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01/12/2022 | FRANCE | N°20/02984

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 01 décembre 2022, 20/02984


MINUTE N° 526/2022





























Copie exécutoire à



- Me Anne CROVISIER



- Me Valérie BISCHOFF - DE OLIVEIRA





Le 1er décembre 2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 1er Décembre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02984 - N° Portalis

DBVW-V-B7E-HNE5



Décision déférée à la cour : 11 Septembre 2020 par le tribunal judiciaire de SAVERNE





APPELANTS et intimés sur appel incident :



Madame [X] [E]

Monsieur [U] [S]

demeurant tous deux [Adresse 5]



représentés par la SELARL ARTHUS, avocat...

MINUTE N° 526/2022

Copie exécutoire à

- Me Anne CROVISIER

- Me Valérie BISCHOFF - DE OLIVEIRA

Le 1er décembre 2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 1er Décembre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02984 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNE5

Décision déférée à la cour : 11 Septembre 2020 par le tribunal judiciaire de SAVERNE

APPELANTS et intimés sur appel incident :

Madame [X] [E]

Monsieur [U] [S]

demeurant tous deux [Adresse 5]

représentés par la SELARL ARTHUS, avocat à la cour.

INTIMÉS et appelant sur incident :

Madame [M] [W]

Monsieur [L] [P]

demeurant tous deux [Adresse 5]

représentés par Me Valérie BISCHOFF - DE OLIVEIRA, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me HORNECKER, avocat au barreau de Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Dominique DONATH, faisant fonction.

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [M] [W] et Monsieur [L] [P] se sont portés acquéreurs du terrain à bâtir contigu à celui des consorts [S]-[E], sis [Adresse 5] et cadastré Section [Cadastre 3], n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], auprès de Monsieur et Madame [I] selon acte de vente reçu en la forme authentique par Maître [J] le 30 avril 2008. Ils ont obtenu un permis de construire pour édifier sur ce terrain leur maison d'habitation, qui leur a été délivré le 8 avril 2009 par le maire de la commune

Le 23 juin 2009, Madame [X] [E] et Monsieur [U] [S] ont introduit un recours devant le tribunal administratif de Strasbourg aux fins d'annulation de ce permis.

Les travaux ont débuté le 18 novembre 2009, précédés par la rédaction d'un procès-verbal de constat réalisé par Maître [H], huissier de justice à [Localité 4], le 21 septembre 2009, en vue de faire constater l'état du mur d'enceinte de la propriété des consorts [S]-[E] avant le début du chantier.

Le 25 novembre 2009, les consorts [S]-[E] ont engagé une procédure de référé civil d'heure à heure devant le président du tribunal de grande instance de Saverne à l'encontre de leurs voisins et de l'entreprise de gros-'uvre, la S.A.R.L. Misic, aux fins d'obtenir la suspension des travaux et la désignation d'un expert-judiciaire, faisant valoir que :

- les travaux entrepris auraient endommagé leur mur de soutènement et le réseau d'assainissement,

- la construction projetée risquait de les priver de la quasi-totalité de l'ensoleillement du côté sud de leur propriété et que l'implantation de la maison ne serait pas conforme aux prescriptions du permis de construire contesté par ailleurs devant le tribunal administratif de Strasbourg.

L'ordonnance de référé rendue le 27 novembre 2009 a rejeté la demande de suspension des travaux au motif qu'aucun trouble manifestement illicite n'était établi, tout en désignant Monsieur [A] [Y] en qualité d'expert judiciaire avec une mission de vérification de l'empiétement du mur d'enceinte et du respect du permis de construire accordé aux consorts [P]-[W].

Le 15 mars 2010, l'expert judiciaire a déposé son rapport auquel a été annexé le rapport de relevé de contrôle établi par l'expert-géomètre, Monsieur [C], le 14 janvier 2010.

Par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg prononcée le 8 avril 2010 - confirmée par un arrêt du Conseil d'Etat rendu le 9 juillet 2010 - les consorts [S]-[E] obtenaient la suspension des travaux.

Dans son jugement au fond rendu le 2 novembre 2010, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le permis de construire délivré le 8 avril 2009 au motif que la maison devant être construite par les consorts [P]-[W], 'd'une surface de 303 m² comportant 3 niveaux constituées de petits volumes assemblés entre eux', avec une façade partiellement recouverte d'un bardage bois et surmontée d'une toiture à un pan avec deux toitures végétalisées, présentait des 'caractéristiques architecturales atypiques' estimant que ' ce projet est en totale rupture avec le bâti environnant constitué essentiellement de maisons d'habitation de style traditionnel'.

Mais, sur appel interjeté par le ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, ce jugement a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy rendu le 30 juin 2011. Le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi formé par Madame [E] et Monsieur [S] par son arrêt rendu le 16 avril 2012.

Madame [W] et Monsieur [P] ont fait reprendre les travaux après le rendu de l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 avril 2012.

Le 19 juin 2015, les consorts [E] ' [S] ont assigné Madame [W] et Monsieur [P] devant la juridiction des référés civils du tribunal de grande instance de Saverne pour solliciter une nouvelle expertise judiciaire, au motif que la construction maintenant érigée par ces derniers ne serait pas conforme aux préconisations de son permis de construire et que sa hauteur excessive aggraverait la perte de vue et d'ensoleillement et serait à l'origine de l'humidité affectant certains murs de leur maison.

Par ordonnance de référé rendue le 9 septembre 2015, Monsieur [G] [R] a été commis en qualité d'expert judiciaire. Pour l'accomplissement de sa mission, Monsieur [G] a fait appel à deux sapiteurs, d'une part, Monsieur [F], expert-géomètre, d'autre part, Madame [O], expert immobilier.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 6 février 2017.

* * *

C'est dans ce contexte que les consorts [S]-[E] ont saisi au fond la juridiction de grande instance de Saverne le 20 septembre 2017.

Le tribunal judiciaire de Saverne a rendu son jugement le 11 septembre 2020.

Il a débouté les consorts [E]-[S] de leur demande tendant :

- à la mise en conformité de la construction des intimés avec le permis de construire,

- à faire rétablir les bornes séparatives dans leurs emplacements initiaux,

- à la démolition de l'ouvrage construit par les consorts [P]-[W].

