La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/01/2023 | FRANCE | N°20/03730

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 20 janvier 2023, 20/03730


MINUTE N° 32/2023





























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER



- Me Katja MAKOWSKI





Le 20 janvier 2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 20 Janvier 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03730 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HONC
>

Décision déférée à la cour : 19 Octobre 2020 par le tribunal judiciaire à compétence commerciale de MULHOUSE





APPELANTE et intimée sur appel incident :



La S.A.S. DUPRE prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]



repr...

MINUTE N° 32/2023

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER

- Me Katja MAKOWSKI

Le 20 janvier 2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 20 Janvier 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03730 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HONC

Décision déférée à la cour : 19 Octobre 2020 par le tribunal judiciaire à compétence commerciale de MULHOUSE

APPELANTE et intimée sur appel incident :

La S.A.S. DUPRE prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

plaidant : Me KHAMLICHI-RIOU substituant Me RÉMOND, avocat à [Localité 5].

INTIMÉE et appelante sur appel incident :

La S.A.S. PROTEC prise en la personne de ses représentants légaux,

ayant son siège social [Adresse 1]

représentée par Me Katja MAKOWSKI, avocat à la cour.

plaidant : Me MEKKI, avocat à [Localité 3].

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre,

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Mme Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Dominique DONATH, faisant foncion de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Protec a fait construire un immeuble à destination de foyer-logement comportant 42 studios, à [Localité 4] (Charentes Maritimes), qu'elle a vendu en l'état futur d'achèvement à la société Médica France (devenue Korian), selon acte authentique du 14 octobre 2011, la livraison devant intervenir le 30 janvier 2013.

Le lot sanitaire, VMC, climatisation a été confié à la SAS Dupré.

Les travaux ont fait l'objet d'une réception avec réserves, le 18 décembre 2014, et les réserves ont été levées le 13 janvier 2015.

La société Korian a toutefois refusé la livraison le 30 janvier 2015 invoquant des inachèvements et une expertise judiciaire a été ordonnée.

Parallèlement, la société Protec n'ayant pas réglé le solde des marchés de différentes entreprises intervenues sur le chantier après établissement par chacune d'elles de son mémoire définitif, neuf d'entre elles l'ont assignée devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Mulhouse. Les procédures ont été jointes.

Par jugement du 19 octobre 2020, le tribunal judiciaire, dans les rapports entre la société Protec et la société Dupré, a :

- débouté la société Dupré de sa demande au titre du marché de travaux,

- condamné la société Protec à payer à la société Dupré la somme de 24 562,68 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2015 au titre des travaux hors marché,

- condamné la société Dupré à payer à la société Protec la somme de 9 566,68 euros au titre des pénalités de retard et pertes d'exploitation nées du retard dans l'exécution des travaux,

- rejeté les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société demanderesse aux dépens.

Le tribunal, après avoir rappelé les termes de l'article 3.6 du CCAP a retenu, s'agissant de la demande en paiement de la société Dupré, que :

- selon l'article 1er du CCAP qui énumère les pièces contractuelles, les dispositions du CCAP primaient en cas de contradiction sur celles de la norme NFP 03-001, ce qui était le cas en l'espèce,

- la société Protec avait adressé son mémoire définitif à la société Dupré faisant apparaître un solde en faveur du maître de l'ouvrage, par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 avril 2016,

- cette dernière l'ayant contesté tardivement, le 17 mai 2016, sa demande au titre du solde de son marché devait être rejetée,

- la société Protec avait acceptés deux devis datés des 27 mai et 2 juillet 2014 portant sur des travaux distincts de ceux relevant du lot qui était attribué à la société Dupré dans le cadre du marché initial, s'agissant de travaux consécutif à un sinistre qui, en l'absence de preuve contraire, n'avait pas eu pour effet de détruire l'ouvrage, de sorte que les dispositions de l'article 1788 du code civil ne trouvaient pas à s'appliquer, et le paiement des factures correspondantes était dû.

Pour accueillir partiellement la demande reconventionnelle de la société Protec en paiement de pénalités de retard et de dommages et intérêts, le tribunal a retenu que le retard dans l'exécution des travaux était avéré mais que les pièces afférentes aux pénalités et pertes d'exploitations visées dans le DGD n'étant pas produites, ni la justification des sommes dont la société Protec avait dû s'acquitter à l'égard de la société Korian, il y avait lieu de réviser les pénalités dues par les entreprises, en application de l'article 1152, ancien du code civil.

