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25/11/2022 | FRANCE | N°20/03034

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 25 novembre 2022, 20/03034


MINUTE N° 516/2022





























Copie exécutoire à



- Me Marion BORGHI



- la SELARL ACVF ASSOCIES





Le 25/11/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 25 NOVEMBRE 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03034 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNHZ
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Décision déférée à la cour : 05 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANTS :



1) Monsieur [U] [F]

2) Madame [L] [F]

demeurant tous deux [Adresse 1]

3) S.C. [F] PARTICIPATION, prise en la personne de son représentant légal,

ayant son s...

MINUTE N° 516/2022

Copie exécutoire à

- Me Marion BORGHI

- la SELARL ACVF ASSOCIES

Le 25/11/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 25 NOVEMBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03034 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNHZ

Décision déférée à la cour : 05 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTS :

1) Monsieur [U] [F]

2) Madame [L] [F]

demeurant tous deux [Adresse 1]

3) S.C. [F] PARTICIPATION, prise en la personne de son représentant légal,

ayant son siège social [Adresse 1]

représentés par Me Marion BORGHI, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me WARYNSKI, avocat à Strasbourg

INTIMÉES :

S.A. IN EXTENSO [Localité 4] NORD prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 3]

S.A. AXA FRANCE IARD Prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

représentées par la SELARL ACVF ASSOCIES, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me Marie-France BLAIZE, avocat à Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 16 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société civile [F] Participations constituée entre M. [U] [F] et Mme [L] [F], qui détiennent chacun 50 % des parts et en sont les co-gérants, est une société holding qui détient des participations dans diverses sociétés, et notamment dans la société Invest conseil dont elle est l'associée unique.

Selon lettre de mission du 7 mars 2005, et avenant du 6 février 2009, la société [F] Participations a confié au cabinet Cecos (aux droits duquel vient désormais la société In Extenso) une mission de « présentation des comptes annuels » comportant la tenue de la comptabilité et la révision des comptes, l'établissement des comptes annuels et des déclarations fiscales, ainsi que l'établissement de différents documents juridiques.

Entre le 20 avril 2010 et le 2 juillet 2010, la société [F] Participations a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008.

A l'issue de ces opérations, l'administration a émis, le 15 juillet 2010, une proposition de rectification estimant que les bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés ainsi que les revenus de capitaux mobiliers déclarés pour les exercices 2007 et 2008 avaient été sous-évalués et procédait à :

- la correction du prix de revient relatif à la cession de titres détenus par la société dans la SCI Le Dunkerque,

- la remise en cause d'une cession de créance entre la société [F] Participations, M. [F] et la société Invest Conseil, non formalisée par un acte en dehors des écritures comptables,

et relevait :

- une absence de déclaration de la quote-part des bénéfices réalisés par la SCI Laura qui aurait dû être imposée dans la société [F] Participations,

- une dette injustifiée de 2 500 euros au passif de la société [F] Participations correspondant au capital non versé dans la SCI Le Dunkerque,

- une renonciation à recettes par la mise à disposition gratuite d'un appartement à usage d'habitation appartenant à la société [F] Participations, au profit de Mme [B], mère de Mme [F].

L'administration ayant retenu un « manquement délibéré » a appliqué des pénalités de 40%.

Les conséquences financières de ce contrôle fiscal ont été évaluées à la somme de 70 385 euros, dont 62 225 euros au titre du supplément d'impôt sur les sociétés et 8 160 euros au titre des intérêts de retard et majorations.

En conséquence de ce redressement, les services fiscaux ont adressé parallèlement deux autres propositions de rectification, respectivement à M. [U] [F] et à Mme [L] [F], portant remise en cause de la cession de créance susvisée et d'un acte de prêt passé entre M. [F] et la société [F] Participations, et imposition, en tant que revenus distribués, des sommes correspondant aux loyers non perçus par la la société [F] Participations du fait de la mise à disposition gratuite d'un appartement au profit de Mme [B], constitutive d'une libéralité.