En revanche, les consorts [P]-[W] ont été condamnés :

- sous peine d'astreinte, à supprimer le remblai et la terrasse réalisés à l'arrière de leur terrain, situé à moins de 1,90 m de la limite séparative des deux propriétés, et à supprimer les empiétements existants sur la propriété des appelants, à savoir le débord de 3 cm de la partie inférieure de leur façade et le débord de 5 cm au niveau du mur de soutènement,

- au paiement d'une indemnité de 10.000 € à titre de dommages et intérêts et de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Enfin, les consorts [P]-[W] ont été déboutés de leurs demandes de prise en charge des frais de suppression des débordements par les consorts [S]-[E] et en dommages et intérêts pour harcèlement et procédure abusive.

Les consorts [E]-[S] ont formé un appel principal, les époux [W]-[P] ayant fait appel incident.

PRETENTIONS DES PARTIES

Les consorts [S]-[E] concluent dans leurs dernières écritures datées du 23 mai 2022 à ce que la cour veuille bien :

INFIRMER le jugement entrepris en tant qu'il a :

- débouté Madame [X] [E] et Monsieur [U] [S] de leur demande tendant à la mise en conformité de la construction édifiée par Madame [M] [W] et Monsieur [L] [P] avec le permis de construire,

- débouté Madame [X] [E] et Monsieur [U] [S] de leur demande tendant à faire rétablir les bornes séparatives dans leur emplacement initial,

- débouté Madame [X] [E] et Monsieur [U] [S] de leur demande de démolition de l'ouvrage construit sur la parcelle appartenant à Madame [M] [W] et à Monsieur [L] [P],

- et partant, a limité la condamnation de Madame [M] [W] et à Monsieur [L] [P] :

o à supprimer le remblai et la terrasse réalisés à l'arrière de leur terrain dans la partie située à moins de 1,90 mètre de la limite séparative des deux propriétés dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement, à défaut de suppression dans le délai prescrit sous astreinte provisoire de 200 € par jour de retard pendant un délai de trois mois, sous

réserve de la saisine du Juge de l'exécution,

o à supprimer les empiétements existant sur la propriété de Madame [X] [E] et de Monsieur [U] [S] à savoir le débord de 3 cm de la partie inférieure de leur façade et le débord de 5 cm au niveau du mur de soutènement réalisé dans le prolongement du mur nord de la maison de Madame [M] [W] et à Monsieur [L] [P] dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement, à défaut de suppression dans le délai prescrit sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard pendant un délai de trois mois, sous réserve de la saisine du Juge de l'exécution,

o à payer à Madame [X] [E] et Monsieur [U] [S] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts,

- rejeté toute demande plus ample et contraire,

Et statuant à nouveau, de ces chefs,

CONSTATER, au besoin, DIRE ET JUGER que la construction des consorts [W]-[P] a été édifiée en violation des règles d'urbanisme élémentaires et des prescriptions du permis de construire,

CONSTATER, au besoin DIRE ET JUGER, que la construction des consorts [W]-[P] empiète sur la propriété de Madame [E],

DIRE ET JUGER que Madame [E] et Monsieur [S] subissent des troubles anormaux du voisinage d'une gravité importante,

En conséquence,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] à démolir l'ouvrage litigieux à leur frais, dans un délai de 6 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'astreinte de 200 euros par jour de retard,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] à payer à Madame [E] et Monsieur [S] une somme de 20.000 euros de dommages intérêts en réparation du trouble de jouissance subi jusqu'à la démolition de l'immeuble litigieux,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] à rétablir le bornage préexistant aux travaux,

CONFIRMER le jugement entrepris du chef des dépens et indemnité de procédure,

A titre infiniment subsidiaire, si la Cour devait confirmer le rejet de la demande de démolition de l'immeuble,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] à supprimer l'empiétement de 11 à 13 centimètres sur leur propriété des fondations du mur nord-est de la demeure des consorts [W]-[P] dans un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] à mettre en conformité, par tous moyens, leur système de VMC réalisé en violation des prescriptions du permis de construire dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir, sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] à faire rétablir les bornes séparatives en leur implantation initiale, dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir, sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] à payer à Madame [E] et Monsieur [S] une somme de 50.000 euros de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait des troubles anormaux du voisinage,

CONFIRMER la décision entreprise pour le surplus,

En tout état de cause,

CONDAMNER les consorts [W]-[P] aux entiers frais et dépens d'appel et à verser à Madame [E] et Monsieur [S] une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Sur appel incident

DECLARER les consorts [W]-[P] mal fondé en leur appel incident,

Les en DEBOUTER ainsi que de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions tant principales que subsidiaires,

Les CONDAMNER aux entiers frais et dépens nés de l'appel incident.

Les appelants formulaient les développements suivants :

* Sur les troubles anormaux du voisinage résultant du non-respect des dispositions du permis de construire :

- ils maintiennent leur position selon laquelle le fait que la hauteur de l'immeuble de leur voisin dépasse celle qui était prévue au permis de construire, a un effet sur la perte d'ensoleillement qu'ils invoquent ; il conviendrait de mesurer la hauteur de la construction litigieuse à partir du sol naturel, avant tout travaux d'exhaussement ou d'affouillement du sol nécessaires pour la réalisation du projet, jusqu'au faîtage du bâtiment et en cas de terrain en pente, ce qui est le cas en l'espèce, de procéder à la mesure de la hauteur au faîtage prise à partir du terrain naturel le plus bas,

- il résulterait des relevés effectués par Monsieur [B], géomètre-expert et par Monsieur [K], que la hauteur de la construction est de 10,82 m au point le plus haut du toit à partir du terrain naturel le plus bas, de telle sorte qu'il est incontestable que la construction ne respecterait pas les termes du permis de construire,

- les travaux de voiries réalisés sur la voie publique en bordure de propriété des parties en 2011 ont conduit nécessairement à un rehaussement du niveau de la rue d'environ 10 cm dont il conviendrait de tenir compte au moment des prises de mesure,

- dans ces conditions, le tableau comparatif des hauteurs établi par l'expert judiciaire, Monsieur [G], serait inexact et devrait être revu par la juridiction,

- en tout état de cause, des troubles anormaux du voisinage sont subis, directement en lien avec la non-conformité de l'ouvrage par rapport au permis de construire et avec le choix de l'implantation de l'immeuble ; ils consistent, d'une part, en une perte significative d'ensoleillement et de vue (ainsi qu'il résulte notamment du rapport de Madame [O] annexé au rapport d'expertise judiciaire de Monsieur [G] et confirmés par les multiples photographies versées aux débats en annexes 19, 20, 58 à 60), et d'autre part en l'apparition d'une humidité persistante sur ou dans les murs extérieurs de leur maison,

