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02/12/2022 | FRANCE | N°20/02202

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 02 décembre 2022, 20/02202


MINUTE N° 534/2022





























Copie exécutoire à



- Me Joseph WETZEL



- Me Dominique HARNIST





Le 02/12/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 2 décembre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02202 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HL25

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Décision déférée à la cour : 12 Juin 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE



APPELANTE et intimée sur appel incident :



S.A.R.L. ESTE, représentée par son représentant légal

demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Joseph WETZEL, avocat à la...

MINUTE N° 534/2022

Copie exécutoire à

- Me Joseph WETZEL

- Me Dominique HARNIST

Le 02/12/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 2 décembre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02202 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HL25

Décision déférée à la cour : 12 Juin 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANTE et intimée sur appel incident :

S.A.R.L. ESTE, représentée par son représentant légal

demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me Alexandre TABAK, avocat au barreau de Mulhouse

INTIMÉE et appelante sur appel incident :

S.C. SCCV LE CHENE représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Dominique HARNIST, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me Philippe BERGERON avocat au barreau de Mulhouse

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Anne HOUSER

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 23 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La SCCV Le Chêne a fait construire un immeuble collectif de 18 logements à [Localité 5] (Haut-Rhin), sous la maîtrise d'oeuvre de la société Cerebat. Le lot gros oeuvre a été confié à la société Este pour un montant forfaitaire de 400 000 euros HT, selon devis accepté du 19 juillet 2016.

Elle a facturé le 28 avril 2017 des travaux supplémentaires pour un montant de 62 706,17 euros qui n'a pas été réglé par le maître de l'ouvrage.

Par assignation du 2 octobre 2018, la société Este à fait citer la SCCV Le Chêne et la société Cerebat devant le tribunal de grande instance de Mulhouse aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement d'un solde de 15 247,80 euros au titre du marché principal, des travaux supplémentaires et de dommages et intérêts.

Par jugement du 12 juin 2020, le tribunal devenu le tribunal judiciaire a condamné la SCCV Le Chêne à payer à la société Este la somme de 15 247,80 euros au titre du solde restant dû sur le marché de base, condamné la société Este aux dépens ainsi qu'à payer une somme de 1 500 euros à la société Cerebat sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, rejetant toutes les autres demandes

Le tribunal a retenu, s'agissant du solde dû au titre du marché principal, que la SCCV Le Chêne qui ne justifiait pas avoir payé les factures dans le délai de 15 jours à compter de leur émission ne pouvait faire application de l'escompte de 2% contractuellement prévu dans cette hypothèse, et qu'elle ne pouvait pas non plus déduire une somme de 5 000 euros pour des défauts de finition, le lien de causalité entre les factures produites et les travaux réalisés par la société Este n'étant pas établi.

S'agissant des travaux supplémentaires, le tribunal a rappelé le caractère forfaitaire du marché et a retenu que n'était rapportée ni la preuve d'un accord du maître de l'ouvrage sur la nature et le prix des travaux litigieux, ni celle d'un bouleversement de l'économie du marché, les travaux supplémentaires représentant 13 % du marché initial, alors que l'article 1.1.1 du devis quantitatif et estimatif (DQE) imposait à l'entreprise de vérifier les ouvrages décrits dans le cahier des clauses techniques particulières (CCTP), et le cas échéant de les compléter.

La société Este a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 31 juillet 2020 en ce qu'il la déboutée du surplus de ses demandes dirigées contre la SCCV Le Chêne et condamnée aux dépens, intimant seulement cette société.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 1er février 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 23 avril 2021, la société Este demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes dirigées contre la SCCV Le Chêne au titre des travaux supplémentaires, de dommages et intérêts pour résistance abusive et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en ce qu'il l'a condamnée aux dépens, et statuant à nouveau, de condamner la SCCV Le Chêne au paiement des sommes de :

- 62 706,17 euros au titre des travaux supplémentaires,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance, ainsi qu'aux dépens de première instance.

Elle sollicite en outre la confirmation du jugement pour le surplus, le rejet de l'appel incident et la condamnation de la SCCV Le Chêne au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Elle approuve les motifs du jugement s'agissant du solde du marché principal en ce qu'il a retenu l'absence de lien de causalité entre les factures produites et ses travaux, et s'agissant des pénalités de retard et pour absence aux réunions de chantier invoquées en appel, évoque l'opportunisme et les contradictions de la SCCV Le Chêne qui en première instance se prévalait d'un escompte.