La société Dupré a interjeté appel de ce jugement, le 7 décembre 2020, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre du marché de travaux et de celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il l'a condamnée au paiement de pénalités de retard et de pertes d'exploitation nées du retard dans l'exécution des travaux.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 octobre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 5 septembre 2022, la société Dupré demande à la cour l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre du solde de son marché et en ce qu'il l'a condamnée au paiement de pénalités de retard et pertes d'exploitation nées du retard dans l'exécution des travaux,

Statuant à nouveau de :

- condamner la société Protec à lui verser la somme de 95 668,89 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2015, au titre du marché de travaux,

- débouter la société Protec de son appel incident,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Protec au paiement de la somme de 24 562,68 euros au titre des travaux en dehors du marché, avec intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2015,

- débouter la société Protec de toutes demandes, fins et conclusions contraires,

- la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance comme d'appel.

Au soutien de son appel, elle fait valoir que le mémoire définitif de la société Protec lui est inopposable puisque le maître de l'ouvrage n'a pas respecté le délai de 45 jours imposé par l'article 3.6 du CCAP, dont il se prévaut, pour communiquer son décompte général définitif (DGD) en réponse à celui de l'entreprise.

Elle soutient que cet article reprend les articles 19.5 et 19.6 de la norme NFP 03-001, sauf en ce qui concerne les sanctions attachées aux délais, et qu'il doit être considéré que la norme, qui est contractuelle, n'est pas contraire au CCAP mais le complète.

En outre, selon le CCAP seul le délai de 8 jours imparti à l'entreprise pour répondre au DGD notifié par le maître de l'ouvrage emporterait présomption irréfragable d'acceptation de ce décompte, alors que la norme prévoit qu'en l'absence de notification par le maître de l'ouvrage de son décompte définitif dans le délai de 45 jours de la réception du mémoire définitif de l'entreprise, il est réputé avoir accepté le mémoire définitif de l'entrepreneur après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours,

or une présomption irréfragable d'acceptation tacite du mémoire définitif ne saurait exister au seul détriment d'une partie au risque de créer un déséquilibre contractuel et de faire un usage déloyal du contrat, en méconnaissance de l'article 1104 du code civil.

L'appelante ajoute que, en application de l'article 1189 du code civil, les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.

Elle considère que puisque son propre décompte définitif a été adressé le 27 novembre 2014, par lettre simple à la maîtrise d'oeuvre et au maître de l'ouvrage, et que ses travaux ont réceptionnés sans réserve le 18 décembre 2014, son décompte doit prévaloir, le formalisme de la notification de son mémoire définitif n'étant assorti d'aucune sanction.

En outre, elle a adressé à la société Protec des courriers de mise en demeure le 24 octobre 2015, accompagnés de sa facturation au titre d'une part du marché principal et d'autre part des travaux complémentaires, cette mise en demeure correspondant à celle prévue par l'article 19.6 de la norme, de sorte que conformément à l'article 19.6.2, la société Protec disposait d'un délai expirant le 10 décembre 2015 pour contester le décompte de la société Dupré, ce qu'elle n'a pas fait. Elle est donc réputée avoir accepté tacitement le décompte de l'entreprise, et ne pouvait plus le contester lorsqu'elle a établi son propre décompte définitif qui est dès lors inopposable à l'entreprise. Par voie de conséquence, la demande de la société Dupré au titre du solde de son marché doit être accueillie et la demande reconventionnelle de la société Protec rejetée.

Subsidiairement, la société Dupré conteste avoir été défaillante, la société Protec ne démontrant pas en quoi le retard du chantier lui serait imputable, en outre aucune mise en demeure ne lui a été adressée en méconnaissance de l'article 1231-5 in fine du code civil, et la société Protec ne fournit aucun justificatif démontrant la réalité de ses pertes d'exploitation nées du retard dans l'exécution des travaux, et ne justifie pas des indemnisations qui auraient été sollicitées par l'acquéreur gestionnaire du bâtiment.

Elle ajoute que le CCAP prévoit que les délais d'exécution sont prorogés en cas de retard dans l'exécution des travaux à réaliser par le maître de l'ouvrage, or dès le départ le chantier a été retardé et les comptes rendus de chantier démontrent le peu de réactivité de la société Protec.

Très subsidiairement, la société Dupré approuve le tribunal en ce qu'il a fait application de l'article 1152 ancien, désormais 1231-5 du code civil, pour réduire le montant réclamé au titre des pénalités de retard prévues par l'article 4 du CCAP qui s'analysent en une clause pénale.

