La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/12/2022 | FRANCE | N°21/00138

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 16 décembre 2022, 21/00138


MINUTE N° 559/2022





























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER



- Me Dominique HARNIST





Le 16/12/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 16 décembre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00138 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HOY7
>

Décision déférée à la cour : 23 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE



APPELANTE :



S.C.I. DU HASENRAIN

prise en la personne de son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 5]



représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

...

MINUTE N° 559/2022

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER

- Me Dominique HARNIST

Le 16/12/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 16 décembre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/00138 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HOY7

Décision déférée à la cour : 23 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANTE :

S.C.I. DU HASENRAIN

prise en la personne de son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 5]

représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me PERRET, avocat à [Localité 6]

INTIMÉS :

Madame [G] [Z] veuve [X]

demeurant [Adresse 4]

Madame [F] [X] épouse [D]

demeurant [Adresse 3]

Monsieur [A] [X]

demeurant [Adresse 1]

Monsieur [K] [X]

demeurant [Adresse 4]

représentés par Me Dominique HARNIST, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, conseiller

Madame Nathalie HERY, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 7 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

Mme [G] [Z], veuve [X], Mme [F] [X], épouse [D], M. [A] [X] et M. [K] [X] sont venus aux droits de M. [B] [X], en qualité de propriétaires d'un immeuble situé [Adresse 2], adjacent à celui qui, situé au 15 de la même rue, abritait le cinéma Palace jusqu'à sa destruction par incendie en octobre 2006. Cet immeuble a été acquis par la SCI du Hasenrain auprès de la SCI Cinéma par acte du 7 juin 2011.

Se plaignant de ce que, si des mesures provisoires avaient été prises en 2006 pour couvrir cet immeuble, elles n'étaient plus efficientes, au point de provoquer des infiltrations dans leur propre bien, les consorts [X] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Mulhouse qui, par ordonnance du 8 décembre 2015, a condamné la SCI du Hasenrain à effectuer, sous astreinte, des travaux de couverture, même provisoires, propres à remédier aux infiltrations dans le mur mitoyen, travaux réalisés en novembre 2016.

Par ordonnance du 18 avril 2017, confirmée par un arrêt de la cour du 26 janvier 2018, le juge des référés a liquidé l'astreinte, condamnant la SCI du Hasenrain à payer à ce titre aux demandeurs la somme de 14 500 euros.

Les consorts [X] ont également saisi le juge des référés du même tribunal d'une demande d'expertise judiciaire, afin d'évaluer les éventuels dommages causés à leur immeuble. Il a été fait droit à cette demande par une ordonnance du 13 décembre 2016, cette expertise ayant été confiée à M. [Y], qui a déposé son rapport le 9 juin 2017.

Par acte du 24 juillet 2020, Mme [G] [Z], veuve [X], Mme [F] [X], épouse [D], M. [A] [X] et M. [K] [X], venant aux droits de M. [B] [X], ont fait assigner la SCI du Hasenrain devant le tribunal judiciaire de Mulhouse, sollicitant la condamnation de cette dernière au paiement de divers dommages-intérêts, se fondant sur le rapport d'expertise judiciaire qui avait relevé l'existence d'infiltrations par le mur mitoyen ainsi que l'apparition d'un champignon lignivore, la mérule.

Par jugement réputé contradictoire du 23 octobre 2020, le tribunal a condamné la SCI du Hasenrain, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à Mme [G] [Z], veuve [X], Mme [F] [X], épouse [D], M. [A] [X] et M. [K] [X] :

- la somme de 85 124,29 euros TTC au titre du préjudice matériel subi,

- la somme de 50 000 euros en réparation de la perte de chance de louer et/ou de vendre leur bien entre 2011 et 2018,

- la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral subi,

toutes ces sommes étant assorties des intérêts légaux à compter du jugement.