En ce qui concerne les travaux supplémentaires, elle fait valoir qu'il s'agit de travaux rendus nécessaires afin d'adapter le marché à la situation et aux exigences du chantier, les plans de l'architecte ayant servis de base à l'établissement du DQE étant particulièrement approximatifs et présentant des erreurs ou omissions. Elle soutient que des modifications ont été nécessaires ou demandées par le maître de l'ouvrage, que la longueur du bâtiment a été augmentée et le principe constructif modifié, ce qui a entraîné un bouleversement de l'économie du marché lui ayant fait perdre son caractère forfaitaire, de sorte que sa facture est due même en l'absence d'accord exprès du maître de l'ouvrage. Elle soutient qu'aucun contrôle réel des travaux à réaliser n'était possible avant leur démarrage.

Aux termes de ses écritures transmises par voie électronique le 29 janvier 2021, la SCCV Le Chêne conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'un solde au titre du marché principal et a rejeté sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et formant appel incident de ces chefs, elle conclut à l'infirmation du jugement, au débouté de la société Este et à sa condamnation à lui restituer les sommes versées en exécution du jugement, augmentées des intérêts de retard à compter du versement en compte Carpa, ainsi qu'à lui payer la somme de 25 259,80 euros à titre de solde sur les pénalités de retard contractuelles avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et capitalisation des intérêts échus, ainsi que les sommes de 1 800 euros et de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés respectivement en première instance et en cause d'appel.

A l'appui de son appel incident, elle soutient que doivent s'imputer sur le solde restant dû au titre du marché principal les pénalités de retard prévues par l'article 8.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), outre des factures de tierces entreprises qu'elle a dû faire intervenir pour pallier la carence de la société Este ainsi que des pénalités pour absence aux réunions de chantier, et qu'il en résulte un solde en sa faveur.

S'agissant des travaux supplémentaires, la SCCV Le Chêne fait valoir que la société Este a signé le DQE à partir d'un estimatif des travaux réalisé, à sa demande, par le bureau d'études technique Vonesch optimisé pour être compétitif, et qu'elle a consenti une remise commerciale de 57 000 euros qui est à mettre en relation avec le montant réclamé. Elle rappelle le caractère forfaitaire du marché qui impose, en application de l'article 1793 du code civil, que les travaux supplémentaires fassent l'objet d'un accord écrit du maître de l'ouvrage et que le prix soit convenu. Elle conteste tout bouleversement dans l'économie du marché, qui suppose des modifications d'une ampleur exceptionnelle ce qui n'est pas le cas puisque le volume de la construction n'a pas été modifié, soulignant que les éventuelles fautes de la maîtrise d'oeuvre ne lui sont pas imputables, et que si les plans de l'architecte avaient été aussi approximatifs que le prétend la société Este cela aurait nécessairement été signalé par le bureau d'études technique Vonesch qui l'assistait.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

Sur la demande en paiement du solde du marché

La SCCV Le Chêne ne conteste pas devoir un solde de 15 247,80 euros TTC au titre du marché de base. A hauteur de cour, elle soutient que différents montants doivent être imputés sur ce solde au titre de pénalités de retard, de pénalités pour absence aux réunions de chantier et de factures correspondant à des travaux de finition non réalisés par l'appelante, pour un montant total de 46 027 euros et forme une demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 25 259,20 euros.

S'agissant des pénalités de retard, la SCCV Le Chêne met en compte 49 jours calendaires, se référant à un compte rendu de chantier n°34 du 23 mai 2017.

L'article 8.2 du CCAP accepté par la société Este énonce : 'au cas où les travaux ne seront pas terminés dans le délai prévu mais à la condition toutefois que le retard ne soit pas provoqué par un cas de force majeure, dûment constaté par le maître d'oeuvre, il sera imposé sur le total des sommes dues à l'entrepreneur une pénalité de 1/600ème par jour calendaire (sans toutefois être inférieure à HT € 50,00 par jour calendaire) de retard et sera appliquée sans mise en demeure préalable'.