Enfin, les travaux supplémentaires ont été dûment acceptés par la société Protec, contrairement à ce qu'elle a pu prétendre, et elle ne peut se prévaloir du caractère forfaitaire et global du marché car il s'agit d'une modification des réseaux après sinistre, et de travaux de plomberie en cuisine, suite à un affaissement imputable au lot maçonnerie. Le paiement de ces travaux est du, l'article 1788 du code civil n'ayant pas vocation à s'appliquer car l'ouvrage n'a pas 'péri'.

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 5 septembre 2022, la société Protec demande à la cour de déclarer l'appel de la société Dupré irrecevable ou pour le moins mal fondé,

- confirmer le jugement, au besoin par substitution de motif en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société Protec à payer à la société Dupré la somme de 24 562,68 euros au titre des travaux en dehors du marché, avec intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2015, condamné la société Dupré à payer à la société Protec la somme de 9 566,68 euros au titre des pénalités de retard et pertes d'exploitation nées du retard dans l'exécution des travaux, (ou plus exactement en ce qu'il a débouté la société Protec du surplus de ses demandes), rejeté les demandes des parties faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déclarer l'appel incident de la société Protec recevable et bien fondé,

- annuler, infirmer ou réformer le jugement des chefs susvisés,

Statuant à nouveau :

- constater le caractère irrecevable et en tout état de cause infondé des demandes formées par la société Dupré au regard du caractère définitif et contractuel du mémoire définitif présumé accepté de façon irréfragable,

- débouter la société Dupré de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et notamment au titre de la facturation "complémentaire" de celle-ci,

- recevoir la société Protec en sa demande reconventionnelle,

- condamner la société Dupré à lui payer la somme de 85 956,52 euros au titre du lot n°15, sanitaires, chauffage, VMC, climatisation,

- dire et juger que les condamnations ainsi prononcées produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception du décompte définitif de la société Protec par la société Dupré, soit le 11 avril 2016,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société Dupré à payer à la société Protec, sauf à parfaire, la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.

Elle fait valoir que l'absence de réponse dans le délai de 8 jours suite à la notification, le 8 avril 2016, de son DGD entraîne acceptation tacite et irréfragable de ce décompte par l'entreprise.

Elle relève que l'appelante ne démontre pas l'envoi de son mémoire définitif, et quels en auraient été les destinataires, alors que de plus il serait antérieur à la réception des travaux.

Elle souligne que le délai de 45 jours imparti au maître de l'ouvrage pour établir son propre décompte n'est assorti d'aucune sanction contractuelle, et que conformément à l'article 1120 nouveau du code civil, le silence ne peut valoir acceptation en l'absence de disposition spécifique. En outre, les dispositions de la norme NFP 03-001, à supposer qu'elles s'appliquent, prévoient l'envoi d'une mise en demeure d'avoir à établir son décompte définitif au maître de l'ouvrage, or aucune mise en demeure ne lui a été adressée à cette fin, mais seulement pour paiement d'un prétendu solde.

L'intimée fait valoir en effet que, dans la hiérarchie des documents contractuels, le CCAP prime sur la norme NFP 03-001, et que celle-ci n'a pas vocation à s'appliquer puisqu'il existe des contradictions entre les dispositions relatives à l'établissement des mémoires définitifs. Elle considère que le CCAP se suffit à lui-même et n'a pas à être complété.

Elle soutient que l'appelante ne démontre pas en quoi la procédure d'établissement des comptes créerait un déséquilibre contractuel non prévu initialement puisque le CCAP a été librement accepté par tous et que rien n'empêchait l'entreprise de respecter le délai de 8 jours pour contester le décompte du maître de l'ouvrage, et qu'il n'y a pas non plus de déloyauté de sa part à se prévaloir des stipulations contractuelles.

En l'absence d'établissement de son mémoire définitif par l'entreprise, la société Protec pouvait établir le sien, et dès lors que son propre décompte fait apparaître un solde négatif en sa faveur, elle doit en obtenir paiement puisque l'entreprise qui ne l'a pas contesté en temps utile est présumée de façon irréfragable l'avoir accepté, le caractère définitif de son décompte faisant en outre obstacle à l'application de l'article 1152, ancien du code civil.

Elle soutient que le retard est avéré, or l'article 4-1 du CCAP prévoit que toutes les entreprises sont solidairement responsables vis-à-vis du maître de l'ouvrage du respect du délai global d'exécution du chantier, de sorte qu'il n'y a pas lieu de justifier de l'imputabilité du retard, en tout état de cause des retards sont imputables à la société Dupré.