Il a également condamné la SCI du Hasenrain aux entiers dépens, incluant ceux exposés dans le cadre des procédures de référé RG 15/0396 et RG 16/0352, ainsi qu'à payer aux demandeurs la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant les consorts [X] du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires et constatant l'exécution provisoire de droit du jugement.

Pour retenir la responsabilité civile délictuelle de la SCI du Hasenrain, le tribunal s'est fondé sur le rapport d'expertise judiciaire du 9 juin 2017 selon lequel l'immeuble des consorts [X] a subi des infiltrations d'eau sur une longue période, du fait de l'absence de toiture efficace sur «l'immeuble mitoyen », appartenant à la SCI du Hasenrain. L'inaction de cette dernière à faire réaliser une couverture neuve de son immeuble (avant 2016) a entraîné des entrées d'eau régulières par l'intermédiaire du mur mitoyen, puis le développement de pourrissement des planchers du rez-de-chaussée et du premier étage de l'immeuble voisin, ainsi que le développement de la mérule.

Il a précisé que ces conclusions étaient confirmées par un rapport d'expertise établi par M. [S] à la demande de la juridiction administrative, qui relevait également l'existence très probable d'infiltrations par siphonnage sur l'immeuble des demandeurs, la démolition de la charpente du bâtiment appartenant à la SCI du Hasenrain ayant affecté le mur mitoyen au niveau du solin.

Le tribunal a considéré que l'existence de ces infiltrations était établie par l'ensemble des pièces produites et que leur imputabilité au mur mitoyen de l'immeuble appartenant à la SCI du Hasenrain n'était pas sérieusement contestable, ce dont il résultait que la responsabilité délictuelle de cette dernière était engagée, justifiant sa condamnation à la réparation des préjudices subis par les demandeurs.

Il a retenu à ce titre le montant de 85 124,29 euros TTC, comprenant à la fois la recherche, le traitement des bois et murs infestés par la mérule, puis la reconstruction des planchers et des parements des murs.

Il a retenu un montant de 50 000 euros au titre du préjudice relatif à la perte de chance de louer et/ou vendre l'immeuble, se fondant sur le rapport d'expertise judiciaire selon lequel la présence d'un immeuble sinistré sur près d'une décennie était un facteur peu vendeur, même en ignorant le développement de mérule, et la valeur intrinsèque de l'immeuble était devenue inférieure à celle précédant le sinistre. Cependant, les pièces produites établissaient que la sortie des locataires après 2011 n'était pas liée directement au sinistre mais à la volonté du propriétaire de vendre son immeuble et que les infiltrations, apparues seulement en 2011, s'étaient surtout amplifiées après 2015. Enfin, les demandeurs ne produisaient aucun élément démontrant précisément la valeur vénale ou locative de l'immeuble avant et après le sinistre.

Sur la réparation du préjudice moral, le tribunal a relevé l'inertie dont avait fait preuve la SCI du Hasenrain pendant plusieurs années.

La SCI du Hasenrain a interjeté appel de ce jugement le 8 décembre 2020.

Par ses conclusions transmises par voie électronique le 3 mars 2021, elle sollicite l'infirmation du jugement déféré en toutes les condamnations prononcées à son encontre et que la cour, statuant à nouveau, déboute les consorts [X] de l'intégralité de leurs conclusions et les condamne en tous les frais et dépens, tant en première instance qu'en appel, et au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI du Hasenrain conteste la faute retenue à son encontre, le préjudice subi par les consorts [X] ainsi que le lien de causalité.

Rappelant qu'elle n'était devenue propriétaire de l'immeuble litigieux que par un acte de vente du 7 juin 2011, elle soutient qu'aucun élément de fait ne permet d'imputer la présence d'humidité dans l'immeuble des consorts [X] à une action ou à une abstention de sa part. Rien ne permet d'exclure que celle-ci soit la conséquence de l'arrosage de l'immeuble lors de l'extinction de l'incendie par les pompiers en 2006, d'un défaut éventuel de protection de l'ouvrage entre 2006 et 2011, ou encore de l'inoccupation de l'immeuble depuis 2011, celui-ci n'étant ni chauffé, ni entretenu.

