La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2023 | FRANCE | N°20/03440

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 12 janvier 2023, 20/03440


MINUTE N° 18/2023





























Copie exécutoire à



- Me Patricia CHEVALLIER-

GASCHY



- Me Joëlle LITOU-WOLFF



- Me Valérie SPIESER



- Me RICHARD



- Me Katja MAKOWSKI



Le 12/01/2023



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 12 JANVIER 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03440 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HN5N



Décision déférée à la cour : 26 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG





APPELANTS :



Monsieur [O] [E]

demeurant [Adresse 5]



La société d'assurances mutuelle MACSF ASSU...

MINUTE N° 18/2023

Copie exécutoire à

- Me Patricia CHEVALLIER-

GASCHY

- Me Joëlle LITOU-WOLFF

- Me Valérie SPIESER

- Me RICHARD

- Me Katja MAKOWSKI

Le 12/01/2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 12 JANVIER 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03440 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HN5N

Décision déférée à la cour : 26 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTS :

Monsieur [O] [E]

demeurant [Adresse 5]

La société d'assurances mutuelle MACSF ASSURANCES

représentée par son représentant légal ès qualités audit siège,

ayant son siège social [Adresse 21]

représentés par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.

INTIMÉS :

Monsieur [LW] [R]

Mademoiselle [W] [R]

Mademoiselle [D] [R]

demeurant tous les trois [Adresse 9]

Monsieur [J] [R],

Mademoiselle [K] [R] représentée par ses représentants légaux,

Monsieur [B] [R] représenté par ses représentants légaux,

demeurant tous les trois [Adresse 16].

Monsieur [N] [R]

demeurant [Adresse 8]

Monsieur [Z] [R]

demeurant [Adresse 19]

Madame [U] [R] épouse [IN]

demeurant [Adresse 2]

Monsieur [CA] [R]

demeurant [Adresse 20]

Monsieur [KD] dit [M] [R]

demeurant [Adresse 7]

Monsieur [B] [R]

demeurant [Adresse 17]

Madame [PE] [R]

demeurant [Adresse 23])

Madame [KG] [R] épouse [C]

demeurant [Adresse 15]

Monsieur [T] [R]

demeurant [Adresse 13]

tant en leur personnel qu'en leur qualité d'héritiers, descendants, ayant droits, neveux,

représentés par Me Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la cour.

plaidant : Me LUTZ-SORG, avocat à Strasbourg.

La CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS prise en la personne de son représentant légal,

agissant conformément à l'article 1 du décret n°2007-173 du 7 février 2007, en tant que gérant et représentant du fonds CNRACL (Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités Locales)

ayant son siège social [Adresse 14]

représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

La MUTUELLE INTERIALE, représentée par son représentant légal ès qualités audit siège,

ayant son siège social [Adresse 12]

assignée le 8 octobre 2021 à personne morale.

L' ETABLISSEMENT DE RETRAITE ADDITIONNELLE DE LA FONC TION PUBLIQUE représenté par son directeur en fonction,

ayant son siège social [Adresse 3]

représenté par Céline RICHARD avocat à la Cour

La Mutualité MFP SERVICES - SOLSANTIS

ayant son siège social [Adresse 24]

représentée par Me MAKOWSKI, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Mme Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRÊT réputé contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 13 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

Courant 2013, M. [TJ] [R], se plaignant de varices avec sensation de jambes lourdes, a consulté son médecin généraliste, qui a fait réaliser un bilan angiographique et l'a adressé au docteur [DT], chirurgien vasculaire à la clinique de l'[22], suite au compte-rendu de ce bilan daté du 18 juin 2013.

Lors de la consultation auprès du docteur [DT], il a été décidé d'effectuer un éveinage saphène interne droit en ambulatoire, le 3 septembre 2013.

Préalablement à cette intervention, le 29 août 2013, M. [TJ] [R] a consulté le docteur [E], anesthésiste à la clinique de l'[22]. À l'issue de cette consultation, le docteur [E] a choisi une anesthésie générale avec mise en place d'un masque laryngé.

Le 3 septembre 2013, jour de l'intervention, M. [TJ] [R] a été admis au bloc opératoire et c'est le docteur [Y] qui a procédé à l'anesthésie générale, conformément à la technique convenue lors de la consultation pré-opératoire.

En raison de fuites sur le masque laryngé, qui rendaient la ventilation inefficace, le docteur [Y] a décidé d'intuber le patient. Les tentatives de laryngoscopie ayant échoué et M. [TJ] [R] étant entre-temps ventilé au masque facial, sans difficulté particulière, le docteur [Y] a appelé du renfort et deux collègues du bloc opératoire, les docteurs [G] et [BF], sont venus l'assister.

Les nouvelles tentatives d'intubation ont échoué et M. [TJ] [R] a présenté des difficultés majeures d'assistance de la ventilation au masque facial, si bien que le docteur [Y] a décidé d'arrêter les tentatives d'intubation et de pratiquer une trachéotomie.

Aucune activité cardiaque n'étant plus notée par les médecins, ces derniers ont pratiqué un massage cardiaque qui n'a pas produit de résultat efficace et l'impossibilité d'assurer une ventilation efficace à l'aide d'un kit de trachéotomie a conduit à effectuer une trachéotomie chirurgicale. La ventilation est alors devenue efficace, la fréquence cardiaque a été corrigée et le docteur [Y] a décidé de transférer M. [TJ] [R] le jour-même en réanimation au centre hospitalier universitaire.

Cependant, à compter du 6 septembre 2013, des anomalies hémodynamiques ont été notées et, le 9 septembre 2013, l'état neurologique du patient est passé en état de mort encéphalique.

Le docteur [Y] s'est suicidé le jour même.