Les conséquences financières liées aux propositions de rectification adressées à titre personnel à M. et Mme [F] ont été évaluées aux sommes suivantes :

- 133 183 euros au titre de l'année 2007, dont 110 930 euros au titre des suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvement sociaux, et 22 253 euros au titre des intérêts de retard et majorations,

- 145 507 euros au titre de l'année 2008, dont 126 669 euros au titre des suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, et 18 838 euros au titre des intérêts de retard et majorations.

Un second contrôle fiscal a abouti à l'envoi d'une nouvelle proposition de rectification à destination de la société [F] Participations, concernant l'exercice 2009 portant sur la renonciation à recettes par la mise à disposition à titre gratuit de l'appartement appartenant à la société, les conséquences financières de cette proposition de rectification ont été évaluées à la somme de 39 688 euros, dont 37 636 euros au titre du supplément d'impôt sur le sociétés et 2 052 euros au titre des intérêts de retard et majorations.

Suite au rejet de l'intégralité des observations présentées en réponse aux propositions de rectification qui leur avaient été adressées, la société [F] Participations et les époux [F] ont contesté les redressements par voie de réclamation contentieuse qui ont été rejetées par l'administration fiscale par courriers du 1er juin 2012, s'agissant de la société [F] Participations, et du 27 juin 2012, s'agissant des époux [F].

Les 17 et 19 juillet 2012, la société [F] Participations et les époux [F] ont déposé trois requêtes distinctes auprès du tribunal administratif de Strasbourg afin d'obtenir la décharge des suppléments d'imposition réclamés, ainsi que des intérêts de retard et majorations.

Par trois jugements en date du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a maintenu les redressements proposés, sauf en ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt et majorations mises à la charge des époux [F] du fait de la mise à disposition à titre gratuit de l'appartement appartenant à la société [F] Participations au profit de Mme [B]. Par arrêt du 16 novembre 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a confirmé les jugements du tribunal administratif, relevant que par décision en date du 15 septembre 2017, l'administration fiscale avait prononcé au bénéfice des époux [F], pour chacun d'eux, des dégrèvements à hauteur de 6 090 euros au titre de l'année 2007 et 9 521 euros au titre de l'année 2008.

Par exploits d'huissier en date des 2 et 18 juillet 2013, la société [F] Participations et les époux [F] ont fait citer la SA In Extenso [Localité 4] Nord, expert-comptable de la société [F] Participations et son assureur Axa France Iard, devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de condamnation à leur verser les sommes correspondant aux suppléments d'impositions, intérêts de retard et pénalités mis à leur charge.

Par un jugement du 5 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Strasbourg a déclaré irrecevable la demande de la société [F] Participations, recevable la demande des époux [F] mais les en a déboutés, et a condamné les demandeurs aux dépens déboutant la société In Extenso de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a considéré que la clause de la lettre de mission de la société In Extenso prévoyant que toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant la période légale et devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre, était opposable à la société [F] Participations - et non aux époux [F] -, a considéré que bien qu'aucune sanction ne soit édictée, la sanction de l'obligation d'introduire dans les trois mois était implicite et qu'il s'agissait d'un délai préfix.

Il a ensuite retenu que les juridictions appelées à statuer sur cette question plaçaient la date de connaissance du sinistre à la date de notification de la proposition de rectification, en l'espèce le 15 juillet 2010, et que tant à la date de la première réclamation officielle par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 juillet 2012, qu'à celle de l'assignation du 18 juillet 2013, le délai de forclusion était largement dépassé, de sorte que la demande de la société [F] Participations était irrecevable par forclusion.