Elle ajoute que, malgré des difficultés importantes dans les travaux de reconstruction, elle a fait preuve de diligences pour sauvegarder l'immeuble voisin, évoquant les différentes mesures prises à cet égard, (poses successives de bâches sur le toit de l'immeuble en novembre 2013 et en décembre 2015, et sur le pignon de l'immeuble voisin en décembre 2015, outre des travaux de désinfection, curage et mise à nu de l'immeuble durant l'été 2015), la toiture ayant été achevée fin 2016. Elle conteste les défaillances qui lui sont reprochées « pendant près de 10 ans ».

Elle conteste l'existence d'un préjudice direct, actuel et certain subi par les consorts [X], auxquels elle reproche d'avoir invoqué l'impossibilité de vendre l'immeuble alors même que celui-ci était vendu depuis plusieurs mois. Sur l'impossibilité de louer, elle rappelle les observations de l'expert judiciaire et souligne que les consorts [X] ne démontrent pas avoir tenté de relouer les biens ou que la rupture des baux antérieurs ait été causée par l'humidité des locaux, ne démontrant pas davantage les démarches entreprises pour la mise en vente du bien.

Concernant les travaux de réfection de l'immeuble, la SCI du Hasenrain soutient que, les consorts [X] n'étant plus propriétaires du bien, ils ne procéderont jamais à ces travaux, qu'ils ont vendu le bien à un montant supérieur à celui proposé en 2011 et qu'ils ont dissimulé délibérément la présence de la mérule dans l'immeuble aux acquéreurs, selon l'acte de vente, ce dont il résulte que celui-ci n'a subi aucune dévalorisation à ce titre.

Enfin, l'appelante fait valoir que le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué est «pour le moins distendu» en raison de l'absence d'entretien et de chauffage de l'immeuble pendant environ dix ans, l'expert ayant constaté que cet immeuble, d'une centaine d'années, n'est pas isolé, ni étanche à l'air, et qu'il existait des incertitudes sur l'origine de la mérule.

À ce titre, elle invoque un rapport privé d'un expert mycologue, M. [R], relatif aux conditions de développement de la mérule et elle souligne que celle-ci est particulièrement présente au rez-de-chaussée de l'immeuble des consorts [X], dans une pièce dépourvue de lumière naturelle, alors que le seul élément en bois de son immeuble, un plancher du comble, s'est trouvé exposé aux intempéries, et qu'il est impossible de déterminer dans lequel des deux immeubles la mérule s'est d'abord développée.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 2 juin 2021, les consorts [X] sollicitent la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et que la cour, y ajoutant, condamne la SCI du Hasenrain à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux entiers frais et dépens de l'instance d'appel

Les consorts [X] soutiennent que les fautes de la SCI du Hasenrain sont démontrées par les constatations effectuées et l'historique des faits et qu'elles sont clairement énoncées dans le rapport d'expertise judiciaire de M. [Y] et dans celui déposé devant le tribunal administratif par M.[S], tous deux ayant constaté que la façade complète du bâtiment s'était trouvée exposée pendant presque dix ans au vent et à la pluie sans aucune protection, puis imbibée par siphonnage de l'eau accumulée dans le sous-sol de l'ancien cinéma. M. [Y] a relevé que le mur mitoyen entre les deux immeubles se trouvait saturé d'eau alors que l'humidité des autres murs était normale et que l'inaction de la SCI du Hasenrain à faire réaliser une couverture neuve de son immeuble avait entraîné des entrées d'eau régulières par l'intermédiaire de ce mur mitoyen, ce qui avait conduit finalement au développement de la mérule.