- au sujet des nuisances olfactives liées à l'installation de la VMC, la décision entreprise qui a écarté son existence n'a pas tenu compte du fait que les consorts [W]-[P] ne l'avait pas actionnée au jour de l'expertise,

- concernant les nombreux dommages collatéraux, la seule circonstance que l'expert judiciaire n'ait pas cru devoir imputer à la construction litigieuse l'un ou l'autre des troubles ne s'impose pas à la cour qui pourra se convaincre de la réalité de ces derniers à la simple connaissance des photographies présentes aux annexes 43, 27, 46, 79,

- sur les vues irrégulières, il y a lieu de constater dans un premier temps que les consorts [W]-[P] ne remettent nullement en cause la circonstance qu'ils ont surélevé l'arrière de leur terrain ce qui est à l'origine de la création de cette vue irrégulière, qui justifie pleinement la décision entreprise ; seule le retrait de la terrasse, comme imposé par le premier juge, représente une solution adéquate, la proposition de maintien de la terrasse avec mise en place d'un brise vue ne peut en aucun cas être suivie, car elle aurait pour effet - dès lors que le muret actuel de la terrasse implanté sur la limite parcellaire fait office de clôture - d'être d'une hauteur supérieure à la hauteur maximale de 2,60 m telle qu'imposée par l'article 663 du code civil et serait en outre contraire au Plan Local d'Urbanisme en vigueur à compter du 1 er janvier 2020,

- à l'étude des photographies annotées en annexes 72 et 72 bis et compte tenu de la structure en bois de la terrasse litigieuse des voisins, il serait tout à fait possible de couper les solives le long d'une poutre transversale sans endommager la structure en bois de la maison, et permettre ainsi le retrait de la terrasse et du remblai sur une profondeur de 1,90 m.

* Sur les empiétements :

- c'est par une exacte appréciation de la situation que le premier juge a considéré qu'il convenait de condamner les consorts [W]-[P] à supprimer l'empiétement résultant de l'installation du bardage métallique sur le mur nord mais également à supprimer le débord de 5 cm du mur de soutènement,

- la juridiction a, à raison, écarté l'attestation de M. [D], qui ne présenterait pas une objectivité suffisante en tant que salarié de la société intervenue sur le chantier de la maison des consorts [P]-[W] ; sa nouvelle attestation produite à hauteur d'appel devrait elle aussi être écartée,

- c'est toutefois de manière erronée que le premier juge a considéré que les photographies produites par Madame [E] et Monsieur [S] sont insuffisantes pour démontrer l'existence de l'empiétement de 11 à 13 centimètres sur leur propriété des fondations du mur nord-est des consorts [W]-[P], empiétement évoqué par le constat d'huissier dressé par Maître [T] ; le fait que l'expert judiciaire, Monsieur [G], n'ait pas pris en compte cet empiétement ne saurait justifier le rejet de cette prétention dès lors qu'un constat d'huissier établit sa présence.

* Sur les sanctions :

- seule la démolition de l'immeuble des intimés permettrait de remédier à ces désordres (puisqu'il est impossible de réduire la hauteur de la maison sans procéder à sa destruction préalable) dans un délai de 6 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'astreinte de 200 euros par jour de retard,

- cette démolition laissant entier le préjudice subi par les consorts [E]-[S] depuis plus de dix ans, il est justifié de condamner les consorts [W]-[P] à une somme de 20 000 euros de dommages-intérêts,

- à titre infiniment subsidiaire, si la cour devait confirmer la décision entreprise en ce qu'elle déboute Madame [E] et Monsieur [S] de leur demande de démolition, le jugement entrepris devra être complété et emporter condamnation des consorts [W]-[P] à :

* mettre en conformité, par tous moyens, leur système de VMC installé en violation des prescriptions du permis de construire dans un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'astreinte de 100 euros par jour de retard,

* à supprimer l'empiétement de 11 à 13 centimètres des fondations du mur nord-est de leur construction sur le terrain des consorts [E]-[S],

- le quantum des dommages et intérêts arbitré par la décision entreprise à hauteur de 10 000 euros apparaît insuffisant pour réparer l'intégralité des préjudices consécutifs aux troubles anormaux de voisinage subis par les consorts [E]-[S] du fait de la construction litigieuse depuis plus de 10 ans ; une somme de 50 000 euros devrait être mise en compte à ce titre.

* Sur la demande de rétablissement des bornes :

- il résulterait des relevés altimétriques qui ont été réalisés en 2008 par Maître [K] géomètre-expert, préalablement à tout travaux que l'assiette du terrain des consorts [W]-[P] mesurait 14.33 m sur front de rue et non 14.35 mètres;

- or il résulte des expertises réalisées tant en 2010 qu'en 2016 que l'assiette du terrain des consorts [W]-[P] mesure 14.35 mètres sur le terrain des consorts [S]-[E] se voyant réduit d'autant à 14.71 mètres au lieu des 14.75 mètres antérieurs,

- la borne du terrain se situant au fond de celui-ci qui se trouvait initialement en retrait de 14 centimètres se trouve désormais en retrait de 12.75 centimètres, de sorte qu'on pourrait en déduire que les consorts [W]-[P] auraient fait déplacer ces bornes dans le but d'élargir de leur terrain aux fins de dissimuler l'empiétement de leurs fondations sur la propriété voisine.

-Sur la demande reconventionnelle et l'appel incident de ces chefs :

- les développements des consorts [W]-[P] non traduits par des demandes dans leur dispositif, portant sur un prétendu débordement de la construction des consorts [S]-[E] et la présence d'un fil de fer barbelé, ne présentent aucun intérêt,

- la demande des consorts [W]-[P] d'infirmation du jugement entrepris en tant qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour harcèlement procédural, procédure abusive et préjudice matériel du fait de la suspension des travaux, n'est pas fondée ; c'est à juste titre que le tribunal les a déboutés de leur demande dès lors que les consorts [E]-[S] n'ont agi que pour assurer le respect de leurs droits, aucune faute ne pouvant leur être imputée ; d'ailleurs le tribunal administratif a fait droit à leur recours, même si cette décision a ultérieurement été infirmée, établissant par là même l'absence de malice ou de mauvaise foi.