Au fond, sur la demande des époux [F], le tribunal a retenu, s'agissant de la remise en cause d'une cession de créance destinée à opérer compensation entre le solde débiteur du compte courant d'associé de M. [F] dans la société [F] Participations avec le solde créditeur de son compte courant dans la société Invest conseil, filiale à 100 % de la première, du fait que la cession n'avait pas de date certaine et que les formalités de l'article 1690 du code civil n'avaient pas été respectées, d'une part que l'expert comptable n'était pas chargé de la tenue quotidienne de la comptabilité et que le débit du compte courant de M. [F] était de son fait et qu'il ne pouvait ignorer ses propres agissements, d'autre part que si cette cession de créance sans signification du transfert était une 'mauvaise idée', il n'était pas démontré qu'elle provenait de la société In Extenso, la seule facturation en décembre 2009 de l'établissement d'un contrat de rachat de créance pour l'année 2008 ne suffisant pas, en l'absence de production de l'acte en question, à établir qu'il s'agissait bien de la cession litigieuse.

S'agissant de la remise en cause d'un acte de prêt formalisé après clôture de l'exercice 2008 et daté rétroactivement du 31 décembre 2007 pour régulariser le compte courant débiteur de M. [F] dans la société [F] Participations, le tribunal a retenu comme précédemment que le débit du compte courant était imputable à M. [F] qui ne pouvait ignorer ses propres agissements, et que le manquement de l'expert comptable à son devoir de vigilance n'était pas établi.

Si l'établissement de cet acte de prêt après remise des fonds par la société In Extenso, qui ne le contestait pas, et son absence d'enregistrement étaient par contre constitutifs de fautes, le lien de causalité avec le préjudice n'était pas démontré puisque les juridictions administratives avaient relevé que la fictivité du prêt résultait de son absence de remboursement et que la cause du redressement ne se trouvait pas dans l'acte de prêt, certes critiquable, mais dans les prélèvements non régularisés.

La société [F] Participations et les époux [F] ont interjeté appel de ce jugement, le 20 octobre 2020, en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes d'indemnisation compte tenu des fautes commises par la société In Extenso laquelle leur a causé un préjudice, l'appel portant sur l'intégralité des dispositions du jugement et notamment sur le fait que le tribunal a considéré qu'il y avait certes une faute et un préjudice mais que le lien de causalité n'avait pas été démontré.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 1er février 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions transmises par voie électronique le 7 septembre 2021, la société [F] Participations et les époux [F] demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la société [F] Participations et en ce qu'il déboute les époux [F] de leur demande, et statuant à nouveau de :

- déclarer leurs demandes recevables,

- condamner in solidum les défenderesses à payer à la société [F] Participations la somme de 141 717 euros et aux époux [F] la somme de 365 225 euros,

- condamner in solidum les défendeurs aux entiers frais et dépens de la procédure ainsi qu'au paiement d'une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les débouter de toutes contestations et demandes,

- condamner Madame la Directrice de la DNVSF à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel. (sic)

Sur la forclusion, la société [F] Participations fait valoir que la clause visée par le tribunal qui n'édicte aucune sanction ne peut faire obstacle, en cas de non-respect, à l'introduction d'une action en responsabilité contre l'expert comptable même après le délai de forclusion convenu entre les parties, le tribunal ayant dénaturé la clause.

En tout état de cause, le délai a été respecté car la notification des propositions de rectification ne constitue pas la date du sinistre, la position du tribunal étant contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation qui retient que la date de la connaissance du sinistre correspond à la date à laquelle le demandeur disposait de tous les éléments permettant de déterminer l'existence du sinistre et son ampleur, soit la date de l'avis de mise en recouvrement qui matérialise l'existence de la créance - en l'espèce le 22 septembre 2011 -, ou celle de la décision de non-admission du pourvoi dernière étape du processus de contestation des redressements fiscaux.

En outre, la clause n'impose pas une action en justice dans les trois mois mais une réclamation, or la société In Extenso a eu connaissance de la mise en cause de sa responsabilité dès le 25 juillet 2010, puis le 21 octobre 2011, elle a d'ailleurs déclaré le sinistre le 15 novembre 2011, puis le 17 juillet 2012. Elle a au surplus était informée et consultée à tous les stades de la procédure de contestation.