Enfin, l'article 1231-1 du code civil exigeant une mise en demeure préalable, qui est issu de la réforme de 2016, n'est pas applicable, l'article 4 du CCAP prévoyant de plus que les pénalités de retard courent de plein droit sans mise en demeure.

Subsidiairement, elle conteste le décompte de l'entreprise et les travaux supplémentaires facturés par la société Dupré qui concernent le même marché et se heurtent donc au caractère définitif du décompte du maître de l'ouvrage. La société Protec se fonde à cet égard sur les dispositions de la norme NFP 03-001 en l'absence de disposition du CCAP sur ce point.

L'intimée considère qu'il ne peut être soutenu qu'il s'agirait de travaux distincts, et en tout état de cause, s'agissant des conséquences d'un sinistre survenu alors que le chantier n'avait pas été réceptionné, ses conséquences ne doivent pas être supportées par le maître de l'ouvrage mais par l'entreprise qui supporte les risques de ses prestations jusqu'à la réception, en application de l'article 1788 du code civil, sauf pour la société Dupré à rapporter la preuve d'une cause étrangère ce qu'elle ne fait pas.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

À titre liminaire, il sera relevé que la société Protec conclut à l'irrecevabilité de l'appel mais sans soulever aucun moyen précis. Cette demande n'ayant pas été soumise au conseiller de la mise en état qui a compétence exclusive pour en connaître, est irrecevable en tant que formée devant la cour, et en l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, il y a lieu de déclarer l'appel recevable.

Sur le marché principal

Les pièces contractuelles sont définies à l'article 1er du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) qui vise en premier lieu le marché de travaux, puis le CCAP et en dernier lieu, après différents autres documents techniques, la norme NFP 03-001 dans sa version en vigueur à la date de signature du marché de travaux. Cet article dispose par ailleurs qu'en cas d'éventuelle contradiction les pièces contractuelles priment les unes sur les autres dans l'ordre de leur énumération.

Par voie de conséquence, en cas de contradiction le CCAP prime sur la norme NFP 03-001.

En l'occurrence, les modalités d'établissement des mémoires définitifs sont prévues à l'article 3.6 du CCAP qui dispose :

' Dans le délai de 30 jours calendaires à compter de la réception ou de la résiliation du contrat l'entrepreneur adressera au maître de l'ouvrage et au maître d'oeuvre, par lettre recommandée avec accusé de réception, son projet de mémoire définitif des travaux.

Le mémoire définitif est établi par la maîtrise d'oeuvre dans le mois de la réception par ses soins du projet de mémoire définitif.

Ce mémoire définitif, éventuellement modifié par le maître de l'ouvrage, est notifié par celui-ci à l'entreprise, par lettre recommandée avec accusé de réception dans les 45 jours de sa réception.

Celle-ci dispose d'un délai de 8 jours pour notifier sous la même forme au maître d'ouvrage et à la maîtrise d''uvre, ses éventuelles observations écrites.

Passé ce délai et à défaut de notification en réponse, l'entreprise est présumée de façon irréfragable avoir accepté le décompte dressé par le maître d'ouvrage.

L'entreprise s'interdit, dans cette hypothèse, de contester le bien-fondé de ce décompte qui constituera la loi des parties et sur la base duquel seront liquidées les sommes qui lui sont éventuellement dues.

Si l'entreprise n'a pas établi son projet de mémoire définitif dans le délai de 30 jours à compter de la réception ou de la résiliation de son marché, le maître de l'ouvrage peut, si bon lui semble, établir ou faire établir par la maîtrise d'oeuvre, le mémoire définitif des travaux.

Celui-ci est alors notifié et éventuellement contesté par l'entreprise dans les conditions de forme et de délais ci-dessus stipulées. 

Ces dispositions divergent de celles prévues par les articles 19.5 et 19.6 de la norme NFP 03.001 dans sa version de décembre 2000 applicable au contrat. L'article 19.5.1 prévoit en effet, sauf dispositions contraires du CCAP, un délai de 60 jours à dater de la réception ou de la résiliation, pour la remise par l'entreprise au maître d'oeuvre de son mémoire définitif, et l'article 19.5.4, qu'en l'absence de remise de son mémoire définitif par l'entreprise, le maître de l'ouvrage peut, après mise en demeure restée sans effet, le faire établir par le maître d'oeuvre aux frais de l'entrepreneur.