***

Dans leurs dernières écritures du 30 juin 2022 notifiées par RPVA, les consorts [P]-[W] concluent à ce que la cour décide de :

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les consorts [S]-[E] de leurs demandes tendant à la mise en conformité de la construction édifiée par les consorts [W]-[P] avec le permis de construire, à rétablir les bornes séparatives dans leur emplacement initial et à démolir l'ouvrage construit sur leur parcelle,

Statuant sur l'appel incident des consorts [W]-[P],

- INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il les a :

* condamnés sous astreinte à supprimer le remblai et la terrasse réalisés à l'arrière de leur terrain dans la partie située à moins de 1,90 mètre de la limite séparative des deux propriétés et les empiétements existants sur la propriété des appelants à savoir le débord de 3 cm de la partie inférieure de leur façade et le débord de 5 cm au niveau du mur de soutènement,

* condamnés à payer une indemnité de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du trouble anormal de jouissance résultant de la perte d'ensoleillement et de vue, et de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de l'instance comprenant les frais de l'expertise judiciaire ordonnée par décision du 9 septembre 2015,

* déboutés de leur demande de prise en charge des frais de suppression des empiétement ainsi que de leur demande en dommages et intérêts.

Et statuant à nouveau de ces chefs,

DEBOUTER les consorts [E]-[S] de tous les chefs de demande accueillis par le jugement entrepris,

A titre subsidiaire,

Au cas où par impossible la Cour devait confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné les consorts [P] à supprimer les deux débordements retenus, DIRE, JUGER et CONSTATER que ces débordements sont seuls imputables au comportement des consorts [E]-[S], et en conséquence, les CONDAMNER à supporter le coût de la suppression de ces empiétements.

Au cas où par impossible la Cour devait considérer que la construction de la terrasse des intimés crée une vue irrégulière sur la propriété des appelants, AUTORISER les consorts [W]-[P] à conserver leur terrasse sous réserve de l'installation d'un brise-vue sur toute sa largueur et d'une hauteur suffisante.

Statuant sur la demande reconventionnelle,

DONNER ACTE aux consorts [E]-[S] qu'ils ont supprimé le fil de fer barbelé installé autour de la terrasse des consorts [W]-[P] postérieurement aux conclusions déposées en première instance pour l'audience du 23 mars 2018,

LES CONDAMNER in solidum au paiement d'une somme de 153.364,89 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi

En tout état de cause,

CONDAMNER in solidum les consorts [E]-[S] au paiement d'une indemnité de 30.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais de l'expertise judiciaire ordonnée par décision du 9 septembre 2015.

Les consorts [P]-[W], après avoir repris la chronologie des instances administratives et judiciaires qui les ont accompagnés depuis leur acquisition du terrain sur lequel ils ont bâti leur résidence, formulent les observations suivantes :

* Concernant la hauteur de leur construction ;

- c'est contre l'avis des deux experts qui se sont prononcés successivement dans ce litige, que les appelants persistent à soutenir que les mesures auraient dû être prises à partir du terrain naturel alors que seules les dispositions du permis de construire sont à prendre en considération ; les documents graphiques du permis de construire définissent le niveau 0 à partir duquel sont indiquées les hauteurs de la construction, correspondant à une altimétrie de 99,65 ; en outre contrairement aux allégations des consorts [S]-[E], l'expert a bien pris en considération la question de la pente du terrain (cf. la lettre adressée au magistrat chargé du contrôle des expertises),

- c'est donc à très juste titre que la hauteur de la construction des consorts [P]-[W] a été mesurée par le géomètre, Monsieur [F], à partir de cette cote de référence définie par le permis de construire, dont la validité ne saurait plus être remise en cause, à fortiori devant le juge judiciaire ; il résulte des mesures ainsi effectuées et reprises en pages 10 à 12 du rapport d'expertise judiciaire, que :

- l'altimétrie réelle de la construction édifiée par les défendeurs est de 99.52 « soit un positionnement du niveau 0.00 à une altimétrie inférieure de 13 cm par rapport à celle du PC » autrement dit, la construction des défendeurs a été bâtie plus bas de 13 cm à celle prévue par le permis de construire ;

- en partant de cette altimétrie inférieure, l'expert judiciaire relève que toutes les hauteurs mesurées sont inférieures de 5 à 22 cm à celles autorisées par le permis de construire, sous réserve d'une seule, à savoir la hauteur de l'intersection de la toiture avec le mur en retrait façade Sud qui excède de 7 cm la hauteur prévue au permis de construire,

- cette seule différence isolée de 7 cm ne saurait constituer un trouble anormal de voisinage.

* Sur les troubles anormaux de voisinage :

- aucune violation du permis de construire n'est à déplorer ; quant à la hauteur de la construction des intimés ne elle ne peut avoir occasionné une quelconque perte d'ensoleillement et de vue : les appelants ne démontrent pas davantage que le prétendu dépassement de la hauteur de la construction serait à l'origine des traces, auréoles et mousses présentes sur des murs de la maison des appelants, en sachant que l'expert judiciaire a clairement exclu tout lien de causalité,

- aucun élément du dossier n'établit l'existence de nuisances olfactives dénoncées.

* Sur les autres nuisances dénoncées, à savoir :

- un endommagement des piliers en grès de la maison des consorts [S]-[E], qui menaceraient de s'effondrer suite à leur exposition au gel et à la neige, pendant les travaux des consorts [W]-[P],

- une rupture des tuyaux d'écoulement de la fosse d'aisance de la propriété [E] causée par les travaux d'excavation des fondations adverses privant Madame [E] et Monsieur [S] de sanitaires durant huit jours,

- des dégradations à l'intérieur de l'immeuble, notamment en 2013 (chute du miroir qui a endommagé le lavabo et le carrelage), suite aux vibrations générées par les travaux voisins,

- une dégradation du mur de soutènement côté Sud Est suite au déversement de gravats contre le mur de soutènement,

- une dégradation de la haie de thuyas et du grillage,

- une détérioration des briques des murs de la terrasse,

- des bruits occasionnés lors des travaux,

- une non installation d'un système de récupération des eaux pluviales au niveau du soubassement métallique de la construction surplombée de tôle, de sorte que les eaux ruissellent le long du bardage et s'écoulent de manière 'sauvage' sur le terrain [E], aggravant ainsi le phénomène d'humidité déjà prégnant du fait de la perte d'ensoleillement »,

... les intimés soutiennent que tous ces désordres n'ont pas été constatés par l'expert.