S'agissant de la correction relative à la SCI Dunkerque, la société [F] Participations reproche à la société In Extenso qui était en charge de l'établissement de ses déclarations fiscales une négligence et une erreur de calcul, soulignant que si elle avait eu connaissance des conséquences fiscales elle n'aurait pas vendu ou aurait exigé un prix plus élevé, et n'aurait en tout état de cause, pas subi un redressement ni supporté un surplus d'imposition et des majorations de retard.

S'agissant de la remise en cause d'une cession de créance non formalisée pour un montant de 162 006 euros, et du prêt consenti par la société à son gérant, elle invoque un défaut de vigilance de la société In Extenso qui était en charge de la tenue quotidienne de la comptabilité, outre un manquement à son devoir de conseil et de mise en garde, et considère que le lien de causalité est caractérisé car si la société In Extenso avait alerté M. [F] en temps utile, il aurait pu combler le déficit de son compte courant d'associé ou arrêter les prélèvements. En outre, la société In Extenso ayant rédigé l'acte de prêt était tenue d'en assurer l'efficacité et cet acte aurait pu être régularisé en bonne et due forme.

S'agissant de l'absence de déclaration de la quote-part de résultat de la SCI Laura, et du maintien injustifié de la dette correspondant au capital souscrit non versé de la SCI Le Dunkerque, après cession des titres de cette société, il s'agit d'un oubli de l'expert comptable, qui soit disposait des informations nécessaires soit devait les solliciter.

Enfin, s'agissant de la renonciation à recettes correspondant à la mise à disposition gratuite de l'appartement, les appelants considèrent que la société In Extenso aurait dû les avertir du fait qu'il pouvait s'agir d'un acte anormal de gestion.

En ce qui concerne leur préjudice, celui des époux [F] découlant des mêmes fautes, les appelants font valoir que si le paiement de l'impôt légalement dû n'est pas un préjudice indemnisable, ils ont subi une perte de chance d'éviter l'imposition laquelle doit être intégralement réparée puisque sans les fautes de la société In Extenso aucun impôt supplémentaire n'aurait été dû, ni les majorations de retard.

S'agissant des intérêts de retard, les époux [F] soutiennent qu'il ne peut être considéré qu'ils auraient conservé une trésorerie, car ils ne pouvaient imaginer à l'avance qu'ils feraient l'objet d'un redressement. Ils ont ainsi dû, comme la société, vendre des biens pour s'acquitter de la dette fiscale.

Les appelants demandent également indemnisation au titre des intérêts moratoires et des factures d'assistance à contentieux fiscal, outre d'un préjudice moral.

Par conclusions transmises par voie électronique le 29 octobre 2021, la société In Extenso et la société Axa France Iard demandent à la cour de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 5 octobre 2020 en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la SC [F] Participations, et déboute les époux [F] de leurs demandes.

En conséquence et en tout état de cause, de :

- constater que la société [F] Participations n'a pas introduit ses demandes dans le délai contractuellement prévu et déclarer ses demandes irrecevables comme forcloses ;

- débouter en conséquence la société [F] Participations de toutes ses demandes ;

- débouter les époux [F] de leurs demandes fins et conclusions.

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour jugerait recevable la société [F] Participations, la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner solidairement la société [F] Participations et les époux [F] à verser à la société In Extenso et à la société Axa France IARD la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Les intimés soutiennent, s'agissant de la forclusion, que les clauses aménageant la prescription sont valides et que selon la Cour de cassation, la clause litigieuse institue un délai de forclusion dont le point de départ est la connaissance du sinistre correspondant au fait générateur du dommage, à savoir les faits et circonstances pour lesquels la responsabilité peut être engagée, en l'espèce, la notification de la proposition de redressement. Ce délai n'a pas été interrompu par les lettres de réclamation, seule l'action en justice pouvant interrompre le délai.