La famille de M. [TJ] [R] a saisi le juge des référés d'une demande d'expertise médicale à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 6 décembre 2013 qui a désigné un collège de trois experts.

Par ordonnance du 20 mai 2014, les opérations d'expertise, ordonnées initialement au contradictoire de la clinique de l'[22] et des docteurs [E], [G], [BF] et [DT], ont été étendues à la MACSF Assurances, assureur responsabilité civile du docteur [E].

Les experts ont déposé leur rapport daté du 18 novembre 2014, et courant juillet 2016, Mme [L] [P], veuve [R], M. [J] [R], M. [N] [R], M. [Z] [R], Mme [U] [R], M. [CA] [R], M. [LW] [R], Mme [W] [R], Mme [D] [R], représentée par Mme [L] [R], M. [H] [B] [R], Mme [WS] [R], M. [KD] dit [M] [R], M. [B] [R], né le [Date naissance 11] 1956, M. [T] [R], Mme [PE] [R], Mme [KG] [R], épouse [C], Mme [IR] [R], majeure sous tutelle représentée par son père, M. [H] [R], Mme [K] [R], représentée par ses représentants légaux, et M. [B] [R], né le [Date naissance 1] 2013, représenté par ses représentants légaux, ont saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg de demandes dirigées contre le docteur [E] et la société d'assurance mutuelle la MACSF, en sa qualité d'assureur de ce praticien, ayant fait appeler en déclaration de jugement commun la MFP Services, devenu la MFP Services Solantis, organisme tiers payeur.

Par la suite, ils ont également fait assigner la Mutuelle Intériale, la Retraite Additionnelle de la Fonction Publique, puis la Caisse de Retraite des Agents des Collectivités locales.

Le Sou Médical, société médicale d'assurances et de défense professionnelles, est intervenu volontairement à la procédure.

Après interruption de la procédure à l'égard de Mme [D] [R], représentée par Mme [L] [R], constatée par le juge de la mise en état en raison de sa majorité, Mme [D] [R] est intervenue volontairement à la procédure.

Par jugement du 26 octobre 2020, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg, a, statuant en premier ressort :

- débouté le docteur [E] et son assureur responsabilité civile professionnelle, la MACSF, de leur demande de contre-expertise,

- déclaré le docteur [E] responsable du décès de M. [TJ] [R],

- condamné in solidum le docteur [E] et son assureur responsabilité civile professionnelle, la MACSF, à réparer les préjudices subis en lien de causalité direct et certain avec la faute commise, consistant en un choix non adapté de la technique d'anesthésie,

Avant dire droit sur la liquidation des préjudices, le tribunal a invité les parties à conclure sur les demandes indemnitaires et à produire l'ensemble des pièces nécessaires à l'évaluation des préjudices. Dans cette attente, il a ordonné le sursis à statuer sur la liquidation des préjudices et sur le surplus des demandes et renvoyé la procédure à une audience de mise en état ultérieure.

Sur la demande de contre-expertise, le tribunal, soulignant qu'une contre-expertise ne se justifie qu'en cas de manquement de l'expert à ses obligations ou à sa mission, s'il persiste des incertitudes sérieuses au terme des conclusions déposées, a relevé que le dire du professeur [I], dont se prévalaient les défendeurs, avait été examiné sur chacun des points de contestation et que le collège d'experts y avait répondu de manière circonstanciée, ce dire ne constituant dès lors pas un élément nouveau.

Sur l'analyse du rapport d'expertise réalisée par le professeur [F], invoqué également par les défendeurs, le tribunal a considéré que, contrairement aux observations de ce professeur, le raisonnement du collège d'experts n'était pas un raisonnement a posteriori mais que les experts avaient au contraire tenu compte des éléments disponibles lors des faits, précisant de quels documents ils ressortaient et fondant leurs conclusions sur des éléments connus.

De plus, les experts avaient répondu très clairement au dire du professeur [F] selon lequel les facteurs de risque potentiel qu'ils mettaient en avant ne seraient pas scientifiquement démontrés comme contributifs à la complication survenue, en précisant notamment qu'il ne s'agissait pas d'affirmer que tel ou tel élément du dossier était une contre-indication absolue à l'anesthésie générale mais que l'accumulation de faits recueillis lors de la consultation préopératoire, qui pouvait augurer d'une série de difficultés, devait entraîner logiquement le médecin de consultation à préconiser une anesthésie loco régionale.

S'ils évoquaient des événements mis en exergue durant leur mission, les experts ne fondaient pas leurs conclusions sur ces faits découverts a posteriori mais observaient seulement que ceux-ci apportaient un argument supplémentaire, s'il en était besoin, à leur raisonnement.

En conséquence, la demande de contre-expertise n'était pas étayée par des éléments techniques assez précis et sérieux, de nature à remettre en cause les conclusions de l'expertise, et ne reposait pas sur des éléments nouveaux.

Sur la responsabilité du docteur [E], rappelant l'obligation de moyen du médecin et le principe d'une responsabilité pour faute résultant des dispositions de l'article L.1142-1 du code de la santé publique, le tribunal a relevé tout d'abord que les experts avaient conclu que le décès de M. [TJ] [R] était totalement imputable à l'anesthésie générale, dont les conséquences auraient pu être anticipées par le choix judicieux d'une autre stratégie anesthésique.

En effet, ils retenaient trois éléments connus lors de la consultation d'anesthésie, dont le cumul aurait dû conduire à un tel choix :

- un terrain allergique avec un florilège de pathologies rapportées à ce terrain, pouvant faire craindre une allergie croisée avec l'un des agents anesthésiques utilisés et un risque d'accident anaphylactique,

- l'existence d'un asthme, certes non sévère et non traité lors des faits, mais pouvant favoriser la survenue d'un bronchospasme péri-opératoire dans un contexte d'allergie associée,

- l'existence d'une grosse langue et d'un score de Mallampati évalué à 3, pouvant faire supposer des difficultés d'intubation orotrachéale et de contrôle des voies aériennes.

