoire, la société d'huissiers affirme que dès lors qu'elle est fixée sous forme de capital, elle entre immédiatement et dans sa totalité dans le patrimoine du créancier de sorte qu'elle est transmissible aux héritiers.
Enfin la SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol conteste avoir commis une quelconque faute en rappelant que le fait que le débiteur conteste un acte d'exécution n'oblige nullement l'huissier à cesser toute mesure d'exécution.
SUR CE
L'article R 121-22 du code des procédures civiles d'exécution prévoit qu'en cas d'appel, un sursis à l'exécution des décisions prises par le juge de l'exécution peut être demandé au premier président de la cour d'appel.
Jusqu'au jour du prononcé de l'ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n'a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure.
Le sursis à exécution n'est accordé que s'il existe des moyens sérieux d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.
L'auteur d'une demande de sursis à exécution manifestement abusive peut être condamné par le premier président à une amende civile d'un montant maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages intérêts qui pourraient être réclamés.
La décision du premier président n'est pas susceptible de pourvoi.
L'objet de la prestation compensatoire qui a une nature mixte, à la fois alimentaire et indemnitaire, est de compenser pour l'avenir la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux. Son montant est fixé selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les revenus de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
Le juge de l'exécution a retenu que la prestation compensatoire était une créance transmissible dans la mesure où l'article 280 du code civil prévoit que son paiement est prélevé sur la succession et est supportée par les héritiers.
Mais une telle disposition, qui s'explique par les besoins subsistants de l'époux créancier survivant, n'implique pas que dans la situation inverse où le créancier est décédé, le débiteur reste tenu d'une obligation d'une telle nature.
En faisant valoir que la créance résultant de la prestation compensatoire, compte tenu de son caractère personnel lié à sa nature alimentaire, n'est pas transmissible aux héritiers du créancier, Monsieur [J] invoque un moyen de réformation de la décision du juge de l'exécution qui n'est pas dénué de tout sérieux.
Par conséquent, en application de l'article R 121-22 du code des procédures civiles précité, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l'exécution du jugement du 18 octobre 2022.
Il s'ensuit que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de Madame [Z] doit être rejetée, de même que les prétentions des parties défenderesses fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Ces dernières seront condamnées aux dépens de la présente instance.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de Monsieur [J] au titre des frais irrépétibles exposés par lui à l'occasion de la présente procédure.
PAR CES MOTIFS
Statuant après débats en audience publique, par décision contradictoire,
Ordonnons le sursis à l'exécution du jugement rendu le 18 octobre 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Colmar ;
Rejetons la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de Madame [N] [Z] et les demandes respectives des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons Madame [N] [Z] et la SARL Broudic Etienne Leschallier De Lisle & Poumerol in solidum aux dépens de la présente instance.
La greffière, La présidente,