* Sur l'empiétement de 11 à 13 cm sur la propriété des consorts [S]-[E] des fondations du mur nord est de la maison des consorts [P]-[W] et la question du déplacement des bornes :

-les intimés affirment que le jugement entrepris a écarté à juste titre leur existence, l'expert ne les ayant pas constatés. Pour tromper la religion du tribunal les consorts [S]-[E] n'auraient pas hésité à ajouter au procès verbal d'huissier établi par Me [T] le 21 novembre et 7 décembre 2017 des photographies tierces assorties de leur commentaires.

* Sur la perte d'ensoleillement ;

- les consorts [P]-[W] soutiennent que le mur de leur maison d'habitation ne prive pas la terrasse des consorts [S]-[E] de sa vue' plongeante' sur la vallée,

- le rapport établi par Madame [O], repris dans le rapport d'expertise judiciaire, relève effectivement des pertes de vue et d'ensoleillement, mais elles seraient limitées,

- la seule question qui se pose est de savoir si ces pertes d'ensoleillement et de vue, retenues par le rapport d'expertise judiciaire, peuvent être constitutives d'un trouble anormal de voisinage; en faisant référence à des décisions de cours d'appel, les intimés soutiennent que les pertes de vue et d'ensoleillement, relevées en l'espèce, ne constitueraient pas des troubles anormaux de voisinage, dès lors que les pertes d'ensoleillement sont très limitées et même totalement inexistantes en terrasse à la « belle saison ».

* Sur les vues irrégulières :

- le jugement entrepris est critiquable à la fois en droit et en fait ; la perte de la ' vue plongeante' alléguée et retenue n'est nullement établie alors que la maison des consorts [E]-[S] est en surplomb de la terrasse, de sorte que celle-ci ne saurait créer une quelconque vue plongeante sur leur propriété,

- la terrasse des consorts [P]-[W] se situe à plus de 15 mètres en contrebas et au moins 3 mètres plus bas que la terrasse des appelants, située au niveau de toutes les pièces à vivre de leur maison ; il est donc physiquement impossible que la terrasse des intimés leur offre une vue sur la maison des appelants.

* Sur les empiétements reconnus et sanctionnés par le premier jugement :

- s'agissant de l'empiétement de 3 cm au niveau de la façade nord, le débord provient de l'utilisation d'un bardage métallique qui aurait été posé suite au refus des appelants d'autoriser l'entreprise choisie de pénétrer sur leur propriété pour poser le crépis sur le mur de la maison des intimés,

- s'agissant du mur de soutènement, le débordement sur la partie supérieure de 5 cm serait exclusivement imputable à l'intervention intempestive des époux [E]-[S] sur le coffrage, alors que le béton venait à peine d'être coulé ; les intimés ne comprenaient pas pourquoi l'attestation de témoin établie par Monsieur [D] avait été écartée, et indiquaient que le témoin - qui n'était plus salarié de la société ayant procédé au gros oeuvre - avait rédigé une nouvelle attestation confirmant sa mise en cause des appelants (annexe 80).

* Sur les sanctions :

- même si des troubles anormaux de voisinage étaient admis, rien ne pourrait justifier une solution aussi radicale que la destruction pure et simple de la maison d'habitation des consorts [P]-[W], ce qui porterait une atteinte totalement disproportionnée au droit de propriété garanti par l'article 1er du protocole additionnel n°1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales,

- s'agissant du débord de 3 cm de la partie inférieure de la façade correspondant au bardage métallique, c'est le comportement des consorts [S]-[E] qui en est à l'origine du fait qu'ils ont refusé aux intimés la possibilité de pénétrer sur leur fonds pour réaliser un crépissage, ce qui aurait évité tout empiétement ; aussi le coût des travaux nécessaires devrait leur incomber,

- s'agissant du mur de soutènement en L, il est techniquement possible de le démolir et de le reconstruire à la verticale pour éviter qu'il ne penche vers la propriété [E] ' [S] ; mais il convient de tenir compte de l'attestation de Monsieur [D] et de mettre à la charge des appelants le coût de cette intervention,

- s'agissant des terres de remblai et de la terrasse, le jugement entrepris devra également être infirmé en ce qu'il a condamné les intimés à les supprimer pour la partie située à moins de 1,90 mètre de la limite séparative des deux propriétés ; si la cour devait confirmer le jugement, sa destruction partielle ne serait en tout état de cause pas justifiée car il suffirait d'installer sur la largeur de la terrasse un brise-vue de hauteur suffisante.

Enfin, dans le cadre de leur demande reconventionnelle, les consorts [P]-[W] dénonçent le comportement outrancier et procédurier des consorts [S]-[E] qui aurait généré un préjudice pour eux d'ordre matériel et moral.

Le caractère abusif serait démontré par le fait que les précédents propriétaires du terrain avaient tous abandonné leur projet d'y construire leur résidence du fait du comportement agressif et procédurier des consorts [S]-[E].

Le préjudice matériel découlerait du fait que, de par l'arrêt des travaux pendant près de deux années, les panneaux de bois (s'agissant d'une construction ossature bois) qui avaient été montés, s'étaient dégradés et avaient dû être démontés remplacés par la suite ce qui avait généré d'une part un surcoût direct de 83 334,89 euros et indirect ( frais supplémentaires de 20 000 euros pour l'emprunt).

Quant au préjudice moral, il ne saurait être évalué à moins de 50 000 euros.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur les troubles anormaux du voisinage

La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue. Cependant nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, à savoir causer à la propriété d'autrui un dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

* De l'inutilité des débats portant sur le respect en soi du permis de construire

Les appelants estiment que la méconnaissance des dispositions du permis de construire portant sur la hauteur de l'immeuble serait de nature à constituer un trouble anormal du voisinage. Dans le souci de démontrer l'existence d'un dépassement de la hauteur prévue de la construction des consorts [P]-[W] de quelques centimètres, ils procèdent à de longs développements sur la méthode à adopter pour prendre les mesures de la hauteur des différents points hauts de la maison (à partir du sol de départ, du bas de la pente, sans tenir compte de l'épaisseur de l'enrobé posé par la commune...).