Si l'existence de difficultés de contrôle des voies aériennes survenues 11 ans plus tôt n'avait été apprise que postérieurement à l'anesthésie, cela ne venait que confirmer la réalité du risque, celui-ci étant établi par le cumul des trois difficultés retenues par les experts.

Or, la réalisation d'une rachianesthésie (anesthésie de la moitié inférieure du corps), permise par la localisation de l'intervention, pouvait constituer cette alternative et n'aurait exposé M. [TJ] [R] ni à un risque allergique, ni à des difficultés de contrôle des voies aériennes, ni à un bronchospasme.

Les experts concluaient que le choix de la technique d'anesthésie effectuée par le docteur [E] n'était pas adapté aux éléments connus, lors de la consultation, relatifs au cas clinique de M. [TJ] [R], et que ce médecin anesthésiste n'avait pas mis en 'uvre tous les moyens à sa disposition pour éviter le résultat dommageable, en ce qu'il existait une autre technique d'anesthésie évitant l'ensemble des risques dont il avait connaissance, adaptée à la localisation de l'intervention, et que les difficultés prévisibles consécutives à une anesthésie générale auraient dû conduire à éviter cette dernière.

Le tribunal a souligné que les experts avaient précisé que la démarche de l'anesthésiste était basée sur l'évaluation des risques et qu'en conséquence, les mesures préventives devaient être conduites sur la base de l'évaluation pré-opératoire.

Le docteur [E] et la MACSF ont interjeté appel de ce jugement par déclaration datée du 16 novembre 2020.

Suite au décès de M. [H] [R], survenu le [Date décès 6] 2017, puis de Mme [V] [A], veuve [R], survenu le [Date décès 18] 2019, de Mme [IR] [R], survenu le [Date décès 4] 2020, et enfin de Mme [L] [P], veuve [R], survenu le [Date décès 10] 2020, une ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 16 février 2021 a constaté l'interruption de l'instance et imparti un délai expirant le 21 juin 2021 aux parties, pour faire connaître les diligences accomplies en vue de reprendre l'instance.

Par des conclusions transmises par voie électronique le 17 mai 2021, M. [J] [R], M. [N] [R], M. [Z] [R], Mme [U] [R], M. [CA] [R], M. [LW] [R], Mme [W] [R], Mme [D] [R], M. [KD] dit [M] [R], M. [B] [R], né le [Date naissance 11] 1956, M. [T] [R], Mme [PE] [R], Mme [KG] [R], épouse [C], Mme [K] [R], représentée par ses représentants légaux, et M. [B] [R], né le [Date naissance 1] 2013, représenté par ses représentants légaux, ont notamment repris l'instance, tant en leurs noms personnels respectifs qu'en leur qualité d'héritiers de leur mère, Mme [L] [P], veuve [R], de leur grand-père paternel, M. [H] [R], de leur grand-mère paternelle, Mme [WS] [A], veuve [R], et de leur tante, Mme [IR] [R].

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 6 octobre 2021, le docteur [E] et la MACSF sollicitent l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il les a déboutés de leur demande de contre-expertise, en ce qu'il a jugé le docteur [E] responsable du décès de M. [TJ] [R] et en ce qu'il les a condamnés in solidum à réparer les conséquences dommageables de ce décès, en lien de causalité direct et certain avec la faute commise, consistant en un choix non adapté de la technique d'anesthésie.

Les appelants sollicitent que la cour, statuant à nouveau :

- avant-dire droit, ordonne une contre-expertise en désignant un collège d'experts, avec une même mission que celle figurant dans l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg du 10 décembre 2013,

- sur le fond, déboute les intimés de l'ensemble de leurs conclusions dirigées à leur encontre et les condamne in solidum aux entiers frais et dépens, de première instance et d'appel.

A l'appui de leur demande de contre-expertise, le docteur [E] et la MACSF invoquent des erreurs d'appréciation et d'analyse du collège d'experts, qui vicient leurs conclusions et que le tribunal a occultées, ainsi qu'un accomplissement partiel de leur mission par les experts.

Ils se prévalent d'un dire du professeur [I] auquel le collège d'experts n'a, d'après les appelants, répondu que partiellement, de façon insatisfaisante, sur une analyse critique du professeur [F] et, par ailleurs, sur une analyse critique complémentaire du professeur [X], ces deux derniers étant experts judiciaires reconnus en matière d'anesthésie.

Ils invoquent le droit du docteur [E] à un procès équitable.

Les appelants soutiennent que la position des experts judiciaires ne repose sur aucune bibliographie ou littérature médicale justifiant que la rachianesthésie aurait dû s'imposer comme un choix indiscutable, au regard des connaissances médicales avérées.

Ils estiment démontrer, en se basant sur les recommandations de la SFAR (société française d'anesthésie et de réanimation), que ni le terrain allergique, ni l'asthme, ni le score de Mallampati à 3 ne contre-indiquaient l'anesthésie générale et n'imposaient la rachianesthésie.

Sur la prise en considération du terrain allergique, les appelants soulignent qu'il n'est nullement établi que le terrain atopique présenté par M. [TJ] [R], simplement caractérisé par une allergie à la poussière et saisonnière (rhume des foins) et par des rhinites, eût été de nature à faire craindre une allergie croisée avec un des agents anesthésiques et un risque d'accident anaphylactique.

Il en est de même de l'asthme, dont M. [TJ] [R] ne présentait plus de symptomatologie depuis neuf ans, en l'absence de tout traitement, étant par ailleurs sportif et en parfaite santé.