L'acte d'engagement ne mentionne aucun délai de réalisation des travaux. Il ressort des comptes rendus de chantier que le planning des travaux du 8 août 2016 qui correspond manifestement à celui non daté versé aux débats par la SCCV Le Chêne en annexe 14, et qui prévoyait un démarrage des travaux au courant de la deuxième quinzaine du mois d'août, a été remplacé par un planning du 20 décembre 2016, les travaux n'ayant en effet débuté qu'en septembre 2016 (premier compte rendu du 2 septembre 2016).

La société Este ne conteste pas que le planning prévisionnel versé aux débats par l'intimée en annexe 15 ait été établi par elle, comme le lui avait demandé le maître d'oeuvre lors de la réunion de chantier du 2 septembre 2016. Ce planning prévoyait un achèvement de ses travaux fin février 2017. Force est de constater que tel n'a pas été le cas puisque le compte rendu du 4 avril 2017, qui mentionne des intempéries en janvier 2016, mentionne également l'absence d'achèvement de ses travaux, le maître d'oeuvre, la société Cerebat, lui demandant de reprendre ses travaux sans délai afin de ne pas retarder les autres corps d'état.

Dans le compte rendu n°30 du 25 avril 2017, il est constaté que la société Este a repris ses travaux mais que des finitions restaient à faire. Les comptes rendus suivants font état du retard de la société Este, le compte rendu n°38 du 27 juin 2017 mentionnant 18 jours de retard. Les comptes rendus de réunions de chantier postérieurs indiquent que les délais d'achèvement respectivement fixés au 9 juin 2017 pour la réalisation des joints de prédalle et au 21 juillet 2017 pour la finition des voiles n'ont pas été respectés. Le compte rendu n°44 du 29 août 2017 mentionne que la société Este propose d'intervenir le 4 septembre 2009 pour la réalisation des joints de prédalle, or ce n'est que le 3 octobre 2017 qu'il sera constaté que ces travaux, qui devaient être achevés pour le 9 juin 2017, étaient réalisés. En définitive, ce n'est que le 31 octobre 2017 que le maître d'oeuvre a constaté que les finitions demandées étaient réalisées.

La société Este ne contestant pas les 49 jours de retard qui lui sont imputés, et qui sont avérés au vu de ce qui précède, se contentant d'évoquer 'l'opportunisme' de la SCCV Le Chêne qui ne s'était pas prévalu du retard en première instance, la demande de cette dernière tendant à imputer à l'entreprise des pénalités à hauteur de 49 jours x (400 000/600) = 32 666 euros hors taxes, soit 39 199 euros TTC sera donc accueillie.

De même, la demande d'imputation de pénalités pour absence aux réunions de chantier prévues par l'article 4.1 du CCAP, à hauteur de 80 € HT par absence non motivée, doit être accueillie au vu des comptes rendus de réunions de chantier, en l'absence de contestation de l'appelante, ces absences étant au nombre de 18 (et non de 19, seules les absences aux réunions auxquelles la société était convoquée devant être comptabilisées), soit un montant de 80 € HT x 18 = 1 440 euros, soit 1 728 euros TTC.

S'agissant de la factures Zena en date du 31 octobre 2018 d'un montant de 2 244 euros TTC se rapportant à 'la création d'un joint de dilatation dans murs de descente de garage', la SCCV Le Chêne soutient que cette intervention a été rendue nécessaire par la désagrégation du ragréage des murs de la rampe de garage qui incombait à l'appelante.

Cette dernière conteste tout lien de causalité entre cette intervention et ses travaux. Force est de constater qu'aucun élément de preuve n'est produit permettant de rattacher cette intervention, postérieure de près d'une année à l'achèvement des travaux de la société Este, à une défaillance de cette société, quand bien même était-elle en charge de la réalisation des murs de rampe extérieurs (poste 01.4.11 du DQE), en l'absence de tout constat d'une malfaçon et des désordres allégués, aucune mise en demeure n'ayant au surplus été adressée à l'entreprise, la seule mention manuscrite 'travaux imputables à ESTE' portée sur cette facture par le maître de l'ouvrage étant insuffisante. Le jugement doit donc être approuvé en ce qu'il a rejeté l'imputation de cette facture.