Au fond, la société In Extenso conteste sa responsabilité. Les intimées rappellent que l'expert comptable est tenu d'une obligation de moyens et qu'aucune présomption de faute ne peut être mise à sa charge du seul fait de l'existence du redressement fiscal de son client, ou de quelque préjudice que ce soit résultant de l'inexactitude des comptes.

Sur la plus-value sur cession des titres de la SCI Dunkerque, les intimées font valoir, outre le fait que l'impôt dû ne constitue pas un préjudice, qu'il n'est justifié d'aucun lien causal entre l'erreur de calcul et le paiement de la plus-value.

S'agissant de la cession de créance, la société In Extenso conteste avoir reçu mission de M. [F] de rédiger un acte de cession de créance ou encore d'effectuer les formalités relatives à cette cession de créance, de sorte qu'elle n'était donc pas tenue d'un devoir de conseil. Elles soutiennent en outre que M. [F] est seul à l'origine de la situation débitrice de son compte courant, et qu'à supposer même qu'il ait ignoré la nécessité de rembourser un compte courant débiteur, ce qui n'est pas crédible de la part d'un chef d'entreprise aguerri, il ne démontre en aucun cas qu'il aurait disposé de liquidités lui permettant de le faire. En tout état de cause, la société In Extenso ne pouvait, lors de son intervention en 2008 pour l'établissement des comptes clos au 31 décembre 2007, régulariser une situation née et créée en 2007, ni rendre opposable à l'administration fiscale une cession de créance intervenue au cours de cet exercice.

S'agissant du prêt, le refus de l'administration de voir qualifier en prêt les prélèvements opérés par M. [F] sur son compte courant d'associé n'est pas imputable à l'expert comptable. En outre, l'auteur d'une faute intentionnelle ne peut rechercher la responsabilité d'un tiers pour s'exonérer de sa propre faute et en toute hypothèse, il n'y a pas de lien de causalité entre la rédaction de l'acte de prêt et les redressements pratiqués.

Sur la renonciation à perception de recettes, la société In Extenso prétend avoir ignoré la situation locative du bien mis à disposition de Mme [B], et soutient que l'absence de perception de revenus ne constitue pas en soi une situation anormale et était pleinement justifiée par la possibilité de pouvoir céder rapidement le bien.

S'agissant enfin des autres manquements allégués, les intimées invoquent un manquement de la société [F] Participations à son devoir de coopération et de communication à l'expert comptable des informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Subsidiairement, les intimées font valoir que les préjudices allégués ne sont pas indemnisables, qu'il s'agisse de l'impôt éludé ou des intérêts de retard qui se compensent avec l'avantage de trésorerie dont a bénéficié le contribuable pendant le temps où il n'a pas payé l'impôt. Par ailleurs, les frais de poursuite et d'assistance au contrôle fiscal ne sont pas imputables à la société In Extenso puisqu'ils résultent d'un choix de gestion du contribuable.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

1 - Sur la forclusion de la demande de la société [F] Participations

La lettre de mission du 17 mars 2005 et son avenant du 6 février 2009 comportent une clause intitulée 'responsabilité' prévoyant que 'toute demande de dommages et intérêts ne pourra être produite que pendant la prescription légale. Elle devra être introduite dans les trois mois suivants la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre.'

Bien qu'aucune sanction ne soit expressément prévue, c'est sans dénaturation du contrat liant les parties que le tribunal a retenu qu'il s'agissait d'un délai de forclusion. En effet, selon une jurisprudence établie, lorsque les parties fixent conventionnellement un délai pour engager une procédure judiciaire, il s'agit d'un délai de forclusion, la forclusion étant la sanction qui prive le titulaire d'un droit qui s'est abstenu d'accomplir dans le délai légal ou conventionnel une formalité lui incombant pour l'exercice de ce droit, de la possibilité de l'accomplir après expiration de ce délai.