S'agissant du score de Mallampati à 3, qui pouvait faire suspecter une intubation difficile, l'information d'une intervention avec anesthésie générale 11 ans auparavant, sans complication, était rassurante et le choix d'un contrôle des voies aériennes par la pose d'un masque laryngé respectait les recommandations en la matière.

De plus, le choix d'une rachianesthésie présentait des risques avérés et n'était pas adapté à une prise en charge ambulatoire.

Les appelants soulignent qu'il est de bonne pratique anesthésique de proposer une nouvelle anesthésie générale à un patient qui en a déjà subi une a priori sans aucune complication.

Par ailleurs, sur la responsabilité, le docteur [E] et son assureur soulignent que la faute n'est caractérisée que si le médecin n'a pas agi conformément aux données acquises de la science (désormais aux connaissances médicales avérées) à l'époque des soins.

Ils soutiennent là encore que les conclusions des experts judiciaires reposent sur des considérations scientifiquement non étayées, non documentées, voire contraires aux recommandations de la SFAR, et que ces derniers ont retenu des éléments dépourvus de pertinence pour étayer leur analyse et leurs conclusions, contrairement au professeur [I], au professeur [F] et au professeur [X], selon lesquels la conduite anesthésique a été totalement conforme aux données acquises de la science au moment des faits et les soins ont été prodigués de manière consciencieuse et attentive.

Ils reprennent les motifs développés à l'appui de la demande de contre-expertise et ajoutent que, lors de la visite pré-anesthésique réalisée le jour de l'opération par le docteur [Y], ce dernier n'a pas remis en cause l'anesthésie générale retenue lors de la consultation effectuée par le docteur [E], alors qu'il aurait pu changer de technique d'anesthésie.

Ils font valoir que l'élément déterminant de l'accident médical est imputable exclusivement à l'absence de mention dans le dossier médical de M. [TJ] [R] et d'information dispensée à ce dernier de l'antécédent de difficulté de gestion des voies aériennes lors d'une opération subie en 2002, qui n'a été révélé qu'au cours de l'expertise judiciaire, alors qu'il s'agissait d'un antécédent essentiel puisqu'un risque majeur d'intubation impossible avait alors été identifié chez lui.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 17 mai 2021, M. [J] [R], M. [N] [R], M. [Z] [R], Mme [U] [R], M. [CA] [R], M. [LW] [R], Mme [W] [R], Mme [D] [R], M. [KD] dit [M] [R], M. [B] [R], né le [Date naissance 11] 1956, M. [T] [R], Mme [PE] [R], Mme [KG] [R], épouse [C], Mme [K] [R], représentée par ses représentants légaux, et M. [B] [R], né le [Date naissance 1] 2013, représenté par ses représentants légaux, sollicitent, outre qu'il leur soit donné acte de la régularisation de l'instance à la suite du décès de M. [H] [R], de Mme [V] [A], veuve [R], de Mme [IR] [R], et de Mme [L] [P], veuve [R], que les appelants soient déboutés de l'intégralité de leurs prétentions.

Ils sollicitent la confirmation du jugement déféré ainsi que la condamnation, in solidum, de M. [E] et de la mutuelle MACSF Assurances aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 500 euros à chacun des intimés en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel.

Les consorts [R] se réfèrent aux conclusions du collège d'experts qu'ils estiment parfaitement claires et motivées, mettant en évidence que le choix

de la technique d'anesthésie proposée au patient, qui en est consécutivement décédé, n'a pas été judicieux et c'est donc révélé dramatiquement inapproprié.

Les intimés soulignent que les experts ont très fortement motivé leur position relative à l'imputabilité totale du décès à l'anesthésie générale, dont les conséquences pouvaient être anticipées par le choix judicieux d'une autre stratégie anesthésique.

Ils soulignent que le collège d'experts a été composé de trois professeurs de médecine exerçant hors de la région Alsace et dans des établissements différents, dont un anesthésiste réanimateur et un chirurgien. De plus, il a été répondu de façon précise et complète à l'ensemble des dires des parties.

Les consorts [R] reprennent les motifs du jugement déféré sur le rejet de la demande de contre-expertise et se réfèrent aux conclusions des experts pour soutenir que l'instrumentation fautive du docteur [E] est seule à l'origine du décès de M. [TJ] [R].

Par ses conclusions transmises par voie électronique le 11 mai 2021, la Mutualité MFP Services Solsantis sollicite la confirmation du jugement mixte du 26 octobre 2020 et le rejet de toutes les conclusions du docteur [E] et de la MACSF ainsi que leur condamnation à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et que la poursuite de l'affaire soit ordonnée devant le tribunal judiciaire de Strasbourg.

Elle fait valoir que le tribunal a répondu aux arguments du docteur [E] et de son assureur, en rappelant que les critiques des professeurs [F] et [I] avaient été prises en considération par le collège d'experts qui y avaient répondu. Les motifs du rejet de la demande de contre-expertise n'emportent pas la critique.

Par ailleurs, elle affirme que les analyses critiques invoquées par les appelants ont été formulées auprès du collège d'experts et discutées par ce dernier qui n'en a pas retenu la pertinence, estimant qu'au regard des indications préopératoires et anesthésiques du docteur [E], la technique d'anesthésie proposée n'avait pas été judicieuse. Elle estime la faute de ce dernier avérée.

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 8 septembre 2021, la Caisse des Dépôts et Consignations, prise en la personne de son représentant légal, en sa qualité de gérante et de représentante du fonds CNRACL (Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités Locales), demande, au visa des articles 1, 5 et 7 de l'ordonnance 59-67 du 7 janvier 1959, qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle s'en remet à l'appréciation de la cour quant à la demande de contre-expertise et quant à la responsabilité du docteur [E] dans le décès de M. [TJ] [R].