En revanche, la facture Leader Plâtrerie en date du 28 janvier 2019 d'un montant de 2 300 € HT, soit 2 760 euros TTC se rapportant à la reprise d'enduits sur maçonnerie dans 18 logements comporte la mention manuscrite suivante apposée par le maître d'oeuvre avec son cachet : 'travaux exécutés aux risques et frais du lot 01- gros oeuvre entreprise Este (voir rapports de chantier n°34 à 47)', et l'examen de ces comptes rendus de chantier révèle que l'entreprise de peinture ayant refusé certains supports, la société Este a été vainement invitée à plusieurs reprises à intervenir pour reprendre ses travaux, sa carence ayant conduit le maître d'oeuvre a confier les travaux de reprise à une entreprise tierce. Cette facture sera donc retenue.

Le décompte final au titre du marché principal s'établit donc à :

(39 199 + 1 728 + 2 760) - 15 247,80 = 28 439,20 euros, qui sera ramené à 25 259,20 euros montant de la demande reconventionnelle à laquelle il sera fait droit, les intérêts au taux légal étant dus à compter du présent arrêt, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Le jugement sera donc infirmé en tant qu'il condamne la SCCV Le Chêne au paiement d'un solde au titre du marché de base.

Il n'y a pas lieu de condamner la société Este à restituer les montants versés en exécution du jugement, mais seulement de rappeler que l'arrêt vaut titre de restitution et que les sommes réglées porteront intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt, laquelle vaut mise en demeure.

Sur les travaux supplémentaires

Le caractère forfaitaire du marché n'est pas contesté.

Conformément à l'article 1793 du code civil, lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.

Dans le cadre d'un marché à forfait, des travaux non prévus au marché qui sont nécessaires à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art et à sa conformité aux stipulations contractuelles doivent être exécutés par le constructeur sans que celui-ci puisse, en principe, obtenir une augmentation du prix initialement convenu.

Seules trois situations particulières permettent de sortir du forfait et de condamner le maître de l'ouvrage au paiement de travaux supplémentaires, à savoir une autorisation préalable écrite du maître de l'ouvrage, une ratification expresse et non équivoque a posteriori par ce dernier des travaux réalisés ou encore un bouleversement de l'économie du contrat.

Le bouleversement de l'économie d'un contrat résulte d'une augmentation substantielle dans la masse des travaux ou d'un changement dans la nature de ces derniers, qui a eu un impact économique significatif. De plus, la demande de l'entrepreneur présentée à ce titre à l'encontre du maître de l'ouvrage ne peut être accueillie que si celui-ci est à l'origine de la modification de la masse ou de la nature des travaux.

En l'espèce, il est constant que les travaux supplémentaires dont l'appelante demande paiement n'ont pas fait l'objet d'un accord écrit du maître de l'ouvrage.

La société Este se prévaut d'un bouleversement de l'économie du marché qui résulterait d'erreurs du maître d'oeuvre dont elle prétend que les plans auraient été approximatifs. Elle s'appuie à cet égard sur un courrier du bureau d'études technique Vonesch en date du 27 mai 2019 qui indique avoir réalisé un quantitatif sur la base des plans de permis de construire échelle1/100ème alors que pour un tel projet les dossiers de consultation sont réalisés à partir des plans dits 'PRO' au 1/50ème, et avoir élaboré un CCTP et un DPGF (décomposition du prix global et forfaitaire) sur la base de plans dépourvus de cote et de détails, soulignant qu'après réception des plans d'exécution du maître d'oeuvre des divergences ont été remarquées par rapport aux plans initiaux (modifications de cotes, augmentation de 20 cm de la profondeur des balcons, remplacement de voiles par des structures poteaux-poutres, ajouts d'un acrotère, d'un local vélo et présentation des ordures, et d'une corniche béton). Ce bureau d'études technique invoque également, en cours de chantier, la modification de la largeur de la rampe de descente au sous-sol.

Dans un autre courrier du 21 octobre 2020, le même bureau d'études indique que les quantitatifs des ouvrages ont été réalisés avec des plans non conformes avec l'exécution de l'ouvrage, et que les plans d'exécution n'ayant été réalisés qu'en juillet 2016, aucun contrôle des quantités réelles n'était plus réalisable avant signature du marché.

Par ailleurs dans un courrier du 29 mai 2017 adressé à l'appelante, ce bureau d'études technique lui confirmait avoir réalisé, à sa demande, un quantitatif afin de remettre un estimatif des travaux. Dans ce courrier il précisait que ce quantitatif avait été réalisé à partir des plans de permis de construire et qu'afin de permettre à l'entreprise de remettre une offre compétitive, le principe structurel avait été optimisé.