L'article 19.6 intitulé 'Vérification du mémoire définitif - établissement du décompte définitif' énonce par ailleurs :

' 19.6.1 Le maître d'oeuvre examine le mémoire définitif et établit le décompte définitif des sommes dues en exécution du marché. Il remet ce décompte au maître de l'ouvrage.

19.6.2 Le maître de l'ouvrage notifie à l'entrepreneur ce décompte définitif dans un délai de 45 jours à dater de la réception du mémoire définitif par le maître d'oeuvre. Ce délai est porté à 4 mois à dater de la réception des travaux dans le cas d'application du paragraphe 19.5.4.

Si le décompte n'est pas notifié dans ce délai, le maître de l'ouvrage est réputé avoir accepté le mémoire définitif remis au maître d'oeuvre après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours.

La mise en demeure est adressée par l'entrepreneur au maître d'ouvrage avec copie au maître d''uvre. 

19.6.3 L'entrepreneur dispose de 30 jours à compter de la notification pour présenter, par écrit, ses observations éventuelles au maître d'oeuvre et pour en aviser simultanément le maître de l'ouvrage. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté le décompte définitif.

19.6.4 Le maître de l'ouvrage dispose de 30 jours pour faire connaître, par écrit, s'il accepte ou non les observations de l'entrepreneur. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté ses observations. 

Les dispositions du CCAP ci-dessus rappelées sont contraires à celles de la norme en ce qui concerne les délais et leurs sanctions, puisque, notamment, le CCAP n'assortit d'aucune sanction le délai de 45 jours imparti au maître de l'ouvrage pour établir son propre décompte en réponse à celui de l'entreprise. La norme subordonne par ailleurs la mise en oeuvre de certaines dispositions à l'envoi préalable d'une mise en demeure restée infructueuse, ce que ne reprend pas le CCAP.

Par voie de conséquence, dès lors que le CCAP organise une procédure de vérification du mémoire définitif et d'établissement du décompte définitif différente de celle prévue par la norme NFP 03-001, les dispositions du CCAP, conformément à la hiérarchie des dispositions contractuelles, priment sur celles de la norme, à laquelle elles dérogent.

Ces dispositions étant claires et dépourvues de tout ambiguïté ne donnent pas lieu à interprétation.

Si les stipulations du CCAP sont certes défavorables à l'entrepreneur puisque le délai de 45 jours imparti au maître de l'ouvrage pour contester le décompte établi par l'entreprise n'est assorti d'aucune sanction, à la différence du délai de 8 jours imparti à cette dernière pour contester le DGD notifié par le maître de l'ouvrage, pour autant l'appelante ne prétend pas que cette clause n'était pas négociable, et ne demande pas qu'elle soit réputée non écrite. Elle ne peut donc soutenir que le fait pour la société Protec de se prévaloir des dispositions du CCAP acceptées par les parties caractériserait un usage déloyal d'une prérogative contractuelle au sens de l'article 1134, ancien du code civil, applicable au litige, l'article 1104 issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 n'étant pas applicable.

Au surplus, en l'espèce, comme l'a relevé le tribunal, la société Dupré ne justifie pas avoir régulièrement notifié son mémoire définitif au maître de l'ouvrage et au maître d'oeuvre par lettre recommandée avec accusé de réception comme l'impose l'article 3.6 du CCAP. Si le non-respect de cette règle de forme n'est assorti d'aucune sanction, cette règle a néanmoins pour objet de permettre à l'entrepreneur de se ménager la preuve de l'envoi de son mémoire définitif et de sa réception qui fait courir le délai de 45 jours imparti au maître de l'ouvrage pour notifier son propre décompte, ainsi que celle du destinataire de cette notification.

Le fait que la société Protec n'ait pas expressément contesté avoir reçu le mémoire établi par la société Dupré ne saurait valoir reconnaissance de sa réception, étant au surplus observé que le décompte auquel se réfère l'appelante daté du 27 novembre 2014 ne répond pas aux exigences de l'article 3.6 puisqu'il est antérieur à la réception des travaux.

La mise en demeure adressée par la société Dupré à la société Protec, par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 octobre 2015, reçue le 26 octobre, ne peut valoir notification du mémoire définitif de l'entreprise, en ce qu'elle tendait seulement au paiement d'une somme de 95 668,89 euros au titre du marché principal renvoyant à 'la facturation jointe', or le courrier versé aux débats est dépourvu de pièce jointe.