Elle sollicite que soit ordonnée la poursuite de l'affaire devant le tribunal judiciaire de Strasbourg ainsi que la condamnation du docteur [E] et de la MACSF in solidum ou de tout succombant à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens de l'instance.

Elle indique tout au plus ne pas être favorable à la demande de contre-expertise, en précisant s'en remettre en tout état de cause à l'appréciation souveraine de la cour.

Par ses conclusions transmises par voie électronique le 17 mai 2021, l'Établissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique (ERAFP) sollicite la confirmation du jugement déféré, le rejet de toutes les conclusions du docteur [E] et de la MACSF et que la poursuite de l'affaire soit ordonnée devant le tribunal judiciaire de Strasbourg. Il demande également la condamnation du docteur [E] aux entiers frais et dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ERAFP rappelle le bien-fondé de son action subrogatoire, précisant que, si la caisse des dépôts assure certaines missions de gestion administrative pour son compte et sous son autorité, il ne lui revient pas d'engager l'action récursoire en son nom, lui-même étant seul habilité à l'exercer.

Il précise que les prestations versées par les caisses de retraite ont un caractère indemnitaire et que les pensions de réversion et pensions temporaires d'orphelin doivent s'imputer sur le préjudice économique du conjoint survivant de l'orphelin.

Il ajoute que le décès de M. [TJ] [R] est imputable au docteur [E].

La Mutuelle Intériale assignée à personne morale le 8 octobre 2021 n'a pas comparu.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 5 avril 2022.

MOTIFS

I ' Sur la demande de contre-expertise présentée par le docteur [E] et la MACSF Assurances

Le collège d'experts désigné par le juge des référés a conclu que le décès de M. [TJ] [R] était totalement imputable à l'anesthésie générale, dont les conséquences auraient pu être anticipées par le choix judicieux d'une autre stratégie anesthésique, à savoir une rachianestésie (anesthésie de la moitié inférieure du corps).

En effet, comme l'a relevé le tribunal, il retenait trois éléments connus lors de la consultation d'anesthésie, dont le cumul aurait dû, selon lui, conduire à un tel choix, à savoir :

- « un terrain allergique avec un florilège de pathologies rapportées à ce terrain », pouvant faire craindre une allergie croisée avec un des agents anesthésiques utilisés pour l'anesthésie générale, avec risque d'accident anaphylactique,

- l'existence d'un asthme, certes non sévère et non traité lors des faits, mais pouvant favoriser la survenue d'un bronchospasme péri-opératoire dans un contexte d'allergie associée,

- l'existence d'une grosse langue et d'un score de Mallampati évalué à 3, pouvant faire supposer des difficultés d'intubation orotrachéale et de contrôle des voies aériennes.

Les experts judiciaires ont estimé que la réalisation d'une rachianesthésie, permise par la localisation de l'intervention, pouvait constituer une telle alternative et n'aurait exposé M. [TJ] [R] ni à un risque allergique, ni à des difficultés de contrôle des voies aériennes, ni à un bronchospasme. Or, le patient a présenté au bloc opératoire un enchaînement d'événements relevant de la difficulté à contrôler les voies aériennes, qui a conduit à la survenue d'une hypoxie très sévère, responsable d'un arrêt cardiaque qui a été réanimé. Mais l'hypoxie et l'arrêt cardiaque ont été responsables d'une anoxie cérébrale qui a évolué vers la mort encéphalique.

Ils ont répondu de façon détaillée au dire du professeur [F] selon lequel le terrain d'atopie (prédisposant aux allergies) n'est pas une contre-indication à l'anesthésie générale, en exprimant leur accord avec cette position générale mais en précisant que ce n'était pas l'atopie seule mais bien l'accumulation de problèmes potentiels, incluant les difficultés potentielles d'intubation, qui devait orienter le choix de la technique d'anesthésie vers une anesthésie locorégionale qu'ils estimaient parfaitement adaptée au geste chirurgical en cause. Ils ont souligné qu'aucun des éléments recueillis en consultation d'anesthésie, pris isolément, n'était une contre-indication absolue à une anesthésie générale, mais qu'en revanche, l'association de ces éléments pouvait faire considérer qu'une anesthésie loco-régionale était plus judicieuse dans la situation présente.

Ils ont précisé par ailleurs qu'il était logique que le docteur [Y] approfondisse l'anesthésie pour intuber plus aisément, la profondeur de l'anesthésie à cette fin étant différente de celle nécessaire pour la pose d'un masque pharyngé.

De plus, ils ont rectifié les allégations du même professeur [F] selon lesquelles M. [TJ] [R] avait refusé l'anesthésie loco-régionale, indiquant que cette technique ne lui avait pas été exposée comme une éventualité lors de la consultation d'anesthésie. Ils ont aussi répondu à ses remarques selon lesquelles le docteur [Y] n'avait pas lui-même jugé que le caractère atopique était une contre-indication à une anesthésie générale.

Enfin, les experts judiciaires ont répondu à la demande du docteur [FI] et des professeurs [I] et [F] de fournir les textes de médecine factuelle imposant la réalisation d'une rachianesthésie chez M. [TJ] [R], en précisant que la question n'était pas de produire un document de médecine factuelle validant le raisonnement médical concernant un cas clinique, mais que la décision à prendre en face d'un patient s'appuyait sur de bonnes pratiques cliniques et l'analyse globale du cas présenté.

Dans la situation de M. [TJ] [R], ils ont invoqué le bon sens clinique, devant l'accumulation de faits recueillis lors de la consultation d'anesthésie, qui pouvait augurer d'une série de difficultés devant entraîner logiquement le médecin de consultation à préconiser une anesthésie loco-régionale.

Ils ont de la même manière répondu de façon détaillée aux dires du conseil des consorts [R] et du docteur [FI], médecin-conseil « au soutien des intérêts du docteur [Y] ».