Il s'évince de ces différents courriers que les travaux supplémentaires dont s'agit correspondent à des travaux nécessaires à la réalisation de l'ouvrage et pour partie, à des modifications qui, pour l'essentiel, ne sont pas imputables au maître de l'ouvrage.

L'ampleur exacte des modifications alléguées n'est au surplus pas démontrée. S'il est admis que la rampe d'accès au sous-sol a été modifiée, les autres affirmations du bureau d'études technique Vonesch, notamment quant à une augmentation de la longueur du bâtiment et de la profondeur des balcons sont contestées par la SCCV Le Chêne et ne sont étayées par aucun autre élément technique probant. Il en est de même de l'ajout d'un local vélo dont l'intimée affirme sans être contredite qu'il a été réalisé en métal et n'apparaît en tout état de cause pas sur la facture litigieuse, ou encore de l'ajout, contesté, d'une corniche dont l'incidence financière représente 61,15 € HT compte tenu de la déduction corrélative d'une moins value.

En outre, comme l'a relevé le tribunal ces modifications et quantités supplémentaires qui représentent 13 % du montant du marché initial ne sont pas, que soit par leur nature, ou leur coût, en l'état des éléments d'appréciation soumis à la cour, d'une ampleur telle qu'elle puisse caractériser un bouleversement de l'économie du marché.

Enfin, comme l'a relevé le tribunal, le contrat stipule expressément qu'avant remise de son offre l'entrepreneur devra vérifier sous sa propre responsabilité les opérations et ouvrages mentionnés et décrits dans le CCTP et devra les compléter s'il y a lieu. Il appartenait par conséquent à l'appelante, professionnelle de la construction, de s'assurer que l'offre qu'elle établissait avait été quantifiée sur la base d'éléments techniques suffisamment fiables, et au bureau d'études techniques qu'elle s'était adjoint d'attirer, le cas échéant, son attention sur l'insuffisance des éléments techniques dont il disposait.

Le contrat précise enfin qu'aucun supplément de prix ne pourra être accordé ultérieurement du fait que les renseignements dont l'entrepreneur s'était entourés étaient inexacts ou incomplets, l'entrepreneur disposant en outre d'un délai de 10 jours pour contrôler les quantités indiquées dans le DPGF et faire part au maître d'oeuvre d'éventuelles erreurs ou omissions, aucune réclamation ne pouvant plus être formulée passé ce délai.

Il résulte de l'ensemble de ces constatations que les travaux dont la société Este demande paiement relèvent de son imprévision et ne peuvent donc donner lieu à augmentation du prix forfaitaire convenu, aucun bouleversement de l'économie du contrat imputable au maître de l'ouvrage n'étant démontré.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en tant qu'il a rejeté la demande de la société Este au titre des travaux supplémentaires et corrélativement sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.

Sur les dépens et les frais exclus des dépens

En considération de la solution du litige, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société Este aux dépens. Les dépens d'appel seront également mis à sa charge.

Le jugement sera par contre infirmé en ce que la SCCV Le Chêne a été déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il lui sera alloué une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés pour la procédure de première instance et une somme de 2 000 euros en cause d'appel, la demande de la société Este sur ce fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME, dans les limites de l'appel, le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 12 juin 2020, sauf en ce qu'il a condamné la SCCV Le Chêne à payer à la société Este la somme de 15 247,80 euros et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

INFIRME le jugement entrepris de ces seuls chefs ;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant au jugement,

DEBOUTE la société Este de sa demande en paiement d'un solde au titre du marché de base ;

CONDAMNE la SARL Este à payer à la SCCV Le Chêne la somme de 25 259,20 € (vingt-cinq mille deux cent cinquante-neuf euros vingt centimes), outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

RAPPELLE que le présent arrêt vaut titre de restitution de toutes sommes payées en exécution du jugement déféré et que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus pour une année entière dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;

DEBOUTE la société Este de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Este aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à la SCCV Le Chêne la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) au titre des frais exclus des dépens exposés en première instance et la somme de 2 000 € (deux mille euros) au titre des frais exclus des dépens exposés en appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02202
Date de la décision : 02/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-02;20.02202 ?
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