n° minute : 11/2023
Copie exécutoire à :
- Me Claus WIESEL
- Me Joëlle LITOU-WOLFF
- Me Nadine HEICHELBECH
Le 25 janvier 2023
La Greffière,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE DES URGENCES
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
N° RG 22/00095 - N° Portalis DBVW-V-B7G-H5ZA
mise à disposition le 25 Janvier 2023
Dans l'affaire opposant :
M. [X] [D]
[Adresse 4]
[Localité 7] (TURQUIE)
Représenté par Me Claus WIESEL, avocat à la cour
- partie demanderesse au référé -
E.U.R.L. FIPI
représentée par son représentant légal audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Nadine HEICHELBECH, avocate à la cour
- partie défenderesse au référé -
M. [C] [W]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représenté par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocate à la cour
- appelé en déclaration d'ordonnance commune -
Nous, Pascale BLIND, présidente de chambre à la cour d'appel de Colmar, agissant sur délégation de Madame la première présidente, assistée lors des débats et de la mise à disposition de la décision de Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffière, après avoir entendu, en notre audience publique de référé du 14 Décembre 2022, les avocats des parties en leurs conclusions et observations et avoir indiqué qu'une décision serait rendue ce jour, statuons publiquement, par mise à disposition d'une ordonnance contradictoire, comme suit :
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Par jugement contradictoire du 24 février 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg, saisi d'une action en responsabilité à l'encontre de Monsieur [C] [W] et de Maître [X] [D], en sa qualité de conseil de l'EURL FIPI, a notamment :
- déclaré irrecevables les demandes formées par Monsieur [N] [V] pour défaut d'intérêt à agir
- condamné in solidum Monsieur [C] [W] et Maître [X] [D] à payer à l'EURL FIPI la somme de 290 700 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision
- condamné Monsieur [C] [W] à payer à l'EURL FIPI la somme de 290 700 euros, avec intérêts à compter de la décision
- déclaré irrecevable l'appel en garantie formé par Maître [X] [D] contre la société Zurich Insurance PLC
- condamné Maître [X] [D] et Monsieur [C] [W] aux dépens
- condamné in solidum Maître [X] [D] et Monsieur [C] [W] à verser à la société FIPI une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Monsieur [D] a interjeté appel de ce jugement, par déclaration du 30 mai 2022.
Par acte d'huissier délivré le 11 octobre 2022 à l'EURL FIPI et le 25 octobre 2022 à Monsieur [C] [W], suivi de conclusions récapitulatives du 25 novembre 2022, reprises à l'audience, Monsieur [D] a saisi le premier président de la cour d'appel de Colmar aux fins de voir, sur le fondement de l'article 524 ancien du code de procédure civile, ordonner le sursis à l'exécution provisoire du jugement du 24 février 2022, déclarer l'ordonnance à intervenir commune et en tout état de cause opposable à Monsieur [C] [W], condamner la société FIPI aux dépens.
Le demandeur fait valoir que le jugement est entaché d'une erreur de droit manifeste quant à l'interprétation du droit turc applicable et que son exécution entraînerait pour lui des conséquences manifestement excessives.
Sur ce dernier point, il expose que les montants auxquels il a été condamné ne sont garantis par aucune compagnie d'assurances.
Il explique par ailleurs qu'il a été dans l'obligation de mettre un terme à son activité d'avocat en France, compte tenu de la situation sanitaire existant depuis 2020, et que ses revenus en Turquie sont d'une extrême modicité. Il ajoute que s'il est propriétaire d'un bien immobilier à [Localité 6], ses revenus fonciers sont limités à un montant de 18 738 euros.
Enfin, Monsieur [D] relève que la société FIPI est une coquille vide, sans activité, de sorte qu'elle ne présente aucune garantie quant à la restitution, en cas d'infirmation, des montants qui seraient payés en vertu de l'exécution provisoire. Il ajoute à l'audience qu'il ressort de la procédure d'appel engagée par Monsieur [W] et des conclusions prises par ce dernier que Monsieur [V], dirigeant de l'EURL FIPI, a fait l'objet d'une condamnation pénale pour escroquerie.
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Aux termes de ses écritures des 4 novembre 2022 et 7 décembre 2022, soutenues à l'audience, l'EURL FIPI conclut au rejet de la demande, à la condamnation de Maître [D] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'EURL FIPI soutient que le premier président n'a pas à prendre en compte les arguments présentés par Maître [D] sur le fond du litige, dès lors qu'est applicable l'article 524 du code de procédure civile selon lequel l'arrêt de l'exécution provisoire est subordonné à l'existence de conséquences manifestement excessives.