Cependant, force est de rappeler qu'il est de jurisprudence établie, que l'existence d'une infraction à une disposition administrative (ici un éventuel non respect des dispositions du permis de construire accordé aux consorts [P]-[W]) ne constitue pas en soi un trouble anormal du voisinage, tout comme d'ailleurs le respect des dispositions légales n'exclut pas la possibilité d'un tel trouble.

Par conséquent, tous ces développements sont en soi inutiles, et ce d'autant plus que l'enjeu des débats est des plus limité puisque l'éventuel dépassement ne porte que sur quelques centimètres.

A titre surabondant, la cour constate qu'il résulte de l'étude du dossier, que deux mesures concernant le point 0 de la construction sont proposées. La première issue des documents graphiques du permis de construire le situe à une altimétrie de 99,65. La seconde, selon le relevé du géomètre [F], positionne ce point de base à 99,52, soit une altimétrie inférieure de 13 cm par rapport à celle du permis de construire. Pour un bâtiment dont les différents points supérieurs présentent une hauteur allant de 4,7 m à 6,72 m, la variation de quelques centimètres (l'expert constate un dépassement de 7 cm sur un point, mais constate des mesures inférieures à celles prévus sur le permis de construire sur 7 autres points allant de 4,5 cm à 24 cm...) est sans portée au regard de la notion de trouble anormal de voisinage.

D'ailleurs, à aucun moment les consorts [S]-[E] ne rapportent la preuve de ce que ces quelques centimètres en plus (ou en moins) seraient de nature à modifier l'impact - en terme d'ombrage - du bâtiment.

* Sur le trouble anormal résultant de la perte d'ensoleillement et de vue :

Il convient de déterminer si l'emplacement de l'immeuble des consorts [P]-[W] et sa taille, sont de nature à générer un trouble anormal du voisinage pour les appelants.

Le premier élément factuel réside dans le fait que cet immeuble est de taille importante ou tout du moins donne l'impression d'être imposant lorsque l'on se place sur la terrasse des appelants.

Les consorts [P]-[W] ne peuvent raisonnablement minimiser les effets de cet immeuble sur l'ensoleillement de la maison de leurs voisins. Il est rappelé que Mme [O], sapiteur de l'expert judiciaire, a clairement établi qu'à différentes périodes de l'année la propriété des consorts [S]-[E] subit une perte quotidienne et systématique d'ensoleillement de plusieurs heures, liée au masque produit par la construction.

La sapiteur expose plus particulièrement que cette perte affecte les pièces orientées au sud-est, soit:

- pour les fenêtres du salon, de la salle de bain et des toilettes, de 8 h à 10 ou 11 h en automne, hiver et au printemps,

- pour la fenêtre de la cuisine, de 8 h à 13 h en hiver et au printemps,

- pour la terrasse ouvrant sur le jardin, de 8 h à 13 h en hiver et en automne, et de 8 à 11 h au printemps.

Il y a donc lieu de constater que cette perte d'ensoleillement est particulièrement importante, en ce qu'elle touche des pièces de vie que sont la cuisine et le salon, pendant deux ou trois saisons et pendant plusieurs heures du matin. Le trouble doit être considéré comme anormal, en ce qu'il prive durant au moins la moitié de l'année, voire les trois quarts, les occupants de la maison de soleil direct durant les heures matinales de 8 à 11 h, voir parfois 13 h.

En outre, il ressort des photographies et des plans que les intimés ont fait le choix de positionner leur maison, de taille imposante, en limite de propriété alors que la superficie du terrain leur permettaient de laisser de l'espace entre la maison et la limite de leur terrain. Ils ne pouvaient ignorer que ce positionnement était le moins avantageux pour leurs voisins, et leur imposait une vue directe et rapprochée sur le mur aveugle de la maison en devenir.

D'autre part, en dépit des allégations des consorts [P]-[W], l'étude des photographies et plans du dossier atteste que du fait de la construction de leur maison, les consorts [S]-[E] se trouvent privés en partie de la vue dégagée sur la vallée dont ils bénéficiaient précédemment. Par ailleurs Mme [O] a aussi conclu à l'existence d'une perte de vue.

Le fait que les consorts [S]-[E] savaient que le terrain voisin était constructible, n'est en soi pas de nature à rendre impossible de caractériser un trouble visuel d'anomal.

A l'étude des prises de vue produites, la cour estime que les appelants qui bénéficiaient de leur terrasse d'une vue dégagée sur le paysage de l'ordre de 250 degrés, ne profitent plus que d'une vue dégagée d'environ 140°, en sachant en outre - comme cela a déjà été dit - qu'ils souffrent d'une vue directe sur le mur imposant des voisins revêtu d'un bardage.

La cour estime dès lors que cette perte de vue partielle, remplacée en partie par la vue sur un mur aveugle imposant (en longueur et en hauteur) constitue un trouble anormal de voisinage, découlant notamment du fait de l'implantation de la maison de les consorts [P]-[W].

* Sur le trouble anormal résultant de l'humidité des murs

Les consorts [S]-[E] soutiennent que du fait de l'ombre persistante de la maison des consorts [P]-[W] sur leur propre édifice, des traces de moisissures, de la mousse et des auréoles seraient apparues en sous face de la dalle haute de leur sous sol.

Cependant, lors des opérations d'expertise, l'homme de l'art a exclu l'hypothèse selon laquelle la construction des intimés pourrait être à l'origine de ces traces suspectes, et ce d'autant plus qu'il notait que 'aucun taux d'humidité anormal n'a été relevé' (page 16 du rapport).

De la même manière, l'étude du procès verbal établi par Me [H], huissier le 21 septembre 2009 - soit avant la réalisation des travaux d'édification pour le compte des consorts [P]-[W] - démontre que le mur de soutènement de la maison des appelants et de sa terrasse comportait déjà des traces suspectes pouvant être causée par l'humidité (annexe n° 14, et plus particulièrement photos 5 à 13).

Dans ces conditions, il n'est guère possible d'envisager ces traces - tout du moins à l'aulne des pièces produites - comme étant la conséquence du cône d'ombre dans lequel est plongée cette partie de mur de la propriété des consorts [S]-[E].

* Sur les autres nuisances

S'agissant des nuisances olfactives et des rejets de 'fibres' causés par la VMC côté 'ouest' de la maison des consorts [P]-[W], la cour rappelle à titre préliminaire que l'éventuelle méconnaissance des directives du permis de construire quant au positionnement de la VMC, ne saurait en soi constituer un argument de nature à prouver l'existence d'un dommage anormal.