Par voie de conséquence, comme l'a exactement retenu le tribunal, la société Dupré ne démontrant ni l'envoi de son mémoire au maître d'oeuvre et au maître de l'ouvrage, ni sa réception, la société Protec était en droit, en application des stipulations contractuelles ci-dessus rappelées, de notifier son propre décompte, ce qu'elle a fait par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 avril 2016, réceptionnée le 11 avril.

La société Dupré qui disposait d'un délai de 8 jours pour présenter ses observations, en application de l'article 3.6 du CCAP précité, ayant tardé à le faire, son courrier recommandé en réponse étant en effet daté du 17 mai 2016, c'est à bon droit que le tribunal a considéré qu'elle était présumée de manière irréfragable avoir accepté le décompte de la société Protec et s'interdisait de le contester, ce qui commandait le rejet de sa demande en paiement, puisque ce décompte ne faisait apparaître aucun solde en sa faveur.

En revanche, c'est à tort que le tribunal, motif pris d'une absence de justificatifs et de preuve de l'imputabilité du retard, faisant application de l'ancien article 1152, ancien du code civil, a procédé d'office à la révision des pénalités de retard et pertes d'exploitation nées du retard dans l'exécution des travaux, alors que selon les stipulations contractuelles ci-dessus, le décompte définitif accepté constitue la loi des parties, l'entreprise s'interdisant de le contester, de sorte que le tribunal n'avait pas à vérifier si les montants portés en déduction des sommes dues à l'entreprise étaient assortis de justificatifs et n'avait pas davantage le pouvoir de réviser d'office le décompte, les contestations élevées par l'appelante étant en effet inopérantes.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a débouté la société Dupré de sa demande en paiement au titre du marché prinicpal, mais infirmé sur la demande reconventionnelle de la société Protec qui sera accueillie, la société Dupré étant condamnée à lui verser la somme de 85 956,52 euros, outre intérêts au taux légal à compter à compter du 31 octobre 2019, date de la demande, et non pas de la réception du décompte qui n'était pas encore définitif à cette date. Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts échus pour une année entière dans les conditions prévues par l'article 1154 ancien du code civil, devenu 1343-2.

Sur les autres travaux

Comme l'a relevé le tribunal, la société Dupré a émis deux autres factures n° F1402125 et F1501093 le 14 novembre 2014 et le 31 mai 2015 correspondant respectivement à des travaux de modifications des réseaux d'eaux usées suite à sinistre et à la construction d'une cuisine, faisant suite à deux devis des 27 mai et 2 juillet 2014 dûment acceptés par la société Protec.

Cette dernière ne peut soutenir qu'il ne s'agirait pas de travaux distincts mais de travaux s'inscrivant dans le cadre du marché initial qui se trouvent nécessairement intégrés dans le décompte précédent, alors que ces travaux qui ont fait l'objet de devis distincts acceptés par elle et d'une facturation distincte par la société Dupré, n'ont pas été intégrés dans le décompte général définitif dressé par l'intimée qui ne peut donc opposer à l'appelante son absence de contestation.

Comme l'a retenu le tribunal, s'il n'est pas contesté que ces travaux ont été réalisés suite à un sinistre, il n'est pas pour autant démontré que les ouvrages de la société Dupré avaient péri s'agissant de travaux de modifications du réseau d'eaux usées et de la construction d'une cuisine, de sorte que l'article 1788 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a accueilli la demande de la société Dupré au titre de ces travaux, et a condamné la société Protec au paiement de la somme de 24 562,68 euros outre intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2015, date de la mise en demeure.

Sur les dépens et frais exclus des dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles. Les dépens de la procédure d'appel seront supportés par la société Dupré qui ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera en revanche alloué à la société Protec une somme de 1 500 euros sur ce fondement en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE l'appel de la société Dupré recevable ;

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse, chambre commerciale, en date du 19 octobre 2020, dans les rapports entre la société Dupré et la société Protec, sauf en ce qu'il a condamné la société Dupré à payer à la société Protec la somme de 9 566,68 euros au titre des pénalités de retard et pertes d'exploitation nées du retard dans l'exécution des travaux et a rejeté le surplus de la demande de la société Protec ;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant au jugement,

CONDAMNE la SAS Dupré à payer à la SAS Protec la somme de 85 956,52 € (quatre-vingt cinq mille neuf cent cinquante-six euros cinquante-deux centimes), outre intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2019 ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus pour une année entière dans les conditions prévues par l'article 1154 ancien du code civil, devenu 1343-2 ;

CONDAMNE la SAS Dupré aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Protec la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

DEBOUTE la société Dupré de sa demande sur ce fondement en appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03730
Date de la décision : 20/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-20;20.03730 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award