Les consorts [X] soutiennent que le préjudice matériel lié à la reconstruction de l'immeuble est établi par le rapport d'expertise judiciaire et que s'y ajoute le manque à gagner résultant de l'impossibilité de vendre ou de louer cet immeuble en raison de son état dégradé, conséquence directe de la faute de la SCI du Hasenrain. Les intimés précisent qu'ils ne disposaient pas des liquidités nécessaires pour exécuter les travaux de remise en état permettant sa vente ou sa relocation. Ils chiffrent ce préjudice à raison de la perte d'un loyer de 1 500 euros par mois sur 12 mois pendant huit ans, soit 144 000 euros.

Au titre de leur préjudice moral, ils indiquent avoir subi la situation imposée par l'inertie de la SCI du Hasenrain pendant une dizaine d'années, le seul but de cette dernière étant d'obtenir à vil prix l'acquisition de leur immeuble pour réaliser un projet immobilier de rapport. Il avait été donné congé au locataire suite au souhait du gérant de cette société, exprimé en 2011, de racheter l'immeuble vide de locataire, avant de laisser son immeuble se dégrader jusqu'en 2016.

De plus, la SCI du Hasenrain s'est rendue insolvable pour ne pas avoir à exécuter les décisions de justice rendues à son encontre, alors que l'immeuble en cause constituait le fruit d'une vie de travail pour ses propriétaires, dont les loyers devaient assurer les revenus de leur retraite.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 07 septembre 2021.

MOTIFS

I ' Sur la responsabilité de la SCI du Hasenrain

Le rapport d'expertise judiciaire de M. [Y] du 9 juin 2017 révèle que l'immeuble des consorts [X], qui a alors environ cent ans et qui est inoccupé depuis 2011, n'est pas isolé et n'est pas non plus étanche à l'air.

L'expert précise que l'absence d'occupation et de chauffage n'est pas préjudiciable à l'immeuble, quelle que soit sa durée, dès lors que le bâti est en bon état, assurant une étanchéité à l'eau.

Il conclut en effet que cet immeuble a subi des infiltrations d'eau sur une longue durée du fait de l'absence de toiture efficace sur l'immeuble appartenant à la SCI du Hasenrain, ce qui a entraîné des entrées d'eau régulières par le mur mitoyen, puis le pourrissement des planchers du rez-de-chaussée et du 1er étage, ainsi que le développement d'un champignon lignivore, la mérule. Il ajoute que l'évolution des dégradations, qui conduit à l'effondrement des planchers, n'a pu être constatée que lors de l'expertise.

L'expert souligne l'inaction du représentant de la SCI du Hasenrain, qui selon lui a tardé à faire réaliser une couverture neuve de l'immeuble de cette dernière.

L'expert désigné par le tribunal administratif de Strasbourg en mars 2016, dans le cadre d'une procédure de péril imminent de l'immeuble appartenant à la SCI du Hasenrain, avait lui-même relevé la très forte humidité de cet immeuble soumis aux intempéries depuis l'incendie, avec pourrissement du plancher du comble. Il avait conclu que la démolition de la charpente avait affecté le mur mitoyen au niveau du solin et que, dans ce contexte, il y avait très probablement des infiltrations par siphonage chez le voisin.

En tout état de cause, les constatations de l'expert désigné par l'ordonnance de référé du 13 janvier 2017 sont très claires quant à l'origine de l'humidité de l'immeuble des consorts [X]. En effet, à tous les étages, il a notamment constaté une très forte humidité du mur mitoyen, contrairement aux autres murs de ce bâtiment, relevant qu'il était même saturé d'eau au deuxième étage.

Il précise que cette humidité très importante a initié le développement de pourritures du bois et de la mérule, laquelle s'est développée dans les locaux sans lumière. Ce champignon, qui détériore les bois mais aussi les maçonneries, est en effet, selon ses explications, fortement attiré par l'humidité et la chaleur et il fuit la lumière. L'expert ajoute que des spores de champignons peuvent être présents pendant de très longues périodes sur le bois, sans se développer grâce à l'absence d'humidité. En revanche, dès que l'humidité augmente significativement, le bois est susceptible de pourrir et d'être attaqué par ces champignons.