A l'appui de leur demande de contre-expertise, les appelants se prévalent d'un dire du professeur [I] auquel les experts n'auraient répondu que partiellement, ainsi que des analyses critiques complémentaires du rapport d'expertise judiciaire réalisées par les professeurs [F] et [X], dont ils précisent qu'ils sont également experts judiciaires.

Le dire du professeur [I] contient des observations similaires à celles émises dans les autres dires soumis au collège d'experts et le reproche formulé à l'encontre de ce dernier de n'avoir répondu que partiellement et de façon insatisfaisante au sien n'apparaît pas fondé.

Dans son analyse du rapport d'expertise judiciaire signée le 26 juillet 2016, le professeur [F] reprend des observations comparables à celles émises dans

son dire déposé au cours de l'expertise, auxquelles les experts judiciaires ont répondu dans leur rapport final.

De plus, il insiste sur le caractère très rassurant de l'indication, figurant sur la feuille de consultation d'anesthésie, de ce que le patient avait déjà subi une anesthésie générale pour une intervention (hernie inguinale), sans complication connue de lui.

Comme il l'avait exprimé dans son dire, il estime d'une part qu'il n'est pas démontré que l'existence d'un terrain atopique majorerait le risque d'apparition d'un choc anaphylactique, que cela ne repose sur aucune recommandation ou étude. D'autre part, la proposition d'une technique d'abord par les voies aériennes supérieures de type masque laryngé est selon lui parfaitement licite et respecte les recommandations de la SFAR en la matière, chez un patient ayant un « Mallanpati 3 » et des antécédents d'anesthésie générale sans complication.

Il souligne que la rachianesthésie n'est pas non plus dénuée de risque d'accident et d'échec imposant une anesthésie générale de complément réalisée dans l'urgence, l'antécédent d'une anesthésie générale sans complication rapportée permettant d'envisager une nouvelle anesthésie générale sereinement.

Cependant, le collège d'experts judiciaire a déjà répondu aux différents éléments invoqués par le professeur [F], en soulignant notamment que ce n'étaient pas les éléments recueillis lors de la consultation d'anesthésie pris isolément mais leur association qui pouvait conduire à considérer comme plus judicieux, dans le cas présent, le choix d'une anesthésie loco-régionale. L'absence d'évocation, par les experts, de l'antécédent d'anesthésie générale sans complication rapportée, comme l'un des critères de choix de l'anesthésie relative à l'intervention chirurgicale en cause, ne peut suffire à justifier l'organisation d'une contre-expertise. En revanche, le rapport d'expertise mentionne bien que la connaissance, a posteriori, de complications survenues lors de cette intervention précédente ne fait que conforter les conclusions de ses auteurs, mais n'intervient pas dans leur raisonnement.

Dans son analyse du rapport d'expertise judiciaire, le professeur [X] souligne notamment l'existence d'une faute commise suite à l'intervention subie en 2022 par M. [TJ] [R], consistant en l'absence d'information donnée au patient du risque majeur d'intubation impossible. Il estime qu'il s'agit du non-respect d'une obligation légale et également imposée par la Société Savante ad-hoc, qui est à l'origine de l'enchaînement des événements qui ont conduit au décès du patient. Il reproche aux experts de ne pas avoir discuté ce manquement, seul fautif selon son analyse.

Cependant, ainsi qu'il vient d'être observé à propos de l'analyse du professeur [F], cette absence d'information ne peut justifier une contre-expertise, dès lors que le collège d'experts judiciaire a relevé des éléments suffisants réunis, lors de la consultation d'anesthésie qui a précédé l'intervention du 3 septembre 2013, pour alerter le médecin anesthésiste chargé de la consultation des risques liés à une anesthésie générale de M. [TJ] [R]. Rien n'établit que l'information d'une anesthésie générale réalisée sans difficulté 11 ans auparavant était susceptible de minimiser ces informations les plus contemporaines de l'intervention.

Par ailleurs, le professeur [X] reproche aux experts judiciaires de ne pas justifier leur argumentaire autrement qu'en évoquant une notion très subjective

de bon sens, dont de nombreux éléments seraient en contradiction avec les textes de référence de la SFAR.

S'il estime qu'au regard du texte de la Conférence des experts de la SFAR de 2007, la classe III de Mallampati n'est qu'un critère de laryngoscopie difficile, et non pas d'intubation difficile, et encore sous réserve d'être combiné avec d'autres critères et non pris isolément, il résulte de ce même texte que « les trois éléments permettant d'envisager une ID (intubation difficile) chez l'adulte sont (') : classe de Mallampati $gt; II, distance thyromentale

Il apparaît donc que, contrairement à ce que le docteur [X] affirme, la classe III de Mallampati est bien un critère d'intubation difficile, et il se montre par ailleurs taisant sur la portée de la macroglossie (grosse langue) soulignée par le collège d'experts, laquelle ne peut être seulement considérée comme participant au score de Mallampati.

Sur la question du risque allergique et de l'anesthésie générale, le professeur [X] soutient que M. [TJ] [R] n'appartenait pas au groupe des patients à risque de réaction d'hypersensibilité per anesthésique, par référence aux Recommandations conjointes de la SFAR et de la Société Française d'Allergologie de 2011, que rien ne démontre la survenue d'un accident allergique au cours de l'anesthésie du 3 septembre 2013 et qu'aucun des médecins intervenus lors de l'opération chirurgicale n'a sollicité de bilan allergologique biologique.

Cependant, le collège d'experts a relevé de multiples allergies, parmi les antécédents de M. [TJ] [R], à la poussière, saisonnières, se manifestant par des conjonctivites, de l'urticaire, de l'eczéma, des rhinites, rhume des foins..., qui avaient été listées dans la lettre du docteur [S] du 3 juillet 2013. Des bronchites asthmatiformes figuraient également parmi les antécédents du patient, sur la période de 1985 à 2004, ne donnant plus lieu à un traitement lors de l'intervention du 3 septembre 2013. Les experts ont aussi observé, sur le document de consultation, la mention d'une broncho-pneumopathie chronique obstructive.