Elle affirme que Maître [D] dissimule le montant réel de ses revenus en rappelant qu'il exerce son activité non seulement en Turquie mais également à [Localité 5], à une adresse prestigieuse dans le huitième arrondissement et qu'il se faisait remettre par la société FIPI des paiements en espèces lors de ses passages en France. Elle relève que le demandeur a occulté dans ses premières écritures l'existence d'un patrimoine immobilier et les revenus qu'il en tire. S'agissant du revenu foncier net figurant sur l'avis d'imposition, l'EURL FIPI indique qu'il n'est pas significatif puisqu'il ne tient pas compte des investissements qu'aurait pu faire son propriétaire, tels que travaux d'amélioration ou autres qui viennent en déduction du revenu brut.
Sur ses facultés de restitution en cas d'infirmation du jugement, la défenderesse expose qu'elle a pour objet la gestion du patrimoine de son dirigeant et actionnaire unique, Monsieur [N] [V], qui avait placé le produit de la vente de ses actifs professionnels lors de son départ à la retraite. Elle explique qu'elle n'est pas une coquille vide mais une coquille vidée de ses moyens financiers du fait des erreurs de son conseil, Maître [D]. Elle considère que Monsieur [V], gravement malade, est en droit d'être indemnisé immédiatement pour la perte d'un investissement réalisé en 2009 soit il y a plus de 23 années. Elle ajoute que les conclusions de Monsieur [W], déposées dans le cadre d'une requête en radiation, faisant état d'une condamnation pénale de Monsieur [V], ne sont pas probantes.
Enfin, l'EURL FIPI observe que Maître [D] a interjeté appel de la décision tardivement.
Monsieur [C] [W] a soutenu à l'audience ses conclusions du 29 novembre 2022 tendant à ce que la demande d'arrêt de l'exécution provisoire soit déclarée irrecevable à son égard, à tout le moins mal fondée, à ce que le demandeur soit débouté de l'intégralité de ses fins, demandes et prétentions à son égard et sollicite sa condamnation aux frais ainsi qu'au paiement d'un montant de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [W] fait valoir que la recevabilité de la saisine de la juridiction du premier président est conditionnée par celle de l'appel qui la sous-tend. Il expose qu'il n'a pas été intimé dans le cadre de l'appel formé par Monsieur [D] et soutient qu'en demandant l'arrêt de l'exécution d'un jugement à son bénéfice unique mais au mépris de la solidarité des condamnations et en n'intimant pas l'autre partie condamnée, le demandeur a violé le principe du contradictoire et les droits de la défense.
Il ajoute que le fait que Monsieur [D] l'ait dans un second temps assigné devant le premier président pour lui voir déclarer opposable l'ordonnance à intervenir est insusceptible de pallier les vices de son appel et par voie de conséquence de la demande en sursis à l'exécution provisoire.
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Enfin, Monsieur [W] estime que les conclusions de Monsieur [D] sont irrecevables à son égard dans la mesure où elles ont été notifiées à son conseil alors même qu'il n'était pas constitué pour lui.
SUR CE
Sur la demande dirigée à l'encontre de l'EURL FIPI
L'instance devant le tribunal judiciaire ayant été introduite antérieurement au 1er janvier 2020, il convient de faire application de l'article 524 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.
Aux termes de l'article 524 précité, lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, que par le premier président, si elle est interdite par la loi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ou si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
Le caractère manifestement excessif des conséquences de l'exécution provisoire ordonnée doit être apprécié, par rapport à la situation du débiteur, compte tenu de ses facultés de paiement ou des facultés de remboursement du créancier, sans qu'il y ait lieu d'analyser la régularité ou le bien-fondé du jugement frappé d'appel, ni même la recevabilité de l'appel.
En l'espèce, Monsieur [D] produit une attestation de son comptable en date du 16 juin 2022 indiquant que l'activité professionnelle en Turquie est déficitaire depuis l'année 2020, accompagnée des déclarations fiscales pour les années 2020 et 2021 correspondantes, mentionnant des revenus très modiques, de moins de 20 000 livres turques par an, soit 1 000 euros, et des pertes. D'autre part, l'interrogation par les soins du comptable des services administratifs laisse apparaître que le contribuable [D] n'est propriétaire en Turquie d'aucun bien immobilier. Enfin, le demandeur justifie d'une absence de revenus déclarés à la caisse nationale des barreaux français pour l'année 2021.