Il est à noter que les conclusions de l'expert ne sont pas contredites par la « note technique expertale » rédigée non contradictoirement le 29 mai 2017 à l'initiative de la SCI du Hasenrain par M. [R], expert judiciaire mycologue, qui évoque les mêmes conditions de développement de la mérule.

Il résulte ainsi de l'expertise judiciaire que l'humidité très largement excessive de l'immeuble des consorts [X], provenant du mur mitoyen avec celui appartenant à la SCI du Hasenrain, lui-même exposé aux intempéries en l'absence de couverture efficace, suite à sa détérioration par incendie, est bien à l'origine du développement de la mérule constaté et des dégradations du bâtiment des intimés qu'il occasionne. Aucun élément ne permet en effet de l'imputer à l'inoccupation de l'immeuble depuis le départ des locataires en 2011, en présence d'un bâti en bon état, hors de l'humidité majeure du mur mitoyen.

Il résulte également de cette expertise judiciaire que les mesures conservatoires mises en 'uvre par la SCI du Hasenrain pour couvrir son immeuble, consistant essentiellement en la pose de bâches sur le toit, fin 2013, en 2015 et 2016, étaient largement insuffisantes et que son retard à poser une couverture définitive, laquelle n'a été effective que fin 2016, alors qu'elle avait acquis ce bien le 7 juin 2011 en parfaite connaissance de son état, est constitutif d'une faute qui se trouve à l'origine de la détérioration de l'immeuble voisin.

Il doit être observé que la SCI n'a présenté au maire d'Altkirch un dossier de déclaration préalable relatif à la rénovation de la toiture de son immeuble qu'en novembre 2014, une décision de non-opposition étant intervenue en janvier 2015 et des recours gracieux déposés tardivement ayant été rejetés en août 2015. Elle a déposé en mars 2016 une déclaration préalable modificative, qui a été admise, et les travaux n'ont été réalisés que fin 2016.

Que ce retard se soit ajouté à celui du précédent propriétaire n'ôte pas sa responsabilité à la SCI du Hasenrain, qui ne justifie d'aucun obstacle l'ayant empêchée d'effectuer les démarches nécessaires à la réalisation des travaux de couverture de son bien immobilier dès sa prise de possession de celui-ci.

En conséquence, la responsabilité de la SCI du Hasenrain, dans les dégradations ainsi causées à l'immeuble des consorts [X], est largement démontrée et elle n'est pas contestable.

II ' Sur la réparation des préjudices des consorts [X]

Au titre de leur préjudice matériel, les consorts [X] mettent en compte le coût des travaux de réfection de l'immeuble, tel que chiffré par l'expert judiciaire, incluant à la fois la recherche et le traitement de la mérule et la reconstruction des planchers et des parements des murs concernés.

Cependant, l'appelante produit copie de l'acte authentique du 27 avril 2020 par lequel les intimés ont vendu l'immeuble du [Adresse 2] à M. [M] [C] et Mme [V] [O]. Cette vente a eu lieu avant même la clôture du dossier en première instance. Or, les consorts [X] ont indiqué ne pas disposer des fonds pour financer les travaux de réfection de cet immeuble, ce dont il résulte que ces travaux n'ont manifestement pas eu lieu avant sa vente, ce qui n'est pas contesté.

Par ailleurs, l'acte de vente du 27 avril 2020 ne comporte aucune mention selon laquelle de tels travaux resteraient à la charge des vendeurs puisque, selon une mention de l'acte relative à la mérule, « le vendeur déclare qu'il n'a pas connaissance de la présence d'un tel champignon dans l'immeuble ». Les consorts [X] n'invoquent et ne justifient non plus, de ce fait, d'aucune diminution du prix de vente de l'immeuble susceptible d'avoir été causée par la présence de mérule, leur seule demande portant sur les travaux de réfection de l'immeuble.