Comme le relèvent les intimés, le point de départ de ce délai n'est pas le dommage mais le sinistre, qui correspond à la connaissance du fait dommageable, peu important que l'étendue du préjudice ne soit pas encore connue.

Par voie de conséquence, le point de départ du délai doit être fixé au jour de la notification du redressement, en l'espèce le 15 juillet 2010, comme l'a retenu le tribunal, et non pas à la date à laquelle les recours administratifs ont été définitivement rejetés, ou encore la date des avis de mise en recouvrement.

S'agissant d'un délai préfix pour agir en justice, le terme 'introduction' renvoyant nécessairement à une action en justice, une réclamation, même formée par lettre recommandée avec accusé de réception, n'est pas susceptible de l'interrompre.

L'assignation ayant été délivrée à la société In Extenso le 18 juillet 2013, plus de trois mois après la notification du redressement, le jugement doit donc être confirmé en tant qu'il a déclaré l'action engagée par la société [F] Participations irrecevable comme étant forclose.

2 - Sur la demande des époux [F]

La société In Extenso étant l'expert comptable de la société [F] Participations et non des époux [F] qui ne sont pas liés par la lettre de mission, le délai de forclusion ne peut leur être opposé.

2-1 sur les fautes

N'étant pas liés contractuellement à l'intimée, les époux [F] ne peuvent rechercher sa responsabilité que sur un fondement quasi-délictuel, les fautes commises par la société In Extenso dans l'exécution de sa mission à l'égard de la société [F] Participations pouvant cependant constituer un manquement délictuel à leur égard si elles leur ont causé un préjudice.

Par voie de conséquence, seuls les manquements ayant conduit à une imposition supplémentaire au titre de sommes ayant été considérées par l'administration comme étant des revenus distribués sont donc susceptibles, s'ils sont démontrés, d'ouvrir droit à réparation pour les époux [F].

Le chef de redressement relatif à l'absence de perception de revenus du fait de la mise à disposition gratuite d'un appartement au profit de Mme [B] ayant été écarté par le tribunal administratif s'agissant des époux [F], l'imposition supplémentaire résulte donc seulement de la remise en cause de la cession de créance et du contrat de prêt.

2-1-1 Sur la remise en cause d'une cession de créance non formalisée pour un montant de 162 006 euros

Cette cession de créance effectuée le 31 décembre 2007 a consisté à porter au débit du compte courant d'associé de M. [F] dans la société [F] Participations une somme de 162 006 euros afin de compenser le solde débiteur de son compte courant d'associé dans la société Invest conseil, dont la première de ces sociétés était l'associée unique, et non pas l'inverse comme retenu à tort par le tribunal.

Les appelants prétendent que cette opération a été conseillée par la société In Extenso qui a passé les écritures comptables correspondantes, sans respecter le formalisme lié à une telle cession, et lui reprochent un défaut de vigilance, ainsi qu'un défaut de conseil et de mise en garde quant aux conséquences préjudiciables de l'inopposabilité de la cession à l'administration fiscale résultant du non-respect de la signification du transfert.

La société In Extenso oppose à juste titre qu'elle n'a reçu aucune mission de M. [F], ou de la société [F] Participations de rédiger un acte de cession de créance ou d'effectuer les formalités relatives à cette cession de créance, et qu'en tant qu'expert-comptable elle n'a vocation à répondre que des seules fautes commises dans l'exécution de la mission qui lui a été confiée.

La rédaction et la signification d'un acte de cession de créance ne ressortissant pas de la mission de tenue de comptabilité et de révision des comptes dévolue à la société In Extenso, il appartient en effet à M. [F] de démontrer lui avoir confié cette mission ou qu'elle lui aurait été confiée par la société [F] Participations.