D'autre part, en dépit de l'extrême longueur de la procédure, les consorts [S]-[E] n'ont pas produit de pièces probantes, comme un procès verbal d'huissier, de nature à étayer leurs allégations portant tant sur les désagréments olfactifs, que sur l'expulsion dans l'atmosphère de 'fibres' par la VMC.

Enfin, l'expert n'a rien trouvé à redire quant au fonctionnement de cette VMC à double flux qui était nécessairement en état de marche le jour de son déplacement.

Aussi, les 3 photographies transmises à hauteur d'appel par les consorts [S]-[E], à savoir des vues rapprochées de l'embout d'un aspirateur qui présente des traces d'éléments fibreux roses (annexe 66) ne sauraient prouver l'existence de rejets de fibres par la VMC des intimés.

Les appelants allèguent également qu'à la suite des travaux de construction, ils auraient subi différents désordres.

Ainsi seraient concernés des piliers en grès de leur maison, qui menaceraient de s'effondrer suite à leur exposition au gel et à la neige pendant les travaux des consorts [W]-[P] (annexe appelants n° 36). Mais il ressort des photographies présentes au constat d'huissier de 2009 établi par Me [H], que lesdits poteaux étaient déjà fissurés et abîmés, de sorte que les allégations des consorts [S]-[E] ne sauraient être accueillies.

Ils évoquent également une rupture des tuyaux d'écoulement de la fosse d'aisance de leur propriété à la suite de l'excavation des fondations de l'immeuble voisin. Là encore ces allégations sont infirmées par le premier expert (Monsieur [A] [Y]) qui a eu à connaître de la situation et qui a exclu au point 5.10 de son rapport d'expertise, tout lien de causalité entre les travaux de terrassement réalisés pour le compte des intimés et les dégâts allégués par les appelants.

Au sujet des différentes dégradations alléguées subies à l'intérieur de l'habitation des consorts [S]-[E] en 2013 suite à la chute d'un miroir qui aurait endommagé le lavabo et le carrelage de la salle de bain causée par les vibrations générées par les travaux voisins (annexe appelants n° 27), ou à l'extérieur de la maison au niveau du mur de soutènement côté Sud Est touché (suite au déversement de gravats), par la haie de thuyas et le grillage, par les briques des murs de la terrasse, ou des désagréments vécus du fait du bruit occasionné lors des travaux, les appelants ne produisent comme preuve que des photographies, insuffisantes pour établir l'existence de ces atteintes. Il est à noter qu'aucun des experts ayant eu à connaître de la situation n'a relevé l'existence de ces dégradations.

Enfin, on ne saurait reprocher aux consorts [W]-[P] de ne pas avoir installé de système d'évacuation des eaux au niveau du soubassement métallique de la construction surplombée de tôle, en ce sens qu'aucun dégât de quelque nature que ce soit en lien avec l'écoulement des eaux pluviales ruisselant sur ce bardage horizontal n'a été relevé lors des opérations d'expertise.

* * *

Il ressort des développements précédents que le premier juge a bien analysé la situation en fait et en droit, en ne retenant que l'existence d'un trouble anormal de voisinage en lien avec une perte d'ensoleillement et de vue.

2) Sur la réparation de ces deux préjudices

La juridiction doit apprécier souverainement la mesure propre à faire cesser le trouble de voisinage résultant de cette atteinte à la vue et à l'ensoleillement.

Si un trouble anormal existe, il convient de veiller à ce que la réparation soit proportionnée à l'atteinte, ce que la solution de destruction de l'immeuble, préconisée par les appelants, n'est assurément pas.

La destruction de l'immeuble serait une atteinte disproportionnée au regard du droit de propriété des consorts [P]-[W], la perte d'ensoleillement n'étant que de quelques heures par jour (et pas en été).

Il est en revanche adapté de leur accorder une indemnisation. Pour fixer le montant de la réparation la cour prend en compte :

- les développements de Mme [O] qui évoquait une perte de valeur de la maison de l'ordre de 9% du fait de ces troubles de voisinage ; l'expert retenant comme valeur de le maison en 2015 la somme de 170 000 euros, le préjudice au niveau de la valorisation est de l'ordre de 15.000 euros,

- le préjudice subi par les appelants au quotidien découlant de la perte d'ensoleillement notamment dans le salon et la cuisine, et de la perte de vue dégagée.

Une somme de 30 000 euros sera dès lors accordée aux consorts [S]-[E] à titre de dommages et intérêts.

3) Sur les empiétements et le rétablissement des bornes

* Sur le rétablissement des bornes

Les consorts [S]-[E] soutiennent que les bornes séparatives auraient été déplacées par les consorts [P]-[W] à leur avantage ce qui résulterait de la comparaison entre les relevés effectués en 2008 et 2014.

Cependant, comme l'a justement fait remarquer le premier juge, un rétablissement des limites entre les deux propriété a été réalisé -postérieurement à ces mesures - par un géomètre, le 26 avril 2016, et ce en présence de toutes les parties (page 8 de l'expertise de M. [G] ).

Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de rétablissement.

* Sur l'empiétement allégué de 11 à 13 cm des fondations du mur nord-est des consorts [W]-[P]

L'expert judiciaire, qui était notamment chargé de vérifier les emplacements des immeubles et l'éventuelle possibilité d'empiétement, ne fait aucune mention d'un tel empiétement de 11 à 13 cm des fondations du mur nord-est de la maison des consorts [P]-[W] dans son rapport d'expertise judiciaire.

Aucun dire ne lui a par ailleurs été adressé à ce sujet.

Dans ces conditions, les consorts [S]-[E] ne sauraient aujourd'hui fonder leur demande en s'appuyant sur de simples photographies et sur le procès verbal d'huissier de Me [V] [T] (annexe 28), qui n'ont pas été prises ou établies contradictoirement, et ce d'autant plus que la lecture de ce constat ne permet pas de confirmer l'existence d'un tel empiétement.

* Sur les empiétements non contestés

C'est par une exacte appréciation de la situation que le premier juge a considéré qu'il convenait de condamner les consorts [W]-[P] à supprimer l'empiétement résultant de l'installation sur la façade nord de leur maison d'un bardage métallique à l'origine d'un empiétement de 3 cm sur le terrain des appelants.