Dès lors, ces travaux n'ayant pas été réalisés par les consorts [X] qui ne sont plus en mesure d'y faire procéder, n'étant plus les propriétaires de cet immeuble, l'existence du préjudice matériel qu'ils invoquent à ce titre n'est pas démontrée. Le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande des consorts [X] sur ce chef, laquelle doit être rejetée.

Par ailleurs, s'agissant du préjudice relatif à la perte de chance de louer ou vendre l'immeuble, l'expert judiciaire indique : « Il apparaît que la sortie des locataires par le propriétaire n'est pas liée directement au sinistre mais à la volonté du propriétaire de vendre son immeuble. L'immeuble étant vide et n'ayant pas d'élément montrant que la mise en location était souhaitée, nous ne pouvons déterminer de préjudice à ce titre ». Il a, dans sa réponse à un dire des consorts [X], précisé que les éléments financiers liés à cette perte de chance n'étaient étayés par aucun élément permettant d'imputer la résiliation du bail à cette situation de l'immeuble ou de démontrer des tentatives de location de celui-ci. Le propriétaire n'avait pas remis le bien en location après le départ du locataire et les difficultés de remise en location liées à des problèmes d'humidité ou de moisissures étaient des hypothèses émises a posteriori. Selon l'expert, l'absence de remise en location semblait plutôt due à l'espoir d'une vente à la SCI du Hasenrain, finalement déçu.

Effectivement, les consorts [X] produisent eux-mêmes un document dactylographié (p.27) non daté et non signé mais émanant manifestement d'un des enfants de M. [B] [X], indiquant, dans un « Bref rappel des faits », « En 2011, à partir du moment où M. [E] [W], gérant de la SCI Hasenrain, avait annoncé qu'il se portait acquéreur de la maison, mes parents avaient fait sortir leur dernier locataire », puis « Par la suite M. [E] [W] est revenu sur sa promesse verbale d'achat et a laissé se dégrader son bâtiment jusqu'en novembre 2016 », ce qui confirme les observations de l'expert. Dans ce même document, il est également écrit « Mes parents souhaitaient vendre l'immeuble depuis 2008 ».

Ainsi, les intimés ne démontrent pas avoir, postérieurement à la résiliation du bail de leur locataire en 2011, tenté de remettre le bien en location, suite à l'échec des négociations avec le gérant de la SCI du Hasenrain, et avoir eu sérieusement l'intention de le faire. La perte de chance de louer à nouveau cet immeuble n'est pas démontrée. En revanche, leur volonté de vendre le bien dès avant 2011 étant établie, il résulte des pièces produites par les intimés qu'ils ont alerté leur assureur en septembre 2013 de la dégradation progressive et inéluctable de leur immeuble, qui le rendait impossible à louer et à vendre, et la mairie en 2014. A chacune de leurs démarches, ils ont réitéré leur volonté de vendre leur bien immobilier, ainsi que l'impossibilité de le faire en raison des infiltrations causées par l'absence de couverture de l'immeuble de la SCI du Hasenrain.

Ils ont sollicité et obtenu du maire la mise en 'uvre d'une procédure de péril portant sur l'immeuble de la SCI du Hasenrain, dans le cadre de laquelle a été organisée une expertise, et ils ont eux-mêmes saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Saverne d'une demande tendant à la réalisation de travaux de couverture de cet immeuble, même provisoires, afin de remédier aux infiltrations dans leur propre bien. Cette demande ayant été accueillie, avec une astreinte, la liquidation de cette dernière a été nécessaire et effectuée par l'ordonnance du 8 décembre 2015 évoquée plus haut, confirmée par l'arrêt du 26 janvier 2018, du fait de la carence de la SCI. Par ailleurs, les consorts [X] ont sollicité une expertise judiciaire en 2016 et il a été fait droit à cette demande par l'ordonnance du juge des référés du 13 décembre 2016, le rapport d'expertise ayant été signé le 9 juin 2017.