Force est de constater que cette preuve n'est pas rapportée, la facture produite en annexe 25 par les appelants, en date du 2 décembre 2009, concernant l'établissement d'un contrat de rachat de créance et non pas de cession, et se rapportant à une mission juridique de décembre 2008 et non de décembre 2007, date du transfert.

Dès lors, qu'il n'est pas établi que la société In Extenso ait eu mission de procéder au transfert ainsi opéré, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir effectué les formalités de signification de la cession prévues à l'article 1690 du code civil, afin de la rendre opposable.

En outre, s'agissant d'une écriture passée en compte le 31 décembre 2007, il ne peut pas davantage être reproché à l'expert comptable un manquement à son obligation de vigilance ou à son devoir de mise en garde, aucune régularisation n'étant possible au titre de cet exercice comptable a posteriori.

Par voie de conséquence, par ces motifs substitués à ceux du premier juge, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de M. [F] de ce chef, en l'absence de preuve d'une faute de la société In Extenso.

2-1-2 Sur la remise en cause du prêt

Il n'est pas contesté qu'en décembre 2008, la société In Extenso a été chargée de rédiger un acte de prêt portant sur un montant de 182 500 euros entre la société [F] Participations et les époux [F] afin de régulariser le solde débiteur de leur compte courant au sein de la société.

Les époux [F] invoquent comme précédemment un défaut de vigilance de la société In Extenso et un défaut de conseil pour avoir omis d'informer sa cliente que les prêts consentis aux associés étaient présumés constitutifs de revenus distribués vis-à-vis de leur bénéficiaire lorsqu'ils ne répondent pas à certaines conditions, non remplies en l'espèce puisque l'acte de prêt a été établi postérieurement à la remise des fonds correspondant à des prélèvements en compte courant réalisés entre le 5 février 2008 et le 14 novembre 2008 à hauteur d'un montant total de 218 615 euros qui avaient eu pour effet de rendre débiteur ce compte à hauteur de 183 625 euros à cette dernière date.

Conformément à l'article 111 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige, sont notamment considérés comme revenus distribués :

a. Sauf preuve contraire, les sommes mises à la disposition des associés directement ou par personnes ou sociétés interposées à titre d'avances, de prêts ou d'acomptes.

La preuve contraire permettant de renverser cette présomption suppose la production d'un acte écrit établi préalablement à la remise des fonds prévoyant le versement d'un intérêt normal et fixant les modalités de remboursement.

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la société In Extenso était bien investie d'une mission de tenue des comptes incluant notamment la saisie et la tenue des différents journaux.

Il lui appartenait donc non seulement d'alerter la société [F] Participations et ses dirigeants, quand bien même M. [F] serait-il un dirigeant aguerri, sur l'irrégularité des prélèvements ainsi effectués qu'elle constatait et d'inciter les époux [F] à procéder au remboursement du solde débiteur de leur compte courant d'associé, mais aussi de les informer sur les conséquences fiscales de l'acte de prêt qu'elle était chargée d'établir. La circonstance que ce prêt n'ait pas été remboursé ce qui n'a pas permis d'éviter le redressement ou encore le fait que les prélèvements irréguliers soient imputables à M. [F] ne sont pas de nature à exonérer l'expert comptable de sa responsabilité, puisque d'une part il lui appartenait de mettre en garde le gérant contre les conséquences prévisibles de ces irrégularités et d'autre part, au moment de l'établissement de l'acte de prêt, d'attirer l'attention de sa cliente et de son gérant sur l'existence d'un risque prévisible de redressement et sur la nécessité pour les époux [F] de procéder au remboursement du prêt.