Or, le professeur [X], qui énumère les critères d'appartenance au groupe des patients à risque de réaction d'hypersensibilité per anesthésique retenus par les Recommandations de 2011, pour en exclure M. [TJ] [R], ne fait aucune mention de la persistance de bronchites chroniques obstructives chez ce dernier relevée par le docteur [E] (dont l'existence est cependant mise en doute par le collège d'experts), s'ajoutant aux bronchites asthmatiformes non traitées depuis 2005. Il considère celles-ci comme un antécédent ancien, mais le collège d'experts l'a en revanche pris en compte comme un facteur de risque supplémentaire.

Surtout, selon les conclusions du collège d'experts, ce n'était pas le risque allergique à lui seul qui devait être pris en compte mais l'accumulation de critères laissant supposer des risques dans le choix d'une anesthésie générale. Il l'a rappelé notamment dans sa réponse au dire du professeur [F], où il précise qu'il ne considère pas l'atopie comme une contre-indication à l'anesthésie générale, mais où il insiste sur l'accumulation de problèmes potentiels.

Dès lors, les observations du professeur [X] sur l'absence de risque de réaction d'hypersensibilité per anesthésique chez M. [TJ] [R] ne peuvent, elles non plus, justifier l'organisation d'une contre-expertise dans le présent litige. Il en est de même de ses observations relatives au « libre-arbitre » du docteur [Y] vis à vis des indications du docteur [E], le collège d'experts ayant répondu précisément sur ce point.

Par ailleurs, contrairement aux remarques du professeur [X], le collège d'experts a également répondu précisément à l'ensemble des dires qui lui ont été soumis avant le dépôt de son rapport final.

Il résulte donc de l'ensemble des développements ci-dessus que le docteur [E] ne se trouve nullement privé du droit à un procès équitable, en application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, le rapport d'expertise judiciaire n'étant nullement lacunaire et ses conclusions étant étayées et fondées sur des éléments de faits et des données issues des recommandations de la SFAR.

C'est donc par une exacte appréciation des éléments de la situation que le tribunal a rejeté la demande de contre-expertise présentée par les intimés, ce dont il résulte que le jugement déféré sera confirmé sur ce chef.

II ' Sur les demandes des consorts [R] dirigées contre le docteur [E] et la MACSF Assurances

Ainsi que l'a rappelé le tribunal, selon l'article L.1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé (...), ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

L'article R. 4127-32 du même code précise que, dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents.

Les conclusions de l'expertise judiciaire ont été rappelées plus haut. Elles reposent sur l'accumulation d'éléments évoqués eux aussi plus haut, exposant le patient à un risque allergique, à des difficultés de contrôle des voies aériennes et à un bronchospasme.

Or, effectivement, l'enchaînement d'événements survenu au bloc opératoire relevant, selon le rapport d'expertise, de la difficulté de contrôler les voies aériennes, à savoir des difficultés de ventilation avec un masque laryngé et l'impossibilité d'intuber le patient, n'est pas contesté, de même que l'hypoxie très sévère responsable d'un arrêt cardiaque à laquelle ces événements ont conduit. Il est également admis que, bien que M. [TJ] [R] ait pu être réanimé, cette hypoxie et l'arrêt cardiaque ont été eux-mêmes responsable d'une anoxie cérébrale qui a évolué vers la mort encéphalique.

Il n'est pas non plus contesté que l'imputabilité de l'anesthésie générale dans le décès du patient est totale.

Mais le rapport d'expertise précise que ses conséquences auraient pu être anticipées, et de ce fait évitées, par le choix judicieux d'une autre stratégie anesthésique, à savoir une rachianesthésie, tout à fait appropriée à la nature et à la localisation de l'intervention.

Si, comme l'admet le collège d'experts, une telle anesthésie loco-régionale présente aussi des inconvénients, aucune technique d'anesthésie n'est dépourvue de tout risque et le déroulement de l'anesthésie générale pratiquée a lui-même démontré la réalité de ceux mis en évidence par le rapport d'expertise judiciaire.

A ce titre, le collège d'experts a bien précisé qu'aucun des éléments recueillis en consultation d'anesthésie pris isolément ne constituait une contre-indication absolue à la pratique d'une anesthésie générale. C'est ainsi que les critiques émises à l'encontre du rapport d'expertise n'apparaissent pas pertinentes, dans la mesure où elles se contentent de relativiser isolément chacun des critères retenus par les experts judiciaires, sans se livrer à une appréciation globale de ces éléments.

En revanche, les experts judiciaires ont relevé que la série d'antécédents relevée constituait véritablement un terrain allergique pour lequel le patient avait été traité à plusieurs reprises lors de son existence. Si les bronchites asthmatiformes ne présentaient pas de gravité et n'étaient plus apparues depuis 2005, cet antécédent participait du risque de difficulté de contrôle des voies aériennes, pouvant favoriser la survenue d'un bronchospasme péri-opératoire dans un contexte d'allergie associée.

S'agissant du score de Mallampati, le collège d'experts mentionne bien que d'autres éléments, tels que l'ouverture de bouche, la distance thyro-mentonnière, la flexibilité du rachis y sont associés pour évaluer les difficultés d'intubation.