Dès lors, s'il peut être reproché aux intimés d'avoir tardé à agir au fond, suite à ce rapport d'expertise, celui-ci a été déposé alors que les travaux de couverture de l'immeuble voisin avaient été effectués en début d'année. Il en résulte qu'à compter de début 2017, il n'existait plus d'obstacle à la vente de leur bien, dans la mesure où celle-ci a eu lieu en avril 2020 sans réalisation de travaux de réfection.

En revanche, la faute de la SCI du Hasenrain a causé aux intimés une perte de chance fort élevée de vendre leur immeuble du milieu de l'année 2011 à début 2017, soit durant près de 6 ans, ce qui justifie réparation du préjudice subi par ces derniers à ce titre à hauteur de 50 000 euros. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a alloué une indemnisation d'un tel montant aux consorts [X], mais infirmé quant à la période couverte et à la perte de chance de louer le bien immobilier prise en compte par le premier juge.

De plus, au vu de ces éléments, de la carence fautive et inexpliquée de la SCI du Hasenrain qui s'est poursuivie pendant plusieurs années et de la réelle perte de chance subie par les consorts [X] de vendre leur bien immobilier ainsi imputable à l'appelante, durant plusieurs années, la demande d'indemnisation des intimés au titre de leur préjudice moral en découlant apparaît pleinement fondée. En effet, ces derniers ont eu à subir cette carence tout en assistant à la détérioration de leur bien immobilier, ayant dû effectuer démarche après démarche pour obtenir que la cause de cette dégradation puisse être supprimée, et ils ont dû assumer toutes les tracasseries liées aux procédures successives qu'ils ont dû initier et mener à bien.

Le tribunal a fait une exacte appréciation de la situation ainsi créée par la SCI du Hasenrain en condamnant cette dernière à verser un montant de 3 000 euros aux consorts [X], au titre de ce poste de préjudice. Le jugement déféré sera donc également confirmé sur ce chef.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré n'étant que partiellement infirmé en ses dispositions principales et la faute de la SCI du Hasenrain étant toujours retenue, il sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.

En revanche, si la faute de la SCI du Hasenrain est établie, les demandes des consorts [X] ne sont que partiellement accueillies, à défaut, pour eux, de rapporter la preuve de l'un des préjudices invoqués et du lien de causalité entre ces derniers et la faute de l'intimée. En conséquence, chaque partie conservera ses dépens de l'appel.

Pour les mêmes motifs, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais non compris dans les dépens, engagés en appel. En conséquence, les demandes réciproques fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront toutes rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Mulhouse le 23 octobre 2020, sauf en ce qu'il a condamné la SCI du Hasenrain à verser à Mme [G] [Z], veuve [X], Mme [F] [X], épouse [D], M. [A] [X] et M. [K] [X] la somme de 85 124,29 euros en réparation de leur préjudice matériel et en ce qu'il a condamné la SCI du Hasenrain en réparation de la perte de chance de louer et/ou vendre leur bien entre 2011 et 2018,

INFIRME le jugement entrepris dans cette limite,

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs,

REJETTE la demande de Mme [G] [Z], veuve [X], Mme [F] [X], épouse [D], M. [A] [X] et M. [K] [X] en réparation de leur préjudice matériel,

DIT que la condamnation de la SCI du Hasenrain à leur verser la somme de 50 000,00 euros (cinquante mille euros) est prononcée en réparation de leur seul préjudice relatif à la perte de chance de vendre l'immeuble situé [Adresse 2], entre le milieu d'année 2011 et début 2017,

Ajoutant au dit jugement,

CONDAMNE chaque partie à conserver la charge de ses dépens d'appel,

REJETTE les demandes de chaque partie présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/00138
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;21.00138 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award