Les époux [F] sont dès lors fondés à reprocher à la société In Extenso un manquement à son devoir de vigilance et de conseil à l'égard de sa cliente constitutif d'une faute de nature délictuelle à leur égard, ce manquement étant en relation causale directe avec le redressement fiscal dont ils ont fait l'objet qui aurait pu être évité si ils avaient été invités plus tôt à régulariser la situation débitrice de leur compte courant.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

2-2 Sur le préjudice des époux [F]

Les fautes reprochées à la société In Extenso consistant en des manquements à son devoir de conseil, le préjudice subi par les époux [F] s'analyse ainsi que l'évoquent les appelants, en une perte d'une chance d'avoir pu éviter le redressement et une imposition supplémentaire.

Il résulte toutefois de ce qui précède que le premier chef de redressement n'est pas imputable à la société In Extenso.

En outre, au vu de la persistance et de l'importance croissante des prélèvements irréguliers et de l'absence de tout élément permettant d'établir qu'ayant été dûment avertis des conséquences fiscales de cette situation, les époux [F] auraient été en mesure d'apurer le solde débiteur de leur compte courant, alors même qu'ils soutiennent avoir été contraints de vendre un bien immobilier pour faire face aux conséquences du redressement faute de liquidités, la perte de chance d'éviter l'imposition supplémentaire est nécessairement limitée.

Par voie de conséquence, et en l'état des éléments d'appréciation dont la cour dispose, il convient de fixer à 20 % le quantum de cette perte de chance.

Comme le soulignent les intimés, l'imposition éludée ne constitue pas un préjudice réparable dès lors que l'administration a réintégré dans la base d'imposition des sommes devant être soumises à l'impôt. En revanche, les époux [F] sont fondés à mettre en compte les majorations et pénalités de retard qu'ils ont supportées, après dégrèvement, selon bordereaux de situation après paiement du 27 juillet 2018 - annexes 11 et 13 des appelants -, à hauteur de 13 318 euros au titre de l'exercice 2007 et de 14 551 euros au titre de l'exercice 2008, soit un montant total de 27 869 euros auquel sera appliqué le taux de perte de chance. L'indemnité due à ce titre s'établit donc à 5 574 euros.

Les intérêts moratoires et frais de poursuite liés au retard de paiement ne peuvent par contre être pris en considération en l'absence de lien de causalité direct avec les fautes reprochées à la société In Extenso, outre que les époux [F] ne démontrent pas que lesdits intérêts auraient excédé l'avantage de trésorerie dont ils ont bénéficié en conservant la dispositions des fonds.

Les factures d'assistance à contentieux fiscal totalisant 3 827,20 euros ne peuvent être mises en totalité à la charge de la société In Extenso dans la mesure où, même sans faute de sa part, les époux [F] auraient néanmoins dû être assistés et défendus au contrôle fiscal, ces frais seront donc retenus dans la même proportion que précédemment, soit à concurrence de la somme arrondie à 765 euros.

Enfin, le préjudice moral allégué n'étant pas suffisamment caractérisé, les époux [F] seront déboutés de leur demande à ce titre.

C'est donc un montant total de 6 339 euros qui sera mis à la charge de la société In Extenso et de son assureur la société Axa France Iard qui ne conteste pas sa garantie .

3 - sur les dépens et les frais exclus des dépens

En considération de la solution du litige, les demandes des époux [F] ayant été très partiellement accueillies, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [F] Participations et les époux [F] aux dépens, et de dire que chacune des parties supportera ses propres dépens de première instance et d'appel. Il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties les frais qu'elles a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 5 octobre 2020 en ce qu'il a débouté les époux [F] de leur demande et les a condamnés aux dépens ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNE la SA In Extenso in solidum avec la SA Axa France Iard à payer à M. [U] [F] et Mme [L] [B], épouse [F], ensemble, la somme de 6 339 euros (six mille trois cent trente neuf euros) ;

DEBOUTE les époux [F] du surplus de leur demande, y compris de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;

CONDAMNE chacune des parties à supporter les dépens qu'elle a exposé en première instance ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus ;

Ajoutant au jugement,

REJETTE les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE chacune des parties à supporter les dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03034
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;20.03034 ?
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