Mais il observe que le docteur [E], dans le rapport de consultation, a souligné et encadré, concernant l'intubation, « difficultés possibles », ce qui signifiait qu'il attribuait une certaine valeur au score de Mallampati et prenait en compte de telles difficultés. Il est à noter que l'expertise judiciaire a aussi mis en évidence une macroglossie. Or, ainsi qu'il a été précédemment observé, elle ne constitue pas seulement un des éléments conduisant au score de Mallampati. Selon le collège d'experts qui a souligné son importance, elle a pu représenter une gêne lors de la mise en place du masque laryngé (p.22 du rapport).

Or, c'est lors de la consultation d'anesthésie pré-opératoire réalisée par le docteur [E] que le choix de la technique d'anesthésie a été effectué. Il devait être basé sur une évaluation des risques mais il n'a pas été adapté aux éléments recueillis lors de cette consultation, sur ce point, concernant le cas clinique de M. [TJ] [R].

A ce titre, l'information (erronée) de l'absence de difficulté survenue, lors d'une anesthésie générale pratiquée 11 ans plus tôt sur M. [TJ] [R], ne pouvait conduire à minimiser l'ensemble des éléments recueillis lors de cette consultation, qui étaient les plus contemporains de l'intervention du 3 septembre 2013.

Face à des difficultés prévisibles de contrôle des voies aériennes, ainsi que le souligne le collège d'experts, soit l'anesthésie générale est impérative et justifie l'utilisation de techniques adaptées à l'intubation difficile, soit il existe une alternative à l'anesthésie générale qu'il est, dans ce cas, recommandé d'utiliser. Or, tel était précisément le cas pour l'intervention en cause.

Concernant le docteur [Y], qui a lui-même réalisé l'anesthésie le jour de l'intervention, le rapport d'expertise judiciaire évoque la difficulté, pour lui, de modifier le contrat médical établi lors de la consultation d'anesthésie avec le patient, au risque de se trouver dans l'impossibilité de recueillir son consentement éclairé en salle d'opération, immédiatement avant l'intervention. S'il semble au collège d'experts qu'il aurait pu s'interroger sur le choix fait en consultation et demander une confirmation et des précisions au docteur [E], même par un simple appel téléphonique, cela ne suffit pas à retenir sa responsabilité dans le choix de la technique d'anesthésie.

Il est de plus souligné que la conduite de la réanimation du patient, sous sa direction, a été, selon le collège d'experts, conforme aux bonnes pratiques cliniques, ce qui n'est pas contesté, étant observé que le docteur [Y] a fait appel à deux de ses collègues présents au bloc opératoire et qu'il a eu également le renfort de deux chirurgiens pour pratiquer la trachéotomie.

Enfin, il ne résulte d'aucun document que l'anesthésie loco-régionale ait été proposée à M. [TJ] [R] et que ce dernier l'ait refusé. De plus, le docteur [E] a admis lors de l'expertise judiciaire n'avoir aucun souvenir sur ce point.

Il résulte donc de tous ces éléments que c'est par une exacte appréciation des éléments de la cause que le tribunal a conclu que le docteur [E], médecin anesthésiste, n'avait pas mis en 'uvre tous les moyens à sa disposition pour éviter le résultat dommageable, en ce qu'il existait une autre technique d'anesthésie évitant l'ensemble des risques dont il avait connaissance, adaptée à la localisation de l'intervention, et que les difficultés prévisibles consécutives à une anesthésie générale auraient dû conduire à éviter cette dernière.

Cela constitue une faute de sa part et, dès lors, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a déclaré le docteur [E] responsable du décès de M. [TJ] [R] et l'a condamné, in solidum avec son assureur, à réparer les préjudices subis en lien de causalité direct et certain avec la faute commise, consistant en un choix non adapté de la technique d'anesthésie. Il doit l'être également en l'ensemble de ses dispositions subséquentes.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

L'instance devant le premier juge se poursuivant, c'est à bon droit que ce dernier n'a pas statué sur les dépens de la première instance et sur les frais non compris dans les dépens engagés par les parties à l'occasion de celles-ci.

Le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives à la responsabilité de M. [O] [E], ce dernier et la compagnie d'assurance mutuelle MACSF assumeront la charge des dépens de l'appel et seront déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont engagés en appel.

En revanche, à ce même ce titre et sur le même fondement, ils seront condamnés à verser la somme de 2 000 euros aux consorts [R], ensemble, ainsi que celle de 1 000 euros à chacun des autres intimés, au titre des frais exclus des dépens que tous ont engagés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 26 octobre 2020,

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum M. [O] [E] et la compagnie d'assurance mutuelle MACSF aux dépens de l'appel,

CONDAMNE in solidum M. [O] [E] et la compagnie d'assurance mutuelle MACSF à payer à M. [J] [R], M. [N] [R], M. [Z] [R], Mme [U] [R], M. [CA] [R], M. [LW] [R], Mme [W] [R], Mme [D] [R], M. [KD] dit [M] [R], M. [B] [R], né le [Date naissance 11] 1956, M. [T] [R], Mme [PE] [R], Mme [KG] [R], épouse [C], Mme [K] [R], représentée par ses représentants légaux, et M. [B] [R], né le [Date naissance 1] 2013, représenté par ses représentants légaux, ensemble, la somme de 2 000,00 (deux mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum M. [O] [E] et la compagnie d'assurance mutuelle MACSF à payer à la Mutualité MFP Services Solsantis la somme de 1 000,00 (mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum M. [O] [E] et la compagnie d'assurance mutuelle MACSF à payer à la Caisse des Dépôts et Consignations, prise en la personne de son représentant légal, en sa qualité de gérante et de représentante du fonds CNRACL (Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités Locales), la somme de 1 000,00 (mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum M. [O] [E] et la compagnie d'assurance mutuelle MACSF à payer à l'Établissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique (ERAFP) la somme de 1 000,00 (mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de M. [O] [E] et de la compagnie d'assurance mutuelle MACSF présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03440
Date de la décision : 12/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-12;20.03440 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award