Les intimés ont au demeurant indiqué être disposés à le remplacer par un crépi mais également à supprimer le débord de 5 cm du mur de soutènement réalisé dans le prolongement du mur nord de leur maison.

Sur appel incident, les intimés estiment que c'est à tort qu'ils ont été condamnés à prendre en charge les frais découlant de la suppression de ces empiétements car la pose du bardage métallique aurait été rendue nécessaire du fait du refus des consorts [E]-[S] de laisser pénétrer sur leur propriété la société en charge du crépi, et d'autre part que l'empiétement du mur de soutènement serait exclusivement imputable à l'intervention de Madame [E] et de son époux.

Sur le premier point, le tribunal a justifié sa décision en relevant que ceux-ci ne versent aucune pièce aux débats permettant de considérer qu'une demande écrite aurait été adressée aux consorts [E]-[S] lors de la réalisation des travaux pour leur demander l'autorisation de pénétrer sur leur propriété.

Concernant le second point, les intimés produisent aux débats une nouvelle attestation de Monsieur [D] (annexe 86) qui confirme la teneur de celle déjà produite en annexe 36, à savoir que l'empiétement découlerait de l'intervention intempestive à coup de 'marteau' et de 'masse 'des consorts [S]-[E] sur le coffrage bois devant recevoir le béton. La cour estime qu'il n'est pas nécessaire d'écarter cette attestation des débats.

Cependant, l'attestation de M. [D] n'est pas suffisamment précise et claire pour qu'elle permette d'engager la responsabilité des appelants.

Dans ces conditions, au regard du caractère très limité de ces empiétements, il y a lieu de condamner les consorts [P]-[W] à les supprimer sous astreinte, et à leur frais.

4) Sur la vue irrégulière

L'article 678 du code civil édicte que 'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de construction'.

En application de cette disposition, la décision entreprise a sanctionné une vue irrégulière - à savoir 'une vue plongeante sur la propriété' des consorts [S]-[E] du haut de la terrasse des consorts [P]-[W]- en ordonnant la suppression, sous astreinte, du remblai de la terrasse et de son plancher en bois se trouvant dans la limite de 1,9m de la limite séparative.

Le tribunal avait relevé qu'il résulte de l'examen des photographies produites que le terrain des consorts [W]-[P] a effectivement été surélevé à l'arrière de l'immeuble et qu'une terrasse a été installée sur ce remblai créé le long de la limite entre les deux propriétés, relevant également qu'au niveau de la terrasse et du rehaussement, les deux parcelles sont séparées par un simple grillage non occultant et que ces éléments créent désormais une vue plongeante depuis la propriété des consorts [W]-[P] sur celle des consorts [E]-[S], aggravant de ce fait de manière significative la situation existante et créant une vue irrégulière.

Les consorts [W]-[P] ne sauraient sérieusement soutenir que la vue plongeante ne serait nullement établie. L'étude des photographies produites, des plans de masse et du rapport d'expertise, atteste de l'existence de cette vue plongeante sur le terrain des appelants. L'existence de cette vue irrégulière doit être confirmée.

Les intimés s'opposent à la destruction partielle de leur terrasse telle que décidée en première instance et proposent de la maintenir en l'état mais de la doter sur sa largueur d'un brise-vue de hauteur suffisante.

Mais la solution du brise vue n'est pas adaptée au cas d'espèce. Outre son caractère impermanent, la constitution des deux terrains fait que la seule solution pour mettre fin à cette vue irrégulière est de s'assurer que la terrasse et le remblai soient mis en retrait de la limite de propriété. En outre, il y a lieu de tenir compte du fait que cette suppression n'est que partielle, et que les intimés disposent d'une autre terrasse positionnée au sud.

La solution retenue par les premiers juges est la seule à même à mettre un terme à cette atteinte aux dispositions de l'article 678 du code civil. Le jugement sera dès lors confirmé sur ce point.

5) Sur les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts

Les consorts [W]-[P] sollicitent l'infirmation du jugement entrepris en tant qu'ils les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour harcèlement procédural et procédure abusive, soutenant en outre avoir subi un préjudice matériel du fait de la suspension des travaux.

S'agissant de l'arrêt des travaux, force est de constater qu'il était motivé par une décision de justice administrative, le temps que la procédure en annulation du permis de construire aboutisse.

Les consorts [S]-[E] ne sont pas responsables de l'état de dégradation des premiers éléments de la maison en bois, du fait de leur non protection à l'égard des intempéries durant l'arrêt du chantier.

D'autre part les consorts [E]-[S] ont saisi la justice administrative et judiciaitre en vue de voir reconnaître leur droit ; les conditions de l'abus de droit ne sont pas réunies et ce d'autant plus qu'ils obtiennent aujourd'hui partiellement gain de cause sur la question des troubles anormaux de voisinage et d'une vue irrégulière.

Aussi, c'est à juste titre que le tribunal a débouté les intimés de leur demande de dommages et intérêts.

6) Sur les demandes annexes

Un temps, les intimés ont reproché aux appelants d'avoir posé un fil de fer barbelé en limite de propriété à hauteur de visage d'enfant. Il est acquis, que ce fil de fer barbelé a été retiré. Cette demande est devenue sans objet.

La décision du premier juge, concernant les dépens et des frais irrépétibles, sera confirmée.

Enfin, les intimés seront condamnés aux dépens de la procédure d'appel et à verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 3 000 euros aux consorts [S]-[E].

Corrélativement la demande des intimés fondée sur ces mêmes dispositions sera écartée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

DIT que la demande de M. [L] [P] et de Mme [M] [W] portant sur le retrait d'un fil de fer barbelé installé au niveau de leur par les consorts [S]-[E] est devenue sans objet,

CONFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saverne le 11 septembre 2021, sauf en ce qu'il a condamné M. [L] [P] et Mme [M] [W] à payer une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts au profit de M. [U] [S] et Mme [X] [E] et l'INFIRME sur ce seul chef,

Statuant à nouveau sur ce seul chef

CONDAMNE M. [L] [P] et Mme [M] [W] à payer à M. [U] [S] et Mme [X] [E] la somme de 30 000 euros (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts,

CONDAMNE M. [L] [P] et Mme [M] [W] aux dépens de l'appel,

CONDAMNE M. [L] [P] et Mme [M] [W] à payer à M. [U] [S] et Mme [X] [E] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de M. [L] [P] et Mme [M] [W] formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02984
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;20.02984 ?
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