Certes, il résulte des pièces annexes de l'EURL FIPI que Maître [D] se présente sur les sites Internet comme un avocat spécialisé en droit international des affaires, à la tête d'un cabinet de grande envergure, mais de telles informations, destinées avant tout à attirer la clientèle, ne suffisent pas à remettre en cause le caractère déficitaire de l'activité réellement exercée.
Par ailleurs, si le demandeur est propriétaire d'un immeuble d'habitation à [Localité 6] de trois étages, outre les combles aménagés, comprenant au moins trois appartements, ayant donné lieu à un revenu locatif net imposable de 18 738 euros au titre de l'année 2021, selon l'avis d'impôt 2022, l'extrait de livre foncier produit par l'EURL révèle que le bien a été acquis au moyen d'un emprunt et qu'il est hypothéqué.
Enfin, il ressort de l'attestation de l'expert-comptable de Maître [D] en date du 30 septembre 2022, corroborée par une attestation du bâtonnier de l'ordre des avocats d'Istanbul du même jour, ainsi que du jugement du 24 février 2022, que Maître [D] ne bénéficie, pour le règlement des sommes dues, de la garantie d'aucune assurance professionnelle ni en Turquie, ni en France, son appel en garantie formée à l'encontre de la société Zurich Insurance PLC ayant été déclaré irrecevable comme étant prescrit.
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Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la situation financière du demandeur ne lui permet pas d'exécuter le jugement le condamnant à un montant de plus de 300 000 euros, sans encourir de graves conséquences financières susceptibles de rompre de manière irréversible son équilibre financier.
S'agissant des risques de non-restitution des montants qui seraient versés en vertu de l'exécution provisoire, il convient de constater que l'EURL FIPI, dont l'objet est la gestion du patrimoine de son dirigeant et actionnaire unique, Monsieur [N] [V], admet elle-même qu'elle n'a aucun moyen financier, ayant perdu tous les fonds investis, du fait des erreurs de son avocat, et précise que son dirigeant est gravement malade.
De plus, Monsieur [D] produit les conclusions en date du 12 décembre 2022 de Monsieur [W], versées dans le cadre de la procédure d'appel initiée par ce dernier, aux termes desquelles il est indiqué que Monsieur [V] a déjà été condamné pour des faits d'abus de biens sociaux le 4 juillet 2009, que la décision fait état de « faux contrats d'évaluation par la SARL FIPI », de fausses factures, et le bordereau de pièces joint à ces conclusions mentionne en pièce 14 la décision du tribunal correctionnel correspondante.
Par conséquent, et en l'état des relations très dégradées entre les parties, un risque de non- restitution des fonds par la SARL FIPI, en cas d'infirmation du jugement du 24 février 2022, ne peut être écarté.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y en a lieu d'admettre que le demandeur justifie suffisamment que l'exécution provisoire du jugement du 24 février 2022 entraînerait pour lui un risque de conséquences manifestement excessives, au sens de l'article 524 du code de procédure civile précitée.
Sur la demande dirigée à l'encontre de Monsieur [C] [W]
L'article 524 précité conditionne la recevabilité de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire à l'existence d'un appel du jugement dont les dispositions sont exécutoires.
En l'espèce, Monsieur [D] a bien interjeté appel du jugement du 24 février 2022.
Par ailleurs, il n'appartient pas au premier président, saisi sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile, d'analyser et encore moins de se prononcer sur la recevabilité de l'appel.
L'appelant est en droit d'attraire à la procédure de référé sursis engagée sur ce fondement une partie qui n'est pas intimée dans la procédure d'appel mais qui est concernée par sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire, dès lors qu'elle a été condamnée in solidum avec lui à payer les montants dus.
Par ailleurs, dans le cadre de la présente procédure, le principe du contradictoire a été respecté puisque Monsieur [W], représenté par son conseil, qui a reçu communication des conclusions adverses et a comparu à l'audience, a été à même de présenter ses observations.
La présente ordonnance sera donc déclarée commune et opposable à Monsieur [W].
Sur les frais et dépens
La présente procédure étant étroitement liée à la procédure au fond dont l'issue est incertaine, chaque partie supportera ses propres dépens et il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Déclarons les demandes de Monsieur [X] [D] recevables ;
Ordonnons à l'égard de Monsieur [X] [D] l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 24 février 2022 ;
Déclarons la présente ordonnance commune et opposable à Monsieur [C] [W] ;
Rejetons les demandes respectives des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons chaque partie à supporter ses propres dépens.
La greffière, La présidente,